Le groupe Canal+ s’affirme plus que jamais comme le régulateur du cinéma français

Après avoir présenté le 18 octobre aux professionnels du cinéma français ses propositions de réforme de la chronologie des médias, Maxime Saada – DG de Canal+ – les a détaillées dans une interview au Film Français. Contacté par EM@, le CNC se défend d’être hors jeu et poursuit ses « contacts bilatéraux ».

Ce n’est pas le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) qui orchestre les négociations sur la chronologie des médias mais, plus que jamais, Canal+ en tant que premier pourvoyeur de fonds du cinéma français (près de 200 millions d’euros par an). Directeur du groupe Canal+ depuis un peu plus d’un an, Maxime Saada (photo) a présenté en deux temps ses propositions sur l’évolution de la chronologie des médias – laquelle régente la sortie des nouveaux films selon différentes
« fenêtres de diffusion ». Actuellement, les salles de cinéma bénéficient d’une exclusivité de quatre mois. Ce monopole est suivi par la VOD et les DVD, puis par les chaînes payantes, avant les chaînes gratuites et ensuite la SVOD
qui arrivent bien après.
Le patron de Canal+ a d’abord exposé oralement sa position lors d’une réunion avec professionnels du cinéma français qui s’est tenue le 18 octobre en présence du Bureau de liaison des industries cinématographiques (Blic) (1), du Bureau de liaison des organisations du cinéma (Bloc) (2) et de la société civile des Auteurs- Réalisateurs-Producteurs (ARP). Le CNC, lui, n’était pas présent à cette réunion, pourtant déterminante pour l’avenir du cinéma français. Dans la foulée, Maxime Saada a détaillé plus avant et par écrit ses mesures dans une interview exclusive accordée à l’hebdomadaire Le Film Français.

La chaîne cryptée de Vivendi joue l’« agit-prop »
Le timing de l’annonce était savamment synchronisé pour que le pavé soit lancé
dans la marre du Septième Art français tout juste avant les 26e Rencontres cinématographiques de Dijon (RCD) que l’ARP a organisé du 20 au 22 octobre.
Autant dire que cette annonce fracassante de la chaîne cryptée du groupe Vivendi
était de toutes les conversations au cours des trois jours de ce rendez-vous annuel,
où le tout-cinéma français a l’habitude de se rendre. Le CNC, lui, censé coordonner
les discussions sur le financement du cinéma français et sur la chronologie des médias, était étrangement absent des débats. Les propositions de Canal+ sont censées relancer les négociations qui – à cause de « la chaîne du cinéma » justement – s’étaient enlisées dans un statu quo persistent depuis près de deux ans (3).

