Neutralité du Net : aux « Arcep » européennes de dire

En fait. Le 18 juillet s’est achevée la consultation publique de l’Organe des régulateurs européens des communications électroniques (Orece, en anglais Berec) sur la neutralité de l’Internet afin de fixer d’ici au 30 août prochain des
« lignes directrices » de mise en oeuvre de ce principe fondamental.

Pourquoi Molotov.tv n’est pas (encore) le cocktail révolutionnaire qu’il prétend être pour la télé

Molotov.tv, le bouquet de chaînes en ligne lancé le 11 juillet dernier par Jean-David Blanc et Pierre Lescure, s’est offert une belle couverture médiatique.
Mais il reste à cette « télévision réinventée » à tenir ses promesses – comme
sur l’enregistrement numérique et la disponibilité multi-terminaux.

Bookmarks. Tel est le nom de la fonction d’enregistrement promise par le nouveau service en ligne lancé cet été par Jean-David Blanc (ex-fondateur d’Allociné), Pierre Lescure (ex- PDG de Canal+), Jean-Marc Denoual (ex-TF1) et Kevin Kuipers
(ex-Allociné). Molotov.tv en avait fait une fonctionnalité-phare, permettant aux internautes d’enregistrer dans un service de
cloud personnel les programmes de télévision de la grille qu’ils
ne pouvaient voir lors de leur passage à l’antenne. Contacté par Edition Multimédi@, Jean-David Blanc (photo) nous a assuré
que Bookmarks sera disponible « dans le courant de l’été ». Pourtant, le nouveau site de télé qui promettait d’« enregistrer en un clic » affirme que « cette fonctionnalité sera opérationnelle dès l’entrée en vigueur de la loi Création votée le 29 juin dernier » : l’indication était toujours affichée en juillet ! Or cette loi (1) a été promulguée au Journal Officiel le 8 juillet et… toujours rien chez Molotov. Les télénautes doivent encore patienter malgré la promesse séduisante : « D’un clic, “Bookmarkez” les programmes que vous aimez, et ils seront enregistrés. Retrouvez-les à chaque fois que vous vous connectez, disponibles pour vous aussi longtemps que vous le voulez. Impossible désormais de rater un épisode de votre série préférée ».

Toutes les chaînes de télévision ne signeront pas de convention avec Molotov
C’est que pour proposer en ligne un stockage audiovisuel à distance et pour un usage privé, la loi Création impose que le distributeur dispose d’« une convention conclue avec l’éditeur de ce service de radio ou de télévision » qui « définit préalablement les fonctionnalités de ce service de stockage ». C’est là que le bât blesse : toutes les chaînes ne sont pas disposées, loin s’en faut, à faire le grand saut dans le Cloud TV. TF1, M6 et Canal+ sont parmi les chaînes les plus méfiantes vis-à-vis de ce nouvel univers délinéarisé par un tiers, en particulier envers non seulement la fonction d’enregistrement numérique, mais aussi la mise à disposition de leurs programmes
en replay (rattrapage). Les dirigeants de Molotov.tv se sont finalement résolus à lancer leur service sans attendre que les négociations aboutissent avec certains éditeurs de chaînes encore hésitants, lesquelles pourront toujours par la suite saisir le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) de tout différend – ou casus belli – concernant la conclusion ou l’exécution de la convention en question.

« Amendement Lescure » et copie privée
« Molotov révolutionne la façon dont on accède à la télévision. Avec 35 chaînes dans sa version gratuite, et plus de 70 dans sa version étendue pour moins de 10 euros par mois, vous regarderez la télévision d’une façon radicalement nouvelle, intelligente, et intuitive », est-il expliqué. Mais pas de Canal+, malgré la « caution » Pierre Lescure (2), ni de BeIn Sport. Pas sûr que les négociations estivales aboutissent favorablement pour la rentrée de septembre. Bien avant Molotov, d’autres projets de ce type ont essuyé les plâtres face aux réticences des chaînes : Playtv.fr de Play Media (que France Télévisions a fait lourdement condamné en appel début 2016), Myskreen.com (liquidé en 2015), … Cette fois, s’agit-il d’un passage en force de la part de Molotov ? La fonction enregistrement de Molotov.tv partait pourtant dans de bonnes conditions réglementaires, puisque – grâce à un « amendement Lescure », du nom de l’ancien PDG de Canal+, aujourd’hui président du Festival de Cannes – la loi Création a prévu que la rémunération pour « copie privée » soit également versée par des services en ligne à usage privé de télévision (ou de radio) d’origine linéaire (3). Concoctée spécialement pour Molotov.tv, cette disposition de l’article 15 de la loi Création permet à l’entreprise cofondée par Pierre Lescure de profiter de l’exception au droit d’auteur au nom du droit de tout un chacun à la copie privée (dans un cercle restreint ou familial).

