Numericable a un réseau « limité » comparé au FTTH et à l’ADSL, en qualité de service et en débit montant

Eric Denoyer, président de Numericable, a fait le 12 avril dernier l’éloge de son réseau très haut débit qui mise encore sur le câble coaxial jusqu’à l’abonné
après la fibre. Mais une étude et un rapport pointent pourtant les faiblesses
de sa technologie FTTB par rapport au FTTH et même à l’ADSL.

Numericable, l’unique câblo-opérateur national issu de l’héritage historique du plan câble des années 80, n’a-t-il vraiment rien à envier à la fibre jusqu’à domicile (FTTH)
et encore moins à la paire de cuivre (ADSL), comme
l’affirme son président Eric Denoyer ? Interrogé par Edition Multimédi@ sur les performances de son réseau très haut débit, qu’un récent rapport commandité entre autres par l’Arcep (1) considère comme « limitées », il s’est inscrit en faux : « Nous avons certes des standards différents par rapport à nos concurrents, mais nous avons les mêmes capacités. Ce que nous offrons, c’est l’équivalent du FTTH avec la TV en plus. Grâce à la technologie ‘’channel bonding’’, nous obtenons les même caractéristiques que le FTTH d’Orange et de SFR utilisant la technologie GPON ». Le réseau de Numericable a en effet la particularité d’amener la fibre optique uniquement jusqu’aux bâtiments ou immeubles (FTTB), puis de raccorder chaque abonné en câble coaxial. Alors que le FTTH, lui, utilise de la fibre de bout en bout.
Si Numericable est capable de proposer du 100 Mbits/s vers l’abonné comme ses concurrents déployant de la fibre jusqu’à domicile, voire du 200 Mbits/s si la zone
du réseau câblé est éligible, une étude et un rapport affirment que le réseau du câbloopérateur présente des « limites » et des « inconvénients ».

Limite en « usage intensif et simultané »
Selon une étude sur le très haut débit (2) publiée en mars dernier et commanditée par l’Arcep, le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), le Centre national du cinéma et
de l’image animée (CNC) et le gouvernement (DGMIC, DGCIS), le câble présente bien des handicaps. L’étude réalisée par le cabinet Analysys Mason fait en effet le constat suivant : « Sur câble, le débit reste partagé entre un nombre restreint d’abonnés au niveau d’un équipement appelé nœud optique ou amplificateur. Cela implique qu’il n’est pas possible de contrôler aussi bien que sur une ligne dédiée (par exemple DSL ou FTTH) la qualité de service offert à chaque abonné (…). (…) Un usage intensif et simultané de la part de plusieurs utilisateurs peut fortement affecter le service fourni aux autres utilisateurs raccordés à un même nœud optique ».

