Copie privée et riposte graduée : ce que dit Thierry Desurmont, vice-président de la Sacem

En marge de la présentation, le 23 juin, du rapport d’activité 2009 de la Société
des auteurs compositeurs et éditeurs de musique, son vice-président Thierry Desurmont (chargé notamment des affaires juridiques) s’est confié sur la copie privée et la loi Hadopi.

Ironie du calendrier : la publication du rapport annuel de la Sacem est intervenue au lendemain de la réunion de la commission interministérielle copie privée (1), prévoyant de taxer les tablettes multimédias d’une part, et de la réception par la Sacem de la notification de la décision de la CNIL (2) l’autorisant à collecter les adresses IP des piratages du Net à l’aide des radars de la société TMG (3), d’autre part.

Copie privée : et les ordinateurs ?
Thierry Desurmont est, avec Pascal Rogard, le président de la SACD (4), le plus ancien, depuis 1986, de la commission pour la rémunération de la copie privée. Se retranchant derrière l’obligation réglementaire de confidentialité, il n’a dit mot sur les auditions des représentants d’Apple et d’Archos dans la perspective que soient taxées leurs tablettes, iPad en tête. Ni sur le fait qu’Archos va en être exonéré puisque les ayants droits ont accepté de placer ses terminaux multimédias dans la catégorie des ordinateurs.
Ces derniers ont en effet toujours été épargnés par la « taxe copie privée » sur volonté politique, notamment pour ne pas pénaliser l’équipement des ménages et résorber
la fracture numérique.
La commission Hadas-Lebel (5) a commencé de tenter de définir ce qu’est un ordinateur… Edition Multimédi@ a voulu savoir si Thierry Desurmont serait favorable
ou pas à l’assujettissement des PC. Il l’est. « Dans la mesure où un disque dur d’ordinateur est utilisable pour faire des enregistrements [d’œuvres], il a vocation
à contribuer à la rémunération pour copie privée comme cela a été décidé en Allemagne », a-t-il répondu. Mais de préciser que « ce n’est pas dans les priorités de
la commission qui a déjà beaucoup à faire ». Il a également indiqué que « les tablettes multimédias seront assujetties car elles sont utilisées pour de la copie privée ». Répondant en outre à notre confrère PC INpact, Thierry Desurmont a estimé que « il ne serait anormal de voir la rémunération pour copie privée augmenter si les échanges licites augmentent » sous l’effet de la loi Hadopi. Ce souci de « compensation » (6) se retrouve par ailleurs dans ce que la Sacem et l’Adami (7) ne cessent de prôner auprès des pouvoirs publics, bien qu’elle n’ait pas été retenue par la mission Zelnik, à savoir : une « contribution compensatoire », qui, moyennant par exemple 1 euro par abonné
et par mois pour les fournisseurs d’accès à Internet (FAI), pourrait s’appliquer d’abord
à la musique, voire à l’audiovisuel ou au cinéma (lire EM@ 3 p. 5). « Le préjudice extrêmement important sur Internet est évident et les FAI qui en ont tiré profit doivent contribuer à le réparer », affirme Thierry Desurmont. Pour l’heure, la Sacem attend de voir les effets de la carte musique jeune qui sera disponible en septembre et de la riposte graduée qui se fait toujours attendre (lire EM@ 15 p. 7). Pourtant, le 10 juin dernier, la CNIL a bien validé « sans réserve » les modifications des quatre autorisations des ayants droits de la musique (SCPP, SPPF, Sacem et SDRM) pour qu’ils puissent activer les radars « TMG » sur le Net. Quant à l’Association de lutte contre la piraterie audiovisuelle, qui en est à sa première demande à la CNIL, elle espérait être fixée le 24 juin (8). Thierry Desurmont a précisé la portée de l’autorisation qui s’en tient – « par sécurité juridique », admet-il – à la décision du Conseil d’Etat, laquelle avait donné raison en 2007 aux ayant droit de la filière musical en annulant
un refus de la CNIL sur leur première demande. « Nous [la Sacem et sa SDRM, ndlr] avons conclu un accord avec TMP qui va rechercher les adresses IP utilisées lors d’échanges illicites. Et ce, à partir d’une base de 10.000 œuvres musicales de référence constituée par la SCPP, la SPPF, la SDRM et la Sacem, dont 5.000 titres standards appelés “gold” et 5.000 autres dans les nouveautés qui seront mis
à jour régulièrement. Concernant l’Alpa pour l’audiovisuel et le cinéma, la base de référence est de 200 œuvres », a-t-il détaillé.

