La directive CabSat s’ouvre au Net et au replay

En fait. Le 28 mars, les eurodéputés ont voté à une majorité – 460 pour, 53 contre – en faveur d’un règlement sur « l’exercice du droit d’auteur et des droits voisins applicables à certaines diffusions en ligne d’organismes de radiodiffusion et retransmissions d’émissions de télévision et de radio ». Extensions et limites.

Directive Copyright : ce qu’en disent les GAFA

En fait. Le 26 mars, les eurodéputés ont voté à une majorité – 348 pour, 274 contre et 36 abstentions – en faveur de la directive européenne controversée sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique. Pour Google, c’est « source d’insécurité juridique ». L’Edima, Digital Europe et la CCIA n’en pensent pas moins.

En clair. « La directive sur le droit d’auteur a fait l’objet d’améliorations mais sera toujours source d’une insécurité juridique qui pourra nuire au secteur de la création et
à l’économie numérique en Europe. Les détails ont une grande importance, et nous souhaitons collaborer avec les législateurs, les éditeurs, les créateurs et les ayants-droit lors de la transposition de cette nouvelle réglementation par les Etats membres de l’Union européenne ». Telle la déclaration officielle complète que Google a transmise
à Edition Multimédi@ après l’adoption le 26 mars de la directive « Copyright » (1). Comme le fait remarquer son concurrent franco-allemand Qwant (voir l’entretien en Une), le recours préventif aux outils de reconnaissance des contenus protégés sur les plateformes – tels que Content ID de YouTube (filiale de Google) – pourrait se retrouver en conflit avec d’autres directives européennes. Par exemple, l’article 13 devenu 17 de la nouvelle directive « Droit d’auteur » permettant le recours au filtrage du Net pour lutter contre le piratage pourrait se heurter frontalement avec l’article 15 de la directive « E-commerce » intitulé justement « Absence d’obligation générale en matière de surveillance » (2). De plus, cela supposerait le consentement préalable des internautes prévu par le RGPD (3). L’Edima, organisation basée à Bruxelles et représentant notamment les GAFA (4), « regrette le manque de clarté et de pragmatisme des deux articles-clé de la directive » – faisant ainsi référence aux articles 13 (devenu 17) et 11 (devenu 15), ce dernier instaurant un droit voisin pour la presse payable par les GAFA. Et sa directrice générale, Siada El Ramly, de déclarer : « La directive Copyright sape d’autres lois de l’Union européenne ; elle tente d’imposer un business model de licences sur des plateformes ouvertes et d’affaiblir les droits fondamentaux à la vie privée et à la liberté d’expression des citoyens européens ».
La filiale d’Alphabet est aussi membre de Digital Europe, qui ne voit « ni certitude ni clarté, mais seulement complexité », ainsi que de l’association CCIA aux Etats-Unis, laquelle dénonce le caractère « disproportionnée » de la directive « Copyright » qui
« porte atteinte à la légalité des outils et sites (web) » et qui « incite à surfiltrer et à supprimer les téléchargements des utilisateurs ». @

Vers une nouvelle loi contre le cyberharcèlement et les contenus haineux en ligne

Le gouvernement va présenter avant l’été un projet de loi contre le cyberharcèlement et les contenus haineux en ligne, en responsabilisant plus
les plateformes numériques et en restreignant l’anonymat. Le droit à l’effacement et l’actuel arsenal juridique sont actuellement limités face au fléau.

Par Christiane Féral-Schuhl*, avocate associée, cabinet Féral-Schuhl/Sainte-Marie

Le harcèlement consiste à tenir des propos ou avoir des comportements répétés, ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de vie d’une personne, susceptible de porter atteinte à ses droits, à sa dignité et d’altérer sa santé physique ou mentale. A l’ère du numérique, le harcèlement s’opère sur Internet, les réseaux sociaux, les blogs ou tout autre support en ligne.