Le CNC est-il devenu hors jeu ?
Alors, le CNC est-il hors jeu ? Contacté par Edition Multimédi@, son directeur général Christophe Tardieu nous a répondu : « Je ne crois pas que le CNC soit hors jeu du débat sur la chronologie car tout le monde souhaite que nous agissions dans ce domaine ! Il ne faut pas confondre le débat public, avec tout ce que cela peut comporter d’intoxication et de postures, et le travail en souterrain pour définir les positions acceptables. Accessoirement nous étions déjà informés de la position de Canal avant les sorties dans la presse ». A l’heure où nous écrivons ces lignes, aucune date de réunion inter-professionnelle n’a cependant encore été fixée par le CNC. Interrogé
en marge des RCD à Dijon Maxime Saada a pourtant indiqué à EM@ que « les négociations vont commencer dans quelques jours » mais sans avancer de date. Précision de Christophe Tardieu sur le calendrier : « Aucune date n’est encore fixée pour une réunion plénière sur la chronologie des médias. Pour le moment, nous privilégions des contacts bilatéraux avec les différents protagonistes pour voir quelles sont les évolutions pouvant être consensuelles ». Et d’ajouter : « La question n’est pas d’avantager Canal ou d’autres. La question est plutôt de dire qu’il n’est pas illogique d’avantager dans la chronologie des médias les structures qui contribuent le plus à l’économie du cinéma ».
Depuis un certain « projet d’avenant n°1 » à l’accord du 6 juillet 2009 sur la chronologie des médias, avenant présenté par le CNC en janvier 2015 dans sa première mouture (4), le réaménagement de la chronologie des médias n’a toujours pas été fait en raison des exigences de Canal+ et du blocage des exploitants de salles de cinéma. L’an dernier, Canal+ avait conditionné la poursuite des renégociations sur la chronologie des médias à la signature préalable avec le 7e Art français de son accord quinquennal sur ses engagements dans le préfinancement de films (en échange de leur exclusivité).
Ce que Rodolphe Belmer, alors directeur général de Canal+, avait obtenu en mai 2015 – juste avant le Festival de Cannes. Cet accord 2015-2019 a prolongé le précédent accord 2010-2014 signé, lui, en décembre 2009 : Canal+ s’était engagé à consacrer 12,5 % de son chiffre d’affaires à l’achat de films européens et français (5), ou, si cela est plus intéressant pour le cinéma français, à payer un minimum garanti de 3 euros par mois et par abonné. Cette année, les choses ont changé pour « la chaîne du cinéma » payante, reprise en main par Vincent Bolloré qui est à l’origine de l’éviction de Rodolphe Belmer en juillet 2015 : la baisse du nombre d’abonnés (500.000 en moins
en trois ans, passant en dessous des 4 millions) a contraint Canal+ à scinder son offre (Cinéma, Sport, Série, Family) en instaurant de nouveaux tarifs allant de 19,90 euros à 99 euros par mois (au lieu de seulement 39,90 euros par mois), lesquels entreront en vigueur le 15 novembre. Du coup, Canal+ souhaite non seulement revoir l’accord de 2015 avec les organisations du cinéma français – notamment sur le minimum garanti par abonné qui risque selon elle de lui coûter trop cher (6) – mais aussi chambouler
la chronologie des médias à son avantage – notamment en ramenant sa fenêtre de diffusion de dix à six mois après la sortie d’un film en salle obscure.

Ce coup-double de la part de Canal+ était accueilli de deux façons aux RCD de Dijon. Les propositions faites sur la chronologie des médias semblent satisfaire la plupart des organisations du cinéma, notamment celles – comme la Fédération nationale des cinémas français (FNCF) ou la Fédération nationale des distributeurs de film (FNDF)
– décidées à « sanctuariser » les quatre mois de la salle. Là où le rapport Lescure de mai 2013 et le CSA dans la foulée préconisaient le passage de la VOD de quatre à
trois mois, la chaîne cryptée, les exploitants de salles et les distributeurs de films font toujours barrage à cette évolution. A l’instar de Maxime Saada et de Jean-Pierre Decrette, président du Blic et président délégué de la FNCF, Victor Hadida, président de la FNDF, a expliqué à Edition Multimédi@ que « le piratage de films sur Internet explose dès que les films sont disponibles en DVD et en VOD ».
Le seul geste que fait Maxime Saada envers la VOD, c’est de « dégeler totalement »
la fenêtre de Canal+ – après y avoir été opposé – pour que les plateformes de VOD n’aient plus à déprogrammer des films lorsque la chaîne payante les diffuse. Il propose en outre de donner un « avantage chronologique » au téléchargement définitif d’un film (dit EST (7)) par rapport à la VOD à l’acte (dite locative). « Je préconise de lui sanctuariser une fenêtre de 15 jours, entre quatre mois et quatre moi et demi, avant de rendre disponible le film en VOD », a-t-il dit dans Le Film Français. La raison est simple : un film se vend plus cher en EST (environ 20 euros) qu’en VOD (3 à 10 euros).

Canal+ veut revoir l’accord de 2015
En revanche, l’idée de Maxime Saada de réviser l’accord quinquennal de 2015 et ses minimums garantis ne convient pas au Bloc, notamment à l’Union des producteurs de cinéma (UPC) qui, le 20 octobre, s’est dite d’accord sur la nouvelle chronologie des médias proposées mais « dés lors que, de manière concomitante », Canal+
« prolong[e] sans changement (…) pour une durée de deux ans » les accords signés avec le cinéma en mai 2015. Or, il serait étonnant que Canal+ accepte de les passer
de cinq à sept ans sans pourvoir en revoir les modalités de calcul. @

Charles de Laubier

Amazon, Spotify, Netflix, Steam, … : leurs algorithmes sont-ils les nouveaux prédateurs de la culture ?

