L’anonymat sur les réseaux sociaux n’existe pas, seule est pratiquée la pseudonymisation

A part pour certains geeks utilisant Tor, l’anonymat sur Internet n’existe quasiment pas – contrairement à une idée répandue. L’identification d’un internaute utilisant un pseudonyme se fait par son adresse IP et peut être ordonnée par un juge sur « réquisition judiciaire ».

« L’anonymat sur les réseaux sociaux n’est plus une protection face à la justice », a lancé le procureur de la République de Créteil, Stéphane Hardouin, le 6 juillet dernier sur son compte professionnel LinkedIn, en montrant son communiqué expédié le même jour (1). Il annonce qu’un jeune homme âgé de 19 ans, ayant relayé de façon anonyme sur Twitter – après la mort de Nahel tué à bout portant par un policier le 27 juin 2023 à Nanterre et ayant suscité une forte émotion – un appel à attaquer le centre commercial « Créteil Soleil » et le tribunal judiciaire de Créteil, a été identifié avec l’aide de Twitter.

Twitter, Snapchat, Instagram, TikTok, …
Présumé innocent, il encourt en cas de culpabilité jusqu’à cinq ans de prison d’emprisonnement et 45.000 euros d’amendes. Son anonymat a été levé par Twitter sur réquisition judiciaire adressée le 1er juillet au réseau social à l’oiseau bleu. Accusé de « provocation publique et directe non suivie d’effet à commettre un crime ou un délit et complicité de dégradation ou détérioration d’un bien appartenant à autrui », le garçon majeur – domicilié dans le Val-de-Marne – a été interpellé le 6 juillet et placé en garde à vue au commissariat de Créteil.
Après son tweet, il se trouve que le centre commercial « Créteil Soleil » était pris d’assaut le 30 juin (21 individus interpelés), puis dans la nuit du 2 au 3 juillet des barricades faites de poubelles était incendiées et des mortiers était tirés aux abords du tribunal judiciaire de Créteil. Son message a été repéré par Pharos, la « plateforme d’harmonisation, d’analyse, de recoupement et d’orientation des signalements » de l’Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication (OCLCTIC), au sein de la Police judiciaire. Pour la réquisition judiciaire adressée à Twitter, le procureur de Créteil, Stéphane Hardouin, fait référence dans son communiqué à la circulaire du garde des sceaux datée du 30 juin et signée par Eric Dupond-Moretti (photo), qui appelle notamment à « une réponse pénale ferme ». Le ministre de la Justice pointe notamment l’anonymat sur les réseaux sociaux qui peut être levé par un juge : « Il apparaît que de nombreuses exactions sont commises après avoir été coordonnées via les systèmes de diffusion de messages sur certains réseaux sociaux dits OTT pour “opérateurs de contournement” (Snapchat notamment). Il doit être rappelé que depuis l’entrée en vigueur de l’ordonnance n°2021-650 du 25 mai 2021, les OTT sont considérés comme des opérateurs de communication électronique (…), au sens de l’article L.32 du code des postes et des communications électroniques (CPCE). Dès lors, ils sont tenus de répondre aux réquisitions judiciaires, car relevant des mêmes obligations que les opérateurs téléphoniques. Ils peuvent ainsi être requis au visa de l’urgence pour assurer une réponse rapide sur les éléments de nature à permettre d’identifier les auteurs de ces messages ».
Dans la circulaire « Traitement judiciaire des violences urbaines » de quatre pages (2), émise par la Direction des affaires criminelles et des grâces à l’attention des procureurs et des présidents des tribunaux, le garde des sceaux leur demande de « veiller à retenir la qualification pénale adaptée aux faits perpétrés dans ce contexte et à procéder à une évaluation rapide et globale de la situation de manière à pouvoir apporter une réponse pénale ferme, systématique et rapide aux faits le justifiant ».
Et d’ajouter : « Pour les mis en cause majeurs, la voie du défèrement aux fins de comparution immédiate ou à délai différé, ou le cas échéant, de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, sera privilégiée pour répondre aux faits les plus graves ». Eric Dupond- Moretti a rappelé en outre que « les infractions commises par les mineurs engagent, en principe, la responsabilité civile de leurs parents ». Que cela soit dans la vraie vie ou sur les réseaux sociaux, nul n’est censé échapper aux sanctions pénales si la justice juge coupable l’individu ou l’internaute interpellé.