Essor d’un fléau et arsenal juridique
Le harcèlement en ligne, également appelé cyber-harcèlement, est au cœur de l’actualité, que ce soit avec les attaques qui ont visé le chanteur Bilal Hassani – représentant la France à l’Eurovision 2019, en mai prochain – ou encore avec l’affaire de la « Ligue du LOL ». La prolifération des faits de harcèlement en ligne suscite de plus en plus d’inquiétudes. Aux Etats-Unis, la cour suprême a récemment condamné pour homicide une femme de 22 ans jugée pour avoir poussé son petit ami au suicide en 2014, par une série de textos. En France, la récente affaire de la « Ligue du LOL », du nom d’un groupe privé sur Facebook, illustre également l’accroissement significatif du cyber-harcèlement. A la suite de ces révélations, plusieurs journalistes impliqués ont été suspendus par leurs employeurs pour avoir harcelé il y a quelques années d’autres journalistes et blogueurs sur le réseau social Twitter. Des victimes ont dénoncé des entraves à leur carrière et un dénigrement systématique de la part des membres du groupe ou de leur entourage, souvent accompagnés de photos et messages violents. Pour l’instant, il n’y a pas d’enquête judiciaire sur les faits allégués, la plupart d’entre eux étant prescrits (à partir de 6 ans, mais un rallongement du délai de prescription
est à l’étude). Cette affaire de la « Ligue du LOL » a amené une vingtaine de médias (presse et audiovisuel) à signer le 13 mars au ministère de la Culture une « Charte pour les femmes dans les médias, contre le harcèlement et les agissements sexistes dans les médias » (1). Le cyber-harcèlement est partout, y compris parfois au sein du couple. Dans le cadre des violences conjugales, les violences physiques sont souvent accompagnées de cyber-violences : cinq femmes victimes de violences conjugales
sur six déclarent ainsi avoir également subi des actes de cyber-harcèlement, selon le Centre Hubertine Auclert (2). Le cyber-harcèlement revêt dès lors plusieurs formes. Il peut s’agir de la propagation de rumeurs sur Internet, de la création d’un faux profil à l’encontre d’une personne, de la publication de photographies sexuellement explicites ou humiliantes, des messages menaçants ou du « happy slapping », cette pratique qui consiste à filmer à l’aide d’un téléphone portable des actes de violence et à les diffuser sur Internet, notamment sur les réseaux sociaux.
Le cyber-harcèlement est une infraction grave réprimée par le Code pénal. La menace de rendre publics sur Internet des enregistrements sonores, des images ou des vidéos à caractère sexuel d’un(e) ex-partenaire, avec l’intention de nuire, peut être qualifiée de chantage (3). Ou encore être sanctionnée sur le fondement de la menace de violence (4). La publication sur un site web permet aussi de sanctionner l’auteur pour des faits de violence psychologique, délit introduit dans notre Code pénal par la loi du 9 juillet 2010 dans le but de lutter plus efficacement contre les violences conjugales (5), quelle que soit leur nature (6). Diffuser à répétition sur Internet des enregistrements, des images, des vidéos à caractère sexuel, c’est aussi du harcèlement sexuel visé et réprimé par le Code pénal (7). Par ailleurs, l’article 222-33-2-2 du Code pénal sanctionne le harcèlement moral d’un an d’emprisonnement et de 15.000 euros d’amende.

Du retrait des contenus à de la prison ferme
La récente loi du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes (8) modifie cet article pour prévoir que le délit est également constitué
« lorsque ces propos ou comportements sont imposés à une même victime par plusieurs personnes, de manière concertée ou à l’instigation de l’une d’elles, alors même que chacune de ces personnes n’a pas agi de façon répétée » ou « lorsque
ces propos ou comportements sont imposés à une même victime, successivement,
par plusieurs personnes qui, même en l’absence de concertation, savent que ces propos ou comportements caractérisent une répétition ». En outre, la même loi prévoit une aggravation des peines lorsque les faits sont commis par l’utilisation d’un service de communication au public en ligne ou par le biais d’un support numérique électronique. Ainsi, en cas de cyber-harcèlement, les peines sont portées à trois ans d’emprisonnement et 45.000 euros d’amende. Enfin, l’article 222-16 du Code pénal réprime l’envoi de plusieurs courriels malveillants à l’incrimination des appels téléphoniques malveillants et agressions sonores. A cet arsenal juridique, viennent s’ajouter des décisions judiciaires qui montrent de quelles manières les délits de cyber-harcèlement peuvent être constitués. Par une ordonnance de référé du 29 mars 2016 (9), le président du tribunal de grande instance de Paris a considéré que la publication de 34 articles faisant état de la dangerosité de deux personnes, affirmant qu’elles seraient recherchées par les autorités et lançant des avis de recherche était constitutive du délit de « cyber-harcèlement ». Le dirigeant a été condamné à retirer les articles publiés sous astreinte de 100 euros par jour.

