Face à la baisse du téléchargement, faut-il étendre au streaming le droit de copie privée ?

Le droit à la copie privée, reconnu par la loi de 1985 en France et la directive
de 2001 en Europe, est menacé par la mutation des usages en ligne. Les téléchargements baissent au profit du streaming, lequel se trouve en dehors
du champ de l’exception au droit d’auteur dans un cercle familial.

« La copie privée va baisser avec le streaming. Il n’y a plus besoin d’enregistrer [une musique ou un film], ni de le copier sur son disque dur. Le principe du cloud computing
va renforcer cette tendance », a lancé Pascal Nègre, PDG d’Universal Music France,
à l’occasion d’un premier bilan 2012 de la Société civile des producteurs phonographiques (SCPP), dont il est le président. De là à dire que la copie privée est devenue obsolète, il n’y a qu’un pas.

Evolutions des usages et question de droit
Le développement de l’audience des sites légaux de streaming (YouTube, Deezer,
Spotify, …) montre, selon la société de gestion collective de droits musicaux, « que le public s’est massivement détourné de réseaux peer-to-peer en utilisant désormais des sites licites de streaming ». Les derniers chiffres du Snep (1) confirment cette tendance où le streaming progresse plus vite que le téléchargement, avec respectivement une croissance de 29,7 % (à 12,7 millions d’euros) et de 17,3 % (47,4 millions d’euros) sur
les neuf premiers mois de l’an dernier. « L’écoute en streaming (10 % du temps et 1h10 par semaine) fait presque jeu égal avec l’écoute de musique téléchargée (13 % du temps et 1h40 par semaine) », souligne le Snep dans son édition 2012 de L’Economie de la production musicale. Avec 69,1 % de parts de marché, Deezer est le numéro 1 du marché du streaming, suivi de YouTube avec 14,6 % puis de Spotify avec 5,5 % (2). Quant au cinéma, il est également gagné par le streaming. A tel point que la filière française – emmenée par l’Association des producteurs de cinéma (APC), la Fédération nationale des distributeurs de films (FNDF) et le Syndicat de l’édition vidéo numérique (SEVN) – bataille depuis un an devant le tribunal de grande instance de Paris pour exiger des fournisseurs d’accès à Internet (FAI) et des moteurs de recherche le blocage et le déréférencement des sites web de la galaxie Allostreaming accusés de piratage (3). « La réponse graduée doit ainsi être maintenue sur le peer-to-peer et étendue au streaming illégal », a encore demandé le SEVN le 16 janvier dernier.
Reste à savoir jusqu’où va le streaming illicite, sachant que les ayants droits placent
ce dernier en-dehors de l’exception aux droits d’auteurs qu’est la copie privée.
Edition Multimédi@
a demandé à Pascal Nègre s’il ne fallait pas réfléchir à une sorte
d’« exception pour streaming privé » en lieu et place de l’exception pour copie privée,
non seulement pour préserver ce droit mais aussi pour prendre en compte la multiplication des écrans dans le cercle familial ? « Non », nous a-t-il répondu. A défaut d’exception, l’autorisation auprès des ayants droits serait donc de rigueur pour une utilisation multiple dans le foyer par exemple.
Ce problème a été soulevé par l’Hadopi elle-même dans le cadre d’une consultation
« Exceptions au droit d’auteur et aux droits voisins » pilotée fin 2011 par l’un de ses membres, Jacques Toubon (4). « Les exceptions aux droits d’auteurs et droits voisins traduisent la recherche d’un équilibre entre la nécessité de respecter les droits d’auteur
et droits voisins et celle de permettre une utilisation des oeuvres ménageant les zones
de liberté au profit des utilisateurs. Cet équilibre semble aujourd’hui mis en cause. (…)
Les textes actuels sur les exceptions ne prennent pas en compte de façon totalement satisfaisante ces évolutions techniques et les usages actuels des œuvres », a expliqué le groupe de réflexion de l’Hadopi. D’où la question qui a le mérite d’être claire :
« Estimez-vous que cette exception [pour représentation privée et gratuite dans le cadre du cercle de famille (L. 122-5 1° du Code de la propriété intellectuelle)], combinée à l’exception pour reproduction provisoire et transitoire (L. 122-5 6°), devrait couvrir le streaming ? ». L’Hadopi avance même l’idée d’un « droit à l’exception voire un droit de l’exception passant notamment par l’élaboration d’un régime juridique autonome, invocable devant le juge à égalité avec le droit de la propriété intellectuelle ».

Orange pour la copie privée et provisoire
Parmi les réponses à la question de l’Hadopi, France Télécom estime ainsi que « la consultation en streaming à l’intérieur du cercle de famille d’une oeuvre, auquel ce cercle a un accès licite, pourrait s’inscrire dans le champ des exceptions de représentation privée et de copie provisoire ». En revanche, Canal+, M6 ou encore le Syndicat national de l’édition (SNE) considèrent que « le streaming n’entre pas dans le champ des exceptions précitées, soulignant l’illicéité de la consultation des sites de streaming sur Internet ». Le débat ne fait que commencer. @

Charles de Laubier

Hadopi : trois jugements connus, dont… une relaxe

En fait. Le 9 janvier, l’Hadopi a indiqué à EM@ qu’un de ses 18 dossiers transmis (à octobre dernier) à la justice avait fait l’objet d’une relaxe « du fait que le parquet avait mal repris la date des faits qui figurait dans la procédure qui lui avait été transmise ». Autrement dit, une erreur judiciaire !

