Cookies : l’écosystème de la publicité ciblée s’organise en attendant la recommandation finale de la Cnil

C’est en avril que la Cnil devrait publier sa recommandation finale sur « les modalités pratiques de recueil du consentement » des utilisateurs au dépôt de « cookies et autres traceurs » sur leurs terminaux. Retour sur le projet de recommandation, qui est contesté par les éditeurs et les publicitaires.

Par Sandra Tubert et Laura Ziegler, avocates associées, BCTG Avocats

Alors que l’adoption du règlement européen « ePrivacy » patine depuis déjà trois ans (1), certaines « Cnil » européennes – allemande, anglaise, française, espagnole et grecque – ont décidé de prendre les devants en adoptant leurs propres lignes directrices sur les règles attendues en matière de cookies et autres technologies de traçage. En juin 2019, en France, la Cnil (2) a annoncé son plan d’action en matière de publicité ciblée. Au menu : l’adoption de lignes directrices dans une délibération datée du 4 juillet 2019 rappelant les règles de droit applicables en matière de cookies (3), complétées d’un projet de recommandation publié le 14 janvier dernier précisant les modalités concrètes de recueil du consentement.

Les GAFAM sont cernés par le législateur français

En fait. Le 2 mars, a commencé la 1re lecture en commission à l’Assemblée nationale du projet de loi sur l’audiovisuelle « à l’ère numérique ». Le 19 février, le Sénat a adopté en 1re lecture une proposition de loi sur le libre choix du consommateur « dans le cyberespace ». La loi Avia contre la cyberhaine revient devant les députés le 1er avril.

En clair. Pas de répit législatif en France pour les GAFAM, ou les GAFAN, c’est selon. Les textes de loi les visant sont encore nombreux en ce début d’année, faisant la navette entre le palais Bourbon et le palais du Luxembourg. Après les lois « taxe GAFA » et le « droit voisin de la presse » promulguées en juillet 2019, lesquels avaient été précédées en décembre 2018 par la loi contre les « fake news », les projets de loi (du gouvernement) et les propositions de loi (des parlementaires) encadrant Internet continuent à se succéder. Ils ont en commun de vouloir accroître la pression réglementaire sur les géants du Net, plus que jamais encerclés par le législateur.
Le projet de loi « Communication audiovisuelle et souveraineté culturelle à l’ère numérique » (1), a commencé son marathon parlementaire en décembre à l’Assemblée nationale où il a été examiné en commission du 2 au 6 mars. Ce texte sur l’audiovisuel va être débattu en séance publique du 31 mars au 10 avril. Les GAFAM vont notamment devoir coopérer plus efficacement contre le piratage sur Internet. Et ce, par le déréférencement des liens et des sites web miroirs. La « liste noire » des contrefaisants y contribuera, que tiendra à jour l’Arcom (CSA-Hadopi) chargée aussi de la « réponse graduée ». Le ministre de la Culture, Franck Riester, écarte cependant la « sanction pénale » demandée le 28 février par 26 organisations d’ayants droits (2). En outre, les plateformes de type Netflix, Amazon Prime Video ou encore Disney+ devront financer des films français (3). Concernant cette fois la « liberté de choix du consommateur dans le cyberespace » (4), la proposition de loi adoptée par le Sénat le 19 février vise à donner pourvoir à l’Arcep de veiller à l’interopérabilité entre les écosystèmes – Android de Google (Play Store) et iOS d’Apple (App Store) en tête – des « équipements terminaux » des utilisateurs (smartphones, tablettes, enceintes connectées, …). Mais le gouvernement estime à l’appui de son avis défavorable que ce sujet doit être réglé au niveau européen.
Quant à la proposition de loi Avia « contre les contenus haineux sur Internet » (5), qui revient devant les députés le 1er avril, elle veut obliger les plateformes du Net à retirer sous 24 heures les contenus illicites, sous peine de lourdes amendes. Mais le Sénat s’est encore opposé à cette mesure le 26 février. Le débat sur la responsabilisation des hébergeurs est loin d’être clos. @

La GSMA accuse le « coût » de l’annulation de son Mobile World Congress 2020, mais son lobbying continue

Née il y a 25 ans en tant que GSM MoU Association pour promouvoir la norme européenne mobile GSM, devenue mondiale avec succès, la GSMA – que préside Stéphane Richard, PDG d’Orange – est aujourd’hui un puissant lobby des télécoms. Son méga-salon de Barcelone, annulé cette année pour cause de coronavirus, lui rapporte gros.

