Contenus : la justice américaine s’en prend à Apple

En fait. Le 27 août, le tribunal de New York souhaite que les mesures qui seront prises contre Apple se limitent aux livres numériques (entente sur les prix). Alors que la Justice américaine (DoJ) a demandé le 2 août à ce que le verdict à venir soit étendu au contraire à tous les contenus en ligne.

En clair. Le DoJ (Department of Justice) et trente-trois procureurs généraux veulent élargir à tous les contenus numériques en ligne – et pas seulement aux ebooks –
les mesures de surveillance des pratiques commerciales et tarifaires à la marque à la pomme : « Il sera interdit à Apple de passer des accords avec des fournisseurs de livres numériques, de musique, de films, de programmes télévisés ou d’autres contenus s’ils sont susceptibles d’augmenter les prix auxquels les distributeurs concurrents d’Apple pourraient vendre ces contenus ». C’est la première fois que la justice américaine souhaite que des mesures soient prises à l’encontre d’Apple quels que soient les contenus numériques concernés. C’est ainsi tout l’écosystème App Store
et iTunes qui se retrouvent dans le collimateur. Mais la juge de New York, Denise Cote, est opposé à cet élargissement.
En revanche, elle est d’accord sur la proposition du DoJ de nommer un expert indépendant pour s’assurer que les obligations antitrust imposées à Apple soient suffisantes pour détecter les pratiques anti-concurrentielles avant qu’elles ne pénalisent les consommateurs.
Depuis que le tribunal de New York a accusé le 10 juillet dernier la firme de Cuppertino d’entente illicite sur les prix des livres numériques (1), le soupçon d’étend désormais à tous les contenus. Le DoJ demande l’annulation des contrats avec les éditeurs concernés par cette entente (2) et l’interdiction pendant cinq ans de signer de nouveaux contrats qui pénaliseraient la concurrence sur les prix. « Apple doit aussi pendant deux ans permettre à d’autres distributeurs comme Amazon et Barnes & Noble de proposer des liens de leurs applications ebooks vers leurs propres boutiques en ligne de livres numérique, afin que les consommateurs puissent acheter et lire des ebooks sur leur iPad et iPhone en comparant facilement les prix d’Apple avec ceux des concurrents », préconise la justice américaine. Apple a déjà indiqué qu’il ferait appel du verdict à venir. Si sa condamnation devait être confirmée, même sans sanction financière, la marque
à la pomme risque de faire l’objet d’une class action de consommateurs lésés. En Europe, la Commission européenne et l’Autorité de la concurrence en France (lire Juridique p. 8 et 9) s’interrogent sur les pratiques de l’App Store d’Apple. @

Ventes numériques « d’occasion » : ReDigi fait appel

En fait. Le 1er avril, un tribunal de New York a considéré que la vente de musique numérique « d’occasion » viole les droits d’auteur. Il donne ainsi raison à Vivendi, dont le label Capitol Records (Universal Music) accusait le site ReDigi de piratage. Mais ReDigi nous indique qu’il va faire appel.

En clair. La start-up américaine ReDigi, qui se veut une place de marché d’occasion
du numérique pour la revente de musiques en ligne achetées légalement par les utilisateurs, n’a pas dit son dernier mot. « Nous avons bien sûr l’intention de faire
appel », nous a répondu John Ossenmacher, président fondateur (en octobre 2011) de ReDigi. Si ses ambitions sont freinées aux Etats-Unis, il pourrait en être différemment en Europe (1) où un arrêt daté du 3 juillet 2012 de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a précisé qu’un logiciel peut être revendu « d’occasion » si le titulaire du droit d’auteur en a autorisé le téléchargement à titre gratuit ou payant.
Cette doctrine dite de « l’épuisement du droit d’auteur » serait valable aussi bien
pour les logiciels que pour les musiques, films ou livres numériques (2).
Alors que le jugement new-yorkais daté du 30 mars et rendu public le 1er avril dit
l’inverse : ReDigi n’a pas le droit de permettre sur sa plate-forme en ligne de permettre
aux internautes et mobinautes de revendre ou de racheter des musiques – même acquises légalement sur iTunes ou Kindle. D’autant que les œuvres audios, vidéos
ou écrites achetées sur les stores d’Apple ou d’Amazon relèvent de la location sous licence : elles ne peuvent donc être revendues une fois écoutées, visionnées ou lues.
Autrement dit, les revendre « d’occasion » suppose l’autorisation préalable des ayants droits. Selon le juge Richard Sullivan, il ne peut y avoir de marché de la musique d’occasion (numérique) comme il peut y avoir de marché du livre d’occasion (papier). Paradoxe : il est donc possible de revendre des CD, des DVD ou des Vinyles d’occasion mais pas des fichiers numériques de musique, de films ou d’ebooks…
Le tribunal de New York donne ainsi raison au label Capitol Records, filiale de la major Universal Music, elle-même filiale du conglomérat français Vivendi, qui avait porté plainte contre ReDigi en janvier 2012. N’ayant pu obtenir le mois suivant une injonction du juge, le label  – qui appartenait a EMI jusqu’en 2012 – avait poursuivi ReDigi pour violation des  droits d’auteurs. ReDigi, dont le modèle économique s’appuie pourtant sur le principe américain de First Sale, équivalent de l’épuisement du droit d’auteur (copyright exhaustion) consacré par la CJUE, s’était en outre attiré les foudres de la RIAA (3). @