Les nouveaux champions de l’industrie culturelle – les « ASNS » – ont fait des algorithmes prédictifs leur fond de commerce, de la production à la consommation en ligne. Mais le risque est de ghettoïser et de communautariser les individus, avec la conséquence pour chacun d’exclure le monde de l’Autre.

Par Fabrice Lorvo*, avocat associé, cabinet FTPA

La révolution numérique n’a pas fini de nous surprendre et nous n’en sommes probablement qu’aux préliminaires. Aux côtés des GAFA, géants du Net, voilà les ASNS (Amazon pour la librairie, Spotify pour la musique, Netflix pour la vidéo et Steam pour les jeux vidéo) qui sont les nouveaux champions de l’industrie culturelle. Ces champions ont recours aux algorithmes prédictifs tant au niveau de la production que de la consommation de contenus culturels.

Prédiction et contenus culturels
D’un point de vue général, les algorithmes sont déjà présents partout dans nos vies. Ils nous aident (par exemple le GPS) et ils nous surveillent aussi, en analysant les traces ou les signaux que nous laissons (1). Ils sont le reflet de notre vision de la société. Ils ne sont donc pas sans faiblesses. Les algorithmes ne font que reproduire les inégalités sociales car ils se contentent d’analyser et de reproduire la réalité. Ils n’aiment pas la nouveauté car ils analysent des activités passées. Ils ne comprennent pas tout (notamment pas le discours implicite) et ils n’ont pas de cœur (ils n’intègrent pas l’émotion ou le sentiment humain). Pour le moment, les algorithmes ne peuvent déceler ni la donnée erronée, ni la donnée manipulée, ce qui a pu entraîner des catastrophes, notamment dans le monde de la Bourse. Les algorithmes peuvent aussi travestir la réalité comme l’illustre le scandale du moteur diesel de Volkswagen (2). C’est pourquoi nous devons nous demander si ces algorithmes représentent aussi un danger dans le domaine culturel.
L’utilisation des algorithmes est revendiquée pour la création de contenu tant par les ASNS que par l’industrie historique du cinéma. Les algorithmes sont utilisés par Netflix pour produire de nouvelles séries. Cependant, ces algorithmes ne servent qu’à déterminer les sujets qui seront de nature à rencontrer l’adhésion d’un large public.
De l’aveu même des dirigeants de Netflix, les choix éditoriaux résultent de 70 % de données (data) et de 30 % de jugement (une « intuition informée ») (3). De plus,
une fois les thèmes retenus, la plateforme de SVOD laisse une grande latitude aux réalisateurs acteurs scénaristes pour s’exprimer dans la création de la série. Les algorithmes sont aussi utilisés dans l’industrie du cinéma aux Etats-Unis. La société britannique Epagogix (4) prétend apporter une analyse prédictive de la valeur d’un script, au box-office, en identifiant et en quantifiant comment et où améliorer leur valeur commerciale, et ce par rapport aux films passés. L’analyse s’opère donc soit par rapport aux données relatives aux goûts des abonnés, soit par rapport aux données relatives au contenu des films ayant eu un grand succès. Outre la question de savoir
si le succès d’une oeuvre doit être le seul référant (quid de son contenu ?), il faut un peu de recul pour évaluer la fiabilité de tels algorithmes.
N’avons-nous pas tendance à surestimer les capacités de ces algorithmes pour la production ? Les causes du succès sont souvent impénétrables. Certes, les algorithmes permettent d’avoir une vision plus fine des éléments caractéristiques d’une réussite mais rien n’indique que celle-ci résultera nécessairement de la réunion de ces éléments. Le succès a ses raisons que les data ne connaissent pas ! De plus, le succès réside aussi dans la nouveauté de la présentation. Reste à savoir quel sera le degré de lassitude du public et pendant combien de temps il sera réceptif au contenu composé des mêmes recettes.
Si « House of Cards » – la première série diffusée en exclusivité sur Netflix à partir de 2013 – a été un succès indéniable, la série « Marseille » produite dans les mêmes conditions par Netflix a connu en France, sur TF1, un début modeste avec une perte de 1 million de téléspectateurs entre le premier et le second épisode (5). Enfin, le numéro un mondial de la SVOD ne semble pas miser uniquement sur ce type d’algorithme pour constituer son catalogue. Il a annoncé avoir acheté les droits pour trois « petits » films français présentés lors de l’édition 2016 du Festival de Cannes (6).