Au cours de son mandat de deux ans en tant que président de la GSM Association (GSMA), basée à Londres (désormais hors de l’Union européenne), et de son bras armé commercial GSMA Ltd (société basée à Atlanta aux Etats-Unis), Stéphane Richard (photo) n’aura finalement participé qu’à une seule édition de la grand-messe annuelle de l’industrie mobile. Celle-ci se tient depuis 2006 à Barcelone (en Espagne). L’annulation cette année d’un tel événement, qui était prêt à accueillir du 24 au 27 février dans la capitale de la Catalogne plus de 110.000 visiteurs professionnels venus du monde entier, est un coup dur pour les quelque 1.150 membres de la puissante association : 750 opérateurs mobile – dont plus de 200 européens – et près de 400 sociétés œuvrant pour l’écosystème mobile. Face à l’épidémie, c’était « la seule option » pour le président de la GSMA, PDG d’Orange, et pour les deux directeurs généraux qui l’entourent : John Hoffman, directeur général depuis 2007 de la société GSMA Ltd, organisatrice du Mobile World Congress (MWC) de Barcelone et de ses déclinaisons de moindre ampleur à Los Angeles et à Shanghai (1), et Mats Granryd, directeur général de l’association GSMA depuis 2016. Ce rendez-vous international devait donner le vrai coup d’envoi commercial de la 5G, laquelle est déjà chahutée par le bras de fer engagé depuis l’an dernier par les Etats-Unis avec la Chine autour du numéro un mondial des équipementiers de réseaux 5G, Huawei (2).

Le « MCW Barcelona », cash machine de la GSMA
Venu lui aussi de l’Empire du Milieu, mais autrement plus menaçant que n’est supposée l’être la firme de Shenzhen, le coronavirus (Covid- 19) a eu raison du « MWC Barcelona ». Or ce grand raout annuel des télécoms mobiles génère une manne financière considérable pour la GSMA, qui se refuse cependant à divulguer son chiffre d’affaires et les profits qu’elle dégage. Selon les estimations de Edition Multimédi@, en extrapolant plusieurs sources, la société GSMA aurait généré l’an dernier environ 200 millions de dollars de chiffre d’affaires, pour un bénéfice net de quelque 40 millions de dollars. Le MWC de Barcelone – véritable cash machine – représenterait 80 % de cette manne. A raison de 799 euros le pass visiteur de base, lorsque ce n’est pas 1.699 euros le ticket orienté soit « 5G », soit « Internet des objets », voire jusqu’à 4.999 euros le pass « Platinum » (3), les 110.000 entrées devaient rapporter une bonne partie des recettes. L’édition 2020 tablait aussi sur 2.800 exposants répartis sur plus de 120.000m2 de surface à la Fira Gran Via, à raison d’environ 1.000 euros le mètre carré loué, sachant que les plus gros stands coûtent à leurs occupants des dizaines de millions d’euros chacun, aménagement et services compris !