Riposte graduée : et à part le P2P ?
Le vice-président du directoire de la Sacem, en charge des affaires juridiques et de l’internationale, a en outre confirmé que « l’autorisation ne concerne que les réseaux peer-to-peer » et que « TMG sera à même de fournir à l’Hadopi 25.000 incidents par jour pour la musique et 25.000 autres pour le cinéma, soit 50.000 incidents par jour [censés être traités avec des agents publics assermentés, ndlr] ». Quoi qu’il en soit, selon Thierry Desurmont, « plus vite la loi Hadopi sera opérationnelle, mieux cela
sera ». Pour 2009, la Sacem fait état d’une « relative stabilité » de ses perceptions de droits d’auteur (+ 0,85 % sur un an) à 762,3 millions d’euros, dont « seulement 1,2 % provenant de l’Internet » et 7,2 % de la… copie privée. @

Charles de Laubier

La CNIL autorise la filière musicale à utiliser des radars « TMG » sur Internet

En séance plénière le 10 juin, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) a validé les modifications des quatre autorisations des ayants droit de la musique (SCPP, SPPF, Sacem et SDRM) pour qu’ils puissent activer les radars « TMG » sur le Net. L’Alpa, elle, sera fixée le 24 juin. La « riposte graduée » pourrait être reportée à septembre.

L’Association de lutte contre la piraterie audiovisuelle (Alpa), qui représente une trentaine de membres issus aussi des mondes du cinéma, de la télévision et de la musique, devra encore patienter avant de savoir si elle pourra utiliser sur Internet et
les réseaux peer-to-peer les radars de la société nantaise Trident Media Guard (TMG) pour « flasher » les internautes pirates d’œuvres culturelles. Selon nos informations, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) doit en délibérer le 24 juin sur cette première demande en matière de filtrage du Net de la part de l’audiovisuel.

Suspens pour l’Alpa et l’Hadopi
Pour l’heure, l’autorité présidée par le sénateur Alex Türk s’est réunie en séance plénière le 10 juin pour finalement donner son feu vert aux modifications des autorisations de quatre organisations représentant les ayants droit de la filière musicale, lesquels vont pouvoir filtrer et relever les adresses IP des contrevenants à la loi
« Création & Internet ». En effet, comme l’avait révélé Edition Multimédi@, la Société civile des producteurs phonographiques (SCPP), la Société civile des producteurs de phonogrammes en France (SPPF), la Société des auteurs compositeurs et éditeurs
de musique (SACEM) et la Société pour l’administration du droit de reproduction mécanique (SDRM) avaient chacune déposé leur dossier d’« autorisation complémentaire » entre le 16 et le 19 avril (1). La CNIL, qui avait jusqu’aux alentour
du 21 juin pour rendre sa décision, doit encore notifier sa décision aux intéressés, qui avaient déposé leurs premières demandes en 2005 mais sur une autre technologie que les radars de TMG. La CNIL avait alors refusé de les autoriser mais le Conseil d’Etat avait annulé cette décision en 2007. Cette fois, « aucune réserve n’a été émise mis à part le fait que la décision d’autorisation intégrant la loi Hadopi doit être reformulée nous dit-on », indique l’un d’eux à EM@. Le risque d’une prolongation de deux mois de réflexion de la part de l’autorité administrative indépendante est donc écarté pour l’industrie de la musique. En revanche, l’instruction suit son cours pour le dossier de l’Alpa. Le suspens continue donc pour le cinéma et l’audiovisuel, ainsi que pour la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et de la protection des droits sur Internet (Hadopi) qui espère voir la « riposte graduée » entièrement validée d’ici fin juin. Or,
une porte-parole de la CNIL confirme que le dossier de l’Alpa « devrait être examiné »
le 24 juin prochain. L’autorité pourrait décider de prolonger de deux mois sa reflexion.
Les membres du collège de l’Hadopi et de sa commission de protection des droits, qui
se sont également réunis en fin de semaine dernière (10-11 juin), n’excluent pas devoir attendre septembre pour envoyer les premiers e-mails d’avertissement. Au lieu d’envoyer des e-mails au fil de l’eau à partir de juillet prochain, et durant tout l’été où l’activité de téléchargement sur Internet est moindre, l’Hadopi pourrait préférer de conserver les e-mails durant une durée de deux mois que nous permet la loi, lorsque
ce n’est pas six mois en cas d’identification. Puis, en septembre, elle enverrait alors
une première « salve ». Ne déclencher la riposte graduée qu’en septembre permettrait d’attendre que la Carte musique jeune soit véritablement disponible. Entre la carotte (carte musique) et le bâton (riposte graduée), tout serait en phase à la rentrée ! @

Licence globale : les députés vont-ils re-débattre ?

