Divisée face aux Gafam, la presse française ne favorise pas la transparence sur les droits voisins

Carine Fouteau, nouvelle présidente et directrice de la publication Mediapart, pointe la non transparence de Google sur les sommes dues au titre des droits voisins de la presse. Mais elle s’en prend aussi « aux médias qui ont fait le choix du chacun pour soi en signant des accord individuels ».

C’est le premier coup de gueule de Carine Fouteau (photo), cette journaliste qui a succédé en mars 2024 à Edwy Plenel à la présidence de la Société éditrice de Mediapart. La nouvelle directrice de la publication de Mediapart a dénoncé fin avril « l’opacité des Gafam » en général et « l’absence de transparence » de Google en particulier. Le média d’investigation reproche notamment « les clauses de confidentialité imposées par Google » dans le cadre de l’accord que ce dernier a signé en octobre 2023 avec la Société des droits voisins de la presse (DVP).

L’Autorité de la concurrence a déjà sévi
Ce premier « accord majeur » de la Société DVP avec Google porte sur l’exploitation des contenus de presse par Google Actualités, Google Search et Google Discover sur la période allant d’octobre 2019 à décembre 2022. Le montant total ainsi collecté – pour le compte des 305 éditeurs (dont Edition Multimédi@) et agences de presse membres de cet organisme de gestion collective – n’a pas été divulgué. Et pour cause, Google impose à la Société DVP des clauses de confidentialité qui l’empêche de publier l’enveloppe globale obtenue dans le cadre de cet accord contractuel. La nouvelle patronne de Mediapart (1), dont la société éditrice est membre du conseil d’administration de la Société DVP, pointe ce défaut de transparence. Les sommes correspondantes à cette première période ont été versées en mars aux éditeurs membres, tandis que le média fondé par Edwy Plenel a décidé de ne pas encaisser la « substantielle somme » lui revenant. « La rétribution ne retourne pour autant pas à l’envoyeur (Google) : elle reste en réserve dans l’organisme de gestion collective, en attendant que le voile sur les chiffres soit levé », a précisé Carine Fouteau sur le site d’investigation.

Le Digital Services Act (DSA) présente un vrai risque pour la liberté d’expression des Européens

Les 19 très grandes plateformes Internet en Europe avaient quatre mois, après avoir été désignées comme telles le 25 avril 2023 par la Commission européenne, pour se mettre en règle avec la législation sur les services numériques (DSA). La liberté d’expression sera-t-elle la victime collatérale ? La liberté d’expression risque gros en Europe depuis le 25 août 2023, date à laquelle les 19 très grandes plateformes numériques – Alibaba, AliExpress, Amazon Store, Apple AppStore, Booking.com, Facebook, Google Play, Google Maps, Google Shopping, Instagram, LinkedIn, Pinterest, Snapchat, TikTok, Twitter, Wikipedia, YouTube, Zalando, Bing, et Google Search – doivent appliquer à la lettre le Digital Services Act (DSA), sous peine d’être sanctionnées financièrement jusqu’à 6 % de leur chiffre d’affaires mondial. « Définition large » des « contenus illicites » Cette épée de Damoclès suspendue au-dessus de la tête de ces 19 géants du Net, dépassant chacun plus de 45 millions d’utilisateurs actifs par mois (soit l’équivalent de 10 % de la population de l’Union européenne), pourrait les pousser à faire de l’excès de zèle. Et ce, pour ne pas prendre le risque d’être hors des clous du DSA et de se voir infliger une sanction pécuniaire. Entre leur désignation le 25 avril 2023 comme « Very large Online Platforms » (VLOP) par la Commission « von der Leyen » (photo) et leur mise en conformité avec la législation sur les services numériques, les dix-sept très grandes plateformes et les deux grands moteurs de recherche avaient un délai de quatre mois pour se préparer. Depuis le 25 août 2023, soit moins d’un an après la publication du règlement au Journal officiel de l’Union européenne (1), le « Big 19 » est censé agir comme un seul homme pour réguler en Europe une grande partie de l’Internet relevant de leurs activités (2). Le DSA les oblige désormais à lutter contre « la diffusion de contenus illicites en ligne et contre les risques pour la