La VOD française survivra-t-elle à Netflix et Amazon ?

En fait. Le 11 décembre, Le Film Français (édité par Mondadori) a organisé son premier colloque sur « les nouveaux enjeux du cinéma français », en partenariat avec le cabinet de consultants Accuracy. La vidéo à la demande (VOD) à l’acte
ou à l’abonnement était au coeur des débats, parfois polémiques.

En clair. « Cela me fiche la trouille ! Pendant que nous débattons encore en France
de l’avenir de la VOD, Amazon ou Netflix, eux, sont déjà là et arrivent chez nous au printemps », s’est inquiété Dominique Farrugia, président de Few (1), sa société de production de films créée en juin 2003. « Il faut rendre un peu plus d’exclusivité à la
VOD et la mettre plus en avant. Il manque une offre globale de VOD [à l’acte et par abonnement]. Nous sommes entre les mains de ceux [plates-formes de VOD et FAI]
qui vendent nos films et nous voudrions qu’ils en fassent plus, ce qui est un peu dérangeant », explique-t-il.
Si Netflix (2) s’offre pour 100 millions de dollars l’exclusivité de la série House of Cards, alors pourquoi pas en France ? « Les séries sont le moteur de la SVOD. (…) Tous les syndicats de producteurs sont là pour discuter, comme ce fut le cas avec Orange Cinéma Séries, sans remettre en cause les droits et les fenêtres [de la chronologie des médias]. Que la France ne devienne pas l’Italie ! Car dans six mois, l’arrivée de Netflix et d’Amazon risquent de faire mal », a encore mis en garde Dominique Farrugia. Sa crainte est de
voir le financement des films remis en cause par l’arrivée des acteurs du Net. « Il faut
des minimums garantis car sinon nous ne pouvons pas financer les films, dont ont besoin les plates-formes de VOD. Pas de MG, pas de VOD », a prévenu Dominique Farrugia.
Autre producteur, Fox Pathé Europa « a toujours été méfiant vis-à-vis de la VOD », comme l’a dit Dominique Masseran, sont directeur général. Mais maintenant, « il faut gagner la confiance des consommateurs, notamment dans l’achat définitif, appelé EST (3), qui représente la moitié des revenus d’Apple sur iTunes », a-t-il expliqué.
Pour l’heure, beaucoup de professionnels (Marc Tessier pour Videofutur, Régis Ravanas pour TF1, Serge Laroye pour Orange, Patrick Holzman pour CanalPlay, Maxime Lombardi pour Free, …) ont souligné soit le côté « encore immature » soit les « nombreux freins » du marché français de la VOD : prix élevés par rapport aux 7,99 dollars par mois de Netflix, nombre limité de films, manque d’ergonomie, fiscalité, réglementation, vidéos gratuites, piraterie, etc. D’après le cabinet Accuracy, la VOD payante atteindrait 195 millions d’euros de chiffre d’affaires cette année – 260 millions si l’on y inclut les films
pour adultes. @

Comment Amazon s’impose comme « géant culturel »

Le 25 juin, Amazon a annoncé le lancement de sa troisième plate-forme logistique en France, sur 40.000 m2 à Chalon-sur-Saône (après Orléans et Montélimar). Mais au-delà du « brick and mortar », le groupe américain veut aussi se faire une méga place au sein des industries culturelles françaises.