Faible débit montant et asymétrie
En clair, Numericable peut rivaliser avec Orange, SFR ou Free dans le très haut débit
tant que son réseau câblé n’est pas « surchargé ». Pour l’instant, au 31 décembre 2011, Numericable compte 505.000 abonnés au très haut débit sur un nombre de 1.577.000 abonnés (les autres étant en TV seule ou en marque blanche via les box
de Bouygues Telecom, Auchan et Darty). Or plus Numericable comptera d’abonnés
très haut débit, plus son réseau fibro-câblé risquera d’être victime de goulets d’étranglement. D’autant que Numericable dispose actuellement d’un potentiel total actuel de 4,3 millions de foyers raccordables. Ce qui fait un taux d’abonnement global (TV seule, triple play+bouquets TV et marque blanche) de seulement 11,6 %. Eric Denoyer vise même les « 6 millions de foyers raccordables au très haut débit par la fibre optique à horizon 2014 » sur un potentiel total de 9 millions sur l’ensemble du réseau fibro-câblé national. Numericable a-t-il les yeux plus gros que le ventre ? Certes, le câbloopérateur peut néanmoins jouer du channel bonding pour optimiser son réseau. Cette technologie permet ainsi d’agréger plusieurs canaux au standard d’accès au câble Docsis 3.0, afin d’atteindre plusieurs dizaines, voire centaines, de mégabits par seconde par accès. C’est nécessaire pour le câblo-opérateur s’il veut distribuer à la fois de la télévision haute définition, de la vidéo à la demande (VOD), de la catch up TV ou encore de l’Internet à très haut débit. Mais est-ce suffisant ? Pour l’heure, Numericable propose en débit descendant (téléchargement, streaming, réception, …) du 100 Mbits/s, voire du 200 Mbits/s en zone éligible. Mais, dans certains cas, l’abonné doit se contenter de 25 à 30 Mbits/s. Qu’en sera-t-il lorsqu’un nombre plus important d’abonnés se bousculeront au portillon ? Autre point faible pointé par la même étude publiée par l’Arcep et les autres commanditaires : la voie de retour, c’est-à-dire les débits montants.« Sur câble, l’augmentation possible du débit montant est limitée. En effet,
si le FTTH est capable de proposer des débits montants élevés, la norme Docsis 3.0
ne permet pas en pratique d’atteindre actuellement des débits montants supérieurs à
10 Mbits/s. Ceci peut ainsi limiter la fourniture d’offres avec débits symétriques, utiles
pour les applications conversationnelles », dit l’étude d’Analysys Mason. Cette limite
des 10 Mbits/s en uploading fait pâle figure comparé au 100 Mbits/s sysmétriques, voire plus qu’offre le FTTH. Si Numericable peut se contenter d’investir moins de 200 millions d’euros par an dans son réseau très haut débit (afin de pouvoir rembourser d’ici à 2019 ses 2,35 milliards d’euros de dettes après avoir fait l’objet en 2006 du plus gros LBO de France), le câblo-opérateur français prend le risque financier d’être rapidement dépassé technologiquement. D’autant qu’un rapport de l’Idate (3), commandé par le Centre d’analyse stratégique (CAS) du Premier ministre et publié fin mars, fait aussi état des
« inconvénients » de la technologie FTTB – appelée aussi FTTLA (4). « La pérennité
des investissements FTTLA peut être remise en question face à l’évolution des usages (plus de besoins en bande passante, symétrie, etc.) », prévient le rapport (5). Les usages multimédias sont en effet de plus en plus lourds à acheminer jusqu’à l’abonné (vidéos HD sur Internet, télévision HD, TV 3D, VOD, catch up TV, …) et pourraient provoquer des engorgements sur le câble. Pire : des applications vont avoir besoin
de plus en plus de capacités symétriques telles que les jeux vidéo HD en ligne, la vidéoconférence résidentielle en HD, les services de cloud computing où l’on est amené à stocker dans le nuage des gigabits de données personnelles, le télétravail, la télé-formation ou encore la télémédecine qui auront besoin d’allers-retours « illimités » sur le réseau d’accès. Numericable mise en outre sur le multiscreen qui permet à plusieurs membres d’un même foyer de regarder des chaînes et d’accéder à Internet, quel que soit l’écran du foyer connecté en WiFi ou en 3G (téléviseurs, tablettes, smartphones). Ce « multi-usage » devrait aussi accélérer le besoin en sysmétrie très haut débit.
Mais pour Eric Denoyer, le réseau câblé dispose encore d’un fort portentiel. « Comme nous l’avons annoncé à Las Vegas en janvier dernier [lors de la présentation de la box de Numericable au Consumer Electronic Show, ndlr], nous sommes capables d’aller jusqu’à 4.000 Mbits/s par accès sur notre réseau ». Mais rien n’est dit sur le débit montant… Pour l’heure, faute d’investissements massifs de ses concurrents dans le FTTH, Numericable profite de ce retard en étant l’opérateur télécom qui compte le plus d’abonnés très haut débit en France : 70 % de parts de marché au 31 décembre, selon l’Arcep, alors que la barre des 200.000 abonnés FTTH a péniblement été franchie (voir tableau p. 11).

Numericable enterre déjà l’ADSL
Mais c’est surtout dans le vivier de l’ADSL – 95 % des accès haut débit en France (6) – que le câblo-opérateur espère convaincre de migrer vers le très haut débit. « Numericable veut capitaliser sur la fin de l’ADSL pour croître. (…) Le fait d’avoir un bon ADSL nous fait prendre du retard dans le très haut débit, comme le Minitel a retardé Internet en France », a estimé Eric Denoyer. En 2011, Numericable a réalisé 865 millions d’euros de chiffre d’affaires (+ 2,1 % sur un an) pour une marge brute d’exploitation de 436 millions d’euros (également + 2,1 %). La bataille du très haut débit – FTTH versus FTTB – ne fait que commencer. @