Pseudonymisation et démocratie vont de pair
Dans son rapport annuel 2022 – publié le 27 septembre – sur « les réseaux sociaux : enjeux et opportunités pour la puissance publique » (3), le Conseil d’Etat a estimé que « les réseaux sociaux engendrent une désinhibition, souvent aggravée par l’anonymat, qui ouvre la voie à de nombreux actes malveillants ». Faut-il pour autant interdire l’utilisation de pseudonymes sur les réseaux sociaux ? Les sages du Palais-Royal se sont dits très réservés sur la suppression de l’anonymat qui n’est autre que de la pseudonymisation : « La possibilité de s’exprimer sous un autre nom que le sien, qui a toujours été admise dans la vie réelle, est, comme l’a d’ailleurs rappelé par exemple la Cnil (4), “une condition essentielle du fonctionnement des sociétés démocratiques” qui permet “l’exercice de plusieurs libertés fondamentales essentielles, en particulier la liberté d’information et le droit à la vie privée”. Elle peut faciliter la prise de parole de personnes qui craignent la discrimination ou souhaitent contester les positions acquises ».

L’anonymat du Net est toute relative
Le Conseil d’Etat estime en outre que « la suppression de l’anonymat, qui n’a été adoptée par aucune démocratie occidentale et n’est pas envisagée au sein de l’Union européenne, ne paraît pas constituer une solution raisonnable conforme à notre cadre juridique le plus fondamental ». Et contrairement aux détracteurs d’Internet et des réseaux sociaux, l’anonymat sur Internet n’existe pas en général. « Cette forme d’anonymat n’est que relative. Il est en effet relativement facile, en cas de nécessité, d’identifier une personne compte tenu des nombreuses traces numériques qu’elle laisse (adresse IP, données de géolocalisation, etc.). La LCEN [loi de 2004 pour la confiance dans l’écono-mie numérique, ndlr] prévoit l’obligation de fournir à la justice les adresses IP authentifiantes des auteurs de message haineux et plusieurs dispositifs normatifs, dont la directive dite “Police-Justice”, obligent les opérateurs à conserver de telles données : en pra-tique, les opérateurs répondent généralement sans difficulté aux réquisitions judiciaires pour communiquer l’adresse IP. Les obstacles rencontrés existent mais apparaissent finalement assez limités : la possibilité de s’exprimer sur Internet sans laisser aucune trace paraît donc à ce jour réservée aux “geeks” les plus aguerris [utilisant notamment le navigateur Tor garantissant l’anonymat de ses utilisateurs, ndlr] ».
La pseudonymisation, comme le définit d’ailleurs l’article 4 paragraphe 5 du règlement général européen sur la protection des données (RGPD), est un traitement de données personnelles réalisé de manière à ce que l’on ne puisse plus attribuer les données à une personne physique identifiée sans information supplémentaire. « En pratique, rappellent les sages du Palais-Royal, la pseudonymisation consiste à remplacer les données directement identifiantes (nom, prénoms, etc.) d’un jeu de données par des données indirectement identifiantes (alias, numéro séquentiel, etc.). La pseudonymisation permet ainsi de traiter les données d’individus sans pouvoir identifier ceux-ci de façon directe. Contrairement à l’anonymisation, la pseudonymisation est une opération réversible : il est possible de retrouver l’identité d’une personne si l’on dispose d’informations supplémentaires ». Sans remettre en cause l’anonymat de l’expression, le Conseil d’Etat propose notamment la généralisation du recours aux solutions d’identité numérique et aux tiers de confiance. Et ce, notamment pour mieux protéger les mineurs, vérifier la majorité numérique – laquelle vient d’être fixée en France à 15 ans (5) – et de garantir la fiabilité des échanges sur les réseaux sociaux. La Cnil, présidée par Marie-Laure Denis (photo ci-contre), veut préserver l’anonymat. Y compris lorsque les sites pornographiques vérifient l’âge de leurs utilisateurs, sous le contrôle de l’Arcom. Pour cela, la Cnil préconise depuis juin 2021 le mécanisme de « double anonymat » (6) préféré à la carte d’identité. Ce mécanisme empêche, d’une part, le tiers de confiance d’identifier le site ou l’application de contenus pornographiques à l’origine d’une demande de vérification et, d’autre part, l’éditeur du site ou de l’application en question d’avoir accès aux données susceptibles d’identifier l’utilisateur (7). Quant au contrôle parental, il sera activé par défaut en France sur tous les terminaux à partir du 13 juillet 2024, selon le décret « Renforcer le contrôle parental sur les moyens d’accès à Internet » du 11 juillet paru 13 juillet (8).