Algorithmes face à la pluralité de l’offre
Les ASNS ont pour point commun d’aider leurs clients à faire un choix par l’utilisation d’un algorithme. L’objectif affiché est d’améliorer l’expérience utilisateur des clients
en proposant des contenus adaptés aux goûts et aux habitudes de chacun. Ce type d’algorithme prédictif est un outil indispensable mais qui a des effets pervers. Les ASNS répondent particulièrement aux nouvelles exigences de consommation permises par le numérique (« Je consomme ce que je veux et quand je veux ») qui supposent une offre conséquente de produits culturels, ce qui rend paradoxalement le choix très difficile (trop de choix tue le choix). Si l’utilisateur doit passer des heures à consulter
les catalogues pour choisir un produit culturel, il est peu probable qu’il utilisera régulièrement ce service.

La nouveauté peu recommandable
Pour Netflix, présent dans 190 pays avec plus de 75 millions d‘utilisateurs, l’objectif est de présenter le catalogue le plus important possible puis de le réduire à 50 titres à partir desquels il sera procédé à une sélection efficace. Son algorithme – qui est dorénavant mondial et non plus adapté à chaque pays – utilise les données relatives à son abonné, lesquelles sont comparées avec les données des autres abonnés. Les données analysées sont le profil de l’abonné (ses notations et ses recherches) mais aussi les données passives de connexion (combien de personne ont regardé telle série, à quel rythme, sur combien d’épisodes pour chaque programme, combien l’ont regardée en entier, avec ou sans pause, à quelle heure, etc.).
Pour Spotify, la recommandation utilise trois types d’éléments : l’environnement de l’utilisateur, les comportements de l’utilisateur et des autres abonnés, ainsi que la compréhension des sentiments de l’utilisateur. En partant du postulat que les plateformes en cause sont neutres et qu’elles ne détournent pas les algorithmes prédictifs pour proposer leurs produits, le premier effet pervers est structurel (c’est le
« départ à froid »). Si la recommandation suppose la popularité, une oeuvre nouvelle n’aura pas d’évaluation et ne sera donc pas recommandée. De plus, l’algorithme est
de nature à ghettoïser, à communautariser les individus et à les renforcer dans leurs propres visions des choses. L’algorithme de Netflix utilise une classification du catalogue en plus de 76.000 catégories. Elle tient compte notamment de la couleur de peau ou de l’orientation sexuelle de l’abonné. Cela le conforte dans son monde, ce qui a souvent pour conséquence d’exclure le monde de l’Autre.

Le renforcement de ses propres goûts se fait au détriment de la découverte. Il crée chez l’individu un avatar statique qui annihile sa singularité (7). Il réduit aussi les occasions de confrontation à l’Autre, qui n’est pas toujours celui que l’on veut voir. L’algorithme ne fait que réduire l’horizon culturel de l’abonné et peut le confiner dans une tour d’ivoire virtuelle.
En conséquence, limiter sa consommation culturelle aux suggestions d’un algorithme cantonnera l’abonné aux mêmes styles, qu’il a certes appréciés dans le passé mais qui l’empêchera de découvrir d’autres produits en dehors de ceux qu’il a déjà consommés. En d’autres termes, et sous l’angle culinaire, si un algorithme analyse vos antécédents d’achats de nourriture et note que vous achetez souvent des pommes de terre, il vous proposera de la purée, des chips, des frites, etc. La suggestion sera cohérente par rapport à ce que vous aimez mais ce manque de diversité ne sera pas forcement du meilleur effet sur votre santé !
En conclusion : l’algorithme prédictif est un outil indispensable. Cependant, en fonction de sa programmation, il peut tout à la fois « favoriser la découverte et la diversité qu’enfermer les individus dans des goûts stéréotypés ou des horizon très limités » (8). Si l’algorithme devient indispensable, et que son efficacité suppose une coopération pleine et entière de l’abonné, encore faut-il que l’algorithme soit transparent et que la relation avec l’abonné soit basée sur la loyauté, la confiance et l’éthique. Cette relation est à construire. En 2014, le Conseil d’Etat invitait déjà à « définir un droit des algorithmes prédictifs » (9).
Dans tous les cas, il ne faut pas que les algorithmes prédictifs culturels nous dispensent de faire l’effort d’aller vers l’inconnu et, par là même, qu’ils nous privent de la joie de nous laisser séduire ou surprendre. L’écrivain André Dhôtel nous a appris que ce qui distingue l’homme des robots, « ce serait que les robots ne se promènent jamais » (10). La culture est un domaine qui permet, plus qu’aucun autre, de faire des promenades. Ne nous en privons pas volontairement. On doit aussi se demander si le risque, pour
la culture ne se situe pas autre part. Elle joue un rôle fondamental, tant au niveau individuel que collectif, qui justifie des dérogations au fonctionnement des règles naturelles du marché (notamment par des quotas de production ou de diffusion de 60 % d’œuvres européennes dont 40 % françaises) pour assurer une diversité culturelle.

