Au coeur de l’enquête « Microsoft-Activision » de la Commission européenne, il y a le géant Sony

En ouvrant le 8 novembre une « enquête approfondie » sur le projet d’acquisition d’Activision Blizzard par Microsoft, la Commission européenne ne mentionne pas Sony qui domine encore le marché mondial du jeu vidéo avec sa console PlayStation. Comment le japonais a convaincu Bruxelles d’agir.

(Comme concession, Microsoft a proposé à Bruxelles d’accorder une licence « Call of Duty » de 10 ans à Sony pour sa PlayStation, selon Reuters le 28 novembre)

« La Commission européenne craint qu’en acquérant Activision Blizzard, Microsoft puisse verrouiller l’accès aux jeux vidéo d’Activision Blizzard pour consoles et ordinateurs personnels [afin d’être proposés en exclusivité sur les seules console Xbox de Microsoft, ndlr], notamment à des jeux emblématiques et rencontrant un énorme succès (jeux de type «AAA») tels que “Call of Duty” », a-t-elle fait savoir le 8 novembre pour justifier l’ouverture d’une enquête approfondie sur le projet de rachat de l’éditeur de jeux vidéo Activision Blizzard (1), dont la célèbre licence « Call of Duty » (2).

Jim Ryan s’est rendu à Bruxelles le 8 septembre
Si la Commission européenne et sa vice-présidente exécutive chargée de la politique de concurrence, Margrethe Vestager, ne mentionnent aucunement Sony dans leur annonce, le géant japonais est considéré comme l’instigateur de cette enquête approfondie. Dès le 20 janvier 2022, soit deux jours après l’annonce par Microsoft de son projet de méga-acquisition d’Activision Blizzard pour 68,7 milliards de dollars, un porte-parole de Sony s’était exprimé pour la première fois sur cette opération envisagée : « Nous nous attendons à ce que Microsoft respecte les accords contractuels et continue de veiller à ce que les jeux Activision soient multiplateformes », avait-il déclaré dans un entretien au Wall Street Journal (3).
Le groupe nippon tient à ce que tous les jeux d’Activision Blizzard demeurent disponibles sur les plateformes de jeux vidéo non-Microsoft si la méga-acquisition devait être autorisée. Autrement dit, la console PlayStation de Sony doit pouvoir continuer à proposer notamment « Call of Duty », ce jeu de tir à la première personne (4) qui relève de la catégorie « AAA » des jeux vidéo à gros budget. Six mois après l’annonce qui n’a cessé depuis de faire des vagues dans le monde des jeux vidéo, Jim Ryan (photo de droite), PDG de Sony Interactive Entertainment (SIE) depuis avril 2019 en charge notamment de l’activité PlayStation (5), se serait rendu lui-même à Bruxelles le 8 septembre dernier – soit avant que le deal « Microsoft-Activision » ne soit formellement notifié à la Commission européenne le 30 septembre – pour faire part officiellement de ses inquiétudes sur les conséquences de ce rachat s’il devait aboutir. C’est ce qu’avait révélé Dealreporter, site d’information spécialisé dans les fusions et acquisitions (M&A). Jim Ryan a dénoncé la position dominante potentielle d’une fusion « Microsoft-Activision » au seul profit de l’écosystème de la Xbox. « Les effets réseau sont tels que si Microsoft devait bloquer l’accès à “Call of Duty” sur la PlayStation, des millions d’utilisateurs migreraient alors vers la Xbox. Il y a risque de forclusion », a expliqué en substance le PDG de SIE à Bruxelles, en appuyant ses dires par des études économiques. Et il a déclaré que la proposition de Microsoft de garder « Call of Duty » pendant encore trois ans – voire cinq ans – sur PlayStation était « inadéquate à plusieurs niveaux », estimant que la proposition de la firme de Redmond « sape ce principe » qui consiste pour Sony à « garantir que les joueurs PlayStation continueront à avoir la plus haute qualité avec “Call of Duty” » (6). Google serait lui aussi préoccupé par le rachat d’Activision Blizzard par Microsoft.
Alors que l’autorité de la concurrence britannique – la CMA (7) – s’est aussi emparée de ce dossier brûlant pour rendre son verdict d’ici le 1er mars 2023, la Commission européenne s’est donnée jusqu’au 23 mars pour prendre sa décision. En attendant, Sony continue de dominer le marché mondial des consoles de jeux vidéo assorties de leurs plateformes en ligne, loin devant Microsoft et Nintendo. En présentant le 1er novembre dernier ses résultats sur le second trimestre de son année fiscale se terminant le 31 mars 2023, Hiroki Totoki, le directeur financier de la firme nipponne, a rehaussé ses prévisions de ventes de la console PlayStation 5 (PS5) de 18 millions à 23 millions d’unité sur l’exercice en cours 2022/2023. En revanche, la prévision de la rentabilité annuelle de son activité jeux vidéo a été revue à la baisse en raison des craintes de récession économique mondiale qui pourrait réduire le pouvoir d’achat des consommateurs.

