Feuille de route : et le dividende numérique alors ?

En fait. Le 28 février, le Premier ministre Jean-Marc Ayrault a présidé le séminaire gouvernemental sur le numérique et y a présenté « la feuille de route numérique » : 20 milliards d’euros sont prévus pour couvrir 100 % de la France en très haut débit d’ici à 2022 et « très majoritairement en [FTTH] ».

En clair. A force de privilégier le très haut débit fixe en général et la fibre optique jusqu’à l’abonné en particulier, autrement dit le FTTH (Fiber-To-The-Home) que le Premier ministre veut « très majoritaire d’ici à dix ans », le gouvernement a fait l’impasse sur le très haut débit mobile (4G) et sur les futures fréquences du nouveau dividende numérique. Un comble pour une « feuille de route numérique » censée « doter la France des infrastructures du XXIe siècle » au cours de la prochaine décennie !
Ce dividende numérique concerne en France la bande des 700 Mhz qui est libérée par la télévision passée au tout-numérique. C’est ce spectre qui permettrait de faire du très haut débit hertzien et qui suscite une rivalité entre les deux secteurs prétendants : l’audiovisuel et les télécoms. Le silence du gouvernement sur ces ressources spectrales est d’autant plus surprenant que les décisions internationales doivent être prises dès 2015 lors de
la prochaine Conférence mondiale des radiocommunications (CMR). Pour la France l’Agence nationale des fréquences (AFNR) organise à cet effet une conférence
« Spectre et Innovation » les 26 et 27 juin prochains.
Comme l’espéraient les députées Corinne Erhel (PS) et Laure de La Raudière (UMP),
« le séminaire gouvernemental sur le numérique [aurait dû] être certainement l’occasion pour le gouvernement de préciser sa position à ce sujet » (1). Il n’en fut rien. La feuille de route se contente de dire que « le développement des usages numériques sur les réseaux hertziens (mobile, TNT, etc.) soulève des enjeux industriels importants quant à la bonne utilisation de la ressource en fréquences, qui souffre aujourd’hui d’un trop grand cloisonnement entre les domaines d’utilisation du spectre ».
Il y a pourtant urgence si la France ne veut pas que le bras de fer entre l’audiovisuel et
les télécoms, voulant chacun profiter de ce nouveau dividende numérique, ne tourne à l’affrontement ! Les opérateurs mobile veulent les 700 Mhz que la précédente CMR de 2012 leur a accordés a priori pour faire face à l’explosion de l’Internet mobile et de la vidéo HD sur les réseaux 3G et 4G menacés de saturation. Les chaînes de télévision, elles, comptent bien sur la CMR de 2015 pour que la décision finale leur permette de garder cette bande pour généraliser la haute définition et l’introduction à l’ultra haute définition (UHDTV) ou 4K (2). @

La feuille de route du gouvernement pour le très haut débit : le plan de la dernière chance

Pendant que le chef de l’Etat parlait le 20 février d’« ambition numérique de la France », le Premier ministre fixait à 20 milliards d’euros l’objectif de « connecter 100 % des foyers au très haut débit d’ici 10 ans ». La feuille de route numérique accélèrera-t-elle le déploiement de la fibre ?

Par Katia Duhamel, avocat, cabinet Bird & Bird

Les ministres Fleur Pellerin (Economie numérique) et Cécile Duflot (Egalité des territoires) ont réuni le 13 février 2013 les acteurs concernés (industriels, opérateurs, associations d’élus locaux et parlementaires, …) en prévision de la présentation de la feuille de route numérique définitive du gouvernement
le 28 février. Si les acteurs privés se font peu entendre, les représentants des collectivités ont d’ores et déjà largement commenté les propositions gouvernementales intitulées
« Stratégie nationale de déploiement du très haut débit ». L’accueil, généralement favorable, reste teinté de prudence. Car si les objectifs semblent clairs, les modalités de mise en oeuvre doivent être largement précisées.

Une feuille de route numérique sans contraintes ?

La ministre déléguée en charge notamment de l’Economie numérique, Fleur Pellerin, a été auditionnée au Sénat le 11 décembre sur l’aménagement numérique du territoire. Elle a écarté toute sanction des opérateurs en cas de retard dans la fibre optique, provoquant le courroux du sénateur Hervé Maurey.

François Hollande a promis le très haut débit pour tous d'ici 2022.

La 4G pourra être substituable à la fibre optique

En fait. Le 29 novembre, SFR a été le premier opérateur mobile à lancer commercialement en France la 4G – à Lyon, après une avant-première au
DigiWorld Summit à Montpellier où le jour J est le 18 décembre. Marseille, Strasbourg, Lille et Toulouse suivront début 2013. La 4G est-elle substituable
à la fibre ?