Un gros manque à gagner sans précédent
A part Apple qui brille par son absence habituelle à Barcelone, avaient répondu présents à l’appel de la GSMA – pour ce show de début de décennie – de nombreuses Big Tech de la mobilité, de grands groupes de médias et du divertissement, ainsi que la plupart des GAFAM, sans compter des milliers de start-up et des dizaines de licornes. Certains exposants étaient en plus sponsors : Huawei, Nvidia, Salesforce, ViacomCBS, Wipro, Wiko, ZTE, Android/Google, Red Hat/IBM, SES ou encore Deloitte. Mais au fur et à mesure que le virus Covid-19 se propageait à l’international en faisant de nombreux morts – plus de 1.100 décès au moment de l’annulation du MWC annoncée le 12 février (4), à seulement une douzaine de jours de l’ouverture – de nombreuses entreprises officialisaient leur désistement. Parmi plus d’une trentaine d’annulations, l’on comptait de grands noms des télécoms, de la high-tech et des médias : AT&T, Deutsche Telekom, Nokia, Vodafone, Intel, Facebook, Cisco, Amazon Vivo, LG, Ericsson, Sony, Rakuten, BT, NTT DoCoMo, pour ne citer qu’eux.
Selon une source citée par l’agence Reuters le 12 février, Stéphane Richard songeait à annuler la participation du groupe Orange (5). Mais si l’initiative était venue de celui qui est aussi président de la GSMA depuis le 1er janvier 2019, cela aurait donné l’impression d’un coup de grâce donné par Orange à cette manifestation. Devaient aussi être présents Alibaba, HTC, Lenovo, Ooredoo, Oracle, Qualcomm, SAP, SK Telecom, Verizon ou encore l’opérateur télécoms historique du pays d’accueil, Telefónica. Les constructeurs automobile BMW, Mercedes-Benz et Seat étaient aussi en route pour Barcelone. Quoi qu’il en soit, le principe de précaution qui l’a emporté se le dispute à la psychose face à un nouveau « péril jaune ». Sur plus de 110.000 visiteurs attendus à Barcelone, la GSMA devait accueillir 5.000 Chinois. En revanche, outre le sud-coréen Samsung (numéro un mondial des smartphones) ou l’américain Microsoft, le géant chinois Huawei (numéro uun mondial des équipementiers mobile et numéro deux mondial des smartphones) avait, lui, maintenu sa présence sur ses habituels 1.600m2, tout comme ses compatriotes ZTE et Xiaomi. Décidément, la Chine était déjà suspectée de soi-disant cyber-espionnage via notamment les équipements 5G de Huawei, la voici en plus mise en quarantaine par la communauté internationale – alors qu’au 21 février le nombre de cas mortels en Chine est de 2.236 et celui des personnes infectées de 75.465. En plus de tirer un trait sur les nombreuses opportunités d’affaires qu’auraient offertes cette édition 2020 à toute la filière télécoms, cette annulation va non seulement coûter très cher à la GSMA mais aussi à la région barcelonaise. L’organisateur du méga-salon mobile avait estimé que les retombées pour l’économie locales en Catalogne aurait atteint près de 500 millions d’euros, et induit plus de 14.000 emplois. Pour le lobbying des télécoms organisateur et les exposants, faute d’avoir suscrit une assurance annulation couvrant ce type d’épidémie imprévisible identifiée le 8 janvier dernier par l’OMS et partie de la grande métropole de Wuhan (centre de la Chine), la note sera salée. « Ce n’est pas une bonne nouvelle pour l’industrie. (…) J’en appelle ici à la responsabilité de tous les participants, de tous les acteurs de l’industrie, qu’ils soient d’ailleurs opérateurs ou partenaires ; on ne peut pas faire supporter à l’institution GSMA la facture de cette annulation qui est à l’évidence une décision inéluctable », a prévenu Stéphane Richard, le lendemain matin de l’annulation, sur BFMTV.
Malgré ce cas de force majeur, le puissant lobbying de la GSMA – dont les membres paient de 13.000 à 124,000 dollars d’adhésion par an en fonction de leur chiffre d’affaires – continue auprès des pouvoirs publics et des législateurs dans le monde, notamment en Europe. Le 19 février, la directrice Europe, Russie et Eurasie de la GSMA, Afke Schaart, a « applaudi » la stratégie numérique présentée le jour même par la Commission européenne (lire p. 3). Le lobby des télécoms lui a rappelé au passage son souhait d’avoir plus de fréquences pour la 5G, d’adapter la règlementation en faveur des opérateurs de réseaux face aux « géants du numérique dominants et capturant une part disproportionnée de tout l’écosystème ». En prévision de l’édition 2020 du MWC, l’organisation avait rendu public une étude (6) dans le but de convaincre l’Europe de limiter la concurrence à trois opérateurs mobile par pays afin d’éviter, selon elle, une bataille tarifaire au détriment de l’investissement dans les réseaux. Il y a un an, la GSMA avait profité du MWC 2019 pour lancer son « Manifeste de l’industrie mobile pour l’Europe » (7). L’organisation plaide pour une régulation plus favorable aux opérateurs mobile : « Nous devons lever les obstacles qui freinent l’industrie mobile en Europe par le biais d’une réglementation progressive. Le défi consiste à savoir comment respecter les obligations du gouvernement en matière de couverture, même lorsqu’il n’y a pas de justification commerciale à cela. On estime que le coût de déploiement de la 5G en Europe sera nettement plus élevé que celui de la 4G, soit entre 300 et 500 milliards d’euros ».

