La justice européenne s’oppose au filtrage généralisé du Net : l’Hadopi menacée ?

L’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne, daté du 24 novembre,
est à marquer d’une pierre blanche. C’est la première fois que la juridiction communautaire considère que demander à un FAI de généraliser le filtrage
sur son réseau est illégal. Une mise en garde pour certains.

Par Katia Duhamel, avocat, cabinet Bird & Bird

Le récent arrêt Scarlet réjouit (1) les partisans de l’Internet
libre qui le qualifie de décision historique et fondamentale pour les droits et liberté sur Internet. En effet, la Cour de justice de l’Union européenne a jugé que l’obligation de filtrer les communications électroniques imposée aux fournisseurs d’accès à Internet (FAI) est contraire au droit communautaire. En France, cet arrêt a suscité également l’euphorie chez les opposants de la loi Hadopi qui voient en lui un moyen d’obtenir son retrait. On peut cependant se demander si cette joie n’est pas prématurée.

Game over… pour l’industrie « off line » du jeu vidéo

En fait. Le 8 décembre, le Game Connection Europe a fermé ses portes après trois jours, à La Défense. C’est la première fois que Paris accueillait cet événement-phare de l’industrie du jeu vidéo qui, selon l’Idate, réalise 52,1 milliards d’euros de chiffre d’affaires au niveau mondial cette année.

En clair. L’industrie du jeu vidéo entre dans le « cloud gaming ». Les consoles de jeux connectées, les boutiques d’applications, les réseaux sociaux, les téléviseurs connectés, ainsi que les jeux dits massivement multi-joueurs (MMO) et les jeux virtuels sur de la réalité augmentée, sont en train de faire disparaître les jeux numériques sur supports physiques, tels que les CD ou les DVD. Le « cloud computing », qui permet aux utilisateurs de jouer à partir de n’importe quel terminal – ordinateur, smartphone, tablette, téléviseur, etc. – sans que le jeu n’ait à être enregistré préalablement sur leur propre disque dur ou sur un support de stockage local, pourrait leur donner le coup de grâce. L’un des pionniers du « cloud gaming » s’appelle OnLive, société américaine qui a lancé en juin 2010 son service de jeux à la demande – ce que l’on pourrait désigner par le GOD, comme il y a la VOD pour la vidéo à la demande. Seul un petit boîtier est nécessaire pour jouer sur le poste de télévision. Pas de disque optique, pas de téléchargement : rien que du streaming audiovisuel. Par exemple, l’utilisateur achète
un jeu à partir de son smartphone et obtient un unique compte utilisateur, qui lui donne le droit de joueur à ce jeu sur plusieurs de ses terminaux. C’est ce que Laurent Michaud, chef de projet et responsable du pôle « Loisirs numériques et électronique grand public » de l’Idate, appelle – notamment dans son rapport « Digital Home & Connectable Devices » de l’Idate (1) que Edition Multimédi@ s’est procuré – les « jeux vidéo ubiquitaires » (ou Ubiquitous Games).
En France, par exemple, la console de jeux connectée pourrait disputer à la box IPTV
des fournisseurs d’accès à Internet (FAI) – détenant plus de 90 % de parts de marché
de l’accès au haut débit et du triple play – sa position de leader dans le salon connecté.
« Les consoles continuent par ailleurs d’abriter d’autres contenus (musique, vidéo, navigation Web, TV), plus enclins à intéresser le reste de la famille. (…) Celles de Sony
et de Microsoft assument leurs ambitions dans le foyer numérique et participent à sa conquête à côté des set-top-box, des boxes IPTV, des disques durs multimédias, des lecteurs-enregistreurs vidéo et des téléviseurs connectés », explique Laurent Michaud (2). Reste le risque de piratage que l’Hadopi considère comme moins élevé comparé à
la musique ou aux films. @

Quatre ans après l’accord de l’Elysée, Nicolas Sarkozy s’impatiente sur le filtrage et le streaming

Depuis l’accord dit « de l’Elysée » du 23 novembre 2007, les FAI n’ont toujours
pas expérimenté le filtrage. Tandis que Nicolas Sarkozy menace le streaming
d’une « Hadopi 3 », le cinéma (APC, FNDF) et la vidéo (SEVN) demandent au
juge de bloquer quatre sites de streaming, comme l’a déjà fait Google.