Autrement dit : Molotov.tv se contentera de payer à l’organisme Copie France la redevance, en contrepartie du droit de proposer à ses clients télénautes la fonction d’enregistrement de programmes TV dans leur cloud personnel, sans avoir besoin de négocier directement avec les ayants droits eux-mêmes – en l’occurrence les chaînes de la TNT. La société devra ainsi s’acquitter de la taxe « copie privée » en fonction non seulement du nombre d’utilisateurs de son service de stockage audiovisuel à distance, mais aussi des capacités de stockage mises à disposition de chacun. « Elle [la taxe “copie privée”] est intégrée dans nos coûts, de même que la bande passante, les serveurs, la clim, l’électricité, le chauffage, etc », nous précise Jean-David Blanc. Exemple : si le télénaute bénéficie de 500 Gigaoctets (Go) avec l’offre payante à 3,99 par mois (ou plus pour 9,99 euros), il en coûterait à Molotov.tv 45 euros à payer une bonne fois pour toute à Copie France. Mais force est de reconnaître que, pour l’heure, la commission « copie privée » chargée d’établir les barèmes des taxes applicables aux supports de stockages (DVD, clé USB, disque dur externe, smartphone, tablette, etc) n’a pas encore décidé ceux du cloud (la loi Création venant tout juste d’être promulguée). Mais tout incite Molotov à provisionner les sommes qui seront dues le moment venu, sachant que les 45 euros – assimilables actuellement aux « mémoires
et disques durs intégrés à un téléviseur, un enregistreur vidéo ou un décodeur TV/box (décodeurs et box exclusivement dédiés à l’enregistrement de programmes audiovisuels) » dans la nomenclature de la commission « copie privée » – pourront être amortis sur plusieurs années si l’abonné reste fidèle au service… De quoi lisser l’impact de la taxe « copie privée » pour ce service freemium. Molotov.tv brassera environ 20.000 programmes télé par mois, en live ou en replay : une sorte de « Netflix de la télévision », avec recommandation et personnalisation s’appuyant dans les coulisses sur des méta-données, des algorithmes, des cookies et des filtres de recherche. De quoi passer du zapping fastidieux à un zapping intelligent. Depuis son lancement le
11 juillet, Molotov.tv est une application téléchargeable à partir d’un ordinateur (PC
ou Mac), de la tablette iPad et de l’Apple TV – en attendant pour « bientôt » l’iPhone, Android de Google (pour smartphones et tablettes), les téléviseurs connectés de LG
et de Samsung. Donc, pas d’appli mobile lors du lancement… En dehors de la France, l’appli TV sera lancée dans six autres pays européens et, avec la bienveillance d’Apple, aux Etats- Unis – sous la responsabilité de Jean-Pierre Paoli, exdirecteur du développement international de TF1, de Canal+ et d’Eurosport.
Cette start-up, créée il y a près de deux ans maintenant (en octobre 2014), compte dans son tour de table – 10 millions d’euros en première levée – le fonds d’investissement Idinvest Partners (alimenté notamment par Lagardère) et des business angels (Marc Simoncini, Jacques-Antoine Granjon, Steve Rosenblum).