Des quotas dans les algorithmes ?
Dans ces conditions, les ASNS ne devraient-elles pas s’engager volontairement à soutenir cette diversité culturelle en intégrant dans leurs algorithmes les quotas imposés pour protéger la création européenne et française et, ainsi, éviter ou retarder une américanisation de la culture ou sa globalisation/mondialisation/uniformisation ? @

* Auteur du livre « Numérique :
de la révolution au nauvrage ? » , paru chez Fauves Editions

Pourquoi Mediawan adopte une stratégie « 3C » : convergence, consolidation et complémentarité

Qu’est-ce qui motive vraiment le nouveau trio Niel-Pigasse-Capton en lançant Mediawan à la conquête de sociétés de médias et de contenus traditionnels et/ou numériques en Europe ? La sous-évaluation de nombreux actifs, susceptibles d’être rachetés à bon prix et d’entrer dans leur triangle stratégique.

Le gourou japonais en stratégie d’entreprise, Kenichi Ohmae, a théorisé
le modèle « 3C » qui devrait permettre à toute activité commerciale de rencontrer le succès : l’entreprise, le client et la concurrence. Les cofondateurs de Mediawan (ex-Media One) – Xavier
Niel, Matthieu Pigasse et Pierre-Antoine Capton (photos) – ambitionnent de
mettre en oeuvre leur propre triangle stratégique : convergence, consolidation et complémentarité.

« La fragmentation croissante de l’audience augmente le besoin de consolidation autour de fortes marques médias ».

Presse, radio, télé, films et/ou digital
Selon eux, « la convergence dans les médias et les industries du divertissement mène à une consolidation d’acteurs existants leur permettant de combiner leurs activités complémentaires ». Et ce, dans un contexte où les médias – fragilisés par la destruction créatrice du numérique – ont leur vu leur valorisation sérieusement revue à la baisse. C’est donc le moment d’acheter ! Mediawan compte investir – d’ici à vingt-quatre mois – dans un groupe de médias à forte valeur ajoutée dans les contenus de divertissement et les médias : la presse, la radio, la télévision, les films et/ou le numérique) pour au moins 75 % des montant levés : soit pour au moins 187,50 millions d’euros sur les
250 millions d’euros levés. En mettant en oeuvre cette stratégie « 3C », le trio entend «maximiser la valeur des actionnaires en menant la transformation dans des médias européens ». En matière de convergence, ils tablent sur le fait que « la révolution numérique et la consommation mobile en croissance créent des opportunités ».
Ils constatent que « l’accès aux médias par des terminaux mobiles est le segment connaissant la plus forte croissance dans les dépenses médias mondiales et devrait devenir la plateforme numérique principale de la prochaine décennie ».