Tous azimuts, de la 5G à la voiture connectée
Par ailleurs, la GSMA a critiqué le choix annoncé le 13 mars 2019 par la Commission européenne de retenir pour les véhicules connectés en Europe la technologie Wifi que le lobby des opérateurs mobile a jugée « obsolète », tout en exhortant Bruxelles d’adopter au contraire la solution mobile C-V2X. Autres chevaux de bataille de l’association : garder le contrôle des cartes SIM virtuelles (eSIM), jusque sur les montres et les voitures connectées, ou encore promouvoir le RCS pour remplacer les SMS/MMS face aux messageries de GAFAM. @

Charles de Laubier

Mark Zucherberg en appelle à une régulation du Net

En fait. Le 17 février, le PDG fondateur de Facebook, Mark Zuckerberg, s’est entretenu à Bruxelles avec trois commissaires européens : Margrethe Vestager (Europe numérique), Vera Jourová (Consommateurs) et Thierry Breton (Marché intérieur). Nick Clegg, lobbyiste de Facebook, a, lui, parlé avec Didier Reynders (Justice).

En clair. A y regarder de plus près, le livre blanc intitulé « Tracer la voie à suivre. Réglementation des contenus en ligne » (1) et coordonnée par Monika Bickert, vice-présidente de Facebook, chargée des politiques de contenus, ouvre implicitement la voie à un possible super-régulateur de l’Internet. Ce document d’une vingtaine de pages remis par le fondateur de Facebook aux trois commissaires européens, qui l’ont reçu à Bruxelles, prépare en creux à une régulation du Net. « La réglementation pourrait (…) veill[er] à ce que les systèmes de modération des contenus Internet soient consultables, transparents et sujets à une supervision pleinement indépendante (2)», est-il préconisé.
Et de suggérer plus loin : « Les régulateurs pourraient obliger les plateformes Internet à publier des données annuelles sur la “prévalence” du contenu qui viole leurs politiques [et à] s’assurer que la prévalence de la violation du contenu demeure au-dessous d’un certain seuil standard. Si la prévalence dépasse ce seuil, le l’entreprise pourrait faire l’objet d’une surveillance accrue, de plans d’amélioration précis, ou – en cas de défaillances systématiques répétées – d’amendes ». Autrement dit, selon Mark Zuckerberg, l’autorégulation des plateformes pour empêcher le partage de contenus illicites (discours haineux, violence, propagande terroriste, etc) ne suffit pas. Les pouvoirs de contrôle et de sanction des régulateurs nationaux, à condition d’être coordonnés, sont nécessaires, évoquant implicitement l’idée d’un super-régulateur du Net. « Toute approche réglementaire nationale visant à lutter contre les contenus nuisibles devrait respecter la dimension globale d’internet et la valeur des communications internationales », prévient le patron de l’empire Facebook-WhatsApp-Instagram, qui parle de « supervision externe » des plateformes numériques dans le but de préserver in fine la liberté d’expression.
Dans une tribune parue au même moment dans le Financial Times, « Zuck » ne déclare pas autre chose : « Nous avons besoin de plus de surveillance et de responsabilisation (3). Les gens ont besoin de sentir que les plateformes technologiques mondiales relèvent de quelqu’un, la réglementation devant tenir les entreprises responsables lorsqu’elles font des erreurs. Les entreprises comme la mienne ont également besoin d’une meilleure surveillance lorsque nous prenons des décisions ». @

Avec le « RGPD » californien, les GAFAM garderont le pouvoir en 2020 sur les données personnelles

Le partage des données des consommateurs avec les entreprises s’est généralisé en dix ans. Or le droit californien n’avait pas suivi cette évolution, laissant aux entreprises de la Silicon Valley la liberté d’exploiter la vie privée des individus sans contrainte. Ce que change partiellement le CCPA.

Dans le sillage du règlement général sur la protection des données (RGPD), le California Consumer Privacy Act (CCPA) est entré en vigueur le 1er janvier 2020. Cette loi applicable dans l’Etat américain le plus peuplé des Cinquante vient renforcer le contrôle des consommateurs californiens sur leurs données personnelles en leur octroyant de nouveaux droits. Et ce, afin de leur permettre de reprendre le contrôle de leurs vies privées.