En clair. Interrogé par Edition Multimédi@ à la fin de son intervention au DigiWorld
Summit de Montpellier le 15 novembre dernier, Jean-Ludovic Silicani, président de
l’Arcep, a répondu que « dans le très haut débit, la 4G et le FTTH ne sont pas substituables car, contrairement à la fibre optique, les réseaux mobiles ont des débits montants et descendants très dissymétriques ». Mais il nuance son propos en précisant que « dans les zones non denses, la 4G pourrait permettre d’accéder au très haut débit en attendant l’arrivée de la fibre ». Les pouvoirs publics ont en effet accordé à la fibre optique une priorité pour atteindre, selon la volonté de François Hollande, 100 % de
la population couverte en très haut débit d’ici 10 ans – quitte à envisager à terme l’extinction à de la paire de cuivre ADSL (1). Mais cela a un prix : 25 à 30 milliards d’euros pour du FTTB et/ou FTTB (2) dans toute la France, alors que la 4G s’avère
bien moins coûteuse.
De plus, les autorisations 4G prévoit une obligation de couverture que l’on ne retrouve pas dans la fibre optique, à savoir : l’obligation de couvrir une « zone prioritaire » peu dense (18 % de la population mais plus de 60 % de la surface du territoire) aussi vite que les zones urbaines rentables, avec la possibilité de mutualisation des infrastructures 4G. Bref, grâce à l’utilisation de ses fréquences 4G (2,6 Ghz attribuées à Orange, SFR, Bouygues et Free en octobre 2011 et 800 Mhz « en or » à Orange, SFR et Bouygues mais pas Free en décembre 2011), l’Etat a pu imposer des obligations de couverture.
Ce qui n’est pas le cas pour la fibre optique. Résultat : le mobile très haut débit pourrait
se retrouver rapidement avec bien plus d’abonnés que n’en a le très haut débit fixe (3) avec ses 1,49 million d’abonnés (à partir de 30 Mbits/s), dont seulement 270.000 en FTTH. D’autant que SEF à Lyon a vanté les services offerts par la 4G : « Vidéo HD, visionnage de la TV, jeux en ligne, appels vidéo, ou cloud ». Orange, qui a déjà ouvert à Marseille l’été dernier à ses salariés et entreprises clientes, prévoit un lancement grand public en février 2013. Bouygues Telecom, qui a saisi l’Arcep pour pouvoir exploiter la
4G sur ses fréquences 1.800 Mhz, a choisi Lyon cet été comme ville-pilote en vue d’un lancement commercial d’ici début 2013. Free Mobile, qui lorgne aussi sur les 1.800 Mhz, aimerait étendre à la 4G son accord d’itinérance 2G/3G avec Orange. @

Fil de cuivre : chronique d’une mise à mort… en 2025 ?

En fait. Le 23 octobre, le président de l’opérateur télécoms Nerim, Cyril de Metz, nous a indiqué que France Télécom lui a confirmé par écrit – le 10 octobre – que le VDSL2 ne sera lancé qu’au « troisième trimestre 2013 ». L’opérateur historique est-il juge et partie, ou est-ce le régulateur qui décide in fine ?

En clair. L’ADSL a beau être une success story à la française et le VDSL promis en théorie à un bel avenir, la paire de cuivre téléphonique – 95,2 % des accès haut débit –
est pourtant condamnée à mort. Son crime ? Le fil de cuivre ne ferait pas le poids face
à la fibre optique. Ses bourreaux ? Les pouvoirs publics et l’opérateur historique. « En décidant de tester la fermeture du réseau cuivre dans cette ville [Palaiseau] à partir de 2013, Orange porte pleinement cette nouvelle ambition (…) de passer à une phase et
à un nouveau rythme de déploiement de la fibre », a déclaré Fleur Pellerin, ministre déléguée chargée des PME, de l’Innovation et de l’Economie numérique, le 11 octobre dans cette ville de l’Essonne. Si le gouvernement – assumant « un certain dirigisme » (sic) en faveur de la fibre – n’a pas fixé de date butoir de basculement de l’ADSL (21,5 millions d’abonnés à ce jour) au FTTH (245.000 abonnés…), cela ne saurait tarder, comme ce fut le cas pour l’extinction au 30 novembre 2011 de la diffusion analogique des chaînes de télévision. C’est ce que préconise le sénateur Hervé Maurey. Débranchera-t-on le fil de cuivre en 2025 comme le prévoit implicitement la circulaire Fillon publiée au JORF du 17 août 2011 ? « Sans que cette révolution ne prenne
15 (…) ans », a déjà prévenu Fleur Pellerin. Du coup, le VDSL (1) attendra : le 13 septembre lorsque le président de l’Arcep, Jean-Ludovic Silicani déclare lors du colloque RuraliTIC : « L ‘Arcep a confié, depuis 2002, à un comité d’experts indépendants, présidé par une personne à la compétence et à l’impartialité reconnue [Catherine Mancini, directrice chez Alcatel-Lucent, premier équipementier de France Télécom, ndlr], le soin d’émettre des avis ».
Le 9 juillet, lors des 6e Assises du Très haut débit, le président de l’Arcep assurait à
EM@ que « ce comité d’experts pour les boucles locales cuivre et fibre optique rendra son avis favorable à l’automne ». Ce que nous confirmait Catherine Mancini (2). Or, coup de théâtre à la rentrée : « Ces travaux seront conclus début 2013. Cette étape franchie, et sous réserve que l’avis du comité soit positif, France Télécom disposera alors d’un délai de 6 mois pour autoriser l’utilisation de cette nouvelle technologie par les opérateurs dégroupeurs. Le rendez-vous est donc au début de l’automne 2013 »,
a annoncé Jean- Ludovic Silicani à RuraliTIC. La messe est dite. @