Vers une régulation harmonisée des systèmes d’intelligence artificielle (IA) à risque en Europe

Le projet de règlement européen « Régulation harmonisée de l’IA », qui a entamé son parcours législatif, est ambitieux puisque la proposition est assortie d’une application extraterritoriale, à l’instar du RGPD. Très redouté par les GAFAM, ce cadre établie une échelle de risques des « systèmes d’IA ».

Par Laura Ziegler et Rémy Schlich, avocats, Algo Avocats

Digital Services Act et Digital Markets Act : projets règlements européens sous influences

La proposition de règlement pour un « marché unique des services numériques » (DSA) et la proposition de règlement sur les « marchés contestables et équitables dans le secteur numérique » (DMA) sont sur les rails législatives. Chacun des rapporteurs est très courtisé par les lobbies.

La commission du marché intérieur et de la protection des consommateurs (Imco) du Parlement européen s’est réunie le 21 juin dernier pour examiner les projets de rapports de respectivement Christel Schaldemose (photo de gauche), rapporteur du projet de règlement DSA (Digital Services Act), et de Andreas Schwab (photo de droite), rapporteur du projet de règlement DMA (Digital Markets Act). Dans les deux cas, le délai pour le dépôt des amendements avait été fixé au 1er juillet.

Les GAFAM se retrouvent aux Etats-Unis dans l’oeil du cyclone antitrust, avec risque de démantèlement

Le vent tourne. A deux mois de la prise de fonction de la juriste Lina Khan au poste de présidente de la FTC, l’autorité de la concurrence américaine, un paquet de six projets de loi « anti-monopole » des Big Tech a été adopté le 24 juin 2021 par la commission des Affaires judiciaires de la Chambre des représentants des Etats-Unis.

La commissaire européenne à la Concurrence, Margrethe Vestager, en rêve ; la future présidente de l’autorité de la concurrence américaine, Lina Khan (photo), va peut-être le faire : mettre au pas les GAFAM, si ce n’est les démanteler, pour mettre un terme aux abus de position dominante et aux pratiques monopolistiques de ces Big Tech nées aux Etats-Unis et déployées dans la plupart des régions du monde, au point d’asphyxier toute concurrence sérieuse voire de tuer dans l’oeuf toute innovation provenant de start-up gênantes. « Protéger les consommateurs américains », tel est le leitmotiv de la Federal Trade Commission (FTC) que va présider à partir du mois de septembre l’Américaine Lina Khan, née en Europe (à Londres) de parents pakistanais il y a un peu plus de 32 ans. Cette brillante juriste, que le président américain Joe Biden a nommée à la tête de l’autorité fédérale de la concurrence et de l’anti-monopole, s’est forgée une réputation « anti-GAFAM » très redoutée des Big Tech. Son premier fait d’arme est un article paru en 2017 dans le Yale Law Journal de l’université américaine Yale et intitulé « Paradoxe anti-monopole d’Amazon« . Le ton est donné. La politique concurrentielle américaine a permis à des mastodontes comme la firme de Jeff Bezos d’écraser les prix et la concurrence, sur fond d’emplois précaires et d’optimisation fiscale.

Souveraineté numérique : Microsoft se dit compatible

En fait. Le 19 mai, se sont tenues les 5e Assises de la souveraineté numérique, organisées par l’agence Aromates sur le thème cette année de « Quelle stratégie pour une 3e voie européenne ? ». Parmi les intervenants extra-européens : l’américain Microsoft, qui, par la voix de Marc Mossé, se dit euro compatible.

En clair. Le directeur des affaires publiques et juridique de Microsoft – fonction qu’il a exercée pour la filiale française entre février 2006 et mai 2016 avant de passer à l’échelon européen (1) tout en restant basé à Paris et non au siège de Microsoft Europe à Dublin en Irlande –, était attendu au tournant. Lors de ces 5e Assises de la souveraineté numérique, le «M» de GAFAM a voulu montrer pattes blanches et démontrer que l’on pouvait être une « entreprise étrangère américaine » et être compatible avec la « souveraineté numérique européenne ».
Antinomique ? Non. Marc Mossé, lui, parle de « ligne de crête » en rappelant les propos tenus par quatre femmes au pouvoir en Europe, Angela Merkel (chancelière d’Allemagne), Mette Frederiksen (Première ministre du Danemark), Sanna Marin (Première ministre de Finlande) et Kaja Kallas (Première ministre d’Estonie), dans une lettre adressée le 1er mars dernier à une cinquième femme de pouvoir, Ursula von der Leyen (présidente de la Commission européenne) : « La souveraineté numérique, c’est miser sur nos forces et réduire nos faiblesses stratégiques, et non pas exclure les autres ou adopter une approche protectionniste. Nous faisons partie d’un monde mondial avec des chaînes d’approvisionnement mondiales que nous voulons développer dans l’intérêt de tous. Nous sommes déterminés à ouvrir les marchés et à favoriser un commerce libre, équitable et fondé sur des règles » (2). Tout est dit.
Et le directeur juridique de Microsoft Europe d’approuver : « C’est cette ligne de crête sur laquelle il faut être, qui renvoie à l’essentiel lorsque l’on parle de la souveraineté. C’est aussi la question de la règle de droit. La souveraineté, c’est la garantie par le droit de fonctions essentielles comme les valeurs européennes [auxquelles] les acteurs qui opèrent en Europe (et donc en France) doivent le plein respect ».
Marc Mossé a aussi rappelé l’annonce faite le 6 mai par Microsoft qui s’engage à stocker et à traiter dans ses data centers en Europe – au nombre de treize dont trois en France – les données de ses clients, entreprises ou organismes publics, à ses services de cloud (Azure, Office 365 et Dynamics 365). Marc Mossé – par ailleurs président en France de l’AFJE (3) – assure que ce plan appelé « Frontière des données de l’UE » (4) est conforme à la « stratégie nationale pour le cloud » présentée le 17 mai par le gouvernement français. @