Charles de Laubier

TNT, le second souffle

Rien ne sert de courir il faut partir à point. La fable du Lièvre et la Tortue de La Fontaine s’applique particulièrement bien
à la course que se livrent depuis plus de 20 ans les réseaux de télévision numérique terrestre (TNT) et les réseaux de fibre optique (FTTH). Face aux performances d’athlète de
la fibre, la TNT paraissait bien moins impressionnante.
Mais elle est partie à temps, pour une course de fond parsemée d’obstacles qu’elle franchit l’un après l’autre, consciencieusement. Autant la fibre est depuis longtemps donnée gagnante dans l’acheminement à très haut débit des programmes TV et de
la VOD, autant la TNT n’était que très peu attendue : les téléspectateurs d’alors n’exprimaient aucune attente claire et les chaînes de télévision en place traînaient plutôt des pieds face à cette concurrence annoncée. Ce fut surtout une question de volonté politique : moderniser un réseau très ancien, libérer du spectre et proposer au plus grand nombre une offre plus large de programmes assortie de catch up TV, de « push VOD » (sur disque dur numérique), de radio et de services interactifs. Mais avant d’en arriver là, le top départ fut donné en France dès mars 2005 dans quelques villes, après avoir été plusieurs fois retardé en raison de difficultés tant politiques que techniques. Ce fut dès
lors une lente montée en puissance, que les ricanements des premiers temps peinèrent
à perturber.

« La TNT 2.0 multiplie les chaînes assorties de catch up TV, de ‘’push VOD’’ (sur disque dur numérique), de radio et de services interactifs »

Il est vrai que les grilles de programmes des premières années n’étaient souvent que
des alibis permettant d’occuper la lucarne en attendant des jours meilleurs. Tout cela est bien loin : aujourd’hui près du tiers des ménages français reçoit encore la télévision via ce réseau. La TNT gratuite et universelle a ainsi enrayé le déclin de la télévision terrestre qui, avant 2005, connaissait une migration chronique de ses abonnés payants vers d’autres canaux de réception. Ainsi trois des principales offres payantes proposées au Royaume-Uni, en Italie et en Espagne avaient disparu entre 2002 et 2005. Dans le même temps,
les abonnés de Canal+ France, première chaîne analogique payante en Europe, avaient migré vers d’autres modes de réception. Depuis lors, avec la numérisation des réseaux et l’amélioration de l’offre, la télévision terrestre a reconquis des téléspectateurs (+ 1,2 million de foyers abonnés entre 2008 et 2011). Cette diversité nouvelle est d’autant plus frappante que les offres de télévision à péage se multiplient sur la TNT : Boxer dans les pays scandinaves, Top Up TV au Royaume-Uni, ou encore les offres à la demande ou prépayées en Italie pour des matches de football accessibles sur la TNT. La France, elle, devint dès 2011 le premier pays européen en nombre d’abonnés à une offre de télévision terrestre (1,8 million de foyers en France en 2011). Et ce, principalement grâce à l’offre
de Canal+ qui propose un abonnement à sa chaîne premium sous forme d’un bouquet
de cinq chaînes et distribue par ailleurs une offre de TNT payante.
L’extinction du signal analogique, qui eut lieu fin 2011 pour la France, a maintenu une croissance du nombre de foyers regardant la télévision via la TNT (plus de 9 millions de foyers). Un attrait régulièrement renouvelé par une offre sans cesse enrichie : en 2012, six nouvelles chaînes vinrent s’additionner aux 19 gratuites existantes, sans compter
une grosse vingtaine de chaînes locales. En 2015, ce fut le basculement de l’ensemble des chaînes de la TNT au format MPEG4, puis aujourd’hui à la norme DVB-T2. Ces chaînes se regardent en HD et, pour certaines, en 3D grâce aux nouveaux téléviseurs, mais ce sont surtout les services multi-écrans qui ont chamboulé le rapport des téléspectateurs aux chaînes. Des startup étonnantes ont su réinventer la TV connectée : la Boxee Box, par exemple, a eu un grand succès à New York en permettant de porter
les vidéos et programmes TV du Web sur le téléviseur aux côtés des chaînes gratuites
de la TNT.
La TNT, en se retournant sur le chemin parcouru depuis son lancement, pourrait bien s’écrier à l’adresse de ses rapides concurrents : « Eh bien ! N’avais-je pas raison ?
De quoi vous sert votre vitesse ? ». @

Jean-Dominique Séval*
Prochaine chronique « 2020 » : Satellite, les nouveaux FAI
* Directeur général adjoint du DigiWorld Institute by IDATE.
Sur le même thème, l’institut a publié son étude
« Le marché mondial de la télévision :
marchés et prévisions 2016 », par Florence Le Borgne

La fibre pourrait accélérer le « contournement » des opérateurs télécoms, dissuadés d’investir

Les régulateurs (CSA, Arcep, Hadopi,) et le gouvernement (DGMIC, DGCIS, CNC) voudraient décourager les opérateurs télécoms d’investir massivement dans la fibre optique qu’ils ne s’y prendraient pas autrement : une étude sur le très haut débit semble les en dissuader !

