« Haro sur Google, le quasi-monopole naturel de la recherche sur Internet », saison 2 : moteur !

Aux pays des GAFA, le numéro un mondial des moteurs de recherche est attaqué par onze Etats américains qui l’accusent – à l’instar du département de la Justice (DoJ) – d’abus de position dominante sur trois marchés : moteurs de recherche, liens sponsorisés et publicités sur les résultats.

Pour la première fois, Google et le département américain de la Justice, le DoJ (1), se sont retrouvés le 30 octobre dernier devant un juge. Le gouvernement des Etats-Unis – et le passage de Trump à Biden ne changera rien à l’affaire – accuse la filiale d’Alphabet de monopoliser illégalement la recherche sur Internet. La procédure judiciaire pourrait s’éterniser, tant les avocats des deux parties sont prêts à ferrailler devant les tribunaux pour l’emporter.

Trois marchés abusivement « Googlelisés »
Créé il y a 22 ans, Google n’a jamais été aussi menacé par les autorités antitrust qui l’accusent d’avoir constitué un monopole sur trois marchés : les services de recherche généraux (moteurs de recherche), la publicité de texte de recherche (liens sponsorisés) et la publicité de recherche (conjuguant texte et images publicitaires). Google contrôle environ 90 % de la recherche générale sur le Web, laissant quelques miettes aux moteurs de recherche alternatifs – tels que Bing de Microsoft ou DuckDuckGo aux Etats-Unis. Mais la firme de Menlo Park, que dirige depuis cinq ans Sundar Pichai (photo de gauche), tente de convaincre le juge fédéral que le marché où il est accusé d’être monopolistique doit aussi prendre en compte Amazon dont la plateforme de e-commerce sert aussi à la rechercher, en vue de faire des achats. S’il y parvient, sa part de marché serait alors revue à la baisse et sa position dominante également.
En termes de chiffre d’affaires, selon le cabinet d’études eMarketer (2), Google a généré l’an dernier 73 % des revenus publicitaires liées à la recherche aux Etats-Unis, contre 13% pour Amazon. En outre, il est reproché à Google d’abuser de sa position dominante pour passer – sur au moins l’un des trois marchés analysées – des accords exclusifs qui aboutissent à évincer les moteurs de recherche concurrents. Autre grief : les fabricants de smartphones sous iOS (Apple) ou sous Android (Samsung, Huawei, Sony, …) bénéficient de la part de Google de ristournes sur les tarifs publicitaires du moteur de recherche si celui-ci est proposé par défaut aux mobinautes. La filiale d’Alphabet profite aussi de cette exclusivité pour préinstaller sur les mobiles grand public ses propres applications telles que le navigateur Chrome ou sa plateforme vidéo YouTube. Sans parler de la clause « anti-forking » (3) présente dans les contrats passés avec les fabricants de terminaux Android qui les empêche de développer ou de distribuer des versions d’Android qui ne respectent pas les règles techniques et commerciales de Google. Ironie de cette joute judiciaire : le juge fédéral qui est amené à entendre les deux parties se regardant en chiens de faïence n’est autre que Amit Mehta (photo de droite), lequel est – comme Sundar Pichai, le patron de Google – d’origine indienne. Le premier devra dire si le second a eu des pratiques de concurrence déloyales sur le marché des moteurs de recherche et de la publicité en ligne associée. Le DoJ estime que les concurrents de Google aux Etats-Unis (dont Bing et DuckDuckGo) ne peuvent batailler à armes égales. Les exclusivités que pratique la firme de Menlo Park, notamment avec son OS mobile Android, évincent les rivaux – ce qui ne va pas non plus dans l’intérêt des consommateurs (choix restreint ou absent) et même des annonceurs (tarifs publicitaires plus élevés). La justice antitrust américaine pourrait enjoindre à Google de ne plus nouer d’accords exclusifs avec les fabricants de smartphones « Android », Samsung en tête.
Google s’inscrit bien sûr en faux contre ces allégations, tout en expliquant que son moteur de recherche est supérieur aux autres – ce qui n’est pas faux. La filiale d’Alphabet a expliqué devant le juge fédéral qu’il reverse une partie de ses recettes publicitaires aux fabricants de terminaux tels qu’Apple. D’après le DoJ, les sommes versées par Google à la marque à la pomme – pour être le moteur de la pomme – représentent environ 15 % du chiffre d’affaires du fabricant d’iPhone et d’iPad. Reste à savoir si les avocats du groupe dirigé par Sundar Pichai vont attaquer le DoJ en soupçonnant ce département de l’administration Trump – sortante (lire p. 3) – de faire plus de la politique que de l’antitrust (4). Selon le Financial Times du 28 octobre, Apple se prépare à lancer son propre moteur de recherche.