Jugement de Belfort : la première condamnation au nom des lois Hadopi paraît dérisoire

Plus de 3 millions d’adresses IP identifiées, plus de 1,1 million de premiers avertissements, plus de 100.000 seconds avertissements, plus de 340 recommandés et, au 1er octobre, 18 dossiers transmis à la justice. Et… une seule condamnation. Est-ce un signe d’efficacité de l’Hadopi ?

Par Christiane Féral-Schuhl*, avocate associée (photo)
et Laurent Teyssandier, avocat, cabinet Féral-Schuhl/Sainte-Marie

Christiane Féral-Schuhl est Bâtonnier du barreau de Paris.

Exaspération culturelle

Cette semaine, les médias bruissent de rumeurs concernant la restitution publique des conclusions d’un rapport consacré aux nouvelles orientations de la politique culturelle du pays. Le gouvernement en a fait la commande avec l’espoir, plus ou moins avoué et peut-être illusoire, d’enfin réconcilier promotion de la création nationale et mutation technologique. Cet énième rapport sera-t-il à son tour refermé à peine ouvert après avoir suscité d’âpres débats et fait monter au créneau les représentants des différentes parties prenantes ? Rejoindrat- il ces prédécesseurs, comme le célèbre rapport Lescure de 2013 qui devait déboucher sur une série d’ajustements limités de nombreux dispositifs en place ? Des réformes ambitieuses étaient pourtant attendues, les moins bien intentionnés parlèrent de « rustines » pour le dispositif Hadopi. Un rapport qui signa, quoi qu’il en soit, le passage à un « acte 2 de l’exception culturelle » à la française.

« Les Européens sont ainsi en train d’enrayer
la malédiction selon laquelle les cultures nationales fécondes et originales ne s’exporteraient pas. »

Le premier acte a bien une date de naissance : 1993, lorsque le gouvernement français obtint que le secteur de l’audiovisuel soit exclu des accords du GATT – ancêtre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) – entre les Nord-américains et les Européens. Un bras de fer remporté à la suite de cette première avancée que fut la directive européenne « Télévision sans Frontières », laquelle, en 1989, imposa aux télévisions des pays membres de l’Union européenne des règles de diffusion et de production d’œuvres européennes du cinéma et de l’audiovisuel. Si en réalité, cette exception est le résultat d’une volonté bien française de tenter de préserver un modèle séculaire, où l’Etat orientait et régissait la vie de la culture, elle s’est construite de
l’après-Seconde guerre mondiale aux années 1980. De nombreux dispositifs ont été progressivement mis en place afin de préserver les filières du livre, de la presse, du théâtre, de la musique, du cinéma ou encore de la télévision. Bref, des « industries culturelles ».
Mais cette ligne originale, qui visait à soutenir des professions au service de la création, tentait également de prolonger une époque où l’exception culturelle française était un fait, grâce aux voix universelles des grands siècles de la littérature, de la peinture, de la musique jusqu’aux petits derniers de la nouvelle vague au cinéma. Cette politique fut sans doute tenable avant qu’Internet n’entre en jeu. Les bouleversements entraînés par la numérisation et la mise en réseau des contenus ont peu à peu révélé les faiblesses et finalement les décalages de politiques qui ancraient des métiers dans le passé en les empêchant de les projeter vers l’avenir.
De nouvelles pistes sont aujourd’hui encouragées, structurées au sein de ce que le gouvernement revendique comme une « stratégie culturelle ». La ligne générale est moins, désormais, de créer des systèmes complexes de financement que de créer des écosystèmes favorisant l’effervescence des jeunes talents, mobilisant le financement des œuvres par le mécénat privé, s’appuyant sur les nouveaux business models naissant, voire en œuvrant à la création de grands groupes médias. Ces « champion européens » sont-ils compatibles avec l’« exception culturelle nationale » ?
Au sein de ce qu’il convient d’appeler la bataille des contenus, les Européens sont ainsi en train d’enrayer la malédiction selon laquelle les cultures nationales fécondes et originales ne s’exporteraient pas. A l’heure où les séries télévisées et/ou « webisées » se sont érigées en art majeur, où les dramas coréens, les telenovelas brésiliennes, les mousalsalets des pays arabes ou les scripted realities occidentaux s’ouvrent des audiences continentales au côté du flux américain, l’Europe arrive enfin à créer des séries attendues avec impatience aux quatre coins du monde. Finalement, l’« acte
3 de l’exception culturelle » à la française n’aura sans doute jamais lieu. Les systèmes d’aides complexes jouent, à l’heure d’Internet, la carte de la « désintermédiation ».
Et la création, effervescente, multiforme, de nouveau stimulante et subversive, se donne comme terrain de jeu l’Europe a minima. @

Jean-Dominique Séval*
Prochaine chronique « 2020 » : L’auto-édition
* Directeur général adjoint de l’IDATE.

Le SNE va recommander 2 outils anti-piratages

En fait. Le 8 novembre, le Syndicat national de l’édition (SNE) a organisé les
9e Assises du livre numérique, inaugurées par Vincent Montagne, son nouveau président depuis fin juin. Ce dernier nous a indiqué que le SNE proposera à ses membres deux technologies pour protéger les ebooks.