Droit local d’inspiration populaire
A la suite du scandale Cambridge Analytica et de la fuite massive de données d’Equifax, concernant 143 millions de personnes, soit près de la moitié de la population américaine (1), a été formulée en 2018 une proposition de loi d’initiative populaire visant à protéger les données personnelles des Américains. Deux militants pour la protection de la vie privée, issus de la société civile, l’homme d’affaires Alastair Mactaggart et une juriste spécialiste de droit à la protection de la vie privée, Mary Stone Ross, ont rédigé dès 2017 un projet de loi sous le nom de California Consumer Privacy Act (CCPA) soumis aux électeurs californiens par la voie pétitionnaire (2). Le droit californien permet en effet aux citoyens de cet Etat de faire adopter des textes législatifs ou de provoquer un référendum au niveau local en recueillant 366.000 signatures. Le CCPA a recueilli 600.000 signatures, révélant par là une véritable volonté des Californiens de reprendre le contrôle de leurs vies privées et d’empêcher les intrusions répétées des GAFAM dont ils ont été victimes ces dernières années.
Mise sous pression, la Silicon Valley – dont la collecte des données personnelles est le fer de lance de son modèle économique – a milité auprès des chambres législatives californiennes pour que ces dernières concluent un accord avec les promoteurs du texte et que soit évité un référendum. Le 28 juin 2018, et après moins d’une semaine de débat, la loi initialement proposée a alors été adoptée par le législateur californien sous une version plus timorée que le projet initial. Le texte continue cependant à se heurter à la résistance des entreprises de nouvelles technologies qui militent pour l’adoption d’un texte fédéral moins contraignant. En effet, des lois prises par le Congrès à Washington s’imposeraient sur le droit des Etats fédérés et empêcheraient le CCAP de s’appliquer. Dans le sillage du CCPA, d’autres projets de loi se sont faits jour au niveau fédéral visant à réglementer la collecte des données personnelles des citoyens américains. Certaines propositions sont spécifiques et visent uniquement les données transmises via les réseaux sociaux. D’autres projets sont plus ambitieux dans leur champ d’application et cherchent à imposer un traitement loyal, équitable et non discriminatoire aux responsables de traitements, à l’instar du RGPD. Si aucun de ces projets n’a l’ambition portée par le texte européen, ils s’en inspirent dans la forme et constitueraient néanmoins une avancée considérable dans la conquête des droits des internautes quant au respect de leurs vies privées. Le CCPA intégré dans le Code civil de Californie (3) s’applique à toutes les informations à caractère personnel collectées, électroniquement ou non, auprès de consommateurs.
Les consommateurs sont définis comme des personnes physiques résidant en Californie, ce qui confère un champ d’application aux bénéficiaires du texte aussi large que le RGPD. La loi californienne s’applique donc très largement et pas seulement aux données collectées sur Internet. Toutefois, de façon plus pragmatique que le RGPD, les assujettis du CCPA sont uniquement des entreprises d’envergure. Ces dernières doivent en effet réaliser un chiffre d’affaires annuel supérieur à 25 millions de dollars, ou acheter, vendre ou partager à des fins commerciales des informations personnelles de plus de 50.000 consommateurs, ou encore obtenir plus de 50 % de leurs revenus annuels de la vente d’informations personnelles du consommateur.

Champ d’application du CCPA
Ainsi, les associations comme les petites et moyennes entreprises ne sont pas concernées par le texte. Les pouvoirs publics peuvent également continuer à collecter les données personnelles des individus sans que ceux-ci puissent s’y opposer, même s’il est prévu que les données issues de ces traitements et réutilisées pour d’autres finalités sont des informations sur lesquels les citoyens californiens pourront exercer les droits prévus par le texte. Le texte de loi californien vise les informations à caractère personnel comme les noms, les adresses, le numéro de sécurité sociale, les adresses IP, les renseignements commerciaux (registre de la publicité foncière, historique de crédit, …), les informations biométriques, les historiques de navigation, les données de géolocalisation, les informations audio, électroniques, visuelles, thermiques, olfactives, les informations professionnelles ou liées à l’emploi, ou encore les informations sur l’éducation. Sont également concernées toutes déductions tirées de ces différentes informations afin de créer un profil. Toutefois, un certain nombre de domaines sont exclus du champ d’application de la loi. Il en va ainsi du domaine financier, des agences de notation des consommateurs ou encore des informations visant les conducteurs.

