Bernard Miyet, Sacem : « Les fournisseurs d’accès à Internet devraient verser une compensation »

Alors que, le 10 février, la commissaire européenne Neelie Kroes prendra en charge le Numérique, Bernard Miyet, président du directoire de la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (Sacem) explique à Edition Multimédi@ les nouveaux enjeux musicaux face à Internet.

Propos recueillis par Charles de Laubier

Edition Multimédi@ : La musique a été la première industrie culturelle a être confrontée au piratage sur Internet.
A combien évaluez- vous les pertes subies l’an dernier en France ? Les autres industries culturelles doivent-elles s’inquiéter ?
Bernard Miyet :
Pour 2009, les pertes pour les droits d’auteurs s’élèvent à près de 80 millions d’euros sur le secteur de la musique enregistrée (phonogrammes). Nous estimons à 325 millions d’euros environ les pertes cumulées depuis 2003.
Le plus inquiétant pour nous reste que le marché légal de la musique en ligne ne décolle pas, et ne rapporte pratiquement rien aux auteurs, compositeurs et éditeurs
de musique : 6,5 millions d’euros seulement de droits d’auteur perçus en 2009 pour
la musique sur Internet et pour la téléphonie mobile. Cela représente moins de 1 %
des perceptions totales de la Sacem. Il est donc très clair que les revenus générés ne reflètent pas les usages des internautes. Contrairement à la musique qui a « essuyé
les plâtres », je pense que les autres industries culturelles bénéficieront (et bénéficient déjà) de la prise de conscience des pouvoirs publics et notamment de soutiens financiers pour leur permettre de passer le cap difficile de la transition économique. L’édition du livre, dont Internet représente 0,1 % du chiffre d’affaires cette année en France, est pourtant largement mise en avant dans le rapport Zelnik. La presse et les médias ont également reçu des soutiens financiers des pouvoirs publics. Le cinéma adapte sa chronologie des médias – mais est-ce que cela sera suffisant ? – et bénéficie d’une taxe Cosip [Compte de soutien aux industries de programmes, ndlr] prélevée
sur les fournisseurs d’accès à Internet [FAI]… Or, à ce jour, seuls les auteurs et compositeurs de musique – pourtant les plus précaires d’entre les précaires – n’ont bénéficié d’aucune mesure de compensation ou de soutien de la part des pouvoirs publics. Est-ce juste et moral ?

Les Etats-Unis tentent de préserver la neutralité d’Internet

Après avoir reçu jusqu’au 14 janvier les contributions à sa consultation publique sur la neutralité des réseaux, la FCC va les étudier et demander d’éventuelles précisions jusqu’au 5 mars 2010. La décision qui en découlera aura des répercutions jusqu’en Europe.

Par Winston Maxwell, avocat associé, cabinet Hogan & Hartson.

Dans le cadre de sa « Notice of proposed rulemaking » du 22 octobre dernier (1), le régulateur fédéral américain, la FCC (2), soumet à consultation publique un projet de règlement sur la neutralité des réseaux. Ce projet prévoit six obligations qui pèseraient sur tout fournisseur d’accès à l’Internet haut débit (FAI). Selon les règles proposées, un FAI serait tenu de se conformer à
six principes.
A savoir : ne pas empêcher un utilisateur d’envoyer ou de recevoir via l’Internet les contenus licites de son choix ; ne pas empêcher un utilisateur d’utiliser les applications ou services licites de son choix ; ne pas empêcher un utilisateur de connecter et utiliser les équipements licites de son choix, à condition que ceux-ci n’endommagent pas le réseau ; ne pas priver l’utilisateur de la faculté de choisir entre plusieurs opérateurs de réseau, fournisseurs d’applications, de services ou de contenus ; traiter de manière non-discriminatoire les contenus, applications et services licites ; informer de manière transparente les utilisateurs et fournisseurs de contenus, d’applications ou de services des mesures de gestion de réseau appliquées par le FAI.

Exclusivités sur les réseaux : un sujet embarrassant pour tout le monde

Les conflits sur les exclusivités se sont accumulés ces derniers mois. L’exclusivité iPhone- Orange a été suspendue, tandis que le modèle de double exclusivité Orange-France Télévisions et Orange Sport a été autorisé. La mission Hagelsteen prémunira-t-elle contre d’autres litiges ?

