Netflix France tire toujours à boulets rouges sur la chronologie des médias, bientôt rediscutée

La chronologie des médias n’en finit pas d’être remise sur le métier. Bien que la clause de revoyure ait fixé à janvier 2023 le prochain rendez-vous des signataires, le retour autour de la table des négociations est prévu dès septembre prochain. Netflix entend faire encore bouger les lignes.

Damien Bernet (photo), directeur du développement (1) de Netflix France depuis avril 2020, était l’invité le 28 juin dernier de l’Association des journalistes médias (AJM), accompagné d’Anne-Gabrielle Dauba- Pantanacce, directrice de la communication. Il a notamment été amené à s’exprimer sur la nouvelle chronologie des médias en vigueur depuis le 24 janvier 2022 (2), Netflix étant la seule plateforme de la SVOD à l’avoir signée (3). En est-il satisfait ? « Oui et non, a-t-il répondu. Oui car ce fut un pas important. Nous étions à 36 mois après la salle de cinéma dans l’univers du cinéma français, ce qui était totalement anachronique. Le fait de passer à 15 mois, c’est déjà une victoire ».

Revoyure dès septembre prochain
« C’est la raison pour laquelle nous l’avons signée, pour signifier et concrétiser cette avancée, montrer que Netflix est un acteur vertueux. Nous avons montré dans la discussion que nous étions ouvert à la négociation : Netflix est le seul acteur de la SVOD à l’avoir signée. Maintenant, a prévenu Damien Bernet, l’ex-ministre de la Culture Roselyne Bachelot l’a déclaré au moment de la signature : ce n’est qu’un premier pas ; il y a une clause de revoyure en janvier 2023. En fait, la revoyure sera dès le mois de septembre 2022… Tout le monde va revenir à la table des négociations ». Il n’a pas manqué de rappeler « le mouvement de Disney » qui a décidé de sortir en fin d’année en France son film d’animation « Strange World » directement sur sa plateforme Disney+, sans passer par les salles de cinéma. Il a rappelé aussi que Disney+ est adossé à un grand studio de cinéma, comme le sont les plateformes HBO Max (attendue en France en 2023) au sein du groupe Warner Bros. Discovery et Paramount+ (dont le lancement français est programmé pour décembre prochain) au sein de Paramount Global, ex-ViacomCBS.
La pression ne cesse donc de croître sur la chronologie des médias française jugée obsolète. Damien Bernet la fustige : « Cette chronologie des médias ne peut pas tenir. Elle ne correspond pas aux usages – le public a besoin d’avoir les contenus rapidement. Et les mettre sur une étagère ou au frigo pendant 15 mois n’a aucun sens. Cela ne sert surtout pas le programme, le film. Ce que cela génère, c’est du piratage ». Sert-elle les salles de cinéma, qui bénéficient de quatre mois d’exclusivité lors de la sortie des nouveaux films ? « Non, répond-t-il, le fait de séparer de 15 mois la sortie en salle et la sortie sur Netflix n’a aucun intérêt pour la salle ». Sert-elle Canal+, qui fut longtemps le premier pourvoyeur de fonds du cinéma français ? « Canal+ a une position qui correspond à une histoire et à la manière dont cette chronologie des médias se déroule. Maintenant, déplore-il, celle-ci n’est pas cohérente film par film. Dans les autres pays, il y a une date de sortie qui est négociée pour chaque film selon le diffuseur. En France, cette rigidité a été créée par cette histoire qui se règle sur l’acteur historique (Canal+) ». Cette situation est unique au monde, alors qu’au-delà de l’Hexagone la sortie d’un film en SVOD 45 jours après la salle ne choque personne – notamment aux Etats- Unis pour les blockbusters d’Hollywood. Lorsque ce n’est pas dans certains cas des sorties simultanées salles streaming (day-and-date), comme ce fut le cas en 2021 des films « Dune » et « Matrix » de Warner Bros. Pictures, ou de « Mulan » et « Soul » sur Disney+.
« Nous sommes favorables au cas-par-cas. On serait prêt à payer plus, film par film, et à financer beaucoup plus sur un film donné si on peut disposer d’une fenêtre qui soit plus cohérence dans l’intérêt de nos abonnés, explique Damien Bernet. Dans le monde, on le voit, il y a un usage à 45 jours. Mais on ne fait pas de la sortie en salle une condition pour nous. La sortie en salle peut parfois se justifier sur certaines œuvres, comme nous l’avons fait sur “The Power of the Dog”» (4). Netflix sort environ 30 films par an dans le monde entier, et la salle ne leur est pas interdite, notamment lors de festivals ou d’avant-premières. « On a toujours dit qu’il y avait une complémentarité totale salles-streaming. Mais ce n’est pas le cœur de notre business model, temporise quant à elle Anne-Gabrielle Dauba-Pantanacce. On n’est pas dogmatique. Nous le faisons sur certains films ».