Conseils de la Cnil et plan du gouvernement
A son tour, en 2017, le tribunal correctionnel de Bordeaux (10) a condamné une personne qui a proféré des menaces de mort à l’encontre d’un journaliste via le réseau social Twitter. Les juges ont retenu la circonstance aggravante de « menaces commises en raison de la religion ». Pour déterminer la culpabilité du mis en cause, il est retenu que « le premier message est clairement menaçant » et que « l’enchaînement des messages qui suivent est également de nature à constituer une menace de mort ».
En outre, les juges ont estimé que le délit était constitué, aux motifs que « les menaces ayant été adressées par messages envoyés par Twitter, il s’agi[ssai]t bien de menaces matérialisées par un écrit ». À ce titre, le prévenu a notamment été condamné à une peine d’emprisonnement d’un an ferme. Plus récemment, le 20 mars 2019, un étudiant qui avait harcelé une journaliste sur Internet à la suite d’un article a été condamné à cinq mois de prison avec sursis et 2.500 euros d’amende pour préjudice moral.
Partant du constat que près de 10 % de la population européenne a subi ou subira un harcèlement (11), la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) a publié une série de conseils sur le cyber-harcèlement. Qui sont les cyber-harceleurs ?
« Un internaute peut être harcelé pour son appartenance à une religion, sa couleur de peau, ses opinions politiques, son comportement, ses choix de vie, … Le harceleur peut revêtir l’aspect d’un “troll” (inconnu, anonyme) mais également faire partie de l’entourage de la victime (simple connaissance, ex-conjoint, camarade de classe, collègue, voisin, famille …) », prévient la Cnil. Elle rappelle aux victimes de violences sur Internet la réaction à adopter face au harcèlement – avec comme principe de base de « ne surtout pas répondre ni se venger » – et les paramétrages des médias sociaux conseillés. Si le harcèlement en ligne est réprimé par le Code pénal et relève de la compétence judiciaire, la Cnil rappelle que chaque personne a un droit à l’effacement
et au déréférencement de ses données. Ainsi, la victime peut demander la suppression des informations auprès de chaque site web ou réseau social. La personne qui en est responsable est, par conséquent, tenue de procéder à l’effacement dans les meilleurs délais et au plus tard dans un délai d’un mois (voire trois si la demande est complexe). En cas d’absence de réponse sous un mois, un recours auprès de la Cnil est possible. Pour le droit au déréférencement spécifiquement, elle rappelle que « si ces informations apparaissent dans les résultats de recherche à la saisie de vos prénom et nom, vous avez la possibilité d’effectuer une demande de déréférencement auprès du moteur de recherche en remplissant le formulaire [comme celui de Google, ndlr (12)] ».
Face à la prolifération des faits de harcèlement en ligne, le gouvernement entend se saisir de la question et prendre de nouvelles mesures pour lutter efficacement contre ces actes. Un projet de loi contre les contenus haineux et le harcèlement en ligne devrait être présenté avant l’été. Il a ainsi annoncé le 14 février dernier sa volonté de responsabiliser les plateformes et d’accélérer les procédures pour identifier les auteurs de propos haineux en ligne. Les secrétaires d’Etat – Marlène Schiappa à l’Egalité et Mounir Mahjoubi au Numérique – veulent en effet, par ce « plan d’action », pousser les plateformes à mettre « en quarantaine » ou retirer « en quelques heures » les contenus haineux. Le gouvernement propose ainsi de superviser les outils de signalement
à disposition des internautes et envisage d’auditer régulièrement les règles de modération des contenus des plateformes. Il les incite également à développer leurs outils de modération automatique avec la possibilité, pour les utilisateurs, de faire appel. Le secrétaire d’Etat au Numérique désire par ailleurs créer un nouveau statut pour les plateformes en ligne qui serait entre celui d’hébergeur de contenus et celui d’éditeur, permettant d’engager plus efficacement leur responsabilité. « La loi allemande oblige (…) désormais les acteurs à supprimer dans un délai de 24h les contenus “manifestement illégaux” et prévoit des sanctions allant jusqu’à 50 millions d’euros en la matière », a-t-il rappelé (13).

