Politique du très haut débit : la charge de la Cour des comptes vise le tout-fibre optique

La Cour des comptes a critiqué fin janvier le déploiement du très haut débit
en France, dont le budget devrait déraper d’environ 14,9 milliards d’euros.
Les magistrats financiers recommandent plutôt de privilégier l’accès pour tous
à un haut débit minimal et non au tout-fibre hors de prix.

Rémy Fekete, associé Jones Day

L’atomisation des projets de câble, implémentés à l’échelle locale, ont fait les beaux jours des opérations de LBO (1)
du groupe Altice. Cette atomisation perdure aujourd’hui
dans le cadre des réseaux d’initiative publique (RIP) et autres délégations de service public (DSP), avec le même défaut
de manque de stratégie d’ensemble, de discordance des architectures et de dissonance des choix technologiques.
Il en résulte un véritable déficit de l’investissement privé,
faute d’attractivité économique.

Devant l’urgence du tout connecté à très haut débit, la Commission européenne change de paradigme

Le retard de la France dans le déploiement du très haut débit fixe et mobile
est emblématique d’une Europe qui se rend compte du relativement faible investissement de ses opérateurs télécoms. La faute à une réglementation
trop « consumériste » ? Jean-Claude Juncker veut corriger le tir.

Rémy Fekete, associé Jones Day

L’Europe n’est pas prête. Elle n’est pas prête à s’inscrire dans une économie numérique où le très haut débit est la règle et la condition du fonctionnement des nouveaux outils, des services, des contenus, bre f , d e l’activité des entreprises et de la vie
des citoyens.
« France Numérique 2012 », « Plan de relance numérique »,
« Plan national très haut débit » (PNTHD), « Plan France très haut débit » (France THD) : depuis six ans, les politiques n’ont
eu de cesse d’annoncer pour l’Hexagone des jours meilleurs et, en particulier, l’accession de la totalité de la population au très haut débit.

Pour Eutelsat, l’obstination de la France en faveur du quasi tout-fibre relève de « l’obscurantisme »

En fait. Le 5 octobre dernier, Rodolphe Belmer, DG d’Eutelsat, l’opérateur satellite français, était auditionné par la commission des Affaires économiques du Sénat. L’ancien DG de Canal+ (passé après par France Télévisions) n’a pas mâché ses mots pour critiquer la politique très haut débit du gouvernement.

rodolphe-belmerEn clair. « Les autorités françaises ne jurent que par la fibre, pour des raisons qui me paraissent parfois toucher à l’obscurantisme », a lancé Rodolphe Belmer (photo), directeur général d’Eutelsat depuis sept mois. « Aucun analyste sérieux ne considère que les opérateurs terrestres couvriront 100% de la population. Cela n’empêche pas certains de faire des promesses démagogiques… », a-t-il déploré au Sénat.
Et à quel prix : « Si le coût moyen de connexion à la fibre en France est de 2.000 euros par foyer, il varie entre 400 euros dans le centre des agglomérations et plus de 10.000 euros dans les zones peu denses. Tandis qu’apporter le très haut débit par satellite à un foyer coûte entre 600 et 700 euros en investissement, à capacité et à prix final équivalents ». La fibre optique est donc en moyenne trois fois plus chère que le satellite.

Le nouveau protocole IPv6 pourrait améliorer la diffusion des flux vidéo sur Internet

La loi « République numérique », promulguée le 8 octobre, prévoit qu’« à compter du 1er janvier 2018, tout nouvel équipement terminal (…) doit être compatible avec la norme IPv6 ». Passer d’IPv4, dont les adresses seront épuisées dans
cinq ans, à IPv6 permettrait notamment d’améliorer l’audiovisuel en ligne.

Quel est l’intérêt de passer à IPv6 pour les contenus en ligne ? A priori, aucun ! Sauf qu’à y regarder de plus près, le successeur du protocole IPv4 qui assure les connexions sur Internet permettrait d’améliorer de façon significative les performances des applications mobile. C’est ce qu’affirme par exemple Facebook où le temps de réponse du numéro un des réseaux sociaux est jusqu’à 40 % meilleur sous IPv6 par rapport à un accès mobile sous IPv4.