Cannes : Lescure part, Netflix arrive
Netflix sera présent au festival international du film La Mostra de Venise, du 31 août au 10 septembre 2022. « Pour le Festival de Cannes, cela ne dépend pas de nous, rappelle la directrice de la communication. Nous sommes accueillis dans tous les festivals (de cinéma) du monde entier… Il y a un changement de président au Festival de Cannes : on verra dans les prochains mois ». Iris Knobloch, ancienne présidente de Warner Bros. en France, a remplacé le 1er juillet dernier Pierre Lescure à la présidente du Festival de Cannes. Netflix a de l’avenir sur la Croisette. @

Charles de Laubier

Le marché de la SVOD (sans pub) semble saturé ; des plateformes s’ouvrent à l’AVOD (avec pub)

The Walt Disney Company l’a confirmé le 4 mars : sa plateforme Disney+, jusqu’à maintenant par abonnement (SVOD), offrira aussi à partir de fin 2022 un accès peu cher financé par la publicité (AVOD). La pression des annonceurs est tellement forte que même Netflix pourrait céder à son tour.

« L’élargissement de l’accès à Disney+ pour un public plus large et à un prix plus bas est avantageux pour tout le monde – les consommateurs, les annonceurs et nos conteurs », a justifié Kareem Daniel (photo), président de Disney Media and Entertainment Distribution (DMED), lors de la confirmation faite le 4 mars du lancement d’ici fin 2022 aux Etats-Unis et courant 2023 pour le reste du monde – d’une offre moins chère de Disney+ financée par de la publicité. Et Rita Ferro, présidente en charge de la publicité chez DMED d’ajouter : « Depuis son lancement, les annonceurs réclament à cor et à cri la possibilité de faire partie de Disney+ » (1).