Droits nouveaux pour les Californiens
Pâle copie du RGPD, le CCPA impose des obligations aux entités assujetties et des droits aux citoyens bénéficiaires. L’entreprise qui collecte des données doit informer le consommateur californien sur les catégories de données collectées, les sources auprès desquelles les données sont collectées, les finalités de la collecte et les catégories de tiers avec lesquelles l’entreprise partage les données. Les consommateurs doivent pouvoir exercer leurs droits dans des conditions faciles et gratuites : description du droit d’accès, du droit à l’effacement, du droit à l’égal accès aux services, description des méthodes pour présenter les requêtes. La loi californienne donne aussi aux consommateurs la possibilité de refuser la vente de leurs informations personnelles à des tiers, obligeant les entreprises concernées à publier un lien clair et visible intitulé « Ne pas vendre mes informations personnelles » sur leur site web national ou leur page spécifique à la Californie.
Un consommateur a le droit de demander à une entreprise de supprimer toute information personnelle le concernant que l’entreprise a collectée auprès de lui, et l’entreprise doit répercuter la demande auprès de ses sous-traitants. Toutefois, l’entreprise peut refuser cet effacement pour des raisons légitimes telles que l’exécution du contrat conclu entre l’entreprise et le consommateur. Enfin, la loi californienne confère le droit à un égal accès aux services, interdisant en principe toute discrimination à l’encontre des consommateurs qui exercent leurs droits en vertu de la loi. Les entreprises peuvent cependant être autorisées à appliquer des tarifs différents ou à fournir différents niveaux de service, si ces différences sont en lien raisonnable avec la « valeur fournie au consommateur par les données du consommateur », conférant un droit à la discrimination. Enfin, et à la grande différence du RGPD, les entreprises peuvent proposer des incitations financières – notamment des paiements aux consommateurs à titre de compensation – pour la collecte de leurs données personnelles. Cette option, pour laquelle de nombreux think tank militent en Europe, est à ce stade exclu par l’Union européenne pour qui les données personnelles sont des droits extrapatrimoniaux, incessibles. En cas de non-respect du CCPA, une amende de 2.500 dollars par violation, et de 7.500 dollars si la violation est intentionnelle, est infligée. Ce qui est peu, au regard du chiffre d’affaires des entreprises visées par le texte. Néanmoins, la loi californienne prévoit des dommages et intérêts dans le cadre d’une action intentée par un consommateur, compris entre 100 et 700 dollars par infraction et par consommateur, ce qui peut s’avérer important à l’aune du système de la class action. La procédure des actions collectives, bien éprouvée aux Etats-Unis, devrait en effet pouvoir contraindre les entreprises à respecter cette nouvelle loi, moins pour la sanction financière que pour la mauvaise publicité que représenterait une sanction prononcée à la demande de centaines de milliers de plaignants. A noter qu’en Europe, la commission des Affaires juridiques (JURI) a confirmé en janvier dernier (4) la position de négociation du Parlement européen sur une nouvelle législation introduisant des règles de recours collectif (5). En France, l’action de groupe a été introduite par la loi du 17 mars 2014 sur la consommation (loi dite « Hamon »).
Si le CCPA est timide au regard de l’enjeu que représentent les données personnelles pour les entreprises du numérique, il marque néanmoins un réel progrès quant à la protection des droits des données personnelles des citoyens californiens. Déjà, cette initiative a conduit d’autres Etats à réfléchir à une législation dans ce sens, et une loi fédérale devra inévitablement voir le jour pour éviter des législations disparates au sein d’un même pays. Dans le même temps, le parti communiste chinois a annoncé vouloir protéger les données personnelles de ses citoyens.

Vers des règles internationales unifiées
La collecte des données personnelles représente l’or noir du XXIe siècle et constitue un outil de concurrence majeur au sein du commerce international. Les législations nationales ne manqueront donc pas de s’affronter afin de contraindre les entreprises extérieures à limiter leur pouvoir d’intrusion de la vie privée de leurs citoyens tout en cherchant à poursuivre cette conquête des données, outil indispensable de la compétitivité économique. A moins qu’en guise d’apaisement, le G20 qui se tiendra à Riyad en novembre 2020 mette à son ordre du jour la recherche de règles internationales unifiées, seuls moyens de réguler la tentation intrusive des GAFAM. @

* Alexandre Lazarègue est avocat au Barreau de Paris,
spécialisé en droit du numérique.