Quel intérêt « commercial » ?
A l’heure où nombre d’acteurs du Net misent sur la vidéo, le différentiel justifierait à
lui seul l’adoption de ce « nouveau » protocole Internet. « Le protocole IPv6 pourrait permettre un acheminement plus performant des flux vidéo », souligne le rapport de l’Arcep remis en juin dernier au gouvernement français sur « l’état de déploiement du protocole IPv6 en France », et publié le 30 septembre dernier (1). Les services vidéo tels que les plateformes de partage vidéo (YouTube, Dailymotion, …), la VOD, la télévision de rattrapage, les bouquets de chaînes de type Molotov ou encore les publicités vidéo pourraient voir leurs temps de latence réduits grâce à l’IPv6.
Pourtant, malgré l’augmentation de la consommation de vidéo et de contenus dévoreurs de bande passante, tous les terminaux ne sont pas compatibles avec ce nouveau protocole Internet. C’est ce que constate d’ailleurs Akamai, l’un des leaders mondiaux des services de réseau de diffusion de contenu (CDN (2)), dans son dernier rapport trimestriel sur l’état d’Internet : « Il y a une absence de compatibilité d’IPv6
dans certains appareils électroniques grand public (tels que les téléviseurs connectés
et les media players), ce qui représente une barrière à son expansion ».
Alors que la vidéo devient la killer application du Web et des applications mobile, il est paradoxale de constater que le protocole IPv6 – permettant de simplifier certaines fonctions de la couche réseau telles que le routage et la mobilité – peine à être adopté. Et l’on ne peut pas dire que les acteurs du Net sont pris de court : les spécifications techniques d’IPv6 ont une vingtaine d’années d’existence et le lancement mondial de ce protocole par l’Internet Society est intervenu le 6 juin 2012, il y a déjà plus de quatre ans ! Selon l’observatoire « 6Lab » de Cisco (3), la part de contenus en ligne disponible en IPv6 – sur les 500 sites web les plus visités par des internautes en France – est d’environ 52 % à l’heure où nous écrivons ces lignes.
Les adresses IP sont à Internet ce que sont les numéros au téléphone. Sans ce protocole réseau, pas de connexion possible entre terminaux et serveurs. En raison
de la pénurie annoncée d’adresses IPv4, qui sont limitées à un peu plus de 4 milliards différentes, le protocole IPv6 doit débloquer la situation en offrant un nombre presque infini d’adresses : 340 milliards de milliards de milliards de milliards (4), soit 340 sextillions d’adresses ! Selon le Ripe, le forum des réseaux IP européens, l’épuisement du dernier bloc d’adresses IPv4 disponibles est attendu pour 2021 – soit dans seulement cinq ans maintenant. Mais les fournisseurs d’accès à Internet (FAI), les éditeurs de sites web, d’applications mobile et de services en ligne, les hébergeurs,
les plateformes vidéo, ainsi que les intermédiaires techniques et les fabricants de terminaux traînent des pieds depuis des années pour implémenter cette nouvelle norme. Car, comme le constate le rapport de l’Arcep, les acteurs du réseau des réseaux ne voient pas « de bénéfices commerciaux immédiats » à passer d’IPv4 à IPv6. A cela s’ajoutent l’absence de coordination entre les acteurs, le manque de maîtrise et de maturité autour de ce nouveau protocole, et le maintien nécessaire en parallèle des réseaux IPv4.

Retard de la France
Il suffit qu’un des maillons de la chaîne Internet ne supporte pas le nouveau protocole pour que IPv4 soit sollicité. Autant dire que le transport de bout en bout d’une vidéo, par exemple, sous IPv6 n’est pas pour demain. Pour remédier à cet attentisme, le rapport de l’Arcep a préconisé en juin dernier que l’Etat français « montre l’exemple » en rendant accessibles en IPv6 tous les sites web et services publics en ligne.
C’est ce que prévoit la loi « Economie numérique », promulguée le 8 octobre au Journal Officiel après avoir été portée par la secrétaire d’Etat au Numérique et à l’Innovation, Axelle Lemaire (photo), dans son article 16 : « Les administrations (…) encouragent la migration de l’ensemble des composants de ces systèmes d’information vers le protocole IPv6, sous réserve de leur compatibilité, à compter du 1er janvier 2018 ».

Dans la foulée, cette loi – dont on attend maintenant les décrets d’application – prévoir dans son article 42 qu’« à compter du 1er janvier 2018, tout nouvel équipement terminal (…) destiné à la vente ou à la location sur le territoire français doit être compatible avec la norme IPv6 ». En attendant, l’Arcep a promis de publier fin 2016 un premier observatoire de la transition vers IPv6. Mise à part cette volonté politique de rattraper
le retard flagrant de la France dans l’adoption de ce nouveau protocole (voir tableau ci-dessus) , seul capable d’absorber la multiplication des terminaux dans les foyers (plus d’une demi-douzaine) et surtout la montée en charge de la vidéo et de l’Internet des objets, bon nombre d’acteurs du Net ne voient pas encore l’intérêt de se précipiter.