Disney cède à la pression des annonceurs
La pression des annonceurs en quête d’espaces sur les services de streaming vidéo, encore très dominés dans les foyers par les plateformes par abonnement et sans publicités (SVOD), est telle que The Walt Disney Company a dû céder aux sirènes des marques. Pourtant, en juin 2021, devant des investisseurs réunis par le Credit Suisse, le PDG du groupe, Bob Chapek, avait écarté l’idée d’une offre financée par la publicité (AVOD) : « Nous n’avons pas de tels plans maintenant. Nous sommes satisfaits des modèles que nous avons en ce moment », avait-t-il assuré (2).
Neuf mois après, c’est le contraire. C’est surtout le moyen d’espérer engranger plus rapidement des abonnés, certes low cost, afin de parvenir à son objectif d’atteindre lors de son exercice 2024 (clos fin septembre) de 230 à 260 millions d’abonnés au total à Disney+, soit cinq ans après son lancement aux Etats-Unis. Pour le mythique conglomérat du divertissement et major d’Hollywood, qui fêtera son centenaire en octobre 2023, ce serait la consécration de son déploiement mondial réussi dans le streaming – sous la houlette de Bob Chapek, successeur de Bob Iger depuis plus de deux ans maintenant (3). La date de lancement et le prix allégé par rapport aux 7.99 dollars par mois actuels (ou 8,99 euros) seront connus dans le courant de l’année. Conséquence de l’ouverture dès cette année de Disney+ à l’AVOD, outre le fait que Disney+ Hotstar (4) fasse déjà de la publicité en Inde et en Asie du Sud-Est, ce marché mondial de l’« Advertising Supported Video on Demand » devrait largement dépasser les 66 milliards de dollars en 2026, selon Digital TV Research : « Je pense que les nouvelles prévisions seront supérieures, mais nous les publierons en mai prochain », indique Simon Murray, son analyste principal, à Edition Multimédi@. Autrement dit, dans quatre ans, les revenus en termes d’abonnements de l’AVOD devraient pouvoir plus que doubler par rapport aux 3,7 milliards de chiffre d’affaires réalisés en 2021 dans les 138 pays observés. Les Etats-Unis demeureront sans surprise à la tête de ce marché, suivis par la Chine, le Japon, le Royaume-Uni ou encore l’Inde (voir tableau page suivante).
Digital TV Research pourrait devoir revoir encore à la hausse ses prévisions si Netflix se décidait à son tour à franchir la clôture pour aller voir du côté de l’AVOD si l’herbe y est vraiment plus verte… Ce que le numéro un mondial de la SVOD au logo rouge n’exclut pas. C’est du moins ce qu’a laissé entendre son directeur financier, Spencer Neumann, à la conférence « Technology, Media & Telecom » de Morgan Stanley le 8 mars dernier : « Ne jamais dire jamais, a-t-il répondu à ce sujet. Ce n’est pas quelque chose dans notre plan en ce moment. [Mais] ce n’est pas comme si nous avions la religion d’être contre la publicité. (…) Il est difficile pour nous d’ignorer que les autres le font, mais pour l’instant cela n’a pas de sens pour nous » (5). Cette réponse de Normand ressemble à celle que faisait Bob Chapek, le patron de Disney, il y a neuf mois…
Le PDG de Netflix, Reed Hastings, pourrait ne pas laisser son rival Disney+ prendre trop d’avance sur ce terrain publicitaire, d’autant que le rythme des nouveaux abonnés ad-free (sans pub) au « N » rouge a ralenti au cours des derniers trimestres, entraînant l’action de la firme de Los Gatos (Californie) dans une chute de plus de 40 % depuis le début de l’année.

Netflix et Amazon Prime Video ralentis
Un accès à Netflix moins coûteux que l’abonnements actuels – de 9,99 dollars à 19,99 dollars par mois, ou de 8,99 euros à 17,99 euros – permettrait peut-être d’inverser la tendance baissière. Plus globalement, en l’état des offres ad-free et des forces en présence, les prévisions montrent que Netflix devrait être dépassé par Disney+ en 2028, d’après Digital TV Research. La montée en puissance des plateformes HBO Max, conjuguée à la plateforme Discovery+ une fois que Warner Bros. Discovery sera opérationnel cette année (6), et Paramount+ (Paramount Global, ex- ViacomCBS), devrait néanmoins pressuriser le parc d’abonnés des deux leaders.
Si l’on rajoute Peacock lancé il y a près de deux ans par NBCUniversal, filiale de Comcast, la question de l’encombrement du marché de la SVOD – proche de la saturation – reste posée dans un marché toujours en croissance. A cette prolifération de l’offre de plus en plus chère, s’ajoute le casse-tête des mots de passe (7), avec le risque de pousser certains à préférer le piratage au légal.