Au sein de cette convergence numérique, les trois investisseurs prennent acte des nouveaux comportements de consommation et de l’émergence de nouveau modèles économiques : « Des acquisitions physiques et des services de téléchargement, les utilisateurs sont passés aux modèles d’abonnement et de streaming (…), ce qui a permis l’émergence d’entreprises telles que Spotify ou Deezer », soulignent les cofondateurs de Mediawan. Mais cette convergence des contenus et des plateformes conduit à une concurrence accrue entre les différents acteurs. « La demande croissante de contenus médias, accessibles “n’importe quand, n’importe où”, et la quantité croissante de données, de traitement numérique et de diffusion a mené à une prolifération de plateformes de distribution dans un environnement compétitif pour lequel la qualité du contenu et l’exclusivité restent des facteurs de différenciation-clés ». Au-delà de la convergence, c’est la consolidation entre acteurs de contenus médias, traditionnels et numériques, et les industries du divertissement, qui motive les stratèges de Mediawan. « La fragmentation croissante de l’audience augmente le besoin de consolidation autour de fortes marques médias. Les acteurs industriels doivent atteindre une taille critique pour être en position de développer et de distribuer des contenus à travers des plateformes variées », estiment les dirigeants de Mediawan.
Et de poursuivre : « Les opportunités [de cibles à racheter, ndlr] sous-évaluées et le potentiel de croissance significatif existent dans le contenu médiatique traditionnel et numérique, et les industries du divertissement. La présence d’actionnaires historiques dans des entreprises de médias, désireux soit de disposer soit de transférer leurs actifs ou leurs actions, offre de nouvelles occasions pour les fondateurs et l’entreprise dans les contenus médias et les industries culturelles ».
En troisième et dernier lieu, le trio Niel-Pigasse-Capton mise sur la combinaison d’activités complémentaires dans les contenus médias traditionnels et numériques, et les industries du spectacle, afin de « maximiser la nouvelle création de valeur ». Les synergies de marques, de médias et de contenus permettent d’atteindre cette objectif.
« La fragmentation des audiences a poussé des sociétés de médias à développer des technologies de plus en plus sophistiquées pour atteindre des publics ciblés, lesquels peuvent être atteints en démultipliant les contenus simultanément et de façon complémentaire des contenus, de la distribution et des technologies », est-il expliqué.

Investissements et acquisitions
Cotée à la Bourse de Paris, mais uniquement réservée aux investisseurs professionnels, la société Mediawan a le statut de Spac (Special Purpose Acquisition Company) pour procéder à des acquisitions. A fin avril, Xavier Niel, le patron fondateur de Free via NJJ Presse, le banquier Matthieu Pigasse via Les Nouvelles Editions Indépendantes, et Pierre-Antoine Capton, via Troisième OEil, détiennent chacun 6,69 % du capital et des droits de vote de ce véhicule financier. @

Charles de Laubier

 

Films, musiques, sports, … : vers la portabilité transfrontalière des contenus en ligne

Le règlement européen sur la portabilité transfrontalière des services de contenu en ligne vient d’être approuvé par les ministres de la Concurrence, pour que l’accès aux œuvres culturelles et aux événements sportifs puisse se faire dès 2017 sans frontières au sein du marché unique numérique.

Les ministres européens de la Concurrence ont approuvé le 26 mai, lors d’un Conseil de l’Union européenne à Bruxelles, le règlement qu’avait présenté la Commission européenne pour instaurer dès l’an prochain la portabilité transfrontalière des services de contenu en ligne. Les représentants permanents
des Etats membres l’avaient validé le 13 mai. Les négociations vont pouvoir commencer avec le Parlement européen, dont le vote devrait intervenir à l’automne prochain – a priori en octobre, selon nos informations.

