TikTok menacé d’être banni des Etats-Unis et d’Europe, sa maison mère chinoise ByteDance contre-attaque

Alors que Joe Biden aux Etats-Unis et Ursula von der Leyen en Europe rêvent d’évincer de leur marché respectif TikTok, le réseau social des jeunes, sous des prétextes de « sécurité nationale » (le syndrome « Huawei »), sa maison mère chinoise ByteDance compte bien se battre pour obtenir justice.

(le 14 mai 2024, dans le cadre de l’état d’urgence décrété le 15 mai en Nouvelle-Calédonie, le Premier ministre français Gabriel Attal a annoncé l’interdiction de TikTok dans cet archipel franco-kanak d’Océanie, mesure sans précédent pour des raisons, selon le gouvernement, de « terrorisme ») 

Aux Etats-Unis, Joe Biden a signé le 24 avril la loi obligeant le groupe chinois ByteDance de se séparer de sa filiale américaine TikTok « sous 270 jours » (neuf mois), soit d’ici février 2025. Le chinois a saisi le 7 mai la justice pour demander la révision de ce « Ban Act » qu’il juge inconstitutionnelle. Au Congrès américain, la Chambre des représentants et le Sénat avaient adopté cette loi respectivement le 13 mars et le 23 avril. Le président des Etats-Unis avait aussitôt déclaré qu’il signerait cette loi (1).
En Europe, Ursula von der Leyen a déclaré le 29 avril que « n’est pas exclu » le bannissement de TikTok de l’Union européenne. La présidente de la Commission européenne a lancé sa menace de Maastricht lors d’un débat de candidats à l’élection européenne coorganisé par le journal Politico, après qu’un modérateur ait fait référence au sort réservé à TikTok aux Etats-Unis si la firme de Haidian (nord-ouest de Pékin) ne vendait sa filiale américaine. Le réseau social des jeunes férus de vidéos courtes et musicales est donc frappé du syndrome « Huawei » – géant chinois des équipements télécoms déjà mis à l’écart par des pays occidentaux sous les mêmes prétextes de « risque pour la sécurité nationale » (2) et d’accusation sans preuves de « cyber espionnage » (3). Déjà, Washington (depuis décembre 2022) et Bruxelles (depuis février 2023) ont interdit à leurs employés et fonctionnaires d’utiliser TikTok sur leurs smartphones professionnels.

Etats-Unis+Europe : 300 millions de tiktokeurs
L’application TikTok, lancée à l’automne 2016 et boostée par l’absorption en août 2018 de sa rivale Musical.ly rachetée par ByteDance en novembre 2017, dépasse aujourd’hui la barre des 1,5 milliard d’utilisateurs dans le monde, dont 170 millions aux Etats-Unis et 135 millions en Europe. TikTok est devenu en sept ans d’existence le cinquième plus grand réseau social au monde, derrière Facebook (3 milliards d’utilisateurs), YouTube (2,5 milliards), WhatsApp (2 milliards) et Instagram (2 milliards). S’il devait être banni des Etats-Unis et d’Europe, son audience chuterait de 305 millions de tiktokeurs au total – soit une perte de près de 20 % de sa fréquentation. Le chiffre d’affaires en serait sérieusement entamé pour sa maison mère ByteDance, cofondée en 2012 par Zhang Yiming, avec Liang Rubo (leurs photos en Une) devenu PDG fin 2021 (le premier se consacrant à la « stratégie à long terme »).

La future Commission européenne est appelée à faciliter la consolidation du marché unique des télécoms

Après le livre blanc publié le 21 février par la Commission européenne pointant la fragmentation du marché unique des télécoms, le rapport « Letta » du Conseil de l’UE – présenté le 17 avril – va dans le sens de la consolidation des opérateurs télécoms en Europe. Au détriment des consommateurs ?

Les précédentes Commission européenne (« Prodi », « Barroso », « Juncker ») et l’actuelle « von der Leyen », en fin de mandat, étaient plutôt favorables aux consommateurs en encourageant la concurrence et la baisse des prix. La prochaine Commission européenne, qui s’installera en novembre 2024, sera-t-elle plus à l’écoute des grands opérateurs télécoms en facilitant la consolidation des acteurs du marché avec le risque de hausses tarifaires ?
Le livre blanc « Infrastructures numériques » (1), que la Commission européenne a soumis le 21 février à consultation publique jusqu’au 30 juin prochain, prépare les esprits à un changement de doctrine, au nom de la « défragmentation » du marché unique des télécoms. Et présenté le 17 avril dernier, le rapport « Avenir du marché unique » (2) – commandité par le Conseil de l’Union européenne, présidé par Charles Michel (photo de gauche), auprès de l’Italien francophile Enrico Letta (photo de droite) – va dans le sens de ce livre blanc. Il va même plus loin dans la future intégration des télécoms dans les Vingt-sept. Les télécommunications – autrement dit les communications électroniques – font partie des trois secteurs, avec l’énergie et les services financiers, qui sont mis en avant par Enrico Letta, et sur lesquels il préconise de travailler pour créer plus d’intégration dans l’Union européenne.