L’AVOD, menace sur les chaînes TV
Selon Digital TV Research, les abonnements mondiaux à la SVOD augmenteront de 550 millions entre 2021 et 2027 pour atteindre 1,75 milliard. La Chine et les Etats- Unis représenteront ensemble près de la moitié (48 %) de ce total mondial dans cinq ans. « Certains ont affirmé récemment que le marché américain de la SVOD était au point de saturation. Même si nous nous attendons à une certaine décélération pour les acteurs plus établis [Netflix et Amazon Prime Video, ndlr], il reste encore beaucoup à faire pour les plateformes plus jeunes comme Disney+, Paramount+ et HBO Max », a nuancé Simon Murray le 17 février dernier. La vidéo à la demande financée par la publicité n’est pas nouvelle. YouTube et Dailymotion sont les plateformes pionnières dans ce domaine. La plate-forme Hulu, lancée la même année que celle de la mise en ligne de Netflix (en mars 2 0 0 7 ) e t d é tenue aujourd’hui majoritairement par Disney (depuis avril 2019) aux côtés de Comcast, s’est développée d’abord avec de la publicité. Des formules d’abonnements ont ensuite été proposées, comme Hulu + Live TV. Peacock joue sur les deux tableaux : de la publicité sur les options « Free » et « Premium », et ad-free avec « Premium Plus ». Quant aux service HBO Max, jusqu’alors faisant partie de WarnerMedia (groupe AT&T), il ne voulait pas entendre parler de publicités. Du moins jusqu’à l’an dernier, se décidant à rajouter une option ad-supported. Et une fois que HBO Max et Discovery+ auront fusionnés, SVOD et AVOD pourraient cohabiter. Selon un rapport de Tubi (le service de streaming gratuit de Fox), entre 20 % et 46 % des foyers américains – selon le nombre d’abonnements SVOD par foyers (de un à cinq ou plus) – regardent aussi des services d’AVOD (8).

140 millions d’Américains ciblés
Aux Etats-Unis, le cabinet d’études et d’informations eMarketer a montré le 10 mars dernier (9) que les plateformes vidéo avec publicités attirent plus de 140 millions d’Américains en 2022, soit 41,6 % de la population étatsunienne. Ses prévisions tablent sur 171,5 millions d’Américains en AVOD d’ici 2026, soit près de la moitié de la population (49,5 %). Sur fond de bataille entre les ad-free et les adsupported, ce sont les chaînes de télévision le plus souvent nationales – payantes et gratuites – qui pourraient être les victimes collatérales de l’avancée de ces acteurs OTT (Over-the-Top) globaux. @

Charles de Laubier

Cinéma : les salles et Canal+ protégées pour 3 ans

En fait. Le 24 janvier, toute la filière professionnelle du cinéma français et des plateformes de VOD/SVOD a signé – à l’exception de la SACD (1) – l’accord sur le réaménagement de la chronologie des médias. Malgré la révolution des usages, Canal+ (Vivendi) et les salles de cinéma (FNCF) préservent leur pré-carré jusqu’en février 2025.

En clair. Deux monopoles vont pouvoir continuer à prospérer en France à l’ombre de la nouvelle chronologie des médias que viennent de signer la quasi-totalité des organisations du cinéma français – le Blic (2), le Bloc (3) et l’ARP (4) – avec Canal+ (historiquement favorisé car grand financeur de films) et la Sévad (Syndicat des éditeurs de vidéo à la demande). Ces deux monopoles du 7e Art français, reconduits pour trois nouvelles années (jusqu’en février 2025), sont : d’une part, les salles de cinéma, qui conservent encore leur exclusivité durant quatre mois pour la première diffusion des nouveaux films, et, d’autre part, Canal+ du groupe Vivendi, qui est la seule chaîne cryptée avec OCS (dont Canal+ détient 33,33 % du capital aux côtés des 66,67 % d’Orange) à bénéficier des films dès six mois après leur sortie en salle.
Ces deux opérateurs historiques – les salles obscures et la chaîne cryptée – ne sont pas concurrencés sur leur propre marché respectif, entendez sur leur « fenêtre de diffusion » (dans le jargon de la chronologie des médias) pas aucun rival. Et pour cause : Canal+ et la FNCF (5) ont chacun défendu becs et ongles leur exclusivité monopolistique, les salles de cinéma durant quatre mois (trois mois en cas de rares dérogations) et la chaîne cryptée durant au moins neuf mois (sur les seize mois alloués). Ce statu quo des salles (aux quatre premiers mois inchangés) et de la chaîne cryptée (passant même à six mois après la salle au lieu de huit) paraît incompréhensible au regard de la révolution des usages numériques qui est à l’oeuvre depuis ces dernières années.
La nouvelle génération n’a pas d’attirance pour ni les salles ni la télé. En revanche, ces générations Y, Z et Alpha regardent volontiers leurs films et séries sur les plateformes de VOD et encore plus sur la SVOD : Netflix, Amazon Prime Video et Disney+ en tête. Or le « réaménagement » de la chronologie des médias, laquelle reste inexplicable pour le grand public, maintient la VOD à l’acte à quatre mois après la sortie des films et la SVOD par abonnement à… quinze mois voire dix-sept après la sortie des mêmes films. Certes, la SVOD avancent de quelques cases, comme dans un jeu de l’Oie, puisqu’elle était auparavant à trente-six mois. Le grand danger d’une telle anachronie est d’encourager le piratage sur Internet de ces œuvres cinématographiques et audiovisuelles. @