Aller jusqu’à restreindre l’anonymat
Des mesures concernant l’anonymat sur Internet sont également en réflexion. Il s’agirait de restreindre cet anonymat à certains usages tels que les pétitions en lignes. Enfin, si la possibilité de demander l’identité des auteurs d’harcèlement en ligne existe déjà, le gouvernement voudrait fixer et imposer aux plateformes des délais pour communiquer ces données. @ 

* Christiane Féral-Schuhl est ancien bâtonnier
du Barreau de Paris, et auteure de « Cyberdroit »,
dont la 7e édition (2018-2019) est parue aux éditions Dalloz.

Règlementation pour la fiabilité des informations et conseil de presse : sommes-nous tous concernés ?

Les lois de lutte contre les « fausses nouvelles » (1881, 2016, 2018) visent aussi
à faire respecter une certaine déontologie de l’information qui, à l’ère d’Internet, ne concerne plus seulement les médias et les journalistes, mais aussi la société civile qui participe à la diffusion d’« actualités ».

User-Generated Video (UGV) : la directive SMA ne doit pas tuer ni la liberté d’expression ni la créativité

La nouvelle directive sur les services de médias audiovisuels (SMA) vient
d’être promulguée au JOUE du 28 novembre. Mais, afin d’épargner la liberté d’expression et la créativité, la Commission européenne consulte encore en
vue de publier « le plus rapidement possible » des « lignes directrices ».

Le 14 novembre, les présidents respectifs du Parlement européen et du Conseil de l’Union européenne ont signé la nouvelle directive concernant « la fourniture de services de médias audiovisuels, compte tenu de l’évolution des réalités du marché ». Cette directive dite SMA (services de médias audiovisuels), qui fut définitivement adoptée le 6 novembre,
a été publiée le 28 novembre au Journal Officiel de l’Union européenne (JOUE). Ce texte communautaire – en français ici (1) – doit maintenant être obligatoirement transposé par les Etats membres « au plus tard le 19 septembre 2020 ».

