Le sud-coréen Naver s’impose comme le numéro un mondial du webtoon, en révolutionnant la BD

Le phénomène « webtoon » se propage bien au-delà de la Corée du Sud, où le groupe Naver est devenu la major mondiale dans ce domaine. Le Festival international de la bande dessinée à Angoulême n’y échappe pas, ni le prochain Salon du livre de Paris.

Le Festival international de la bande dessinée (FIBD), qui se tient du 17 au 20 mars à Angoulême, résiste encore avec des tonnes de papier à la dématérialisation de la BD. Or le début de la numérisation des bulles ne date pas d’hier, mais cette année la tendance s’accélère plus que jamais avec l’engouement pour le webtoon. « Cela nous vient de Corée. C’est une bande déroulante, par chapitres, à raison d’un par semaine, comme un feuilleton, qu’on peut lire en faisant défiler avec le pouce sur l’écran du téléphone portable », définit Marc-Antoine Boidin, vice-président du Syndicat national des auteurs et des compositeurs (Snac) et représentant de son groupement BD (1).

« L’avenir de la BD se joue là » (Boidin)
« Il est possible que ce soit l’avenir de la bande dessinée qui se joue là. Les jeunes générations sont plus attirées par une lecture numérique que sur le papier », estime même Marc- Antoine Boidin, qui est auteur de bandes dessinées (2), diplômé de l’école de BD d’Angoulême. C’est justement dans la capitale de la Charente que la 49e édition du FIBD sera aussi impactée par ce phénomène des webtoons. Une table ronde d’éditeurs et d’auteur(e)s de webtoons est organisé le 17 mars par le Snac-BD lors du festival d’Angoulême, où sera présente Emilie Coudrat, directrice marketing de Naver France, filiale française du groupe sud-coréen Naver, présidé et dirigé par Seong-sook Han (photo). Ce géant du numérique et de l’Internet, basé à Seongnam au sud de Séoul, déploie depuis 2004 sa filiale Naver Webtoon devenue le numéro un mondial dans cette catégorie de bandes dessinées numériques adaptées aux smartphones. Le webtoon se lit en faisant défiler verticalement avec son doigt les cases illustrées, procédé éditorial que les manwhas coréens et les mangas japonais ont rapidement adopté.
En France, les mangas sont déjà largement en tête des ventes de BD imprimées. Les webtoons, eux, caracolent en ligne. « Un événement est prévu le 18 mars à Angoulême autour des créateurs », indique Emilie Coudrat à Edition Multimédi@. Pour faire face à la forte demande, l’idée est d’aller à la rencontre d’auteurs pour leur présenter la plateforme Webtoons.com, éditée par la filiale Webtoon Entertainment (3), et leur expliquer « comment devenir créateur de webtoon ». La rencontre, prévue au sein du Marché international des droits (Mid) organisé au sein du FIBD pour les professionnels du 9e Art, devrait se terminer par un speed dating des candidats avec des éditeurs dans ce domaine. Car si les premiers épisodes des webtoons sont le plus souvent gratuits, les suivants sont payants ou sur abonnement. Ces feuilletons – des « scrolltons » devrait-on dire (4) – peuvent être des freemiums très rentables. Rien qu’en Corée du Sud, le marché des webtoons pèse presque autant à lui seul (750 millions d’euros, selon Kocca) que tout le marché français de la BD (890 millions d’euros, selon GfK). « En France, les éditeurs qui diffusent sur (la plateforme) Webtoon proposent aux auteurs des contrats numériques, et si la bande dessinée marche bien, elle peut être imprimée », a indiqué Marc-Antoine Boidin aux membres du Snac. Pour autant, relève-t-il, « les contrats proposés aux auteurs de webtoons semblent quelque peu être en roue libre. Ils sont souvent soumis à une clause de confidentialité, ce qui ne facilite pas le rôle de notre syndicat face à cette nouvelle pratique, qu’il faut cadrer d’urgence afin qu’elle puisse être favorable aux auteurs ».
Car la production de webtoons se fait presque à marche forcée : le rythme, pour les dessinateurs, est soutenu et cela peut aller jusqu’à 80 cases à fournir à l’éditeur en une semaine – souvent la périodicité pour les séries. Celles-ci peuvent compter de quarante à quatre-vingts épisodes. Si des initiatives françaises de plateformes de webtoons ont été lancées – comme Verytoon.com du groupe indépendant Delcourt (deuxième plus grand éditeur de BD francophones après Média-Participations, dont la plateforme Izneo.com diffuse aussi des webtoons), Webtoonfactory.com des éditions Dupuis, Delitoon.com ou encore Toomics.com –, le sudcoréen Naver domine ce marché en pleine (5) effervescence.