La bataille entre PS Plus et XG Pass
La déception de Sony vient de sa plateforme de jeux en streaming par abonnement PlayStation Plus (PS Plus) qui, alors qu’elle a été refondue l’été dernier, se veut la rivale de Xbox Game Pass (XG Pass) pour jouer sur console, ordinateur ou dans le cloud. Le japonais a vu le nombre de ses abonnés PS Plus décliner à 45,4 millions, perdant près de 2 millions d’abonnés sur son second trimestre se terminant fin septembre (par rapport à la fin juin). « Nous constatons que cette diminution résulte d’une plus grande baisse que prévu dans l’engagement des utilisateurs de PlayStation 4 », a expliqué le groupe de Tokyo (Minato). @

Charles de Laubier

Chronologie des médias toujours contestée : Disney continue de faire pression sur la France

Après la réunion du 4 octobre organisée par le CNC sur la chronologie des médias, Disney a finalement décidé de sortir son nouveau film « Black Panther » dans les salles de cinéma en France. Comme Netflix, la major américaine veut une réforme des fenêtres de diffusion dès 2023.

(Depuis sa sortie dans les salles de cinéma en France le 9 novembre, le deuxième « Black Panther » de Disney domine toujours le box-office, comme aux Etats-Unis)

« Les pouvoirs publics [français] ont clairement reconnu la nécessité de moderniser la chronologie des médias et un calendrier précis a été arrêté pour en discuter, The Walt Disney Company a donc décidé de confirmer la sortie au cinéma de “Black Panther : Wakanda Forever”, le nouveau film de Marvel Studios, le 9 novembre prochain », a lancé le 17 octobre sur Twitter Hélène Etzi (photo), la présidente de Disney France. Et ce, au moment où les signataires de la chronologie des médias – dont la dernière mouture est datée du 24 janvier 2022 – ont commencé à se retrouver autour de la table des négociations et de ses bras de fer.

Disney appelle à une « co-exploitation »
« Comme nous l’avons déjà déclaré, la chronologie des médias actuelle n’est pas adaptée aux comportements et attentes des spectateurs ; elle est contre-productive et expose tous les producteurs et artistes à un risque accru de piratage », a-t-elle poursuivi, en déclarant vouloir « continuer de manière constructive aux réflexions et débats lors des prochaines réunions avec tous les acteurs de la filière, organisées sous l’égide du CNC (1), afin de définir dès février 2023 un nouveau cadre que nous souhaitons équitable, flexible et incitatif à la sortie des films en salles de cinéma » (2). Ce que la major presque centenaire du cinéma reproche à cette chronologie des médias à la française, c’est le fait que cette dernière lui impose de retirer un film de Disney+ en France au bout de cinq mois d’exploitation, laquelle intervient en tant que plateforme de SVOD du 17e au 22e mois après la sortie du film en salle de cinéma. Ce retrait intervient pour laisser la place aux chaînes de télévision en clair, dont la fenêtre s’ouvre du 22e au 36e mois après la sortie du film en salle de cinéma.
Pour la Walt Disney Company, cette interruption est inacceptable et demande au contraire qu’elle puisse continuer à exploiter le film en ligne simultanément avec les chaînes gratuites selon un mode de « co-exploitation ». Ce sujet a été au cœur des discussions de la réunion du 4 octobre organisée par le CNC dans le cadre de la renégociation de la chronologie des médias qui doit aboutir d’ici janvier 2023. Disney reproche donc à l’actuelle chronologie des médias de lui imposer le retrait d’un film de sa plateforme au profit des seules chaînes gratuites. C’est la raison pour laquelle la firme de Burbank – où se trouve son siège social, à dix minutes en voiture d’Hollywood – a fait savoir début juin qu’elle ne sortira finalement pas dans les salles de cinéma françaises son long métrage d’animation de Noël 2022, « Avalonia, l’étrange voyage », mais en exclusivité sur Disney+. Une situation unique au monde pour cette grosse production. Ce fut la douche froide pour les salles obscures françaises pour lesquelles un tel blockbuster hollywoodien, en plus déjà programmé par Disney (pour une sortie en France sur les écrans le 30 novembre 2022, maintenant annulée), représente un manque à gagner considérable de fin d’année. « Cette décision est la conséquence de la nouvelle chronologie des médias que The Walt Disney Company juge inéquitable, très contraignante et inadaptée aux attentes du public et à l’évolution des modes de consommation des films », avait justifié la firme américaine. Elle trouve « frustrante » la situation alors qu’elle estime soutenir le cinéma français avec ses sorties en salles, et investir de plus en plus dans la création originale française. La maison mère de Disney avait prévenu avant l’été qu’elle décidera « film par film (…) dans chaque pays ».
Cette déprogrammation d’« Avalonia » avait mis en colère la Fédération nationale des cinémas français (FNCF) qui a accusé Disney de « porter atteinte gravement à l’économie des salles de cinéma [« instrumentalisées »] et du secteur tout entier » (3). Le film « Black Panther : Wakanda Forever » allait-il subir le même sort ? Depuis le 17 octobre, les exploitants de salles adeptes des Disney et des Marvel sont rassurés pour celui-ci. La FNCF n’a rien dit. La major américaine dispose en tout cas d’un fort moyen de pression dans les négociations en cours. Fin juin, devant l’Association des journalistes médias (AJM), Netflix avait aussi tiré à boulets rouges sur la chronologie française que la filiale française avait pourtant signée en janvier (4).