Une menace pour les droits fondamentaux
Mais le plus délicat reste à venir pour les régulateurs audiovisuels nationaux tels que
le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) en France. Les YouTube, Dailymotion et autres plateformes vidéo (Facebook, Snapchat, Musical.ly/TikTok, …) sont en effet désormais visés – comme les services de télévision traditionnels et les services de diffusion à la demande (replay et VOD) – par la nouvelle directive SMA censée protéger les mineurs contre les contenus préjudiciables comme la pornographie et protéger tous les citoyens européens contre la haine et les propos racistes, ainsi qu’en interdisant tout contenu incitant à la violence et au terrorisme. Or la question la plus sensible est celle de la définition des User-Generated Video (UGV), qui sont aux plateformes vidéo en particulier ce que les User-Generated Content (UGC) sont à Internet en général. Autrement dit, la liberté d’expression et la créativité des internautes et mobinautes
– rompus aux contenus créés par eux-mêmes – ne doivent pas être les victimes collatérales de la nouvelle régulation des plateformes vidéo.
La tâche des régulateurs nationaux de l’audiovisuel est d’autant moins facile que le nouveaux texte législatif européen manque de clarté, au point qu’il prévoit lui-même que la Commission européenne doit « dans un souci de clarté, d’efficacité et de cohérence de la mise en oeuvre, (…) publier des orientations, après consultation
du comité de contact, sur l’application pratique du critère relatif à la fonctionnalité essentielle figurant dans la définition d’un “service de plateformes de partage de
vidéos” ». Selon les informations de Edition Multimédi@, la Commission européenne
a tout juste commencé à discuter de ces lignes directrices lors d’une première réunion le 12 novembre dernier (2). D’après une porte-parole, Nathalie Vandystadt (photo),
« aucune date précise n’est encore prévue pour la publication des lignes directrices mais la Commission européenne compte les adopter le plus rapidement possible,
après consultation des Etats membres [comité de contact, ndlr] et un atelier sur cette question ». Car entre la théorie et la pratique, les « CSA » européens sont quelque peu démunis face à un texte sujet à interprétations – notamment vis-à-vis des UGV. « Ces orientations devraient être rédigées en tenant dûment compte des objectifs d’intérêt public général à atteindre par les mesures à prendre par les fournisseurs de plateformes de partage de vidéos et du droit à la liberté d’expression », prévient le considérant n°5 de la directive SMA révisée. Les acteurs du Net, eux, étaient plutôt favorables à une autorégulation et non à une nouvelle réglementation contraignante (3). Trois pays – la Finlande, l’Irlande et les Pays-Bas – avaient même émis des réserves sur la portée de cette nouvelle directive modifiant l’ancienne directive SMA de 2010 (4). Dans leur déclaration conjointe du 18 octobre dernier, ils estiment que « la directive SMA n’est pas le cadre approprié pour réglementer les plateformes de partage de vidéos, étant donné que le reste du champ d’application de la directive couvre uniquement les services de médias audiovisuels pour lesquels le fournisseur de services a la responsabilité éditoriale du contenu du programme ». Ces trois pays du Nord de l’Europe mettent en garde contre les dérives possibles au détriment de la liberté d’expression et de la créativité, tout en justifiant qu’ils ne voteront pas pour cette directive révisée : « La réglementation proposée des plateformes de partage de vidéos est difficile à contrôler et elle peut provoquer des effets secondaires indésirables et occasionner une charge administrative disproportionnée ».

Des UGC (Content) aux UGV (Video)
Et la Finlande, l’Irlande et les Pays-Bas d’enfoncer le clou : « Nous estimons que le manque de clarté, aggravé par l’absence d’analyses d’impact et de base factuelle solide, est susceptible de compromettre la sécurité juridique dont ont besoin les régulateurs et le secteur pour mettre en oeuvre les dispositions d’une manière claire, cohérente et effective et dont a besoin le secteur pour innover. Il peut également menacer la capacité des citoyens européens à exercer leurs droits fondamentaux, en particulier leur liberté d’expression ». La convergence entre la télévision et les services Internet a profondément révolutionné le monde de l’audiovisuel et les usages, tant dans la consommation de vidéos que dans leur production par les utilisateurs eux-mêmes. La génération « Millennials » est plus encline à partager des vidéos sur les médias sociaux et les plateformes numériques qu’à rester dans le salon à regarder les chaînes linéaires. Le phénomène des UGV, souvent pétris de liberté d’expression, change la donne.