Seconde levée de fonds en vue
La seconde levée de fonds devrait porter cette fois sur 100 millions d’euros. « Nous communiquerons à la rentrée », nous indique Jean-David Blanc. Face à cette ambitieuse offre OTT (Over-The-Top), les chaînes ne sont pas les seules à hésiter à
lui confier le live, le replay et la relation client. Les opérateurs télécoms Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free se demandent en tant que FAI (4) si Molotov n’est pas un cocktail lancé contre leurs « box », lesquelles sont en situation d’oligopole avec l’accès triple play incluant bouquet de chaînes, télévision de rattrapage et VOD. @

Charles de Laubier

Six ans après le rapport Création et Internet portant son nom, Patrick Zelnikreste brouillé avec le streaming

Le PDG fondateur de Naïve, société de production de musique indépendante
en redressement judiciaire, estime que « le streaming est un mauvais modèle économique pour les artistes comme pour les producteurs ». En 2010, le rapport Zelnik prônait une « taxe Google » et la « gestion collective obligatoire ».

La « lecture en continu à la demande » – comme il désignait le streaming dans le rapport, remis en janvier 2010, que l’on a souvent désigné par son nom – n’a jamais été la tasse de thé
de Patrick Zelnik. « Le streaming est un mauvais modèle économique pour les artistes comme pour les producteurs », a-t-il lancé le 15 juin dernier (1), alors que sa société de production musicale Naïve a été placée en début de mois en redressement judiciaire dans l’attente d’un repreneur.

Entre Nicolas Sarkozy et Carla Bruni
Ce label indépendant, qu’il a créé en 1998, a notamment lancé la carrière musicale
de Carla Bruni en 2002, avant que cette dernière ne devienne en 2008 la femme de Nicolas Sarkozy – alors président de la République. Et c’est en septembre 2009 que
ce dernier lance la mission « Culture et Internet » confiée à… Patrick Zelnik, en trio avec Jacques Toubon et Guillaume Cerutti, dans le but de faire des propositions pour
« améliorer l’offre légale sur Internet et la rémunération des artistes » (2) (*) (**). L’une des propositions de ce rapport élaboré par la mission « Création et Internet », laquelle fut mise en place l’époque par Nicolas Sarkozy dans la foulée des lois Hadopi voulues par ce dernier en tant que président de la République, était de créer un « régime de gestion collective obligatoire » (3). Il s’agissait de prendre en compte les nouvelles façon de consommer de la musique, dont le streaming naissant à l’époque. Les majors de l’industrie musicale – Universal Music, Sony Music, EMI ou encore Warner Music représentés par le Snep4 – ont été vent debout contre ce principe qui n’a finalement jamais été mis en oeuvre. Le rapport Zelnik préconisait en outre une « taxe Google », un « prélèvement obligatoire » perçu sur les revenus publicitaires des plateformes numériques « telles que Google, Microsoft, AOL, Yahoo! ou encore Facebook » – à hauteur de 1 % à 2 % maximum du chiffre d’affaires concerné. Là aussi, levée de boucliers. Cette fois, ce sont les acteurs du Net, Google en tête, qui dénoncent « la logique de la taxation ». Cette taxe obligatoire sera sans lendemain. La mission Zelnik
a évacué l’idée – défendue entre autres par la Sacem (5) et l’Adami (6) – d’instaurer une taxe sur le chiffre d’affaires des fournisseurs d’accès à Internet (FAI), expliquant qu’elle aurait abouti à établir un surcoût pour le consommateur sans avantage nouveau. Pourtant, l’Union des producteurs phonographiques français indépendants (UPFI) – dont est membre Naïve – avait regretté que soit écartée la taxe fiscale sur les FAI (7). L’UPFI, dont Patrick Zelnik fut président de 2000 à 2004 (8),
s’est en revanche félicitée de l’idée de « taxe Google » pour financer la culture en général et la musique en particulier, tout en appelant le chef de l’Etat de l’époque
à créer un compte de soutien à la production musicale, à l’instar du Cosip dans le cinéma.

