Altice et SFR : de pire empire pour Patrick Drahi

En fait. Les 18 et 19 septembre, et d’après l’agence Bloomberg, certains créanciers ont proposé de « régler » les 24,4 milliards de d’euros de dette d’Altice France avec possible perte de contrôle de Patrick Drahi, et certains autres se demandent s’ils ne devraient pas négocier directement avec SFR en difficulté.

En clair. C’est la panique chez les créanciers d’Altice France, filiale française du groupe Altice et maison mère de SFR, endettée à hauteur de 24,4 milliards d’euros. Ce qui représente près de la moitié des plus de 50 milliards d’euros de dettes cumulées du milliardaire israélo-palestinien Patrick Drahi, alors que les taux d’intérêt ont augmenté et que le contexte économique international est plus qu’incertain. A cela s’est ajouté l’effet dévastateur auprès des créanciers et des investisseurs de l’affaire « Pereira », qui, déclenchée par sa filiale portugaise il y a un an, a secoué tout l’empire Drahi, sur fond de corruption, de blanchiment d’argent et de fraude fiscale (1). De plus, SFR a dû céder en 2023 à Free, et pour la première fois, sa deuxième place sur le marché français, et continue encore aujourd’hui à perdre des abonnés.
Au printemps dernier, Altice avait indiqué vouloir passer l’endettement « bien en dessous » de 4 fois son excédent brut d’exploitation (Ebitda), contre 6 fois actuellement. Depuis, Altice France a finalisé l’été dernier (2) – pour 1,55 milliard d’euros – la vente de BFMTV et de RMC au groupe maritime CMA CGM du milliardaire Rodolphe Saadé. Puis, début août, la filiale française Teads, spécialisée dans la publicité en ligne, a été vendue pour environ 1 milliard d’euros à la société israélienne Outbrain (3). Les 49 % du capital que détient SFR dans La Poste Mobile (aux côtés des 51 % du groupe public postal décidé à les vendre à Bouygues Telecom) pourraient être aussi cédés. Quant à la participation d’Altice France dans XpFibre (ex-SFR FTTH), à 50,01 %, elle pourrait rapporter 4 milliards d’euros, comme Patrick Drahi l’estime, ou seulement 3 milliards, selon les acheteurs potentiels que sont KKR et GIP (4).
Les prochaines échéances de remboursement pour Altice France approchent : 380,7 millions d’euros à payer le 15 janvier 2025 et 328,6 millions d’euros le 15 février, d’après l’agence Bloomberg. Les créanciers concernés veulent la totalité de leur argent – sans décotes, contrairement à ce que leur demande Patrick Drahi. Le 17 septembre, Altice France a reçu une lettre de créanciers proposant de « régler » les 24,4 milliards d’euros de dette contre des obligations convertibles en action, ce qui ferait perdre le contrôle à Patrick Drahi (5). Des créanciers demandent même une scission d’Altice France (6) pour pouvoir négocier directement avec SFR. @

Le secrétariat d’Etat au Numérique s’en va de Bercy

En fait. Le 21 septembre, Clara Chappaz a été nommée « secrétaire d’Etat chargée de l’Intelligence artificielle et du Numérique », dont la fonction passe pour la première fois du ministère de l’Economie au ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche. C’est le signe que l’innovation passe devant le business.