La ministre contre « un bloc de marbre figé »
La SACD (5), qui n’avait pas signé l’accord de janvier 2022 sur la chronologie des médias (6) en raison de sa durée de trois ans (jusqu’en février 2025) jugée trop longue au regard de l’évolution des usages numériques (7), a fustigé le 11 octobre les « effets paradoxaux et contre-productifs » de ces fenêtres de diffusion « premium » et « non-premium ». Pour la Scam (8), qui fait au contraire partie des signataires, il faut « déroger » plus souvent à la chronologie des médias. Quant à la ministre de la Culture, Rima Abdul Malak, elle a fait savoir le 18 octobre que cette chronologie « ne peut pas être un bloc de marbre figé »… @

Charles de Laubier

Lignes directrices de l’article 17 : ménager chèvre (droit d’auteur) et chou (liberté d’expression)

La lutte contre le piratage sur Internet en Europe prend un tournant décisif avec la transposition – censée l’être depuis le 7 juin dernier par les Etats membres – de la directive « Droit d’auteur et droits voisins ». Mais les orientations de son article 17 déplaisent aux industries culturelles.

Par Véronique Dahan, avocate associée, Joffe & Associés

OCS sera-t-il le distributeur de HBO Max en France?

En fait. Le 13 janvier 2020, le bouquet de chaînes OCS va diffuser en France la nouvelle série « The Outsider » financée par la chaîne HBO (filiale de WarnerMedia), avec laquelle OCS a un accord pluriannuel de distribution exclusif. Qu’adviendra-t-il de ce contrat avec le lancement de HBO Max en mai 2020 ?