« Couper les réseaux sociaux » (Macron)
« Quand les choses s’emballent pour un moment, [on peut] se dire : on se met peut-être en situation de les réguler ou de les couper », a lancé Emmanuel Macron de l’Elysée, le 4 juillet dernier, devant un parterre de 300 maires de communes touchées par les émeutes déclenchées par le meurtre du jeune Nahel. Face au tollé provoqué par ce propos digne d’un régime autoritaire à la Corée du Nord, à l’Iran ou à la Chine, le porte-parole du gouvernement Olivier Véran a dû rétropédaler en ne parlant plus que de « suspensions de fonctionnalités » comme la géolocalisation. Si couper les réseaux sociaux est faisable techniquement, avec l’aide des fournisseurs d’accès à Internet (FAI), la décision de le faire risque d’être illégale au regard des libertés fondamentales qui fondent une démocratie. @

Charles de Laubier

Internet de l’espace : la Commission européenne doit proposer une régulation des satellites

L’Union européenne aura mis environ vingt ans avant de s’emparer de la nécessité de réguler l’Internet en matière fiscale, de protection des données personnelles et de lutte contre le terrorisme. Il reste à espérer qu’elle saura réagir plus promptement pour réguler les satellites en orbite basse.

Par Rémy Fekete, avocat associé, cabinet Jones Day

La FFC (1) – entité américaine en charge de réguler le secteur des télécommunications ainsi que les contenus des émissions de radio, télévision et Internet – a approuvé fin mars dernier le projet Starlink de SpaceX. Le projet Starlink vise à fournir des services mondiaux haut débit par satellite en orbite basse terrestre. L’autorisation d’exploitation valait pour le nombre de 4.225 satellites, auxquels s’ajouteront 7.518 satellites supplémentaires pour lesquels l’autorité de réglementation américaine vient de donner son accord.

Louis Pouzin, co-inventeur d’Internet : « Les Etats-Unis sont déterminés à maintenir leur contrôle »

Directeur scientifique du colloque « Internet du futur » qui s’est tenu le 7 juin, Louis Pouzin – coinventeur avec Vinton Cerf d’Internet, et directeur de projets d’Eurolinc – explique à Edition Multimédi@ ses préoccupations sur l’évolution du réseau et de sa gestion « étasunienne ».