En clair. Depuis plus de quinze ans qu’il y a des « secrétaires d’Etat au Numérique » dans les gouvernements français successifs, les deux premiers – Eric Besson (mars 2008-janvier 2009) et Nathalie Kosciusko-Morizet (janvier 2009-novembre 2010) – l’ont été auprès du Premier ministre de l’époque. Mais il n’en a pas été de même pour les quatre « secrétaires d’Etat au Numérique » suivants – Eric Besson encore (novembre 2010- mai 2012), Fleur Pellerin (mai 2012-mars 2014), Axelle Lemaire (avril 2014-février 2017) et Christophe Sirugue (février 2017-mai 2017) – qui se sont retrouvés placés sous la houlette du ministère de l’Economie (Bercy).
Le « secrétaire d’Etat au Numérique » suivant, Mounir Mahjoubi (1), a rompu cette série « Bercy » en étant nommé à cette fonction mais replacée dans les services du Premier ministre (Matignon). Mais cela ne durera pas plus de dix-sept mois (mai 2017-octobre 2018) puisqu’à l’issue d’un remaniement, sa fonction rendra à nouveau compte à Bercy (octobre 2018-mars 2019). Les trois successeurs resteront rattachés à Bercy : Cédric O (mars 2019-juillet 2020 (2), excepté juillet 2020-mai 2022 sous la coupe du ministre de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales), Jean-Noël Barrot (juillet 2022-janvier 2024), Marina Ferrari (février 2024-septembre 2024 (3)). A noter que durant près de deux mois (mai 2022-juillet 2022), soit entre l’élection présidentielle et les élections législatives, le poste est resté vacant.
Avec la nouvelle recrue, 10e du nom à ce poste, Clara Chappaz nommée le 21 septembre 2024 « secrétaire d’Etat chargée de l’Intelligence artificielle et du Numérique » (4), il n’est plus question ni de Matignon ni de Bercy. Pour la première fois, le maroquin est rattaché au ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. La dernière fois que celui-ci a eu des technologies dans son périmètre, ce fut il y a plus de 20 ans avec Claudie Haigneré (juin 2002-mars 2004) mais en tant que ministre déléguée à la Recherche et aux Nouvelles technologies. En outre, avec Clara Chappaz (ex-La French Tech, mission relevant de Bercy), le Numérique passe derrière l’Intelligence artificielle dans le libellé de sa fonction. Le gouvernement montre ainsi sa priorité sur l’IA dans l’innovation et la recherche, à défaut d’être encore pleinement un business, contrairement au numérique qui l’est depuis longtemps. @

Comment un ex-informaticien de Tsahal est devenu le roi européen du streaming sportif avec DAZN

Il a été ingénieur informaticien dans l’armée israélienne Tsahal dans les années 90 ; il est depuis janvier 2022 PDG du groupe DAZN. L’Israélien Shay Segev dirige la première plateforme européenne de streaming sportif et poursuit son expansion mondiale pour être le « Netflix du sport ».

« De 1994 à 1998, Segev a travaillé comme ingénieur informatique dans les forces de défense israéliennes », à savoir Tsahal, indique la fiche Wikipedia le concernant (1). Cependant, la fiche LinkedIn de Shay Segev (photo) ne fait pas, elle, référence à ce passé dans l’armée d’Israël, juste avant qu’il ne décroche en 2001 un diplôme en informatique (2) à l’université de Tel Aviv (3). Son parcours professionnel, débuté en Israël (Tsahal, Comverse Technology, Mercury Interactive), l’amènera à partir de 2006 en Estonie, à Londres et à Gibraltar (Videobet, Playtech, Coral, Entain) dans le domaine des jeux d’argent et de hasard en ligne.

DAZN devance Bein Sports et Canal+
Mais c’est en juin 2021 que sa carrière change, lorsque Shay Segev entre chez DAZN – prononcez « Da Zone » – en tant que co-PDG aux côtés de James Rushton, cofondateur de ce groupe britannique de diffusion en streaming d’événements sportifs. Ce dernier, considéré comme un vétéran de l’industrie du sport depuis plus d’un quart de siècle, a passé presque toute sa carrière dans la société londonienne Perform Group à l’origine de DAZN. Après avoir innové dans la diffusion en ligne avec ePlayer proposant de la VOD sportive premium, James Rushton met sur pied en 2015 avec Simon Denyer et d’autres cadres – « frustrés par le status quo » dans la diffusion sportive – la plateforme DAZN « pour les amateurs de sport du monde entier » (4). En 2016, après avoir installé ses premiers bureaux, à Tokyo et à Munich, Perform Group ouvre le service OTT (Over-The-Top) sportif DAZN, d’abord en Allemagne, en Suisse, en Autriche et au Japon. L’offre sportive se concentre sur le football : la Premier League (britannique), la J League (japonaise) pour un contrat de 10 ans, et LaLiga (espagnole). La NFL (football américain) et la NBA (basket américain) sont aussi au programme, rejoints par la boxe britannique. Le service DAZN est ensuite lancé en Italie (2018), en Espagne et au Brésil (2019). A partir de novembre 2020, il est accessible sur la PlayStation 5 de Sony, puis massivement sur les smartphones grâce à des accords avec des opérateurs mobiles à partir de mars 2021.