Europe : injonctions et amendes salées
Comme en Europe, Google pourrait éviter le démantèlement de ses activités en cessant ses pratiques illégales présumées, et se voir infliger des milliards de dollars d’amende pour abus de position dominante et « pratiques concurrentielles illégales » sur le marché américain. Entre juin 2017 et mars 2019, la Commission européenne avait mis trois fois la filiale d’Alphabet à l’amende pour un total de 8,25 milliards d’euros (5). Mais cela n’a pas empêché Google de préserver sa position dominante. @

Charles de Laubier

Autoriser les rachats d’Instagramet de WhatsApp par Facebook fut deux graves erreurs de la FTC

Instagram, le réseau social de partage de photos et vidéos, fête ses dix ans. Lancé en octobre 2010 par l’Américain Kevin Systrom et le Brésilien Michel Mike Krieger, il fut vendu dix-huit mois après à Facebook pour 1 milliard de dollars. La FTC se mort les doigts d’avoir autorisé cette acquisition.

« Nous avons fait une erreur », avait admis Joseph Simons (photo), l’actuel président de la FTC, l’autorité américaine antitrust, dans une interview à l’agence Bloomberg le 13 août 2019. Il faisait le mea culpa de la Federal Trade Commission (FTC) à propos des autorisations accordées à Facebook pour les rachats de respectivement Instagram en 2012 pour 1milliard de dollars et WhatsApp en 2014 pour – tenez-vous bien – près de 20 milliards de dollars ! Sur la centaine d’acquisitions faites par la firme de Mark Zuckerberg (1), seule celle d’Instagram fit l’objet d’une enquête approfondie – avant le feu vert.