Par Katia Duhamel, avocate, cabinet Bird & Bird

Bâtis sur le sacro-saint principe de l’interopérabilité et de la neutralité, les télécommunications étaient jusqu’à présent ouvertes vis-à-vis des contenus. A l’inverse les médias – soutenues par une réglementation qui cloisonne l’exploitation des œuvres dans le temps et selon leur support de diffusion (chronologie des médias) – ont construit un modèle d’accès discriminant permettant de financer la création des œuvres et dont la valeur réside largement dans des exclusivités de distribution. Ces pratiques se heurtent aujourd’hui à l’évolution des technologies qui permet une personnalisation et une nomadisation croissantes des modes de consommation, de plus en plus indépendants des terminaux et des plateformes (catch-up TV; vidéo à la demande; télévision mobile, etc.). Par ailleurs, la banalisation des flux de communication contraint les opérateurs télécoms à se différencier par les contenus offerts sur leurs réseaux, comme ils le font déjà en offrant des terminaux mobiles subventionnés, packagés dans leurs offres.

Time Warner-AOL est mort, vive la convergence !

En fait. Le 16 novembre, le groupe de médias Time Warner a annoncé que le spin-off de sa filiale Internet AOL interviendra le 9 décembre 2009. Les actionnaires de Time Warner recevront une action d’AOL pour chaque lot de 11 actions Time Warner détenue. Le lendemain, les actions d’AOL seront cotées à New York.

En clair. Dix ans après l’éclatement de la « bulle Internet », le groupe de médias et de cinéma américain Time Warner n’en finit pas de solder les comptes de sa mégafusion
en 2001 avec American On Line (AOL) qu’il avait racheté au prix fort à l’époque : plus
de 100 milliards de dollars ! Depuis cette acquisition, la plus importante dans l’histoire économique américaine, l’eau a coulé sous les ponts : la valorisation boursière d’AOL atteint aujourd’hui à peine 3,5 milliards… La filiale Internet devenue moribonde doit maintenant économiser 300 millions d’euros par an et supprimer jusqu’à 2.500 emplois (un tiers de ses effectifs). Time Warner revient de loin. Il avait fallu pourtant plus d’un an de bataille pour obtenir le feu vert – en janvier 2001 – des autorités antitrust américaines et européennes, lesquelles craignaient les risques d’abus de position dominante, et pour convaincre les associations de consommateurs américaines redoutant les conséquences de cette opération. AOL était le premier FAI américain avec 26 millions d’abonnés et Time Warner comptait 13 millions d’abonnés par câble. Sans parler des mises en garde des investisseurs à la suite de l’éclatement de la bulle Internet à l’automne 2000. Le patron de Time Warner, Gerald Levin (1), cédait alors sa place au PDG fondateur d’AOL, Steve Case, qui prenait ainsi la tête du nouvel ensemble – baptisé AOL Time Warner (2) –, tous les espoirs étant alors permis quant à la convergence numérique promise entre les tuyaux et les contenus. Time Warner, qui était déjà câblo-opérateur, détient le studio de cinéma Warner Bros., Warner Music, CNN, Time Magazine, Fortune, …), tandis qu’AOL le premier des fournisseur d’accès à Internet (FAI) aux Etats-Unis. A peine formé, AOL Time Warner annonçait en outre le 24 janvier 2000 le rachat du major du disque EMI pour 20 milliards de dollars. Mais Levin et Case y renoncèrent quelques mois après pour ne pas prendre le risque d’essuyer un refus des autorités antitrust pour leur méga fusion initiale. Mais lorsque le feu vert fut donné, le marché s’était déjà retourné. En 2002, la dépréciation de l’actif AOL fit plonger les comptes du groupe à près de… 100 milliards de dollars ! Et les résultats financiers du nouveau géant n’ont cessé de se dégrader depuis. @

L’après-Hadopi : le rôle des fournisseurs d’accès à l’Internet reste à clarifier

La loi « Hadopi » est relativement claire sur ce que les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) doivent faire. Mais elle l’est beaucoup moins sur ce qu’ils peuvent faire pour contribuer au développement de l’offre légale et à la lutte contre le piratage en ligne.

Par Winston Maxwell, avocat associé, cabinet Hogan & Hartson.

La loi « Création et Internet » donne plusieurs rôles bien définis aux fournisseurs d’accès à Internet (FAI). Ils (1) doivent communiquer à la Commission de protection des droits de l’Hadopi – Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet – l’identité de l’abonné dont l’adresse IP a été relevée par des agents assermentés du CNC, le Centre national du cinéma et de l’image animée, des sociétés de gestion collective ou des organismes de défense professionnelle.