Streaming et piratage : le marché mondial de la protection des contenus audiovisuels explose

C’est la face cachée du streaming et des services OTT : la surveillance quasi-systématique d’Internet – via les plateformes vidéo et les applications mobiles – pour traquer les pirates de contenus (films, séries, vidéoclips, retransmissions sportives, …) protégés par le droit d’auteur.

L’industrie des médias et du divertissement mettent de plus en plus sous surveillance Internet pour traquer le piratage de leurs contenus audiovisuels diffusés massivement en ligne, en streaming et/ou sur applications mobiles, lorsque ce n’est pas via des « box ». Il s’agit « de traquer et de neutraliser les hackers du secteur OTT, voleurs de contenus, tels que les sports en direct et les films premium », selon les propres termes du groupe Verimatrix (ex-Inside Secure), basé à Aix-en-Provence et présidé – depuis l’époque du français Inside Secure (ayant pris le nom la société américaine basée à San Diego et rachetée fin 2018) – par Amedeo d’Angelo (photo).

Nagra-Kudelski, Irdeto, Synamedia, Viaccess, …
Verimatrix, un des leaders mondiaux de la cybersécurité et de la protection des contenus, est sur un marché en plein boom, tiré par la diffusion audiovisuelle en streaming et en OTT (services s’appuyant sur les infrastructures existantes d’Internet). C’est un marché discret mais aux outils de détection considérés comme cruciaux par bon nombre de producteurs, des studios d’Hollywood aux plateformes vidéo, en passant par les ayants droit des oeuvres audiovisuelles, cinématographiques ou d’événements sportifs. Verimatrix, qui réalise 90 % de son chiffre d’affaires (lequel dépasse les 90 millions de dollars) dans la protection de contenus numériques et de divertissement, évolue aux côtés de concurrents positionnés eux aussi sur ce marché en plein effervescence de la protection des contenus, notamment vidéo : le suisse Nagra-Kudelski, le néerlandais Irdeto, le britannique Synamedia ou encore le français Viaccess-Orca (filiale d’Orange). A noter que Synamedia avait été racheté en 2012 sous son nom israélien d’origine, NDS Group, par l’américain Cisco, lequel l’a revendu en 2018 au fonds britannique Permira. Synamedia contrôle par ailleurs le français rennais ContentArmor. Le marché mondial de la protection des contenus vidéo est entraîné par la dynamique planétaire de la SVOD (vidéo à la demande par abonnement) et de la TVOD (programmes de télévision à la demande), même s’il ne représente encore qu’une petite partie du gâteau. Le chiffre d’affaires généré par les Verimatrix, Nagra-Kudelski et autres Irdeto est évalué en 2021 à 172 millions de dollars, selon Global Market Estimates (GME) qui s’attend à une hausse de 10 % par an pour dépasser les 277 millions de dollars d’ici 2026. Cette relativement faible croissance a une explication pour GME : « L’augmentation des cyberattaques et des activités de protection de la vie privée dans le secteur du divertissement et des médias stimulent positivement le marché. Cependant, les coûts de déploiement élevés et la cherté des logiciels de protection contre le piratage freinent la croissance du marché ». Pourtant, le marché mondial des services de streaming vidéo (OTT) est, lui, en pleine explosion si l’on en croit les cabinets d’études PwC (PricewaterhouseCoopers) et Omdia (Informa) : plus de 81 milliards de dollars de chiffre d’affaires d’ici 2025, grâce à une croissance annuelle de 10,6 %, contre moins de 50 milliards de dollars en 2020 et environ 55 milliards en 2021 (1). Le terrain est aussi favorable du côté des applications mobiles, au nombre dépassant les 7 millions sur Google Pay et sur App Store d’Apple. Autant de contenus à surveiller pour les détenteurs des droits sur les contenus en tout genre (films, sports, jeux vidéo, etc.). C’est la face cachée de la lutte contre le piratage, une sorte de « contre-espionnage » pour faire référence au nouvel outils développé par Verimatrix : Counterspy. Celui-ci, permettant un « déploiement autonome de solutions antipiratage et de protection des applications », est intégré dans la nouvelle solution Streamkeeper annoncée fin novembre – en phase bêta, avant sa commercialisation fin mars 2022 – pour « permettre aux opérateurs OTT d’offrir aux studios [de production audiovisuelle ou cinématographiques, ndlr] et autres propriétaires de contenu de puissants moyens de contrôle et de protection contre le piratage ». Les opérateurs OTT sont en outre libres de définir la visibilité offerte aux propriétaires de contenus qu’ils diffusent.