La proximité de Patrick Zelnik – homme de gauche – avec le chef de l’Etat Nicolas Sarkozy est patente, ce qui lui sera d’ailleurs reproché. Sa société Naïve est même renflouée par l’organisme d’Etat qu’est la Caisse des dépôts et consignations (CDC), laquelle consentira 2 millions d’euros en 2009, puis 300.000 euros en 2010, avant d’être remplacée par la Banque publique d’investissement (BPI) (9). Mais la participation du contribuable français à cette société de production de la Première dame de France ne portera finalement pas ses fruits : Naïve ne cessera de perdre de l’argent, accumulant les pertes qui se chiffrent en plusieurs millions d’euros. Cela n’empêchera pas Patrick Zelnik d’avoir en 2012 des vues sur Virgin Records, le label cofondé par son ami milliardaire Richard Branson et actuellement entre les mains d’Universal Music (Vivendi). Est-ce Richard Branson, ayant manifesté en juillet 2012 sa volonté de racheter son ancien label, qui sera l’investisseur promis par Patrick Zelnik pour Naïve ? A moins que Orchard Media du groupe Sony, maison mère de la major Sony Music, ne vole à son secours – quitte à perdre son indépendance. « The Orchard » distribue des producteurs indépendants auprès de plateformes telles que iTunes, Spotify ou Netflix.

Le numérique, « un environnement hostile »
Quoi qu’il en soit, les relations privilégiées de Patrick Zelnik ne serviront à rien dans ses affaires dans un contexte de montée en puissance du streaming, auquel il ne croit toujours pas – « un environnement que je qualifierais d’hostile », a-t-il dit récemment. Naïve, dont il détient et compte garder 77 % du capital, a réalisé en 2015 un chiffre d’affaires inférieur aux 15 millions d’euros de l’année précédente pour un résultat négatif. @

Charles de Laubier

Dernière ligne droite pour le projet de loi « République numérique » avant le Parlement

Alors que le règlement et la directive européens « Protection des données »
ont fait l’objet d’un compromis le 16 décembre en vue d’être adoptés en 2016,
le projet de loi français « République numérique » prend, lui, les devants avec
le contrôle et portabilité des données, et la « loyauté des plateformes ».

Dernière ligne droite pour Axelle Lemaire (photo), secrétaire d’État au Numérique, pour peaufiner le projet
de loi numérique (« loi pour une république numérique »), qui a fait l’objet d’une consultation publique à l’automne dernier. Le texte, dont certaines dispositions de l’avant-projet de loi ont été notifiées dès novembre à la Commission européenne, a été présenté en conseil des ministres le 10 décembre (1), puis examiné le 15 décembre à l’Assemblée nationale par les commissions des affaires culturelles et européennes, puis le sera par les commissions des affaires économiques et affaires sociales le 12 janvier 2016, puis par la commission des lois le 13 janvier.

Trois volets : les données du problème
L’examen en première lecture en séance publique à l’Assemblée nationale est, lui, programmé pour le 19 janvier. Et fin mars-début avril prochains, le texte sera examiné par le Sénat. Le projet de loi comprend trois volets.
La première partie traite de la circulation des données et du savoir : économie de la donnée, ouverture des données publiques, création d’un service public de la donnée, création de la catégorie « données d’intérêt général », …
La seconde partie définit un cadre légal protecteur des droits des citoyens dans la société numérique : neutralité de l’accès à Internet, loyauté des plateformes, portabilité des données, protection de la vie privée en ligne, gestion des données en cas de décès (« mort numérique »), confidentialité des correspondances privées, …
La troisième partie est consacrée à l’accès de tous au numérique : accélération du développement du très haut débit, couverture mobile, développement de nouveaux usages tels que le recommandé électronique ou le paiement par SMS, accès des personnes handicapées aux services téléphoniques et aux sites web, droit au maintien de la connexion, …

Dans le second volet, les mesures pour de contrôle de ses données personnelles suggérées par les contributeurs citoyens prévoient notamment le « droit à l’auto-hébergement » : l’article 20 du texte stipule en effet qu’« aucune limitation technique
ou contractuelle ne peut être apportée à un service d’accès à l’Internet [une adresse IP dynamique ou une limitation dans l’usage des ports Internet d’une box par un FAI, ndlr], qui aurait pour objet ou effet d’interdire à un utilisateur de ce service qui en fait la demande (…) d’accéder, depuis un point d’accès à l’Internet, à des données enregistrées sur un équipement connecté à l’Internet, viale service d’accès auquel
il a souscrit (…) ou de donner à des tiers accès à ces données ». Or, justifie le gouvernement, un utilisateur final doit avoir la liberté d’héberger par ses propres moyens, les informations qu’il traite, en particulier celles à caractère personnel (e-mails, calendriers, contacts, messagerie instantanée…).