« Le secteur des télécoms de l’UE menacé si… »
Objectif : défragmenter le marché unique européen pour encourager les investissements paneuropéens sur ces « trois piliers », et, en particulier, favoriser la consolidation du marché des télécoms en faveur d’opérateurs télécoms d’envergure européenne. « Je propose des feuilles de route concrètes pour accélérer l’intégration dans les domaines de la finance, de l’énergie et des télécommunications, en mettant l’accent sur la nécessité de réaliser des progrès au cours de la prochaine législature (2024-2029) », écrit-il, tout en tirant la sonnette d’alarme : « La viabilité économique de l’ensemble du secteur des télécommunications de l’Union est menacée si aucune mesure immédiate n’est prise ».

DMA, DSA et futur DNA : la Commission européenne instaure un climat de défiance envers les Gafam

Le 7 mars 2024, le Digital Markets Act (DMA) est devenu obligatoire pour six gatekeepers. Le 25 mars, la Commission européenne a ouvert des enquêtes pour « non-conformité » contre Alphabet (Google), Apple, Meta et Amazon. La CCIA, lobby des Gafam, dénonce cette précipitation.

« Le lancement des premières enquêtes préliminaires en vertu du règlement européen sur les marchés numériques (DMA), quelques jours seulement après la date limite de conformité, met un frein à l’idée que les entreprises et la Commission européenne travaillent ensemble pour mettre en œuvre le DMA avec succès », a regretté Daniel Friedlaender (photo), vice-président et responsable de la CCIA Europe, le bureau à Bruxelles de l’association américaine de l’industrie de l’informatique et des communications. La Computer & Communications Industry Association (CCIA), basée à Washington, représente notamment les Gafam.

Politique coercitive plutôt que coopérative
Dix-huit jours seulement après l’entrée en vigueur dans les Vingt-sept du Digital Markets Act (1), la Commission européenne a dégainé le 25 mars des « enquêtes pour non-conformité » à l’encontre de trois des six contrôleurs d’accès soumis à des obligations renforcées : Google (Alphabet), Apple et Meta. « Ces enquêtes portent sur les règles d’Alphabet relatives à l’orientation dans Google Play et à ses pratiques d’auto-favoritisme dans Google Search, les règles d’Apple relatives à l’orientation dans l’App Store et à l’écran de sélection pour Safari, ainsi que sur le modèle “Pay or Consent” de Meta », a-t-elle précisé (2).
Parallèlement, sont lancées des investigations sur : d’une part Amazon – faisant partie lui-aussi des six gatekeepers – soupçonné de privilégier ses propres produits de marque sur Amazon Store ; d’autre part Apple encore et sa nouvelle structure tarifaire et autres modalités et conditions applicables aux boutiques d’applications alternatives, y compris la distribution d’applications à partir du Web. Pour le lobby américain des Gafam, cette précipitation coercitive de Bruxelles est inquiétante : « Le calendrier de ces annonces, alors que les ateliers de conformité DMA sont toujours en cours, donne l’impression que la Commission européenne pourrait passer outre. Mises à part les issues possibles, cette décision risque de confirmer les craintes de l’industrie que le processus de conformité DMA finisse par être politisé ». Au lieu de poursuivre la coopération et de prendre le temps d’évaluer les solutions de conformité de chaque entreprise et les changements de grande envergure apportés à leurs services, la CCIA Europe estime que ces enquêtes pour non-conformité lancée aussitôt « pourraient miner le processus », et cela « envoie un signal inquiétant que l’UE pourrait se précipiter dans des enquêtes sans savoir ce qu’elle enquête ». D’autant que les récents ateliers de travail organisés au sein de la Commission européenne ont mis en évidence de nombreux domaines d’incertitude liés à la mise en œuvre du DMA. Par exemple, « de nombreux risques et possibilités sont encore à l’étude, de sorte que le lancement d’enquêtes semble prématuré ». Et Daniel Friedlaender de fustiger : « Au lieu de recourir à des mesures punitives, nous espérons que ces enquêtes seront une autre occasion pour les entreprises qui s’engagent à se conformer au DMA d’avoir un dialogue ouvert avec la Commission européenne, en travaillant ensemble pour atteindre des marchés numériques équitables et concurrentiels. C’est le genre d’environnement collaboratif que le DMA devrait favoriser ».