Telegram est coincé entre la France et la Belgique

En fait. Le 28 août, Pavel Dourov, le patron fondateur de la messagerie-réseau social Telegram a été mis en examen et placé sous contrôle judiciaire avec interdiction de quitter le territoire français. Il est accusé au pénal de « complicité » pour les contenus criminels véhiculés sur sa plateforme mondiale.

En clair. « L’arrestation du président de Telegram sur le territoire français a eu lieu dans le cadre d’une enquête judiciaire en cours. Ce n’est en rien une décision politique. Il revient aux juges de statuer », a tenu à justifier Emmanuel Macron, président de la République, sur X le 26 août (1). Le Franco-Russe Pavel Durov, président fondateur de la messagerie cryptée Telegram – également réseau social aux près de 1 milliard d’utilisateurs dans le monde – a d’ailleurs été naturalisé français par décret du 23 août 2021 (2) – avec l’aval de l’Elysée.
Pourtant, le jeune milliardaire (39 ans), né à Léningrad, vit à Dubaï (Emirats arabes unis) où il dispose du passeport de « riche investisseur étranger », et y a installé le siège de Telegram (3). Paul du Rove – après francisation en 2022 – n’aurait jamais imaginé être, trois ans plus tard, cueilli au Bourget par la police française aux frontières et déféré devant un juge d’instruction du crime organisé pour être mis en examen le 28 août. Son arrestation a pu se faire en raison d’un « mandat de recherche » qui avait déjà été émis contre lui par un service d’enquête de la police nationale chargé de lutter contre les infractions criminelles. La justice française l’accuse de ne pas supprimer sur Telegram des contenus pédocriminels et d’autres illicites (trafic de stupéfiants, blanchiment d’argent, pratique de la violence, apologie du terrorisme, …), ni de suspendre des comptes. C’est donc une procédure au pénal en France, ce qui n’est pas du ressort du Digital Services Act (DSA). Pavel Durov (4) est réputé libertarien, défendeur à tout prix de la liberté individuelle contre toute censure ou restriction. Pénalement, il est considéré comme « complice » des contenus criminels circulant sur sa messagerie cryptée.

La concurrence mondiale des constellations de satellites pour l’accès à Internet s’intensifie