En fait. Le 29 avril, le député Michel Zumkeller a déposé à l’Assemblée nationale
une proposition de loi pour « la création d’une licence globale à palier, visant à financer les droits d’auteurs dans le cadre d’échanges de contenus audiovisuels sur Internet ». Montant moyen pour l’internaute : 5 euros par mois.

Rémunération des artistes sur Internet : toujours pas de consensus à l’horizon

Après la mission Olivennes et les laborieuses lois Hadopi 1 et 2, la question centrale de la rémunération des artistes ne fait toujours pas l’unanimité malgré
la tentative du gouvernement de proposer, notamment via la mission Hoog,
des solutions sur la base du rapport Zelnik.

Par Katia Duhamel (photo) , avocate, cabinet Bird & Bird

Après les débats homériques qui ont présidé à l’adoption
des volets 1 et 2 de la loi Hadopi centrés sur une politique répressive contre le téléchargement illégal (malgré les mesures préventives sinon pédagogiques du volet 1),
le ministre de la Culture et de la Communication, Frédéric Mitterrand, avait enfin souhaité engager la réflexion sur la question centrale de la rémunération des créateurs sur la Toile, notamment, dans le domaine musical. Soutenue par ce dernier lors du Midem (1) qui s’est tenu à Cannes fin janvier (2), la proposition d’introduire la gestion collective obligatoire des droits voisins pour le streaming et le téléchargement est loin de faire l’unanimité.
Si la Société française de collecte des droits d’auteurs (Sacem) y est favorable, les représentants des majors comme Pascal Nègre, le patron d’Universal Music ou bien le Syndicat national de l’édition phonographique (Snep) crient à l’abus de collectivisme et
au « kolkhoze ». Ils expliquent que – contrairement aux assertions du rapport remis le
6 janvier dernier par Patrick Zelnik, Jacques Toubon et Guillaume Cerutti – le marché du numérique est en train de décoller avec +56 % de croissance en 2009, que les majors ne freinent pas son développement, que les indépendants y sont déjà très présents ou que cela n’améliorera pas la rémunération des artistes etc…

Le jeu de rôle des acteurs
Dans ce contexte, si la mission du médiateur Emmanuel Hoog (3) – désigné par le ministre de la Culture pour trouver un terrain consensuel avec les professionnels sur
ce sujet – venait à échouer, nul doute que les opposants n’hésiteraient pas à se battre
sur le terrain juridique, plaidant l’incompatibilité de la gestion collective obligatoire avec
le droit communautaire et international de la propriété intellectuelle (voir encadré page suivante et lire page 5). Selon le rapport Zelnik, ou « Création & Internet », la gestion collective obligatoire des droits voisins aurait l’avantage de simplifier l’accès aux titres pour les services en ligne de musique dans des conditions économiques permettant le développement d’un modèle économique viable où chacun (auteur, artiste-interprète, éditeur, producteur, service de musique en ligne), trouve son intérêt. Cela au contraire de la situation actuelle où l’effondrement du marché physique de la musique enregistrée et la puissance des majors ont entraîné une dérive du partage de la valeur défavorable aux créateurs et pénalisant pour les éditeurs de musique en ligne.

Gestion collective obligatoire des droits
La gestion collective du droit d’auteur et des droits voisins se différencie de la licence légale par un maintien du caractère exclusif des droits : contrairement à une licence légale, la gestion collective ne prive donc en rien les ayants-droits du droit d’autoriser ou d’interdire. La seule contrainte qu’elle impose demeure que les ayants-droits ne peuvent négocier leurs droits que par l’intermédiaire de sociétés de gestion collective.
Si cette contrainte peut être relativisée dans les pays, comme aux Etats-Unis, où il existe plusieurs sociétés de gestion collective pour une même catégorie de droits,
en France, le monopole de fait la Sacem pour la négociation des droits d’auteurs musicaux restreindrait tout de même le droit d’autoriser ou d’interdire la diffusion des auteurs. En revanche pour les maisons de disques, la coexistence de la Société civile des producteurs phonographiques (SCPP) et de la Société civile des producteurs de phonogrammes en France (SPPF) est tout à fait compatible avec un régime de gestion collective obligatoire. Par ailleurs dans ce système, il n’existe pas de commission administrative assurant la cohérence du barème et faisant office de juge de paix entre les différentes catégories d’ayants-droits. Chaque catégorie (les auteurs, les producteurs) négocie séparément ses tarifs. Si l’addition des différents tarifs est insoutenable pour les éditeurs de service, un éventuel litige relève, non de l’arbitrage d’une commission administrative, mais du droit de la concurrence. Le rapport Zelnik issu de la mission confiée par le gouvernement, a ainsi formulé plusieurs préconisations, qui ont donc suscité des oppositions,pour favoriser la diffusion des oeuvre sur Internet (4).