Bilan de Thierry Breton à la Commission européenne

En fait. Le 1er mars, Thierry Breton, commissaire européen au Marché intérieur, était l’invité de l’Association des journalistes économiques et financiers (Ajef). A neuf mois de la fin de son mandat, il estime que « l’Union européenne a fait un pas gigantesque sur la régulation numérique », malgré « les lobbies ».

En clair. « On a fait sur la régulation du numérique un pas absolument gigantesque. […] L’une des causes principales du fait que l’on n’ait pas de géant du numérique est que l’Union européenne était fragmentée, avec vingt-sept marchés, vingt-sept régulateurs. C’était quelque chose qui est très difficile », a expliqué le 1er mars Thierry Breton, commissaire européen au Marché intérieur, devant l’Association des journalistes économiques et financiers (Ajef). Il s’est félicité des règlements mis en œuvre pour y remédier : « Pour la première fois, on a maintenant un marché européen informationnel unifié, le marché unique numérique qui va se superposer au marché unique classique, avec les règles qui sont les mêmes pour tous, avec un même régulateur ».
Le Digital Markets Act (DMA), qui impose depuis le 7 mars 2024 des obligations renforcées (1) à six « gatekeepers » (Alphabet, Amazon, Apple, ByteDance, Meta et Microsoft), a été « l’une des législations européennes les plus compliquées à faire ». Et « on a fait le DSA [Digital Services Act, ndlr] pour commencer à réguler sur ce qui se passe sur les réseaux sociaux, et croyez moi, les lobbies que j’ai eus, je n’en ai jamais tant connus de ma vie. On a résisté ; on est passé » (2).

Le géant français du logiciel Dassault Systèmes a manqué l’occasion de se mesurer aux Gafam

Alors qu’un changement de gouvernance approche pour sa maison mère Dassault, la filiale Dassault Systèmes – numéro un français du logiciel de conception 3D – reste méconnue. « 3DS » (son surnom) est un rare géant européen qui aurait pu rivaliser avec les Gafam en s’adressant aussi au grand public.

Au 23 février 2024, la capitalisation boursière de l’éditeur français de logiciels Dassault Systèmes dépasse à peine les 57,8 milliards d’euros. La pépite du CAC40 est très loin des 1.000 à 3.000 milliards de dollars de capitalisation boursière de chacun des Gafam (Alphabet/Google, Meta/Facebook, Amazon, Apple et Microsoft). Quant aux cours de son action à la Bourse de Paris, elle a chuté de plus de 13 % à la suite de l’annonce, le 1er février, de prévisions décevantes du chiffre d’affaires attendu pour cette année 2024 : entre 6,35 et 6,42 milliards d’euros, en hausse de 8 % à 10 % par rapport à l’an dernier.

Une Big Tech méconnue des Français
Les analystes financiers s’attendaient à mieux. Depuis cette déconvenue, le cours de Bourse de Dassault Système a repris un peu du poil de la bête, mais a rechuté à partir du 9 février (1). Le fleuron français du numérique semble avoir du mal à convaincre les investisseurs, alors qu’il s’agit pourtant d’une entreprise en forte croissance et très rentable : près de 1 milliard d’euros de bénéfice net en 2022 (931,5 millions d’euros précisément), pour un chiffre d’affaires celle année-là de 5,66 milliards d’euros.
Dassault Systèmes est dirigé par Pascal Daloz depuis le 1er janvier, date à laquelle Bernard Charlès (photo)lui a confié la direction générale qu’il occupait depuis 2002 pour s’en tenir à la fonction de président du conseil d’administration après en avoir été PDG – DG de 1995 à 2023 et président du conseil d’administration depuis qu’il a remplacé en 2022 Charles Edelstenne (86 ans). Celui-ci est le fondateur de Dassault Systèmes en 1981, dont il est encore aujourd’hui le président d’honneur, tout en étant par ailleurs président de la holding de la famille Dassault GIMD (2) – sixième plus grande fortune de France, selon Challenges (3) – et président d’honneur et administrateur de Dassault Aviation, dont il fut le PDG (2000- 2013).