société que la diffusion d’informations trompeuses ou d’autres contenus peuvent produire ». Vaste et flou à la fois. Le règlement européen donne en effet à la notion de « contenus illicites » une « définition large » (3). Elle couvre ainsi « les informations relatives aux contenus, produits, services et activités illégaux » ainsi que « des informations, quelle que soit leur forme, qui, en vertu du droit applicable, sont soit ellesmêmes illicites, comme les discours haineux illégaux ou les contenus à caractère terroriste et les contenus discriminatoires illégaux, soit rendues illicites par les règles applicables en raison du fait qu’elles se rapportent à des activités illégales ». Et le DSA de donner des exemples d’« activités illégales » : partage d’images représentant des abus sexuels commis sur des enfants, partage illégal d’images privées sans consentement, harcèlement en ligne, vente de produits non conformes ou contrefaits, vente de produits ou de la fourniture de services en violation du droit en matière de protection des consommateurs, utilisation non autorisée de matériel protégé par le droit d’auteur, offre illégale de services de logement ou vente illégale d’animaux vivants. « En revanche, précise néanmoins le DSA, la vidéo d’un témoin oculaire d’une infraction pénale potentielle ne devrait pas être considérée comme constituant un contenu illicite simplement parce qu’elle met en scène un acte illégal, lorsque l’enregistrement ou la diffusion au public d’une telle vidéo n’est pas illégal ». Pour lutter contre les contenus illicites, et ils sont nombreux, les grandes plateformes du Net doivent assurer – elles-mêmes ou par un intermédiaire, de façon automatisées ou pas – une « modération des contenus », à savoir : « détecter et identifier les contenus illicites ou les informations incompatibles avec leurs conditions générales », « lutter contre ces contenus ou ces informations, y compris les mesures prises qui ont une incidence sur la disponibilité, la visibilité et l’accessibilité de ces contenus ou ces informations ». La modération de contenus illicites peut consister en leur « rétrogradation », leur « démonétisation », leur « accès impossible » ou leur « retrait », voire en procédant à « la suppression ou la suspension du compte d’un destinataire » (4). Toutes ces restrictions possibles doivent être stipulées dans les conditions générales d’utilisation de la grande plateforme numérique, renseignements comprenant « des informations sur les politiques, procédures, mesures et outils utilisés à des fins de modération des contenus, y compris la prise de décision fondée sur des algorithmes et le réexamen par un être humain » (5). Responsabilité limitée et injonctions Si le DSA conserve le cadre de l’« exemption de responsabilité » des « fournisseurs de services intermédiaires » (statut d’hébergeur) telle qu’édictée par la directive européenne « E-commerce » de 2000 (6), cette « sécurité juridique » tombe dès lors que la plateforme numérique « a effectivement connaissance ou conscience d’une activité illégale ou d’un contenu illicite », et qu’elle doit de ce fait « agir rapidement pour retirer ce contenu ou rendre l’accès à ce contenu impossible » (7). Les exemptions de responsabilité sont réaffirmées par le DSA, lequel précise bien qu’elles n’empêchent pas de pouvoir aussi « procéder à des injonctions de différents types à l’encontre des fournisseurs de services intermédiaires », ces injonctions pouvant émaner « de juridictions ou d’autorités administratives » pour exiger « qu’il soit mis fin à toute infraction ou que l’on prévienne toute infraction, y compris en retirant les contenus illicites spécifiés dans ces injonctions, ou en rendant impossible l’accès à ces contenus » (8). C’est en cela que le DSA modifie la fameuse directive « E-commerce ». La liberté d’expression menacée Les Européens risquent-ils d’être les grands perdants en termes de liberté d’expression sur Internet ? Garantis par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (9), la liberté d’expression et d’information, la liberté d’entreprise, le droit à la non-discrimination et la garantie d’un niveau élevé de protection des consommateurs le sont aussi par le DSA qui y fait