« Les opérateurs pourraient en être réduits à de simples transporteurs de contenus, contournés (ou « désintermédiés ») par les services en accès direct (ou services ‘’over-the-top’’). Cette menace peut freiner les opérateurs dans leurs déploiements des réseaux très haut débit », met en garde l’étude de Analysys Mason, commanditée par l’Arcep (1), le CSA (2), l’Hadopi (3), le CNC (4), la DGMIC (5) et la DGCIS (6), lesquels ont « décidé de rendre public l’essentiel ».

21 Mds €: cela en vaut-il la chandelle ?
Or selon nos constatations, le libellé initial de l’étude tel que paru à l’époque au BOAMP (7), en octobre 2010, était : « les nouveaux usages et services sur les réseaux très haut débit et leur impact sur le modèle économique de la fibre » (8). Bien que reformulé
« étude sur le très haut débit : nouveaux services, nouveaux usages et leur effet sur la chaîne de la valeur », le déploiement de la fibre optique à domicile – qui a été chiffré par l’Arcep à 21 milliards d’ici à 2025 pour couvrir 100 % des foyers français, selon la décision de Nicolas Sarkozy (9) – est bien au coeur de cette étude finalisée en 2011.
« Au vu des forts investissements nécessaires pour le passage au très haut débit, le financement des réseaux par les opérateurs semble complexe dans un contexte d’évolutions significatives de la chaîne de valeur », souligne-t-on encore. D’autant que les nouveaux éditeurs de services audiovisuels et les fournisseurs de contenus Web sont, est-il rappelé, « globalement réticents à être impliqués dans le financement des réseaux, y compris très haut débit ». Les opérateurs de réseaux sont ainsi, avec les fournisseurs d’accès à Internet (FAI), les premiers à être directement « menacés » par des acteurs comme Google/YouTube, Yahoo, Apple/iTunes, Microsoft, Sony, Samsung, Netflix et bien d’autres nouveaux entrants dans la chaîne de valeur de la convergence – chez les acteurs du Web comme du côté des fabricants de terminaux/téléviseurs connectés (10).
« Le développement des modèles de services en accès direct et l’arrivée massive des téléviseurs connectables dans les foyers, créent une menace sur le revenu additionnel que les opérateurs pourraient générer avec le très haut débit », prévient l’étude du groupement de commande publique. Sans oublier la Xbox 360 (Microsoft), la PlayStation 3 (Sony) ou la Wii (Nintendo), qui sont aussi connectables dans le salon ! Au peu d’entrain des opérateurs à investir dans le FTTH (voir encadré) s’ajoute l’hésitation des foyers à s’abonner au FTTH : au 31 décembre 2011, seuls 200.000 foyers ont souscrit un abonnement à la fibre malgré une hausse de 70 % sur un an (voir indicateur p. 11), les 465.000 autres abonnés au très haut débit le sont par Numericable au câble coaxial limité. Surtout que la France dispose d’un réseau ADSL de bonne qualité et utilisé par 95 % des abonnés haut débit, près de 60 % d’entre eux recevant la télévision sur cette paire de cuivre (IPTV).
Et, en plus, comme le relève l’étude CSA-Arcep-Hadopi- DGMIC-DGCIS-CNC, « les offres très haut débit (…) n’amènent pas de services supplémentaires par rapport au haut débit. (…) Il ne semble pas qu’il existe pour l’instant d’apport fonctionnel du très haut débit au niveau des offres. (…) Il est donc possible pour un abonné [haut débit]
de disposer de la même gamme de services ». Résultat : « Au vu du nombre limité de services spécifiques au très haut débit, pour lesquels les utilisateurs sont actuellement prêts à payer, il est difficile d’estimer précisément les revenus incrémentaux du très haut débit permettant d’assurer le financement [de ces] réseaux ». Pire :
« L’accroissement des revenus complémentaires sur les services audiovisuels semble menacé par le risque de désintermédiation des FAI au profit des fournisseurs de services ‘’over-the-top’’ (risque plus fort encore en FTTH qu’en haut débit) ». La fibre optique n’apporte donc pas grand-chose de plus que le fil de cuivre ! L’étude rappelle en outre le reproche que font régulièrement Orange, SFR, Free ou Bouygues Telecom : « La réglementation en vigueur cherchant à éviter les monopoles locaux ne permet pas aux opérateurs qui déploient le très haut débit de profiter d’une prime au premier entrant, car il existe une obligation de donner accès au réseau terminal FTTH à ses concurrents ». @