Introduire Naver Webtoon au Nasdaq ?
« En janvier 2021, nous avons finalisé l’acquisition de Wattpad, la plus grande plateforme de webfiction au monde [d’origine américaine, ndlr], dans le but de devenir la plus grande plateforme mondiale de narration basée sur les synergies entre Naver Webtoon et Wattpad », s’était félicitée l’an dernier Seong-sook Han. En janvier 2022, le groupe Naver revendique un cumul d’audience mondial record sur ses webtoons de 82 millions de lecteurs actifs par mois, avec un volume de transactions mensuel d’environ 75 millions d’euros (6). Wattpad lui apporte 90 millions d’utilisateurs par mois supplémentaires. Le sud-coréen a le projet depuis un an d’introduire Naver Webtoon au Nasdaq à New-York. @

Charles de Laubier

Les plateformes de SVOD dominent le marché mondial des séries, la France étant à la traîne

Les pays asiatiques et américains sont les premiers donneurs d’ordres en termes de commandes de fictions. La France, pays de « l’exception culturelle », est moins demandeuse que le Royaume-Uni et l’Allemagne. Ce sont les plateformes de vidéo à la demande par abonnement (SVOD) qui donnent le la.

Quels acteurs mondiaux sont les plus importants en matière de commandes de programmes TV de fiction ? Quels pays de production sont les plus actifs ? La réponse n’est pas à aller chercher en France. Quels que soient les genres de programmes de télévision ou de plateforme (drame, thriller, comédie, science-fiction, jeunesse, aventure, horreur ou encore divertissement), ce sont la Chine et les Etats-Unis qui sont de loin les deux premiers pays en nombre de programmes de fiction commandés au cours des douze derniers mois.

Disney, Netflix, Paramount, HBO, …
C’est ce qui ressort d’une étude du cabinet londonien Ampere Analysis, sur laquelle s’appuie le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) pour faire le point sur les tendances de la fiction dans le monde. Le Japon, l’Inde, la Russie, le Royaume-Uni, la Corée du Sud et l’Allemagne sont les pays – après la Chine et les Etats-Unis – qui devancent eux-aussi la France sur ce marché mondial en pleine effervescence de la production – en série – de séries au profit de plus en plus des plateformes de SVOD.
Là où la Chine a commandé 653 fictions sur un an (1), la France s’en tient à 101, derrière les 180 du Royaume-Uni et les 121 de l’Allemagne. « Les groupes audiovisuels asiatiques sont parmi les plus actifs dans le monde. Les principaux acteurs à l’origine des commandes de programmes de fiction sont les plateformes mondiales et les studios américains. Et de plus en plus de commandes sont faites à destination des services en ligne des studios ou des groupes audiovisuels (Disney+, HBO Max, Hulu, …). La BBC est le premier groupe européen . Les autres diffuseurs européens dans le classement sont publics, France Télévisions étant en 15e position », constate l’étude présentée par Benoît Danard (photo), directeur des études, des statistiques et de la prospective du CNC, à l’occasion du festival Séries Mania qui s’est tenu jusqu’au 2 septembre à Lille et en ligne. Dans le monde, le nombre de programmes commandés – qu’ils soient de « flux » (unscripted) ou de « stock » (scripted) – est en croissance régulière, tiré notamment par les plateformes de SVOD. Pour autant, sur les douze derniers mois, l’étude montre qu’il y a une baisse importante des commandes de programmes de stock au second trimestre 2020 en raison de la pandémie, pendant que les commandes de programmes de flux sont en hausse chez tous les acteurs, linéaires et non linéaires. Les six premiers grands donneurs d’ordres sont américains : Disney (éditeur de Disney+), Netflix, ViacomCBS (éditeur de Paramount+), WarnerMedia (filiale d’AT&T et éditeur de HBO Max), Comcast (maison mère de NBCUniversal et éditeur de Peacock) et Amazon (éditeur de Prime Video et acquéreur de MGM Studios).
D’après le CNC, les plateformes étrangères de SVOD devraient investir sur cette année 2021 près de 100 millions d’euros dans les séries françaises inédites (contre 37 millions l’année précédente). En France, la consommation de fictions se fait largement au-delà des productions locales. Les séries françaises sont autant regardées que les séries américaines, et celles provenant d’autres pays (ni américaines ni britanniques) le sont de plus en plus. Basés respectivement à Lille et à Cannes, les festivals Séries Mania (2) et Canneseries (3) s’inscrivent sur un marché plus que jamais mondial. Le premier s’est achevé début septembre (avant le Festival du cinéma américain de Deauville), tandis que le second se tiendra du 8 au 13 octobre (après le Festival de la fiction à La Rochelle jusqu’au 19 septembre, et en partie en même temps que le Mipcom (4)). Toutes ces festivités et paillettes n’ont pas encore transformé la France en exception culturelle de la fiction. @

Charles de Laubier