En outre, l’article 22 prévoit, lui, une définition des opérateurs de plateformes en ligne et leur impose une « obligation de loyauté » vis à vis des consommateurs sur leurs conditions générales d’utilisation (CGU) et à leurs modalités de référencement, de classement et de déréférencement des offres mises en ligne (2). Quant à la neutralité du Net, elle est inscrite à l’article 19 et son respect s’impose aux opérateurs télécoms, fournisseurs d’accès à Internet (FAI) et plateformes numériques. « La mise en oeuvre par les opérateurs [télécoms et Internet, ndlr] des règles de gestion de trafic prévues par le règlement [européen] permettra de garantir un Internet libre et ouvert, sans pour autant brider les capacités d’innovation de l’ensemble des acteurs du numérique, opérateurs compris », assure-t-on dans les motifs du projet de loi. L’Arcep est chargée de faire respecter la neutralité du Net, quitte à mettre en demeure les FAI contrevenants. L’article 21, lui, instaure la « portabilité des données » stockées en ligne, obligeant tout acteur du numérique de proposer aux consommateurs une fonctionnalité de récupération des fichiers mis en ligne par le consommateur et des données associées à son compte.

Le texte ne fait pas l’unanimité
Mais contrairement aux apparences, ce projet de texte ne fait pas l’unanimité. L’Afdel (3) s’inquiète des conséquences sur certains acteurs du numérique de la portabilité des données, d’une part, et de la confidentialité des correspondances privées, d’autre part. La FFTélécoms (4), elle, s’était opposée à l’article 45 qui prévoit le maintien temporaire du service Internet en cas de non-paiement des factures par les personnes les plus démunies. Le CNNum (5) avait de son côté proposé, en vain, un « domaine commun informationnel » visant à éviter les abus du droit d’auteur au regard du domaine public. @

Charles de Laubier

Molotov.tv : Pierre Lescure lance son bouquet de TV en ligne sans Canal+, dont il fut cofondateur

Un comble : Pierre Lescure, cofondateur de Canal+ (sous la direction d’André Rousselet il y a trente ans), n’a pas encore réussi à convaincre la chaîne cryptée de faire partie de son bouquet de télévision sur Internet, Molotov.tv. L’explication est à aller chercher du côté de CanalSat et de la chaîne cryptée.

« Canal+ est une chaîne premium, mais ce n’est pas la raison pour laquelle elle ne veut pas travailler avec Molotov.tv, contrairement à OCS et à beIN Sports qui seront, eux, bientôt disponibles sur Molotov.fr. La raison serait plutôt que Canal+ opère aussi CanalSat, un service par abonnement d’accès à une vaste offre de chaînes destinées à l’écran de télévision, aux set-top-box, aux tablettes, aux ordinateurs portables, etc. », explique Steve Rosenblum (1), membre du conseil d’administration de la société Molotov. Cette startup est présidée par Pierre Lescure (photo), en charge de la stratégie et du développement. Il fut cofondateur de Canal+ il
y a trente ans et actuellement président du Festival de Cannes.