Charles de Laubier

FOCUS

Fibre : quelques millions au lieu de plusieurs milliards

Très haut débit : la 4G va coiffer au poteau le FTTH

En fait. Le 1er mars s’est achevé à Barcelone le 17e congrès annuel mondial de
la téléphonie mobile, le Mobile World Congress, organisé sur quatre jours par la GSM Association. La téléphonie de quatrième génération – 4G – était à l’honneur. Les réseaux LTE seront-ils des concurrents pour le FTTH ?

En clair. Le très haut débit mobile (LTE) pourrait contrarier les projets de fibre optique
à domicile. Moins coûteux, car nécessitant moins de génie civil, les réseaux 4G sont
déjà au nombre d’une cinquantaine dans le monde, selon l’UMTS Forum et Wireless Intelligence. Et, selon le DigiWorld Institute (Idate), le nombre d’abonnés 4G va exploser à 830 millions d’ici à 2016 – contre plus de 5 millions aujourd’hui. Comparé au très haut débit optique (FTTH (1) en tête), il n’y a pas photo : le nombre d’abonnés FTTx dans le monde dépassera à peine les 200 millions d’ici à 2016 également (198 millions en 2015). Il y aura donc quatre fois plus d’abonnés FTTx que d’abonnés 4G ! Prenons l’opérateur américain Verizon, qui est à ce jour le numéro un mondial en termes d’abonnés LTE, loin devant le japonais NTT Docomo, le sud-coréen SK Telecom et les suédois TeliaSonera et Tele2. Or, Verizon est aussi un pionnier de l’investissement massif en FTTH et également le numéro un mondial dans ce très haut débit fixe. Que constate-t-on ? Que ses abonnés 4G sont en passe de rattraper et de dépasser le nombre d’abonnés FTTH. Il a fallu moins de deux ans au réseau très haut débit 4G de Verizon pour parvenir à constituer un parc de clients équivalent à celui de son réseau FTTH déployé il y a huit ans ! En effet, Verizon compte, au 31 décembre 2011, quelque 4,8 millions d’abonnés Internet très haut débit (2) (service fois) via la fibre optique à domicile déployé à partir de 2004. Par ailleurs, Verizon a lancé, en décembre 2010, son réseau mobile 4G – ou LTE (3) – avec le franco-américain Alcatel-Lucent comme principal fournisseur d’infrastructure (4). Un an après son lancement, la 4G de Verizon Wireless atteint déjà 4,4 millions d’abonnés à fin 2011,
si l’on en croit le « Wall Street Journal ». Autrement dit, 5% des 87,382 millions d’abonnés mobile de l’opérateur américain ont basculé vers la 4G en douze mois.
Le Mobile World Congress, où plus de 200 terminaux compatibles 4G ont été présentés cette année (smartphones, tablettes, combinés mobile-tablette (5), appareils M2M, …), promet un engouement pour la 4G et une explosion du trafic mobile mondial – lequel devrait être, selon l’Idate, multiplié par 33 à 127 Exabits en 2020, contre moins de 5 Exabits aujourd’hui ! Plus que sur la fibre, la monétisation des données devrait déboucher sur une « différenciation des tarifs » en fonction du débit 4G. @