De « Red Rupert » à « Blue Rupert » : l’héritier de gauche devenu magnat de droite

Lorsque son père meurt d’un cancer, il a 21 ans et doit quitter Oxford en Angleterre, où il étudie au Worcester College (université d’Oxford) et où il a développé une sensibilité de gauche (membre au Parti travailliste), avec comme surnom « Red Rupert ». De retour au pays, le jeune Rupert va reprendre en main les affaires de son père Keith Murdoch, qui, proche des conservateurs (1), fut journaliste et patron de presse influent dans les années 1920 (Melbourne Herald, The Register, Adelaide News, The Daily Mail, …).

En 1972, Murdoch tourne casaque
Rupert hérite de la société de presse News Limited dans laquelle son père avait pris une participation au capital trois ans avant sa mort. Y est édité The News qui sera le point de départ fondateur du futur magnat des médias. S’ensuivront des rachats de quotidiens et autres périodiques dans la plupart des grandes métropoles australiennes, dont The Daily Mirror à Sydney. Puis News Limited lance en 1964 The Australian, le premier quotidien national en Australie. En 1972, The Daily Telegraph tombe dans l’escarcelle de Rupert Murdoch. Son empire médiatique est lancé avec succès. C’est durant cette année-là, notamment lors des élections, que le magnat de presse australienne tourne le dos définitivement à ses idées de gauche. Après avoir soutenu le candidat du Parti travailliste du pays, il tourne casaque et devient un supporter du Parti libéral conservateur.
En 1987, The Herald and Weekly Times entre dans la galaxie Murdoch. Parallèlement, à partir de 1969, Rupert Murdoch fera ses emplettes de journaux à Londres (News of the World , The Sun, The Times, The Sunday Times, …), à San Antonio aux Etats-Unis (The San Antonio News) et à New-York (The New York Post). En 1974, l’Australien s’installe à New York et se fait onze ans plus tard naturaliser citoyen américain, abandonnant sa citoyenneté australienne. Et ce, afin de pouvoir posséder un réseau de télévision aux Etats-Unis.
Entre temps, en 1979, le magnat a créé News Corporation qui est la nouvelle maison mère de News Limited puis du studio de cinéma 21st Century Fox lors de son rachat en 1985. Le devenu Américain s’empare alors en 1985 du network de télévisions de Metromedia pour établir les bases de la Fox Broadcasting Company. L’empire Murdoch s’élargit à l’éditeur HarperCollins, au quotidien économique et financier The Wall Street Journal. En Grande-Bretagne, après avoir créé en 1981 la filiale News International basée à Londres et éditrice de ses journaux et tabloïds britanniques, l’ex-« Red Rupert » prend le contrôle l’année suivante de Satellite Television qui devient Sky Channel puis sept ans plus tard un bouquet de chaînes par satellite baptisé Sky Television, formant BSkyB avec son concurrent en 1990. A Hong Kong, Star TV entre dans le giron de News Corp. En 1995, le groupe fonde aux Etats- Unis The Weekly Standard, un magazine néoconservateur (revendu en 2009). En 1996, Fox Entertainment Group lance la chaîne d’information en continu Fox News pour concurrencer CNN (Time Warner). En 2003, une participation est prise dans DirecTV (ex-Hughes Electronics), opérateur de télévision par satellite (revendu par la suite à Liberty Media). En 2005, News Corp rachète Myspace, pionnier des réseaux sociaux, pour 580 millions de dollars, revendu à perte six ans plus tard pour 35 millions seulement. En 2011, Rupert Murdoch investit 30 millions de dollars dans un nouveau quotidien en ligne créé pour l’iPad, The Daily (qu’il arrête moins de deux ans après sur un échec). La même année, éclate le scandale du piratage téléphonique de personnalités – jusqu’au Premier ministre britannique et la famille royale – à des fins de « scoops ». News Corp décide alors de fermer News of the World. Cette même année, à l’été 2011, l’empire News Corp est scindé en deux sociétés : d’un côté les activités de presse et d’édition (nouveau News Corp), de l’autre celles de télévision et de cinéma (21st Century Fox), chacune cotée en Bourse (2). Dans le même temps, l’entité historique News Limited – presque centenaire, toujours basée à Adelaide (Sud de l’Australie) et éditrice aujourd’hui de 140 journaux australiens – est rebaptisée News Corp Australia.