Protéger en temps réel Hollywood et le sport
Verimatrix met en garde contre les hackers qui utilisent souvent les CDN (Content Delivery Network) et les logiciels des terminaux, tels que les applications mobiles et les navigateurs web, pour pirater les contenus des diffuseurs de contenus, lesquels sont non seulement diffuseurs OTT, mais aussi câblo-opérateurs, diffuseurs par satellite, opérateurs mobiles, agrégateurs de contenus, et même fabricants de terminaux. « Les outils proposés par Streamkeeper permettent aux opérateurs de lutter contre le piratage à l’aide de puissantes contre-mesures de cybersécurité de niveau militaire, encore jamais mises sur le marché, assure le directeur général de la société aixoise et san diegane, Asaf Ashkenazi. Il s’agit d’une nouvelle solution anti-piratage OTT qui va définitivement révolutionner la lutte contre le piratage menée par les professionnels d’Hollywood et du sport ». Mettre en place un traçage anti-piratage complet et défensif est facilité grâce à la technologie dite « zéro code » pour les opérateurs OTT et les détenteurs de contenus. Surtout, ce nouvel outil de contre-espionnage et de traçage en ligne recourt à une technologie dite de « double télémétrie », au niveau des applications et des utilisateurs, qui permet de « surveiller en temps réel, les nouvelles tentatives de piratage, les falsifications et les vols de contenu ».