Le siècle des lumières

La célèbre course du lièvre et de la tortue permet de décrire assez fidèlement celle qui a vu s’affronter, durant plus de trois décennies, la fibre optique à la paire de cuivre. Même
si, dans ce cas, nous n’en connaissons pas encore l’issue. Le réseau historique de cuivre, plutôt lent au départ, est toujours bien présent aujourd’hui. Qui eut pu prédire une telle longévité ? Il est vrai que la fibre a pris son temps : à la fin
de 2010, on ne comptait encore que 2% d’abonnés FTTH (Fiber-To-The- Home) en France. La paire de cuivre est, quant à elle, apparue à la fin du XIXe siècle quand il fallut remplacer le réseau existant
du télégraphe. On a même pensé un temps pouvoir faire l’économie de la construction d’un nouveau réseau, en tentant de faire passer les conversations téléphoniques sur
les fils métalliques du réseau télégraphique ! Mais on s’est rapidement rendu compte
que transmettre des communications téléphoniques nécessitait deux fils pour une même liaison. Il fallut donc se résigner à construire un réseau totalement nouveau. Mais à peine les premiers circuits interurbains installés, on dut, pour aller plus loin, lutter contre l’affaiblissement du signal en augmentant tout d’abord le diamètre des fils. Cela fut rapidement une limite, on y ajouta des répéteurs, innovation permise par l’extraordinaire invention des triodes au début du XXe siècle. Cette quête, poursuivie par tant de générations d’ingénieurs visant à faire reculer les limites de la paire de cuivre, ne s’est, dès lors, plus arrêtée.

« La fibre optique a mis du temps à décoller, notamment
en raison de la qualité du réseau de cuivre permettant aujourd’hui de tutoyer les 500 Mbit/s »

La plus étonnante bataille est sans doute celle qui a fait entrer l’antique réseau dans l’ère du numérique et d’Internet. Celà fut ensuite possible grâce aux travaux des équipes des laboratoires BellCore commencés en 1987 et de John Cioffi, professeur à Stanford, souvent présenté comme le père du DSL (Digital Subscriber Line). C’est pourtant en Europe que le lancement commercial eut lieu grâce aux efforts conjugués des équipes d’Alcatel et d’opérateurs qui lancèrent leurs premières offres commerciales : dès 1997 pour le suédois Telia, et en 1999 pour France Telecom. Pendant ce temps, l’Asie faisait
le choix de la fibre optique, comme un pari sur l’avenir, en se dotant de réseaux couvrant rapidement toute un Etat, comme le Japon et la Corée du Sud ou en se dotant d’équipementiers, leaders mondiaux dans leur catégorie, tels que les chinois Huawei
ou ZTE.
Aujourd’hui, un pays comme la France affiche un taux de pénétration du FTTH d’environ 50 %, car la demande a mis du temps à décoller malgré des tarifs attractifs dès le début. L’une des raisons tenait sans doute à la qualité du réseau de cuivre permettant de supporter les progrès croissants des performances du DSL. En 2011, Alcatel-Lucent lançait sur le marché une technologie aux prouesses annoncées en 2006 – la vectorisation VDSL2 – permettant des débits de 100 mégabits par seconde (Mbits/s). Cette limite a depuis encore été repoussée pour venir tutoyer aujourd’hui les 500 Mbits/s. Cela n’a cependant pas remis en cause la complémentarité de ces deux technologies, notamment en raison des qualités intrinsèques de la fibre, en mesure de délivrer un débit garanti quelle que soit la distance. Si, en théorie, cet éventail de possibilités est un atout et permet de graduer la montée en puissance de réseaux en optimisant les investissements et les stratégies des différents opérateurs, cela a jeté un certain trouble dans les débats entre « pour » et « contre » la fibre. Les économistes s’affrontent par exemple sur l’opportunité de monter ou baisser le prix du dégroupage de la boucle locale de cuivre pour accélérer ou non le saut technologique vers le VDSL3. Tandis que certains pays comme l’Australie ont rattrapé le Japon et la Corée du Sud avec plus de 90 % de la population raccordable à 100 Mbits/s.
Couvrir l’Europe en fibre optique se révèle être encore un très grand et long chantier. L’âge du cuivre ne laisse que progressivement la place au siècle des lumières. Le
« De quoi vous sert votre vitesse ? », demandé par la tortue au lièvre de la fable de
La Fontaine, pourrait être repris par le cuivre qui ajouterait sans doute « … si vous
n’êtes pas raccordé ! ». @

Jean-Dominique Séval*
Prochaine chronique « 2020 » : TNT versus IPTV
* Directeur général adjoint de l’IDATE.
Sur le même thème, « Enquête Très Haut Débit :
Comprendre les mécanismes de migration des abonnés
Grand Public », par Valérie Chaillou et Anne Causse