Molotov va concurrencer CanalSat…
Préparé dans le plus grand secret depuis deux ans, le projet Molotov.tv a été présenté le 4 novembre dernier au Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) – après avoir été déclaré auprès de ce dernier en juin – comme étant un bouquet d’accès gratuit ou payant à plus de 80 chaînes de télévision – soit en flux direct (live), soit en mode rattrapage (replay). Ce qui correspond à 90 % de l’audience consolidée des chaînes
en France, d’après Médiamétrie. Alors que Molotov.tv est encore en version bêta, testée depuis son annonce en juin dernier par un petit nombre d’utilisateurs sélectionnés sur invitations « envoyées dans un quota d’abord très limité » (parmi plusieurs dizaines d’inscrits en ligne), l’ouverture « très progressive » du service auprès d’un large public est prévue pour cet automne, sur le Web dans un premier temps, en attendant son déploiement par la suite sur les smartphones, tablettes et téléviseurs connectés.
Contactée par Edition Multimédi@, une porte-parole du groupe Canal+ nous a indiqué qu’aucune présentation de Molotov.tv et de son modèle économique n’avait été faite
au groupe, pas plus à Jean-Marc Juramie, vice-président exécutif des contenus et de
la programmation de Canal+, qu’à Maxime Saada, le nouveau directeur général du groupe. Et de préciser que pour se prononcer ou « négocier », encore fallait-il que Canal+ puisse connaître dans le détail le projet qui prévoit du gratuit et du payant (freemium). De son côté, Molotov dit pourtant les avoir sollicités dès juin. « Canal+ nous a répondu très tardivement, mais maintenant nous discutons avec eux. Si diffuser les chaînes gratuites D8, D17 et iTélé ne devrait pas poser de problème, il reste à se mettre d’accord sur la chaîne cryptée », nous indique Jean- Marc Denoual, un des cofondateurs de la start-up et ancien directeur de la distribution des chaînes thématiques payantes du groupe TF1. Combien le groupe Canal+ acceptera- t-il de payer Molotov pour de nouveaux abonnés ? Sous le secret des sources, un proche de Pierre Lescure nous a expliqué que « Canal+ veut promouvoir sa box OTT avec sa navigation propre et surtout n’entend pas payer de commission (fee) à Molotov sur ses abonnés, estimant que l’apport réel de Molotov – qui n’est pas un fournisseur d’accès
à Internet (FAI) – ne vaut pas cette rémunération ». TF1, France Télévisions, M6, Arte, Gulli (Lagardère Active), Disney Channel, France 24, BFM TV (NextRadioTV/Altice Media) et bien d’autres chaînes (2) feront partie de ce bouquet audiovisuel qui sera gratuit pour les chaînes en clair et payant pour les chaînes cryptées. Molotov étudie également avec l’INA (3) l’intégration de son nouveau service « INA Premium ». Mais
si l’absence du groupe Canal+ – et de ses chaînes Canal+, D8, D17 et iTélé – persiste, cela pourrait contrarier le lancement du bouquet final. « Nous avons la conviction que Molotov fait entrer la télévision dans une nouvelle ère », a déclaré Pierre Lescure.

Ce qui ne semble pas convaincre pour l’instant la filiale télévision du groupe Vivendi qui opère aussi CanalSat, un bouquet payant de plus de 150 chaînes – dont beaucoup de thématiques, parmi lesquelles une cinquantaine sont en exclusivité. C’est là que le bât blesse. Outre le fait qu’il s’agit de la seconde plus forte marque du groupe Canal+, CanalSat est disponible sur le satellite, l’ADSL et la TNT via un nouveau décodeur connecté à Internet (le Cube permettant de recevoir l’intégralité de l’offre CanalSat, grâce à une réception hybride TNT/Internet, et tous les services connectés associés).

… et les « box » des FAI
Tous les écrans peuvent ainsi accéder aux chaînes proposées en direct ou à la demande, via le site web Canalsat.fr et la nouvelle interface « myCanal » : chaque mois, plus de 7 millions de contenus sont ainsi visionnés par les abonnés. Autant dire que la nouvelle direction du groupe Canal+ – dont le bras droit de Vincent Bolloré, Jean-Christophe Thiery (4), président du directoire – refuse qu’un cocktail « Molotov » vienne détruire un si jolie bouquet. Ce nouveau concurrent serait d’autant plus malvenu que Canal+ est déjà sous pression d’un Netflix commençant à lui tailler des croupières en France. Selon Arthur Kanengieser, chercheur à l’école des Mines ParisTech et auteur de l’étude « Après Netflix » publiée en septembre 2014, CanalSat est le premier impacté : « Le nombre d’abonnements à Canal+ est resté stable, au prix d’un coût
de grille en hausse (+ 9,2 % entre 2008 et 2012), alors que CanalSat perd 300.000 abonnements entre 2012 et 2013 » (5). Les causes sont multiples : concurrence des chaînes de la TNT, des bouquets proposés par les FAI, de BeIN Sports du groupe de médias qatari Al-Jazeera, de Netflix présent en France depuis plus d’un an, ou encore de nouvelles offres vidéo sur Internet – bientôt rejointes par l’ambitieux Molotov.tv.

