Les nouveaux nababs

Dans les coulisses de la 73e édition du Festival de Cannes, s’agitent dans l’ombre de nouveaux venus dans le monde, pourtant réputé très fermé, de la production culturelle : Orange, Telefonica, Verizon ou Vodafone. Bien sûr, les films en compétition et le ballet des stars sur le tapis rouge des marches mythiques attirent toujours autant les flashs et les projecteurs. Mais pour tenir leurs rangs et continuer à nous présenter leurs créations, les réalisateurs ont dû composer avec un monde de la production en pleine mutation. Aujourd’hui comme hier, faire un film, réaliser un programme de télévision, créer un jeu vidéo ou enregistrer une création musicale reste un parcours du combattant. La révolution numérique, en bouleversant les circuits de distribution des contenus, a également bousculé les sources habituelles de financement de la production : un effet domino qui
a touché, tour à tour, la musique, la presse, la vidéo, les jeux, l’édition et le cinéma. Les créateurs impuissants, au cœur d’un cyclone qui les malmène, ont dû retrouver les bons partenaires capables de financer leur travail. Dans cette vaste réorganisation, les opérateurs télécoms ont joué un rôle particulier, plus ou moins directement, plus ou moins contre leur gré. Si les plus puissants se sont directement impliqués dans le contrôle des plates-formes de distribution de contenus, en mettant en place leur propre système de diffusion de VOD, d’autres sont allés plus loin : Orange en prenant tour à tour le contrôle de Deezer pour la musique ou de Dailymotion pour la vidéo, ou AT&T en prenant le contrôle de Netflix aux Etats-Unis…

« Audiovisuel : les opérateurs télécoms ont joué un rôle particulier, plus ou moins directement, plus ou moins contre leur gré. »

Frédéric Goldsmith, APC : « Les films ne peuvent plus être ignorés dans les nouvelles chaînes de valeur »

Le délégué général de l’Association des producteurs de cinéma (APC), présidée
par Anne-Dominique Toussaint, répond à Edition Multimédi@ sur les enjeux numériques et réglementaires auxquels doit faire face le Septième Art français. Entre inquiétudes et opportunités.

Propos recueillis par Charles de Laubier

Edition Multimédi@ : Avez-vous été rassurés après les propos que Nicolas Sarkozy envers la loi Hadopi (« Je prends (…) ma part de l’erreur [Hadopi] (…) suis prêt à une Hadopi 3 ») ?
Frédéric Goldsmith :
Nous avons exprimé notre inquiétude à la suite des propos rapportés du Président de la République, lors du lancement du Conseil national du numérique (CNN). Nous connaissons son engagement en faveur du respect des droits de propriété littéraire et artistique sur les réseaux électroniques. C’est pourquoi nous avons été très surpris de ses propos. Le rectificatif qu’il a publié (1) va dans le bon sens. Nous avons de bons échos de l’Association de lutte contre la piraterie audiovisuelle (Alpa) sur la progression de l’action de la Hadopi pour prévenir le piratage et développer l’offre légale (2). Un enjeu est le développement des sites de « streaming » illégaux, contre lesquels il existe des moyens d’action complémentaires dans le Code de la propriété intellectuelle.

Convergence télécoms-audiovisuel et financement des oeuvres : vers une nouvelle régulation

Ancien député UMP du Maine-et-Loire, conseiller régional des Pays de la Loire et membre de la Cnil, Dominique Richard – auteur du rapport « Audiovisuel 2015 » remis en avril – a été nommé par le CSA Médiateur pour la circulation des œuvres. Et une mission « TV connectée » vient d’être lancée.

Comment Facebook se lance sur le marché de la VOD

En fait. Le 27 mars, la filiale de distribution numérique de Time Warner, Warner Bros. Digital Distribution, a annoncé qu’elle portait à cinq le nombre des films disponible en VOD payante sur le réseau social Facebook. Et ce, après un test
qui a démarré le 8 mars avec « The Dark Knight ».