Du roaming mobile au roaming audiovisuel
Il s’agit de lever les restrictions qui empêchent les Européens – lorsqu’ils se rendent dans un autre pays que le leur au sein du marché unique numérique – de se voir privés d’accès aux films, aux séries télé, à la musique, aux livres numériques, aux jeux vidéo ou encore aux retransmissions sportives, pour lesquels ils ont pourtant souscrit un service en ligne dans leur pays d’origine. Comme il s’agit d’un règlement, ses dispositions seront directement applicables par les Vingt-huit. La portabilité transfrontalière des contenus sera alors une réalité en 2017, soit la même année où
les frais d’itinérance mobile dits de roaming prendront fin dans l’Union européenne. Comme l’usage des smartphones et des tablettes 3G/4G est plébiscité (surtout par
la jeune génération) pour accéder à la vidéo à la demande (VOD), à la musique en ligne ou encore aux offres illimitées de livres numériques, le besoin de « roaming audiovisuel » sans surcoût se fait plus pressant.
De quoi accélérer la mise en oeuvre du marché unique numérique dont Jean-Claude Juncker (photo), président de la Commission européenne, a fait son cheval de bataille avec Andrus Ansip et Günther Oettinger (1). Leur objectif : élargir l’accès aux contenus culturels et sportifs dans toute l’Europe. Jusqu’alors, un abonné de Netflix en France qui se rend en Allemagne ne peut pas visionner les films proposés par Netflix aux abonnés allemands. De même, celui qui a l’habitude d’utiliser un service de VOD en France ne peut pas regarder les films désirés lorsqu’il est en voyage d’affaires au Royaume-Uni par exemple. Un abonnés français à Canal+ est lui aussi cantonné à l’Hexagone. Or, pour la Commission européenne et les ministres de la Concurrence, ces situations de géo-blocages pour des questions de propriété intellectuelle ne sont plus tenables. Les Européens doivent pouvoir bénéficier de la portabilité transfrontalière des contenus qu’ils paient, quels que soient les pays de l’Union où ils se rendent. Il s’agit en même temps de permettre une meilleure circulation des contenus, d’offrir un plus grand choix aux Européens et de renforcer la diversité culturelle. La Commission européenne entend en outre améliorer la distribution transfrontalière de programmes
de radio et de télévision en ligne, en réexaminant la directive « Câble et satellite » (2). Mais les industries culturelles et leurs ayants droit ont exigé que soit prévu dans le règlement « Portabilité transfrontalière » un critère temporel, c’est-à-dire que la présence de l’utilisateurs en dehors de son pays d’origine soit provisoire (passagère
et courte). Ce critère temporel vise à éviter une trop large interprétation qui risquerait, selon eux, d’être l’équivalent d’un accès permanent transfrontalier à leurs œuvres.
Ils y voit une violation du principe de territorialité, qui leur permettent par le jeu des exclusivités géographiques d’optimiser la monétisation de leurs contenus culturels.

Pour contourner les restrictions liées aux droits d’auteur, certains utilisateurs ont recours à des VPN (3) qui leur permettent de simuler une connexion provenant de France et d’accéder ainsi aux catalogues français depuis l’étranger. Ce contournement du filtrage géographique déplait non seulement aux ayants droits, mais aussi à… Netflix, qui doit se soumettre au géo-blocage exigé par ces premiers. La plateforme mondiale de SVOD est parti en guerre contre ces réseaux privés virtuels ou les serveurs dits proxy ou unblockers en bloquant les adresses IP associées. Par exemple, le prestataire technique NordVPN permet d’accéder en Europe à Netflix aux Etats-Unis.

Netflix contre les VPN anti-blocages
« Nous faisons des progrès dans l’obtention de licences d’envergure mondiale pour
les contenus et nous offrons maintenant notre service dans 190 pays, mais nous avons encore du chemin à faire avant que nous puissions offrir aux gens les mêmes films et séries TV partout dans le monde. (…) En attendant, nous continuerons à respecter et faire respecter l’octroi de licence de contenu par zone géographique », avait prévenu
en début d’année Netflix (4). Est-ce la fin du jeu du chat et de la souris ?
Le règlement « Portabilité transfrontalière » pourrait donner un coup de frein en Europe aux VPN, lesquels seront cependant toujours prisés. @

Charles de Laubier

YouTube et Netflix rattrapés par la directive « SMA »

En fait. Le 25 mai, la Commission européenne a présenté un projet de mise à jour de la directive « Services de médias audiovisuels » (SMA) du 10 mars 2010, afin que les Vingt-huit puissent mieux prendre en compte et de façon harmonisée les plateformes vidéo de type YouTube ou Netflix dans leur législation.

En clair. « De nos jours, les spectateurs regardent des contenus vidéo non seulement sur leurs chaînes de télévision, mais aussi, de plus en plus, en passant par des services de vidéo à la demande (comme Netflix et Mubi (1)) et des plateformes de partage de vidéos (telles que YouTube et Dailymotion) », a expliqué le 25 mai la Commission européenne pour justifier sa proposition de révision de la directive sur les services de médias audiovisuels (SMA). Les ministres concernés des Etats membres puis le Parlement européen doivent encore approuver ou corriger ce projet législatif dans les prochains mois. Il s’agit de « parvenir à un meilleur équilibre des règles qui s’appliquent aujourd’hui aux organismes traditionnels de radiodiffusion télévisuelle,
aux fournisseurs de vidéos à la demande et aux plateformes de partage de vidéos ».