Traquer les hackers jusqu’au dark web
Les opérateurs OTT et leurs fournisseurs de contenus peuvent ainsi identifier toutes tentatives de piratage et réagir instantanément pour déjouer la violation du ou des contenus audiovisuels. Et Verimatrix de préciser : « L’utilisation conjointe des solutions éprouvées multi- DRM, fingerprinting/watermarking et de recherche sur dark web pour traquer les contenus piratés de manière innovante permet à Streamkeeper de lutter contre le piratage bien au-delà des alertes et des avis de suppression, et ce grâce à la vérification automatique des alertes et à la visualisation des applications, des appareils et des utilisateurs ayant accès aux contenus autorisés et non autorisés pendant les livestreams ». A noter que le multi-DRM de Verimatrix est non seulement compatible avec toutes les solutions de gestion des droits de propriété intellectuelle – ou Digital Rights Management (DRM) – approuvées par les studios de production, mais aussi en plus enrichi de jetons numériques d’authentification à usage unique, les fameux NFT ou Non-Fungible Tokens (2). Une fois repéré, le pirate présumé peut être interpelé voire stoppé directement au niveau de son terminal connecté ou – de façon « moins agressive » (dixit) – constater la dégradation de la qualité de la diffusion voire recevoir des messages d’avertissement instantanés. « La capacité d’arrêter en temps réel, la diffusion de contenus streaming piratés est un outil incroyablement puissant », affirme Verimatrix. Ces contre-mesures (limitation, ralentissement arrêt) s’accompagnent de « collecte de données filtrées/affinées par intelligence artificielle et par apprentissage automatique ».
Cotée à la bourse de Paris depuis près de dix ans (avec une valorisation modeste de 90 millions d’euros), la société franco-américaine a entamé sa mue vers un modèle par abonnement, en mode SaaS (Software-as-a-Service) et basé sur le cloud, avec l’objectif d’accroître ses revenus récurrents annuel (abonnement et maintenance) : actuellement, ces ARR (Annual Recurring Revenue) représentent 36 % de son chiffre d’affaires ; l’ambition exprimée le 20 octobre dernier par Amedeo d’Angelo est de porter ce ratio à 70 % d’ici 2024. En plus de l’impact négatif de la pandémie du coronavirus, cette transition en cours devrait affecter son chiffre d’affaires de l’année 2021 (attendu à 90 millions de dollars, mais en baisse par rapport aux 94,8 millions de 2020 (3)) ainsi que celui de 2022 (également prévu en baisse par les analystes). Quoi qu’il en soit, le marché mondial de la protection des contenus numériques – sur les réseaux IP de l’Internet, gérés et non gérés (4) – a le vent en poupe – venant aussi bien des grands studios d’Hollywood que des ayants droit de l’audiovisuel, du sport et des médias. L’explosion des usages et du multi-screen (diffusion de contenus en plusieurs formats, débits et résolutions, que cela soit sur smartphones, téléviseurs connectés, tablettes, ordinateurs ou consoles de jeux vidéo), ainsi que l’engouement pour l’ultra-haute définition (4K/UHD) et l’avènement de la 5G capable de transporter des vidéos à très haut débit, sont autant de défis à relever. « Alimentée par la base de données VCAS [Video Content Authority System], Verimatrix Multi-DRM unifie la gestion des droits pour la plupart des DRM et des appareils clients, réduisant les dépenses opérationnelles pour les fournisseurs de services vidéo », assure l’entreprise, qui a généré plus de la moitié de son chiffre d’affaires sur le continent américain, plus d’un tiers en Europe, Afrique et Moyen-Orient, le restant en Asie.
A l’instar de Nagra-Kudelski, de Irdeto ou encore de Synamedia, il s’agit de fournir aux industries culturelles les outils « anti-piratage » pour éviter d’atteindre un manque à gagner dû au piratage vidéo – y compris des événements diffusés en direct – estimé à 12,5 milliards de dollars d’ici 2024. Cela suppose que les plateformes de services vidéo mettent en œuvre des mesures de sécurité plus strictes afin d’identifier les sources du piratage.

Watermarking, cryptage, multi-DRM, etc.
Cela peut passer par des solutions de watermarking, qui revient à appliquer un filigrane numérique ou tatouage digital comme marquage invisible dans le contenu vidéo pour « remonter jusqu’au délinquant et au lieu d’origine » grâce à cet identifiant du contenu piraté. Pour les contenus amenés à être diffusés en streaming ou livestream, ils peuvent être cryptés une bonne fois pour toute pour obtenir un flux protégé de bout en bout, quel que soit le réseau utilisé. Pour la lecture de contenus multimédias, la protection passe par des technologies multi-DRM (ViewRight chez Verimatrix par exemple), utilisant aussi des DRM promus par les GAFAM tel que PlayReady (Microsoft) ou Widevine (Google). Le développement accéléré de l’Internet des objets et des véhicules connectés ouvre aussi de nouvelles perspectives multimédias. @

Charles de Laubier

Plateforme vidéo : discret, Sony fourbit ses armes

En fait. Le 2 décembre dernier, l’analyste Simon Murray chez Digital TV Research a répondu à Edition Multimédi@ sur la raison de l’absence du groupe japonais Sony dans la course mondiale aux plateformes de SVOD, alors que les autres détenteurs de studios de cinéma ont lancé la leur (Disney+, Paramount+, Peacock, …).