En clair. Facebook s’apprête à bousculer le monde de la vidéo à la demande (VOD)
en proposant depuis le mois de mars – aux Etats-Unis pour l’instant pour des questions de droits – des films issus du catalogue de Warner Bros. « A ce stade, il n’y a pas de projets internationaux », indique à EM@ une porte-parole américaine de Warner Bros., Deborah Lincoln. Après un premier test commencé le 8 mars avec une nouvelle aventure de Batman, « The Dark Knight » (1), cinq autres films sont à leur tour mis en ligne (2) depuis le 27 mars. Toujours en phase de test, ce service de VOD permet aux millions d’internautes américainss de visionner un film durant 48 heures après l’acquisition en ligne, moyennant 30 à 40 « Facebook Credits ». Il s’agit de la monnaie virtuelle utilisée par les « amis » du réseau social, notamment pour les jeux en ligne, sachant que l’on peut acheter 15 Credits pour 1,50 dollars. Il suffit ensuite de cliquer sur «Watch Now » pour voir le film choisi. « Rendre disponible nos films à travers Facebook offre aux consommateurs un moyen simple et pratique d’y accéder et de les appré-
cier », s’est félicité Thomas Gewecke, président de Warner Bros. Digital Distribution.
Le studio hollywoodien compte aussi sur les boutons de recommandation « J’aime » de Facebook pour faire jouer le bouche à oreille en ligne. De quoi inquiéter les spécialistes outre-Atlantique de la VOD tels que Netflix ou Hulu. Ce dernier, créé par News Corp, NBC Universal et Disney, était justement en négociation avec la maison mère Time Warner depuis l’été dernier. Facebook pourrait aussi faire de l’ombre à l’iTunes Store, bien qu’Apple soit dans ce domaine en avance avec un catalogue en ligne de 10.000 films, et devancer YouTube et Dailymotion tentés eux aussi par les longs métrages (EM@32, p. 4). Pour l’heure, le réseau social de Mark Zuckerberg est déjà crédité
par la société de mesure d’audience ComScore de plus de 46,6 millions de visiteurs uniques sur des contenus vidéos sur le mois de février 2011 aux Etats-Unis. Ce qui le place en cinquième position derrière Google, Vevo, Microsoft et Yahoo, mais devant Viacom Digital (MTV), AOL, Turner Digital, Hulu et NBC Universal. A noter qu’en France, Arte a annoncé le lancement – prévu pour le 18 avril prochain – d’une
« webfiction » destinée à être diffusée exclusivement sur Facebook et coproduite
avec la société française Zadig Production. @

Europe : YouTube prêt pour des films destinés au Net

En fait. Le 14 mars, la filiale française de YouTube indique à Edition Multimédi@ qu’elle est « tout à fait prête à accueillir » des films qui seraient produits spécifiquement pour le Web en Europe ou en France. Depuis le 11 mars,
YouTube diffuse aux Etats-Unis un premier long-métrage tourné pour le Net.

En clair. Certains producteurs et réalisateurs de films sont tentés de tourner des films
de long-métrage pour les diffuser directement sur Internet, à l’instar de Sebastian Gutierrez qui propose sur YouTube Screening Room (1) son long-métrage hollywoodien
« Girl Walks Into Bar ». Son film a été créé spécifiquement pour Internet. « Hollywood vient à YouTube », s’est félicité le 11 mars la filiale de partage vidéo de Google sur son blog officiel. C’est la première fois qu’un film du Septième Art est conçu pour être diffusé directement sur le Web, sans passer par les salles de cinéma, ni par la sacro-sainte chronologie des médias. Pour l’Europe ou la France, YouTube nous indique ne pas avoir d’informations concernant des films qui seraient produits spécifiquement pour YouTube.
« Mais nous sommes tout à fait prêts à en accueillir », répond Anthony Zameczkowski, directeur des partenariats pour la France et l’Europe de l’Est. Le premier long-métrage européen mis en ligne par YouTube fut, à partir de juin 2007, « Le Monde du silence »
de Jacques-Yves Cousteau et de Louis Malle. Puis, ce fut deux ans plus tard au tour
de «Home» de Yann Arthus-Bertrand d’être diffusé sur YouTube et, cette fois, simultanément en ligne, à la télé et en salle. Ce film documentaire est produit par Luc Besson, dont le groupe EuropaCorp poursuit les discussions pour d’autres films. Et, depuis près d’un an, YouTube propose des films français sur la chaîne « Le Top Films » (2) grâce à un accord signé en avril 2010 avec Lagardère Active. Les internautes français peuvent y retrouver des films cultes (« Décroche les étoiles », « A ce soir »,
« La menace », etc). La chaîne compte pour l’instant 347 abonnés seulement. YouTube, qui met à disposition sa technologie anti-piratage par empreinte numérique Content ID (3), discute aussi avec d’autres producteurs, tel que Gaumont, Pathé ou encore Universal Pictures. Le 25 novembre dernier, YouTube avait annoncé avoir signé des accords en France avec trois sociétés de gestion collective de droits d’auteurs : SACD, Scam et ADAGP. Mais, pour l’Association des producteurs de cinéma (APC), aucune diffusion de film sur YouTube ne peut se faire sans la signature du producteur lui-même (4). Le concurrent français de YouTube, Dailymotion, a lui aussi l’intention de proposer gratuitement – cette année – des films de long-métrage français ou européen, comme il l’avait fait l’an dernier avec le film d’animation documentaire « Valse avec Bachir » @