référence à de nombreuses reprises (10). « Les fournisseurs de très grandes plateformes en ligne devraient, par exemple, en particulier, tenir dûment compte de la liberté d’expression et d’information, notamment la liberté et le pluralisme des médias », stipule notamment le DSA (11). « Toute mesure prise par un fournisseur de services d’hébergement à la suite de la réception d’une notification devrait être strictement ciblée [sur le contenu illicite, ndlr], sans porter indûment atteinte à la liberté d’expression et d’information des destinataires du service », est-il ajouté (12). Les très grandes plateformes en ligne et les très grands moteurs de recherche en ligne sont tenus d’« éviter des restrictions inutiles à l’utilisation de leur service, compte devant dûment être tenu des effets négatifs potentiels sur les droits fondamentaux » et « accorder une attention particulière aux répercussions sur la liberté d’expression » (13). Le règlement sur les services numériques, dans son article 14, oblige donc les plateformes à « [tenir] compte des droits et des intérêts légitimes de toutes les parties impliquées, et notamment des droits fondamentaux des destinataires du service, tels que la liberté d’expression, la liberté et le pluralisme des médias et d’autres libertés et droits fondamentaux ». Et dans son article 34, le DSA oblige les grands acteurs du Net à recenser, analyser et évaluer de manière diligente « tout risque systémique », notamment « tout effet négatif réel ou prévisible pour l’exercice des droits fondamentaux » : non seulement liberté d’expression et d’information, y compris liberté et le pluralisme des médias, mais aussi dignité humaine, respect de la vie privée et familiale, protection des données à caractère personnel, non-discrimination, droits de l’enfant, et protection des consommateurs (14). Pour parer au pire, il est prévu à l’article 48 que la Commission européenne – assistée par un Comité pour les services numériques (Digital Services Committee) – « s’efforce de garantir que les protocoles de crise établissent clairement », entre autres, « les mesures de sauvegarde contre les effets négatifs éventuels sur l’exercice des droits fondamentaux consacrés dans la Charte [des droits fondamentaux de l’Union européenne], en particulier la liberté d’expression et d’information et le droit à la non-discrimination » (15). A la question « Comment comptez-vous maintenir un juste équilibre avec les droits fondamentaux tels que la liberté d’expression ? », la Commission européenne avait répondu, dans un Q&A du 25 avril dernier : « Le règlement sur les services numériques donne aux utilisateurs la possibilité de contester les décisions de suppression de leurs contenus prises par les plateformes en ligne, y compris lorsque ces décisions s’appuient sur les conditions générales des plateformes. Les utilisateurs peuvent introduire une plainte directement auprès de la plateforme, choisir un organisme de règlement extrajudiciaire des litiges ou demander réparation devant les tribunaux ». Au plus tard le 17 novembre 2025, la Commission européenne évalue notamment « l’incidence sur le respect du droit à la liberté d’expression et d’information » (16) et remet un rapport à ce sujet au Parlement européen, au Conseil de l’Union européenne et au Comité économique et social. L’avenir nous dira si le DSA est une arme à double tranchant pour la liberté d’expression et la démocratie en Europe. Tandis que pour le Digital Markets Act (DMA), cette fois, sept géants du Net – Alphabet (Google/ YouTube), Amazon, Meta (Facebook/ Instagram), Apple, Microsoft, Samsung et ByteDance (TikTok) – vont être le 6 septembre désignés officiellement par la Commission européenne (17) comme des « gatekeepers » (contrôleurs d’accès) soumis à des règles de concurrence renforcées. Des garde-fous contre la censure ? Lorsque le commissaire européen au Marché intérieur, Thierry Breton (photo ci-dessus), a lancé le 10 juillet 2023 sur Franceinfo que « lorsqu’il y aura des contenus haineux, des contenus qui appellent par exemple à la révolte, qui appellent également à tuer ou à brûler des voitures, [ces plateformes] auront l’obligation dans l’instant de les effacer » (18). Et en prévenant :« Si elles ne le font pas, elles seront immédiatement sanctionnées (…) non seule-ment donner une amende mais interdire l’exploitation sur notre territoire ». Ses propos ont aussitôt soulevé une vague d’inquiétudes sur les risques de censures. Il a dû revenir sur Franceinfo le 25 août (19) pour tenter de rassurer à propos du DSA : « C’est la garantie de nos libertés, c’est tout sauf le ministère de la censure ». @