Une sorte de « Netflix » de la TV
Ce service dit OTT (Over-The-Top), c’est-à-dire sans dépendre d’un réseau d’opérateur télécoms ni d’une box d’un FAI, ne nécessite aucun boîtier ni aucune clé à brancher. Ce n’en est pas moins une pierre lancée dans le walled garden des FAI, lesquels sont de ce fait de plus en plus concurrencés par ces services audiovisuels par Internet : non seulement Netflix, mais aussi Apple TV, Android TV, la box Videofutur ou Roku (voir encadré ci-contre). Reste à savoir si le bouquet payant OCS (Orange Cinéma Séries), détenu à 66,66 % par Orange (via Orange TV participations) et à 33,33 % par Canal + (via Multi-thématiques), fera alliance avec Molotov.tv. Quoi qu’il en soit, Molotov.tv est en quelque sorte un « Netflix » de la télévision à la française, s’appuyant non pas sur des algorithmes de recommandation mais sur la grille de programmation des chaînes renouvelée en permanence, permettant aux téléspectateurs et/ou vidéonautes de trouver à l’aide d’un moteur de recherche instantané des programmes et de les regarder de façon linéaire ou en mode délinéarisé en fonction de leurs préférences, leur programmation et leurs bookmarks. « Fini le zapping à l’ancienne, terminé les heures passées à chercher quelque chose à regarder, ou manquer un programme ! », promet l’équipe de Molotov.tv qui veut changer le monde de la télévision. La recommandation apparaît plutôt sous forme de « suggestion » en bas de la page d’accueil « afin de créer une sorte de sérendipité (6) complémentaire pour ajouter encore à la découverte ». L’utilisateur peut aussi enregistrer dans son espace de stockage virtuel afin de se faire une programmation ultérieure personnalisée, ou de regarder plus tard un programme commencé plus tôt. En outre, les programmes diffusés en live peuvent être revus au début. « Lorsqu’un programme est “bookmarké” par un utilisateur, Molotov notifie ce dernier, par e-mail ou sur son smartphone (même si vous n’êtes pas connecté au service), juste avant qu’il ne passe à l’antenne ou dès qu’il a été enregistré. Des fonctionnalités sociales intégrées de manière “organique” : les utilisateurs peuvent aussi partager entre eux leur expérience télévisuelle. D’autres fonctionnalités, basées sur les réactions en temps réel ou la diffusion d’informations plus précises au sein même du programme, seront déployées au fur et à mesure », estil expliqué. Cette start-up, créée il y a un an maintenant (en octobre 2014) par Jean-David Blanc, fondateur d’AlloCiné et président de sa propre holding JDH, avec Pierre Lescure, Jean-Marc Denoual (ex-TF1) et Kevin Kuipers (ex-AlloCiné, SensCritique, GameKult), compte dans son tour de table le fonds d’investissement Idinvest Partners (alimenté notamment par Lagardère et le groupe Allianz). Quelque 11,2 millions d’euros au total ont déjà été levés auprès de ce dernier et de quelques business angels. Ses effectifs dépassent aujourd’hui plus d’une trentaine de personnes, mais Molotov continue de recruter graphistes, data-scientists, informaticiens, community managers, financiers, gestionnaires, … « Chez Molotov, chacun est libre de travailler comme il veut, pourvu qu’il apporte sa pierre à l’édifice ». On a l’impression d’entendre Pierre Lescure parler à son équipe une fois qu’il fut recruté par André Rousselet en 1983 pour lancer Canal+… @

Charles de Laubier