Les opérateurs télécoms traditionnels font comme si les opérateurs de satellites pour l’accès à Internet n’étaient pas une menace à terme pour leurs offres fixes et mobiles. Or les constellations Starlink (SpaceX), Kuiper (Amazon) et OneWeb (Eutelsat) pourraient un jour les court-circuiter. Les constellations de satellites pour des accès haut débit à Internet montent en puissance dans l’Hexagone. Starlink, créée et exploitée par la société SpaceX, est opérationnelle en France depuis mai 2021 et a fait l’objet jusqu’à ce jour de dixhuit décisions de l’Arcep (1). OneWeb, du groupe indobritannique intégré au français Eutelsat, a été officiellement lancée en France en février 2023 et compte cinq décisions de l’Arcep (2). Quant à Kuiper du groupe Amazon, elle a obtenu le 20 juin de la part de l’Arcep six décisions autorisant Amazon Kuiper France à opérer sur l’Hexagone (3). Orbite basse et haut débit Ce dernier nouvel entrant satellitaire en date en France, Kuiper, fourbit ses armes avant de tester à grande échelle son service au quatrième trimestre 2024, puis de commercialiser les accès à Internet par satellites en 2025. « Nous prévoyons d’expédier cet été nos premiers satellites de production terminés, et nous visons notre première mission Kuiper à grande échelle pour le “Q4” à bord d’une fusée Atlas V de l’ULA [United Launch Alliance, ndlr]. Nous continuerons d’augmenter nos taux de production et de déploiement de satellites d’ici 2025, et nous demeurons sur la bonne voie pour commencer à offrir des services aux clients l’année prochaine », a indiqué le 27 juin sa maison mère Amazon. L’objectif de la firme de Jeff Bezos : « Connecter des dizaines de millions de clients à travers le monde » (4). Dans sa lettre aux actionnaires datée du 11 avril 2024, Andy Jassy, le directeur général d’Amazon a précisé son marché potentiel : « Kuiper […] vise à fournir une connectivité haut débit aux 400 à 500 millions de ménages qui ne l’ont pas aujourd’hui, ainsi qu’aux gouvernements et aux entreprises qui recherchent une meilleure connectivité et une meilleure performance dans les zones les plus reculées » (5). Kuiper prévoit de déployer dans un premier temps les 3.236 satellites en orbite basse (LEO) que la FCC (6) a autorisés en juillet 2020 (7). Quelque 7.774 satellites supplémentaires sont en attente d’une autorisation, ce qui ferait à terme de Kuiper la plus grande constellation occidentale avec un total de 11.010 satellites. La plupart décolleront de la base spatiale de Kennedy en Floride, puis d’autres de la base de Kourou en Guyane française. Pour le géant du e-commerce diversifié, cela représente un investissement de plus de 10 milliards de dollars. La production et les autorisations réglementaires ont cependant pris plus de temps que prévu. Kuiper de Jeff Bezos (photo de gauche) s’annonce comme le plus grand rival de Starlink de Elon Musk (photo de droite). Avec déjà plus de 3 millions de clients dans le monde, dont entre 10.000 et 20.000 en France, Starlink a pris une longueur d’avance dans cette « guerre des étoiles ». En France, l’accès à Internet haut débit est proposé depuis 2021 à 40 euros par mois (50 euros pour les entreprises) avec en plus la location du matériel Starlink à 10 euros par mois – à moins de l’acheter pour 249 euros (8). Le débit descendant est de 40 à plus de 220 Mbits/s et le débit montant est de 8 à plus de 25 Mbits/s, avec un temps de latence de 20 à 60 millisecondes (ms). Starlink Internet Services Limited est l’opérateur en Europe, basé à Dublin en Irlande. En France, Bouygues Telecom a annoncé le 9 juillet dernier qu’il devenait un « revendeur officiel de Starlink » pour le marché des entreprises, « leur permettant ainsi de bénéficier du très haut débit, en plus de la fibre optique, notamment dans le cadre du décommissionnement du réseau cuivre » (9). Mais il faudra y mettre le prix. De son côté, OneWeb – qui a fusionné en 2023 avec Eutelsat pour donner naissance à Eutelsat Group (10) – a pris du retard par rapport au calendrier initial des déploiements d’infrastructures au sol. En plus de sa flotte de 36 satellites géostationnaires (GEO), le nouvel ensemble franco-indobritannique opère OneWeb et sa constellation en orbite basse (LEO) composée de plus de 600 satellites. D’après Eva Berneke, directrice générale d’Eutelsat Group, OneWeb connaît maintenant « une dynamique commerciale forte ». Mi-2024, un accord de 500 millions de dollars sur sept ans est entré en vigueur avec Intelsat qui vend des accès OneWeb en plus de ses capacités géostationnaires (GEO). La Chine arrive et l’Europe a son Iris2 Selon le cabinet d’études Grand View Research, le marché mondial de l’accès à Internet par satellite devrait atteindre 14 milliards de dollars en 2030. La Chine et l’Europe ne veulent pas être à la traîne : l’Empire du Milieu a plusieurs flèches à son arc spatial, avec de prochaines constellations (Honghu-3 à 10.000 satellites, Guowang à 13.000, ou encore Casic à 300 satellites) ; l’Union européenne, elle, mise sur Iris2 qui devrait proposer en 2027 un accès Internet sécurisé (11), si les retards ne s’accumulent pas pour le consortium SpaceRise (12). @

Charles de Laubier