Charles de Laubier

Protection des données : après 5 ans de mise à l’épreuve du RGPD, son réexamen sera le bienvenu

En attendant le réexamen en 2024 du règlement sur la protection des données (RGPD), les entreprises peinent à remplir certaines de leurs obligations, comme celle de transparence envers les utilisateurs, et doivent faire face au détournement du droit d’accès aux données et à la déferlante de l’IA. Par Sandra Tubert, avocate associée, Algo Avocats Entré en application le 25 mai 2018, deux ans après son entrée en vigueur afin de laisser aux entreprises le temps nécessaire pour se mettre en conformité, le règlement européen sur la protection des données (RGPD) affichait des objectifs ambitieux (1). La couverture médiatique dont il a fait l’objet a permis de sensibiliser les Européens à la protection de leurs données à caractère personnel, mais également au RGPD de s’imposer comme une référence pour les Etats étrangers ayant adopté une loi similaire. Pour autant, avec un recul d’un peu plus de cinq ans, le RGPD peine à remplir pleinement certains des objectifs fixés. Internautes concernées mieux informés Dans la lignée de la directive « Protection des données personnelles » de 1995 qui l’a précédée (2), le RGPD n’a pas choisi la voie de la patrimonialisation des données à caractère personnel. Le législateur européen n’a en effet pas créé de droit à la propriété sur les données à caractère personnel, mais s’est plutôt orienté vers une approche de protection des données permettant aux personnes concernées d’avoir une certaine maîtrise de l’utilisation faite de leurs données à caractère personnel. Deux objectifs principaux ont été associés à cette approche : renforcer la transparence sur les traitements réalisés et fournir des droits supplémentaires aux personnes concernées. C’est ainsi que le RGPD est venu renforcer l’obligation faite aux responsables du traitement de fournir une information détaillée sur les traitements mis en œuvre (3). L’objectif affiché était louable : une transparence accrue afin de permettre aux individus de comprendre en amont l’utilisation envisagée de leurs données par les entreprises et ainsi d’en avoir la maîtrise en leur laissant la possibilité d’effectuer un choix éclairé : refuser la communication de leurs données, s’opposer à certains traitements, ou bien encore donner leur consentement à la réalisation de certaines activités. En pratique, les entreprises ont l’obligation de fournir l’intégralité des informations prévues par le RGPD de façon concise, transparente, compréhensible et aisément accessible, en utilisant des termes clairs et simples. Or répondre à ces impératifs de manière conforme à ce qui est attendu par les autorités de contrôle – comme la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) en France – est l’une des premières difficultés que cinq ans de pratique du RGPD ont fait émerger. En effet, les organisations ont des difficultés à concilier les exigences de fourniture d’une information exhaustive et très technique – notamment concernant les bases légales du traitement et les garanties fondant les transferts des données hors de l’Union européenne (4) – avec celles de clarté et de concision. Ainsi, au titre des effets pervers de cette obligation de transparence accrue, les citoyens européens font face à des politiques de confidentialité toujours plus longues, rédigées en des termes trop techniques ou trop juridiques. De l’autre côté, les autorités de protection des données n’hésitent pas à sanctionner les manquements à cette obligation, puisque le « défaut d’information des personnes » figure parmi les manquements les plus fréquemment sanctionnés par la Cnil (5). Cette obligation a été couplée à la fourniture de droits supplémentaires aux personnes, toujours dans une optique de