Propos recueillis par Charles de Laubier

Edition Multimédi@ : L’organisation américaine Icann
va révéler le 13 juin les nouvelles extensions génériques de noms de domaines qu’elle a mises en vente – au prix de 185.000 dollars chaque. Le colloque du 7 juin, que vous avez dirigé avec le Forum Atena, en a fait un slogan : « Nouveaux riches, nouveaux pauvres, des mots, des maux ». Pourquoi ?
Louis Pouzin :
La politique de l’Icann (1) est d’accroître
ses revenus en mettant sur le marché des extensions génériques de noms de domaine, dites TLD (2), dont le coût est considérablement plus élevé que dans le système actuel. Le principe est celui des plaques d’immatriculation de voiture personnalisées (vanity plate) pratiqué dans certains pays. Actuellement, les noms de domaine se terminent par un TLD prédéfini : .com, .info, .net, … Dans le nouveau système, un « vani-TLD » pourrait être : .canon, .sony, .bank, .food, .taxi, etc. Disposer d’une telle extension sera un signe de richesse, de puissance, de notoriété, car il est cher et rare. L’Icann prévoit d’en allouer environ 500 chaque année (3). Ces captages auront pour effet de marginaliser et rendre peu visibles les marques attachées aux anciens TLD, donc de réduire leur valeur de marketing. On peut s’attendre à une reconstruction de l’écosystème des noms de domaine. Aux Etats-Unis, cette perspective a suscité une levée de boucliers des gestionnaires de marques. Le nom d’un vani-TLD est soumis à
de nombreuses restrictions définies par l’Icann, dans bien des cas subjectives : décence, géographie, politique, religion, sexe, similarité, etc. De plus, tous les scripts linguistiques (4) s’appliquent, ce qui sera source inépuisable de contestations et d’incohérences. Des confusions faciles seront exploitables par des escrocs.

Futur du Net : équilibre entre neutralité et sécurité

En fait. Le 21 janvier, les trois fondateurs de l’Internet – Vinton Cerf, Robert Kahn
et Louis Pouzin – ont évoqué le futur du « réseau des réseaux », à l’invitation de Forum Atena. Le Français était en visioconférence de Paris avec les deux Américains, l’un de Washington, l’autre de Californie. Historique.

En clair. Les trois pères fondateurs de l’Internet se posent de sérieuses questions à propos de l’avenir de leur « bébé », que cela soit sur sa capacité à supporter toutes
les connexions des terminaux – fixes ou de plus en plus mobiles – et des objets ou
à acheminer tous les contenus et services. « Avec 1,7 milliard d’internautes dans le monde et la montée en puissances des mobiles utilisés par 4 milliards d’humains, Internet est en plus de plus en plus sollicité. La radio, la télévision et autres médias
y convergent, avec les conséquences technologiques et économiques que cela engendre », a déclaré Vinton Cerf, qui a créé le protocole Internet TCP/IP après
s’être inspiré en mars 1973 des travaux du Français Louis Pouzin sur le datagramme (commutation de paquets) lors d’une visite rendue à Louveciennes. Recruté il y a cinq ans par Google, dont il est vice-président, l’Américain a fait part de ses trois préoccupations au regard du Net : la sécurité, la capacité et la neutralité du réseau.
Son compatriote Robert Kahn, président de la Corporation for National Research Initiatives, estime que la Net Neutrality doit aboutir à ce que les fournisseurs d’accès
à Internet « jouent la transparence » à l’égard des internautes, s’il doit y avoir différenciation de qualité de services. Pour l’architecte du réseau Arpanet dans les années 70, le problème est qu’« il faudrait harmoniser les réglementations nationales au regard d’Internet, devenu un système d’information global ». Quant à Louis Pouzin, pour qui « Internet présente beaucoup de défauts », il estime que le futur du Net s’affranchira des sept couches du modèle ISO, lesquelles séparent encore sur le réseau les communications physiques des applications situées dans les couches plus hautes. Cela passe par des “Sabots”, lesquels permettraient d’établir au-dessus de l’architecture réseau des liaisons de bout en bout avec identification et qualité de services intégrées entre deux communiquants. Comme l’Américain John Day (1),
qui parle lui de « DIF » (pour Distributed Inter-process communications Function),
le Français pense qu’Internet est à bout de souffle car « trop gros et trop ouvert » et dépassé par la mobilité. Les “Sabots” ou les “DIF”, sortes de réseaux privés virtuels sécurisés et maîtrisés, permettraient de lui apporter une meilleure sécurité, une meilleure gestion évolutive et une meilleure interface pour les services et les contenus qu’il propose. @