• La licence globale (contribution créative)
La licence globale consiste à légaliser les échanges non-commerciaux de contenus culturels (hors logiciels) à travers Internet, en contrepartie d’une rétribution forfaitaire redistribuée aux ayants-droits, proportionnellement à la densité de téléchargement
et d’échange de leurs œuvres. Cette solution est écartée par le rapport Zelnik dans
la mesure où elle est fondamentalement contradictoire avec les principes du droit international en la matière: elle consisterait en effet, sans ambiguïté, à nier le droit d’autoriser ou d’interdire, dit « droit exclusif », traditionnellement reconnu aux auteurs,
aux interprètes et à leurs cocontractants. La proposition de « contribution compensatoire » (5) de la Sacem et de l’Administration des droits des artistes et musiciens interprètes (Adami) dérive très largement du modèle de la licence globale.
Il s’agit en l’espèce d’augmenter de 1 euro le prix de tous les abonnements d’accès à Internet pour rémunérer les ayants-droits des œuvres diffusées en ligne. Cette solution est présentée comme une réparation des dommages causés à la création par les échanges illégaux de fichiers, soi-disant encouragés par les FAI. Par voie de conséquence, elle n’emporte pas de libération des droits au profit des internautes et revient à faire payer pour les pratiques des pirates les internautes honnêtes ou peu consommateurs de musique en ligne. De surcroît, elle se place en dehors de toute logique marchande en déconnectant la rémunération des auteurs de la consommation réelle de musique des utilisateurs.

• La licence légale (rémunération équitable)
Ce dispositif est déjà mis en oeuvre pour la radiodiffusion hertzienne et sa diffusion simultanée sur Internet « simulcasting ». Il institue un barème dit de « rémunération équitable », commun à l’ensemble des ayants-droits, appliqué sous l’égide d’une commission indépendante, au sein de laquelle toutes les parties prenantes sont représentées.
Le dispositif est qualifié de « licence légale », car il revient, pour un service donné à substituer à l’exercice des droits d’auteur et des droits voisins l’application d’un régime
de rémunération instauré par la loi et effaçant de fait le droit d’autoriser ou d’interdire.
Pour les diffuseurs, la licence légale présente l’avantage d’éviter d’une part de négocier séparément avec chaque catégorie d’ayants-droits, encore moins avec chaque ayant-droits au sein de certaines catégories et de lisser d’autre part, avec l’effet du barème,
les rapports de force entre les différentes catégories d’ayants-droits qui s’exercent au détriment des diffuseurs et des auteurs et au bénéfice des maisons de disques qui captent une partie excessive de la valeur.
Le régime de licence légale est considéré aujourd’hui comme conforme « par
exception » aux principes d’exclusivité et de proportionnalité des droits d’auteurs et
des droits voisins dans la mesure où il n’est imposé qu’en présence d’une déficience
du marché. C’est par exemple ce qu’a fait le Congrès américain en créant, sous la tutelle de la Library of Congress et du Copyright Royalty Board qui lui est affilié, la société SoundExchange, qui négocie une licence légale avec tous les services de diffusion en ligne ou webcasting. @

ZOOM

Exclusif : les arguments juridiques du Snep contre la gestion collective
Le Syndicat national de l’édition phonographique (Snep) a remis le 1er avril, lors de son audition par la mission Hoog de concertation sur la gestion collective des droits pour Internet, un argumentaire que Edition Multimédi@ s’est procuré. Après avoir dénoncé
les « erreurs de diagnostic » de la mission Création & Internet (voir notre article page 3), le syndicat – qui représente les intérêts de Universal Music, Sony Music, EMI ou encore de Warner Music – estime cette mesure “non-conforme” juridiquement.
• Non-conformité à la Constitution : « La mise en place d’une gestion collective obligatoire pour le streaming et le téléchargement constituerait une atteinte au droit exclusif des producteurs ». Non-conformité au droit international : « L’institution d’une gestion collective obligatoire se heurte à trois normes : la Convention européenne des Droits de l’Homme, le Traité OMPI sur les droits voisins du 20 décembre 1996 et la directive DADVSI du 22 mai 2001 qui en découle ».
• Non-conformité au test dit « en 3 étapes », selon lequel « toute exception au droit exclusif doit correspondre à un cas spécial, ne pas porter atteint à l’exploitation normale d’un phonogramme, et ne pas causer un préjudice injustifié aux intérêts légitimes d’un artiste-interprète ou d’un producteur de phonogramme.» @

Charles de Laubier