leur offrir une meilleure maîtrise de leurs données. En pratique, le RGPD a repris les droits existants depuis la directive « Protection des données personnelles » (droits d’accès, de rectification, d’opposition), consacré le droit d’effacement (6) et créé de nouveaux droits (droits à la limitation du traitement et à la portabilité des données). La sensibilisation du grand public à l’existence de ces droits, grâce notamment aux actions de la Cnil et au traitement médiatique, ont eu pour effets la réception, par les entreprises, de demandes fondées sur les droits issus du RGPD de plus en plus nombreuses. Par ricochet, les autorités de protection des données ont, elles aussi, vu le nombre de plaintes déposées auprès de leurs services augmenter considérablement (7). Ainsi, la Cnil a reçu 12.193 plaintes en 2022 contre 7.703 en 2016. L’objectif fixé par le RGPD semble donc atteint sur ce point. Droit d’accès : instrumentalisation Néanmoins, ces dernières années ont également été témoin du détournement du droit d’accès, aussi bien dans la sphère sociale que commerciale. En effet, les entreprises reçoivent de plus en plus de demandes de droit d’accès dont l’objectif n’est pas de vérifier l’existence et la licéité du traitement des données, mais au contraire de se constituer des preuves dans le cadre d’un précontentieux ou d’un contentieux à l’encontre de l’entreprise. Cette instrumentalisation est parfaitement connue des autorités qui ont toutefois réaffirmé (8) que, dans le cadre de l’évaluation des demandes reçues, le responsable du traitement ne devait pas analyser l’objectif du droit d’accès en tant que condition préalable à l’exercice de ce droit et qu’il ne devait pas refuser l’accès au motif que les données demandées pourraient être utilisées par la personne pour se défendre en justice. Les entreprises n’ont ainsi d’autres choix que de donner suite à ces demandes, en restreignant la nature des données communiquées aux seules données relatives à la personne concernée et en veillant à ne pas porter atteinte aux droits des tiers (9). Des obligations de sécurité renforcées La protection des données à caractère personnel passant nécessairement par la sécurité de celles-ci, le RGPD est venu renforcer les obligations à la charge des entreprises au moyen de deux mécanismes assez efficaces : l’obligation pour les responsables du traitement de notifier les violations de données aux autorités de contrôle (10), voire directement aux personnes concernées, respectivement lorsqu’elles présentent des risques ou des risques élevés pour les personnes; l’obligation pour les responsables du traitement et les sous-traitants (11) de mettre en œuvre des mesures de sécurité appropriées aux risques présentés par le traitement. Il est assez difficile de déterminer si les objectifs de sécurisation des données fixés par le RGPD sont atteints. Néanmoins, dans un contexte où les attaques par rançongiciel (ransomware) se multiplient chaque année (12), les autorités de contrôle sont particulièrement vigilantes quant au respect de ces deux obligations. En témoigne notamment le fait qu’en 2022, un tiers des sanctions prononcées par la Cnil concernait un manquement à l’obligation de sécurité. Ce même manquement a conduit cette dernière à prononcer sa première sanction publique à l’encontre d’un sous-traitant (13), un éditeur de logiciel, pour un montant de 1,5 million d’euros. Elle n’a pas non plus hésité à sanctionner une entreprise qui n’avait pas informé les personnes concernées de la violation de données intervenue, alors qu’elle présentait un risque élevé pour ces dernières. Sur le respect de l’obligation de notification des violations de données, il est assez difficile de tirer de réels enseignements des chiffres disponibles, même si l’on constate des disparités importantes quant au nombre de notifications de violation de données réalisées chaque jour en fonction des pays. A titre d’exemple, il y a environ 14 notifications par jour en France, contre 27 notifications par jour au Royaume-Uni. Cette disparité se retrouve également dans le nombre de sanctions prononcées chaque année par les autorités de contrôle et l’approche suivie par ces dernières. Si l’autorité espagnole prononce