« Zuck » rachète ses concurrents menaçants
L’ensemble Facebook-Instagram-WhatsApp pourrait devenir un cas d’école s’il venait à être le premier GAFA à être démantelé, comme ne l’exclut pas Joseph Simons, ou sinon lui interdire le brassage des données personnelles entre ses plateformes (2). Le groupe spécial antitrust de la commission des Affaires judiciaires (3) de la Chambre des représentants des Etats-Unis vient, le 6 octobre dernier, d’appeler le Congrès américain à légiférer pour recourir à « deux outils essentiels de la boîte à outils anti-monopole : séparation structurelle et restrictions sectorielles » pour mettre un terme aux abus de position dominante des géants américains du Net – Google/YouTube, Amazon/Amazon.com, Facebook/Instagram/WhatsApp, Apple/App Store – et remédier aux conflits d’intérêts sous-jacents.
Les quatre patrons respectifs de ces Big Four, respectivement Sundar Pichai, Jeff Bezos, Mark Zuckerberg et Tim Cook, avaient été convoqués pour une audition qui s’est déroulée le 29 juillet dernier. Ce jour-là, le démocrate David Cicilline, le président de la sous-commission antitrust (bipartisane), n’avait pas caché que les conclusions allaient être en faveur du démantèlement ou à défaut de fortes restrictions. Dans son rapport de 451 pages intitulé « Investigation of competition in the Digital markets » (4), la sous-commission antitrust justifie d’en arriver au spinoff pour empêcher ces mastodontes planétaires du numérique aux comportements monopolistiques d’évincer la concurrence : « Les séparations structurelles interdisent à un intermédiaire dominant d’opérer sur des marchés qui le mettent en concurrence avec les entreprises dépendantes de son infrastructure. Entre-temps, les restrictions imposées aux secteurs d’activité limitent généralement les marchés dans lesquels une entreprise dominante peut s’engager » (5). C’est plus particulièrement le cas du groupe Facebook, devenu maison mère de ses ex-concurrents Instagram et WhatsApp, qui préoccupe le plus les parlementaires américains. « Facebook voyait Instagram comme une menace, […] donc ils les ont rachetés », avait grondé après l’audition de juillet le Démocrate Jerrold (Jerry) Nadler, président de la commission des Affaires judiciaires. « Zuck » l’a même écrit dans un e-mail confidentiel daté du 9 avril 2012 au moment du rachat d’Instagram, message interne (6) porté à l’enquête judiciaire. Son homologue David Cicilline avait, lui, renvoyé dos à dos la FTC et le patron du numéro un des réseaux sociaux : « La FTC n’aurait pas dû approuver l’acquisition de WhatsApp par Facebook », tout en pointant « la façon décontractée dont le PDG de Facebook, Mark Zuckerberg, a reconnu qu’il avait acquis le service de messagerie WhatsApp en 2014 parce qu’il était un concurrent en pleine croissance » (7). Les parlementaires Républicains sont moins critiques, au point de ne pas avoir approuvé le rapport antitrust publié le 6 octobre. Dans son rapport, la sous-commission antitrust souligne que « le marché des réseaux sociaux est très concentré » : Facebook (1,8 milliard d’utilisateurs) et sa gamme de produits – WhatsApp (2 milliards), Instagram (1,4 milliard) – comptent beaucoup plus d’utilisateurs et de temps passé sur sa plateforme que ses plus proches concurrents. En effet, Snapchat (443 millions d’utilisateurs) ou Twitter (582 millions) sont loin derrière la firme de « Zuck » (8). Il relève aussi que la « monopolisation » de Facebook a aussi des effets endogènes : « Par exemple, les forts effets de réseau associés à Facebook ont fait pencher le marché vers le monopole, de sorte que Facebook fait concurrence plus vigoureusement à ses propres produits – Facebook, Instagram, WhatsApp et Messenger – qu’à ses concurrents réels » (9).

Rachat d’Instagram par Facebook : « felony »
Instagram – mot-valise créé de l’anglais « instant camera » (appareil photo instantané) et « gram » (du mot telegram) – a subi comme WhatsApp la double peine : perte d’indépendance et concurrence inter-filiales ! En juin 2019, le professeur Tim Wu de la Columbia Law School avait estimé que « le rachat d’instagram par Facebook était une infraction majeure, voire un délit » : il emploie le terme de felony (10). Il ne reste plus qu’à réformer la loi antitrust américaine. @

Charles de Laubier

Les YVOT (russes) montent en puissance face aux GAFA (américains) et aux BATX (chinois)

L’Europe a aimé être colonisée par les Google, Amazon, Facebook et Apple (GAFA), et potentiellement par les Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi (BATX) : elle adorera l’être par les Yandex, VKontakte, Ozon et Telegram (YVOT), mais aussi Avito et Wildberries. L’Internet russe part à la conquête du monde, concurrencer américains et chinois.

L’Europe appelle la France à garder son sang-froid

En fait. Le 23 octobre, le Premier ministre français, Jean Castex, s’est rendu à Bruxelles pour y rencontrer la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen. Après l’assassinat à Conflans-Sainte-Honorine, le gouvernement est poussé à lutter contre la haine sur les réseaux sociaux – mais sans menacer la liberté d’expression.

Comment YouTube et Uploaded ont encore échappé à leurs responsabilités dans deux affaires de piratage

L’article 17 controversé de la directive « Droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique » n’a pu être appliqué ni à YouTube (Google) ni à Uploaded (Cyando). Et pour cause : l’Allemagne, où deux plaintes pour piratage avaient été déposées, n’a pas encore transposé le texte européen.