« Il faut aller plus loin parce qu’il y a les sites de streaming (…).
Sur les sites de streaming, l’idéologie du partage, excusez-moi,
c’est l’idéologie de l’argent : je vole d’un côté et je vends de l’autre. Qu’on ne me demande pas de soutenir ça ; personne ne peut soutenir ça. (…) On m’a présenté comme fanatique d’Hadopi. L’Hadopi… Mais Hadopi c’est un moyen, c’est pas une fin. (…)
Et certains d’entre vous se sont inquiétés lorsque j’ai dit que j’étais prêt à Hadopi 3. Pourquoi, parce que, j’ai bien conscience que la technologie évolue. Ce qui compte dans notre esprit – à Frédéric [Mitterrand] comme à moi –, c’est de protéger les droits d’auteur : si la technologie nous permet une nouvelle évolution,
eh bien on adaptera la législation. Pourquoi en rester là ? A partir du moment où l’on respecte cette question du droit de propriété [intellectuelle] ». Ainsi s’est exprimé le 18 novembre le chef de l’Etat lors du Forum d’Avignon, lequel accueillait également – à sa demande – un sommet élargi (G8/G20) de la culture. Ainsi, quatre ans après l’« accord pour le développement et la protection des oeuvres et programmes culturels sur les nouveaux réseaux » – accord dit « de l’Elysée » ou « Olivennes », signé par les opérateurs télécoms, les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) et les ayants droits de
la musique, du cinéma et de l’audiovisuel –, Nicolas Sarkozy s’est dit prêt à une loi
« Hadopi 3 » pour combattre le streaming illégal.

Nouvelles chaînes de TNT et TV connectée : l’année 2012 va chambouler le PAF

Si le paysage audiovisuel français (PAF) a déjà été agité par l’abrogation des chaînes « bonus », l’année prochaine le sera encore plus avec l’arrivée de six nouvelles chaînes gratuites sur la TNT, connues au printemps, et la montée en puissance de la télévision connectée.

Par Christophe Clarenc (photo), associé, et Elsa Pinon, collaboratrice, August & Debouzy

Dans le cadre de la disparition de la télévision analogique au profit du basculement définitif vers la Télévision numérique terrestre (TNT) finalisé le 30 novembre dernier, six canaux avaient été promis aux chaînes historiques (TF1, M6 et Canal+) pour compenser la possible baisse d’audience due à l’arrivée de chaînes concurrentes (1). En 2008, les groupes NRJ, NextRadioTV, Bolloré et AB ont contesté devant la Commission européenne la validité de ces attributions.

VOD et exclusivités : Canal+ reste sous surveillance

En fait. Le 21 septembre, l’Autorité de la concurrence s’est surtout focalisée sur
la non mise à disposition immédiate de ses chaînes aux fournisseurs d’accès à Internet (FAI) qui le souhaitaient et sur la dégradation de TPS Star (cinéma et sports). Quand est-il de la VOD et des exclusivités ?

En clair. Le troisième des cinquante-neuf engagements que Canal+ a pris en 2006 devait donner un coup d’arrêt aux exclusivités des droits en matière de paiement à
la séance ou de vidéo à la demande (VOD). Il s’agissait de permettre à d’autres – fournisseurs d’accès à Internet (FAI) ou plateforme de VOD – de pouvoir diffuser les films américains récents notamment.
Or l’Autorité de la concurrence constate que là aussi Canal+ « a manqué à son engagement : en tardant à ouvrir les négociations avec plusieurs studios américains détenteurs de droits ; en les ouvrant sans les centrer explicitement sur la levée des exclusivités ; en reconduisant un contrat sans lever les exclusivités ». L’opération de concentration n’a donc pas favorisé l’accès des concurrents de Canal+ aux droits audiovisuels. Pourtant, les engagements étaient assortis d’un « encadrement de la
durée des contrats cadre » (1) conclus avec les grands studios américains et d’une
« interdiction de la conclusion de tels contrats avec les producteurs de films français ». Canal+, premier pourvoyeur de fonds du français, reste dans le collimateur de l’Autorité
de la concurrence. Dans sa décision du 16 novembre 2010, celle-ci a estimé qu’elle ne pouvait pas remettre en cause les exclusivités conclues par Canal+ avec TF1, M6 et Lagardère sur le satellite, la TNT et l’ADSL, malgré la plainte de France Télécom en 2008 notamment. Les sages de la rue de l’Echelle ont néanmoins gardé Canal+ sous surveillance pour toutes les exclusivités conclues postérieurement à 2006 : extension
des exclusivités à la fibre optique, à la télévision de rattrapage (catch up TV) et à « tout nouveau support de diffusion » (2).
L’instruction complémentaire continue, d’autant que la position dominante de Canal+ sur le marché français de la TV payante est de plus de 60 %. La filiale de Vivendi, qui va contester la décision du 21 septembre devant le Conseil d’Etat, estime que l’Autorité de la concurrence « ne prend absolument pas en compte l’univers nouveau qui résulte notamment de l’intervention massive sur le marché de la télévision des géants de l’Internet et des opérateurs télécoms » @