Les FAI sont-ils pro-IPv6 ? Orange en retard
D’autant qu’une technique dite NAT (Network Address Translation), pratiquée par les FAI sur leur « box », permet de partager une unique adresse IPv4 entre plusieurs terminaux et ainsi d’économiser de nombreuses adresses IPv4.
Or, des experts interrogés par l’Arcep, cette pratique généralisée sur le réseau d’un opérateur télécoms – technique dite alors CGN (Carrier Grade NAT) – peut « entraver le fonctionnement de certains protocoles et donc de certains types de services sur Internet » tels que « les applications pair-à-pair et certains modes de jeux en ligne ». Ainsi, plusieurs éditeurs de services en ligne qui utilisent des protocoles peer-to-peer ont dû procéder à des développements afin de s’assurer du bon fonctionnement de leurs services sur des réseaux CGN et éviter les dysfonctionnements. Du côté des FAI, Akamai montre que Verizon est le premier dans le monde à avoir la plus grande proportion (74 %) de requêtes traitées sous IPv6. Il est suivi par T-Mobile (61 %), toujours aux Etats-Unis. Viennent ensuite Sky Broadband (56 %) en Grande-Bretagne, Telenet (54 %) en Belgique et Kabel Deutschland (52 %) en Allemagne.
Tous les autres pays traitent moins de la moitié des requêtes en IPv6 (voir tableau ci-dessus), dont Free et sa filiale Proxad (25 %) en France, cependant mieux disant qu’Orange (15 %).

Dans son rapport au gouvernement, l’Arcep, elle, observe que « plusieurs plans
de déploiements de FAI majeurs en France prévoient d’allouer des adresses IPv6
en priorité aux abonnés FTTH (Fiber-To-The-Home), qui génèrent un trafic significativement plus important que les abonnés xDSL par exemple ».
Orange a en effet annoncé en début d’année 2016 le début des déploiements IPv6 non seulement pour ses clients FTTH mais également VDSL. A noter que, selon le blog The World IPv6 Launch, « plus de 12 % des utilisateurs accèdent maintenant aux services de Google sous IPv6, alors qu’ils étaient moins de 1 % quatre ans auparavant ». Le basculement est en marche. @

Charles de Laubier

Eutelsat : la France et la fibre, de « l’obscurantisme »

En fait. Le 5 octobre, Rodolphe Belmer, DG d’Eutelsat, l’opérateur satellite français, était auditionné par la commission des Affaires économiques du Sénat. L’ancien DG de Canal+ (passé après par France Télévisions) n’a pas mâché ses mots pour critiquer la politique très haut débit du gouvernement.

En clair. « Les autorités françaises ne jurent que par la fibre, pour des raisons qui me paraissent parfois toucher à l’obscurantisme », a lancé Rodolphe Belmer, directeur général d’Eutelsat depuis sept mois. « Aucun analyste sérieux ne considère que les opérateurs terrestres couvriront 100% de la population. Cela n’empêche pas certains de faire des promesses démagogiques… », a-t-il déploré au Sénat. Et à quel prix : « Si le coût moyen de connexion à la fibre en France est de 2.000 euros par foyer, il varie entre 400 euros dans le centre des agglomérations et plus de 10.000 euros dans les zones peu denses. Tandis qu’apporter le très haut débit par satellite à un foyer coûte entre 600 et 700 euros en investissement, à capacité et à prix final équivalents ».
La fibre optique est donc en moyenne trois fois plus chère que le satellite. Le patron
du deuxième opérateur de satellite en Europe et troisième au niveau mondial (derrière Intelsat et SES) déplore que la France ne joue pas la complémentarité satellitaire avec les infrastructures terrestres, comme cela se fait en Australie et bientôt en Italie.
« Selon les estimations, entre 5 % et 10 % des zones blanches (1) ne seront pas couvertes », a rappelé Rodolphe Belmer concernant l’Hexagone où il regrette qu’Eutelsat reste « méconnu ». Cette obstination de l’Etat français dans le quasi-tout FTTH (2) est d’autant plus « obscure » à ses yeux qu’Eutelsat est détenu par Bpifrance – la banque publique d’investissement (contrôlée par l’Etat et la CDC) – à hauteur de 25 % de son capital (le reste en Bourse). « Eutelsat est le seul opérateur au monde à n’être pas soutenu par son pays ».
De plus, son siège social est à Paris. « Intelsat et SES sont tous deux immatriculés
au Luxembourg, pour des raisons que vous imaginez facilement… La différence de situation fiscale (…) est inacceptable », s’est-il insurgé. Cette indifférence de l’Etat français est d’autant plus mal vécu qu’Eutelsat – tout comme les autres opérateurs de satellite – se posent des questions existentielles sur son avenir. « Après une trentaine d’années de croissance forte, nous abordons une phase de stabilisation, voire même de léger déclin de notre chiffre d’affaires, en raison de la concurrence des OTT (3) dans l’audiovisuel, qui fait pression sur les clients que sont pour nous les chaînes de télévision », a expliqué l’ancien PDG de Canal+. @