énormément de sanctions, l’autorité irlandaise est régulièrement épinglée (y compris par ses homologues) pour sa clémence et le peu de sanctions prononcées depuis l’entrée en application du RGPD, alors même qu’elle fait office d’autorité chef de file de la plupart des GAFAM (14). C’est finalement sur ce point que le RGPD peine à convaincre et à remplir pleinement ses objectifs, à savoir inciter les entreprises à se mettre en conformité au moyen d’un arsenal répressif dissuasif. En effet, à l’exception des quelques fortes sanctions (dont la dernière en date de 1,2 milliard d’euros à l’encontre de Meta), prononcées principalement à l’encontre des GAFAM et des géants du Net, les sanctions à l’encontre des sociétés sont moins fréquentes que ce qui était escompté par les associations de protection des données. Et les montants des sanctions financières sont assez éloignés des montants maximums encourus (4 % du chiffre d’affaires mondial consolidé). En France, en dehors des sanctions prononcées à l’encontre des GAFAM (dont beaucoup pour des manquements en matière de cookies, non régulés par le RGPD) et très récemment de Criteo (40 millions d’euros), le montant des sanctions prononcées par la Cnil sur le fondement du RGPD oscille depuis cinq ans entre 125.000 et 3 millions d’euros (15). L’association Noyb (16), à l’origine de nombreuses sanctions prononcées en Europe au cours des cinq dernières années, dénonce une certaine résistance des autorités de contrôle et des tribunaux nationaux dans l’application effective du RGPD (17). Elle appelle à suivre l’initiative de la Commission européenne d’adopter un règlement sur les règles de procédure relatives à l’application du RGPD (18), ce qui permettrait selon Noyb d’uniformiser l’approche procédurale des autorités et ainsi de favoriser une meilleure application du RGPD. Par ailleurs, si les entreprises ont pu craindre la multiplication des actions de groupe en matière de protection des données, cette modalité d’action est à l’heure actuelle peu utilisée par les associations de protection des données. En France, seulement deux actions de groupe ont été portées devant les juridictions : l’ONG Internet Society France contre Facebook et l’association UFC-Que-Choisir contre Google. Ce qui pourrait changer au regard des dernières annonces faites par Noyb suite à l’entrée en application des dispositions issues de la directive « Recours collectifs » de 2020 (19). Vers un réexamen du RGPD en 2024 Enfin, le paysage législatif européen pourrait également avoir un impact sur l’application du RGPD. En effet, plusieurs textes européens adoptés récemment (DSA, DGA) ou en cours d’adoption (DA, AIA) ont des champs d’application recoupant celui du RGPD, ce qui va notamment nécessiter de veiller à garantir leurs bonnes articulations. A cette occasion, ou au titre de l’article 97 du RGPD (réexamen tous les 4 ans à compter du 25 mai 2020), il serait souhaitable de voir le législateur européen adresser certaines des difficultés rencontrées par les entreprises dans la mise en application pratique du RGPD. @

Le paiement sur facture opérateur est de plus en plus une alternative aux GAFAM… qui le proposent

Les opérateurs télécoms en France sont à la fois en concurrence avec les géants du Net et leurs moyens de paiements en ligne, mais aussi partenaires avec certains (Google, Apple, Microsoft, …) qui proposent aussi le paiement sur facture opérateur. Le streaming booste ce marché. « Apple, Blizzard, Google Play, Microsoft Store et Sony Playstation offrent l’option “facture opérateur” comme un moyen de paiement à part entière aux côtés de la carte bancaire, du porte-monnaie électronique ou du prélèvement. Cette solution de paiement connaît un succès toujours croissant du fait de son caractère pratique et sécurisant », s’est félicitée le 15 juin l’Association française pour le développement des services et usages multimédias multi-opérateurs (AF2M). Streaming et Store : moitié des dépenses Ainsi, des géants du Net contribuent à la croissance du marché français du paiement sur facture opérateur qui peut être « une alternative à des solutions proposées par les GAFA » ainsi qu’à des acteurs historiques du e-paiement. « Le paiement sur facture