Vous avez aimé Apple et iTunes Store, vous adorerez Amazon et Kindle Store. Le géant du e-commerce va lancer en France – cet été ou à la fin de l’année – sa tablette multimédia baptisée Kindle Fire. Cela fera d’ailleurs un an, en octobre prochain, que
le géant du e-commerce a lancé sur l’Hexagone sa liseuse Kindle dédiée aux livres numériques. En attendant un smartphone Amazon, que la rumeur prédit pour la fin
de l’année… Une chose est sûre, le patron fondateur Jeff Bezos entend s’imposer rapidement sur le marché français des industries culturelles. Dans la musique, AmazonMP3 défie la concurrence en proposant – à l’instar d’Apple – des nouveautés
à 6,99 euros, soit 30 % moins cher grâce à l’optimisation fiscale du Luxembourg. Son catalogue musical dépasse les 17 millions de titres (1). Dans la vidéo à la demande (VOD), Amazon a pris le contrôle en janvier 2011 de la plate-forme de streaming LoveFilm qui compte plus de 2 millions d’abonnés dans cinq pays européens (2).
La France serait le prochain. Mais c’est surtout le service par abonnement Amazon Prime Instant Video, riche de 17.000 séries et films, qui est attendu sur ordinateurs et consoles de jeux dans l’Hexagone. Si Amazon noue des partenariats avec des studios de cinéma américains (20th Century, NNC Universal, Warner Bros. Pictures, …), il entend aussi produire ses propres films via Amazon Studios : quelque 7.500 scripts
ont été à ce jour soumis sur Studios.amazon.com et près de 20 films sont en cours de développement. Ce qui inquiète en particulier Canal+, dont le DG Rodolphe Belmer craint la concurrence dans la télévision payante de ces nouveaux entrants (Amazon, Netflix, Google, …) non soumis aux mêmes règles (EM@59, p. 4). Dans le livre, Amazon a déjà posé des jalons en France. Sa liseuse Kindle donne maintenant accès
à plus d’un million d’ouvrages – dont plus de 54.000 en français. Flammarion et Albin Michel ont déjà signé avec le géant de Seattle. Amazon, qui serait à l’origine de l’enquête ouverte début décembre dernier par la Commission européenne à l’encontre de ces cinq éditeurs (dont Hachette Livre) et d’Apple sur une éventuelle entente sur les prix des ebooks (3), aimerait pratiquer des ristournes de – 50 % par rapport au livre papier comme il le fait aux Etats-Unis. Mais en France, il est limité à -5 %. Cela n’empêche pas Amazon de s’imposer dans l’exception culturelle française. @

Les nouveaux nababs

Dans les coulisses de la 73e édition du Festival de Cannes, s’agitent dans l’ombre de nouveaux venus dans le monde, pourtant réputé très fermé, de la production culturelle : Orange, Telefonica, Verizon ou Vodafone. Bien sûr, les films en compétition et le ballet des stars sur le tapis rouge des marches mythiques attirent toujours autant les flashs et les projecteurs. Mais pour tenir leurs rangs et continuer à nous présenter leurs créations, les réalisateurs ont dû composer avec un monde de la production en pleine mutation. Aujourd’hui comme hier, faire un film, réaliser un programme de télévision, créer un jeu vidéo ou enregistrer une création musicale reste un parcours du combattant. La révolution numérique, en bouleversant les circuits de distribution des contenus, a également bousculé les sources habituelles de financement de la production : un effet domino qui
a touché, tour à tour, la musique, la presse, la vidéo, les jeux, l’édition et le cinéma. Les créateurs impuissants, au cœur d’un cyclone qui les malmène, ont dû retrouver les bons partenaires capables de financer leur travail. Dans cette vaste réorganisation, les opérateurs télécoms ont joué un rôle particulier, plus ou moins directement, plus ou moins contre leur gré. Si les plus puissants se sont directement impliqués dans le contrôle des plates-formes de distribution de contenus, en mettant en place leur propre système de diffusion de VOD, d’autres sont allés plus loin : Orange en prenant tour à tour le contrôle de Deezer pour la musique ou de Dailymotion pour la vidéo, ou AT&T en prenant le contrôle de Netflix aux Etats-Unis…

« Audiovisuel : les opérateurs télécoms ont joué un rôle particulier, plus ou moins directement, plus ou moins contre leur gré. »