Des allures de régulation de l’Internet
La directive SMA n’a pas pour but, nous explique-t-on, de réguler les services de médias sociaux en tant que tels, mais elle devrait s’appliquer à ces services « si la fourniture de programmes et de vidéos créées par l’utilisateur en constitue une fonctionnalité essentielle ». Or le législateur européen a considéré que la fourniture
de programmes et des UGV – ces vidéos créées par l’utilisateur – constitue une fonctionnalité essentielle d’un service de médias sociaux « si le contenu audiovisuel n’est pas simplement accessoire ou ne constitue pas une partie mineure des activités de ce service de médias sociaux » (5).
Mais le diable est dans les détails : lorsqu’une partie dissociable d’un service constitue un service de plateformes de partage de vidéos au sens de la directive SMA, seule cette partie « devrait » être concernée par la réglementation audiovisuelle et uniquement pour ce qui est des programmes et des vidéos créées par l’utilisateur.
« Les clips vidéo incorporés dans le contenu éditorial des versions électroniques de journaux et de magazines, et les images animées, au format GIF notamment, ne devraient pas être couverts (…).
La définition d’un service de plateformes de partage de vidéos ne devrait pas couvrir les activités non économiques, telles que la fourniture de contenu audiovisuel de sites web privés et de communautés d’intérêt non commerciales », peut-on lire au considérant n°6. Les « CSA » européens, réunis au sein du Groupe des régulateurs européens des services de médias audiovisuels (ERGA (6)), s’interrogent d’ailleurs eux-mêmes sur l’application qui doit être faire – qui plus est de façon harmonisée à travers les Vingt-huit – de cette directive SMA qui prend des allures de régulation du Net. Dans leur livre d’analyse et de discussion publié le 6 novembre (7) sur l’implémentation de la nouvelle directive SMA, les gendarmes de l’audiovisuel en Europe s’attardent sur la notion de
« service de plateformes de partage de vidéos » introduite dans le premier article de la directive révisée. Ce service de type YouTube ou Dailymotion consiste en « la fourniture au grand public de programmes, de vidéos créées par l’utilisateur [UGV, ndlr], ou des deux, qui ne relèvent pas de la responsabilité éditoriale du fournisseur de la plateforme de partage de vidéos, dans le but d’informer, de divertir ou d’éduquer ». Parmi leurs 34 propositions, les membres de l’ERGA appellent la Commission européenne à fournir une orientation (guidance) afin d’aborder les questions soulevées par la définition de UGV. En substance, quelle est la différence entre une vidéo créée par l’utilisateur et un programme audiovisuel ? Les « CSA » européens veulent disposer de l’interprétation la plus compréhensible possible de la notion d’UGV afin de protéger les publics de ces plateformes vidéo, sur lesquelles sont « uploadées » par les utilisateurs des vidéos qui relèvent de la liberté d’expression et de droits fondamentaux. Toujours dans l’article 1er de la directive SMA révisée, la vidéo créée par l’utilisateur est définie comme étant « un ensemble d’images animées, combinées ou non à du son, constituant un seul élément, quelle qu’en soit la longueur, qui est créé par un utilisateur et téléchargé vers une plateforme de partage de vidéos par ce même utilisateur ou par n’importe quel autre utilisateur ». Quant à l’article 28 ter, il stipule dans le détail que « les fournisseurs de plateformes de partage de vidéos relevant de leur compétence prennent les mesures appropriées pour protéger : a) les mineurs des programmes, vidéos créées par l’utilisateur et communications commerciales audiovisuelles susceptibles de nuire à leur épanouissement physique, mental ou moral (…) ; le grand public des programmes, vidéos créées par l’utilisateur et communications commerciales audiovisuelles comportant une incitation à la violence ou à la haine visant un groupe de personnes ou un membre d’un groupe (…) ; le grand public des programmes, vidéos créées par l’utilisateur et communications commerciales audiovisuelles comportant des contenus dont la diffusion constitue une infraction pénale au titre du droit de l’Union, à savoir la provocation publique à commettre une infraction terroriste (…), les infractions liées à la pédopornographie (…) et les infractions relevant du racisme et de la xénophobie (…) ». On l’aura compris, les vidéos créées par l’utilisateur sont désormais mises sous surveillance par les plateformes du Net qui risquent bien d’appliquer le principe de précaution juridique pour ne pas tomber sous le coup de la loi.

Ni surveillance généralisée ni de filtrage ?
Afin de ne pas être en contradiction avec la directive européenne « Commerce électronique » de 2000 (8), notamment avec son article 15 (« Absence d’obligation générale en matière de surveillance ») selon lequel les Etats membres ne doivent pas imposer aux [hébergeurs] une obligation générale de surveiller les informations qu’ils transmettent ou stockent, ou une obligation générale de rechercher activement des faits ou des circonstances révélant des activités illicites », la directive SMA révisée se veut compatible. « Ces mesures n’entraînent pas de mesures de contrôle ex anteni de filtrage de contenus au moment de la mise en ligne qui ne soient pas conformes à l’article 15 de la directive [« Commerce électronique »] ». C’est à voir. @

Charles de Laubier