opérateur permet de régler ses achats sans communiquer ses coordonnées bancaires ou créer de moyen de paiement en ligne tel que PayPal », souligne l’AF2M (1). De grandes plateformes de streaming et de grands éditeurs ajoutent ainsi la possibilité complémentaire pour leurs utilisateurs d’être facturés directement par leur opérateur télécoms. Pour cela, ils recourent aux solutions dites de Direct Carrier Billing (DBC) ou de « Store OTT » proposés par ces derniers. La progression de ce segment de marché, appelé « Stores et DCB » par l’AF2M et porté par le streaming, est telle qu’il pèse en 2022 quasiment la moitié du total des dépenses effectuées par les utilisateurs facturés par les opérateurs télécoms : 49 %, soit 285,6 millions d’euros l’an dernier (voir le tableau ci-contre). Sur cinq ans, le « Stores et DCB » a même fait un bond de 220 %, l’AF2M précisant qu’« avant 2017, le montant global dépensé par les utilisateurs des solutions de paiement Store/streaming était intégré à la solution de paiement Internet+ ». Cela explique en partie qu’« Internet+ Mobile » et « Internet+Box » aient baissé significativement en 2018 et 2019. Depuis, « Internet+ Mobile », porté par les smarphones, a repris de l’embonpoint pour représenter 26,8 % des dépenses sur facture opérateur en 2022 (156,4 millions d’euros, + 8,4 %). En revanche, « Internet+Box » ne s’est pas redressé et ne pèse que 4,3 % du total l’an dernier (25,1 millions d’euros, – 10,6 %). Quant au SMS+, il fait de la résistance en étant le troisième mode de paiement sur facture opérateur : en hausse de 3,5 % sur un an, 79,7 millions d’euros. « Les solutions SMS+ permettent de participer à des jeuxconcours ou de voter par SMS, ce segment ayant été porté par la Coupe du monde de football 2022, qui a généré un fort engouement pour les votes et les pronostics », relève l’AF2M. Au-delà de ces SMS+, il y a aussi les « autres usages SMS » (collecte de dons, achat de tickets de transport, ou règlement de tickets de stationnement/ parking) qui ont fait un bond de 78 % sur un an, à 35,6 millions d’euros. « Avec l’élan de générosité suscité par la guerre en Ukraine, les dons par SMS ont connu une forte croissance », indique l’AF2M. Au global, l’Observatoire du paiement sur facture opérateur – réalisé sous la responsabilité de Fayçal Kaddour (photo) – montre dans sa 6e édition que le marché français totalise 582,4 millions d’euros de dépenses effectuées par les utilisateurs. Sur un an, cela correspond à une hausse de 7,8 %. L’association présidée par Renan Abgrall (Bouygues Telecom), réélu le 20 juin pour un second mandat de deux ans, a été rejoint en mars 2021 par Free. La filiale du groupe Iliad n’avait pas été un des cofondateurs de l’AF2M (ex-AFMM) en 2005 aux côtés d’Orange, de Bouygues Telecom et de SFR ainsi que les associations Acsel et Geste. Euro-Information Telecom (2) en est membre mais le MVNO (3) a été a racheté fin 2020 par Bouygues Telecom. Sont aussi membres de l’AF2M : A6 Telecom (Skyweb, racheté par VoIP Telecom), Worldline (ex-filiale d’Atos), Colt, Digital Virgo, Odigo (Odilink) et Remmedia. @

Charles de Laubier

Copié par les géants du Net, le réseau social audio Clubhouse persévère au bout de trois ans

En mars, cela fera trois ans que la société californienne Alpha Exploration Co a lancé le réseau social audio Clubhouse. Après avoir fait parler de lui, surtout en 2021, cette agora vocale est retombée dans l’oubli. Copiée par Facebook, Twitter, LinkedIn ou Spotify, l’appli tente de rebondir. La pandémie de coronavirus et les confinements avaient fait de Clubhouse l’application vocale du moment, au point d’atteindre en juin 2021 un pic de 17 mil- lions d’utilisateurs actifs par mois. Deux mois plus tôt, Twitter faisait une offre de 4 milliards de dollars pour l’acquérir. C’est du moins sa valorisation à l’époque après une levée de fonds qui avait porté à 110 millions sa collecte auprès d’investisseurs, dont la société de capital-risque Andreessen Horowitz (1). Mais les discussions entre la licorne Alpha Exploration Co et l’oiseau bleu n’aboutirent pas. Entre marteau (Big Tech) et enclume (Cnil) Depuis, d’après la société d’analyse SensorTower, les installations de l’appli (sur Android ou iOS) ont chuté de plus de 80 % depuis son heure de gloire. Disruptif à ses débuts, Clubhouse a très vite été copié par Twitter avec « Spaces », Facebook avec « Live Audio Rooms », LinkedIn avec « Live Audio Events » ou encore Spotify avec « Live » (ex-Greenroom). Snapchat avait subi les conséquences de ce copiage, tout comme BeReal aujourd’hui. Clubhouse sera-t-il racheté par un géant du Net avant d’être fermé, à l’image de Periscope après son rachat en mars 2015 par Twitter ? Alpha Exploration Co a dû aussi se battre en Europe. Les gendarmes des données personnelles et de la vie privée avaient mis sous surveillance Clubhouse. Cela a abouti en Italie à une amende de 2 millions d’euros infligée en décembre 2022 par la « Cnil » italienne, la GPDP, qui lui a reproché de « nombreuses violations : manque de transparence sur l’utilisation des données des utilisateurs et de leurs “amis” ; possibilité pour les utilisateurs de stocker et de partager des enregistrements audio sans le consentement des personnes enregistrées ; profilage et partage des informations sur les comptes sans qu’une base juridique correcte ne soit trouvée ; temps indéfini de conservation des enregistrements effectués par le réseau social pour lutter contre d’éventuels abus » (2). En France, la Cnil avait ouvert de son côté une enquête dès mars 2021 après avoir été saisie d’une plainte à l’encontre de Clubhouse qui était aussi la cible d’une pétition (3). « Les investigations sont désormais clôturées après plusieurs échanges avec la société [Alpha Exploration Co], indique la Cnil à Edition Multimédi@. Nous restons évidemment vigilants sur les traitements de données à caractère personnel qu’elle met en œuvre, en particulier en cas de nouvelles plaintes ». Pour tenter de se démarquer des Big Tech « copieuses », Clubhouse a fait de son mieux pour offrir une meilleure expérience audio en direct, en ajoutant des fonctionnalités comme le sous-titrage en temps réel et la diffusion audio de haute qualité. Il y a un an, a été ajoutée une messagerie instantanée – des chats – pour ceux qui veulent participer aux discussions mais sans prendre la parole. Cet « in-room chat » (écrits et/ou émoji en direct) permet à ceux qui ne se sentent pas à l’aise à l’oral de participer quand même – « parce que même sur Internet, le trac existe » (4). Clubhouse a aussi lancé Wave pour entamer des échanges plus rapidement autours de « petits moments intimes ou spéciaux » (5). Mais c’est surtout le lancement de Houses qui marque un tournant pour Clubhouse : chacun peut créer son propre « clubhouse » privé. Cette fonctionnalité fut annoncée par le cofondateur Paul Davison (photo de gauche) dans un tweet le 4 août 2022 : « Grande nouvelle 🙂 @clubhouse se divise… en plusieurs clubs. C’est une énorme évolution de l’application sur laquelle @rohanseth [Rohan Seth, l’autre cofondateur (photo de droite), ndlr], l’équipe et moi travaillons depuis des mois » (6). Autrement dit, chaque utilisateur peut devenir l’administrateur où il instaure ses propres règles. Pour attirer les participants dans sa « maison », le « clubhouseur » dispose d’icônes pour indiquer les sujets (« topics ») abordés. La variété des thèmes a été étoffée depuis le 6 février dernier (7). C’est un change- ment stratégique d’Alpha Exploration Co, alors que – jusqu’au lancement de Houses – Clubhouse était un espace ouvert mais sur invitations seulement en fonction d’intérêts communs. Le réseau social devenu à la fois audio et textuel permet de créer des espaces privés avec des connaissances personnelles. Des licenciements et des recrutements Clubhouse se veut moins élitiste et plus démocratisé. Après être sorti d’abord sous iOS uniquement, l’appli a été rendue disponible seulement en mai 2021 sous Android (pourtant le système d’exploitation le plus répandu au monde), puis depuis janvier 2022 en version web (8). Ce changement de stratégie a amené la licorne à licencier du personnel, selon Bloomberg en juin dernier (9), dont la journaliste Nina Gregory qui était responsable de l’information et éditeurs média. Mais depuis, Alpha Exploration Co cherche toujours à recruter (10) mais des profils ingénieurs logiciel, « data scientist » et designers. @

Charles de Laubier