En clair. La filiale audiovisuelle du groupe AT&T, WarnerMedia (ex-Time Warner), est un partenaire historique – via son bouquet de chaînes de télévision payantes HBO (ex-Home Box Office) – du français OCS. Depuis sa création en novembre 2008, l’ex- Orange Cinéma Séries bénéficie avec HBO d’un accord pluriannuel qui a été prolongé et élargi en mars 2017 : OCS est ainsi devenu le diffuseur exclusif en France des programmes (séries et films) de HBO, dont la production-phare « Game of Thrones » (1). Cette exclusivité a permis à OCS, filiale d’Orange à 66,67 % (les 33,33 % étant toujours détenus par Canal+), de séduire à ce jour quelque 3 millions d’abonnés.
Ce deal avec HBO arrive à échéance en 2022, mais l’année 2020 devrait amener les deux parties à en renégocier les termes en raison du lancement – dès mai prochain aux Etats-Unis – de HBO Max, la plateforme de vidéo à la demande par abonnement (SVOD) du groupe américain. La question est de savoir si WarnerMedia va renouveler son accord avec Orange pour en faire aussi le distributeur exclusif en France de sa nouvelle plateforme HBO Max, ou si la filiale d’AT&T ne va pas saisir l’occasion de se lancer directement sur Internet en mode direct-to-consumer (2) comme aux Etats-Unis ou en Amérique latine. Si la deuxième option était décidée par WarnerMedia, la fin du produit d’appel que constituent les contenus de HBO sur OCS (moins de 24 heures après leur diffusion outre-Atlantique), conjuguée à la fin en mai dernier au bout de huit saisons de la saga culte fantastico-médiévale « Game of Thrones » (GoT pour les fans), serait un coup dur pour la filiale d’Orange. Et ce, au moment où son actionnaire minoritaire Canal+ s’est, lui, lancé dans la distribution de Netflix depuis l’automne dernier (nonexclusive) et de Disney+ à partir du 31 mars (exclusif).
A moins qu’OCS ne devienne en France ce que Sky est en Grande-Bretagne, en Italie, en Allemagne et en Irlande où ce dernier est présent (24 millions d’abonnés) : le distributeur exclusif des contenus HBO et désormais de HBO Max. C’est le 30 octobre dernier que WarnerMedia a annoncé le renouvèlement pour cinq ans (jusqu’en 2025) de l’output deal entre HBO et Sky (initié en 2010). Cet accord pluriannuel (3) comprend l’extension de leurs accords de coproductions originales (à l’instar de « Chernobyl » ou de « Catherine the Great »), y compris maintenant entre Sky Studios et HBO Max. A suivre… @

Deezer s’implante à Dubaï pour être plus global

En fait. Le 5 février, la filiale de Deezer à Dubaï (Emirats arabes unis) a annoncé
la nomination du Libanais Tarek Mounir directeur général pour la région Moyen-Orient/Afrique du Nord et la Turquie (MENAT). Il prendra ses fonctions le 1er avril prochain. Par ailleurs, l’exclusivité Deezer-Orange se poursuit en 2019.

En clair. Selon nos informations, l’accord exclusif entre Orange et Deezer – qui devait arriver à son terme fin décembre dernier après avoir été renouvelé pour 2017 et 2018 – « se poursuit ». Contesté, notamment par Qobuz (lire EM@ 108, p. 3), il date d’août 2010. Pour autant, Orange a vu sa participation dans le capital de Deezer passer de 14,5 % à environ 12 %. Il faut dire que le prince saoudien Alwalid ben Talal, dont la société d’investissement Kingdom Holding Company (KHC) a injecté 230 millions d’euros en août 2018 (soit 1 milliard de rials saoudiens), est entré au capital de Deezer. La transaction a valorisé la plateforme musicale 1 milliard d’euros.
Cette entrée capitalistique dans Deezer, qui a émis de nouvelles actions mais sans préciser le niveau de participation, s’est faite aussi via le groupe de divertissement Rotana, également contrôlé par l’homme le plus riche du Moyen-Orient et neveu du roi Salmane d’Arabie saoudite. Ce double investissement du prince saoudien dans Deezer est assorti d’« un accord à long terme visant à distribuer en exclusivité sur la plateforme Deezer le catalogue de contenus audio et vidéo de Rotana [riche de 13.000 titres et 2.000 vidéos, ndlr] dans les régions du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord ». Par ailleurs, c’est par un discret communiqué diffusé en arabe et en anglais – en ligne ici (1) – que la plateforme française de musique en ligne Deezer a fait part de la nomination du Libanais Tarek Mounir au poste de directeur général pour la région Moyen-Orient/Afrique du Nord et la Turquie (MENAT). Ce francophone prendra ses fonctions à partir du 1er avril, après avoir été durant huit ans dans le groupe audiovisuel américain Turner – en tant que dernièrement viceprésident et directeur général sur la même région (2). Cette nomination intervient après que Deezer se soit lancé en octobre 2018 à la conquête de cette région MENAT et alors qu’un bureau a été installé à Dubaï au début de l’année avec une équipe en cours de recrutement. « Deezer est une success story de la French Tech dont le terrain de jeu est global », avait alors lancé Guillaume d’Hauteville, président du conseil d’administration de Deezer et vice-président d’Access Industries – holding de l’Américain d’origine russo-ukrainienne Leonard Blavatnik détenteur d’environ 30 % du capital de Deezer (3). Revendiquant 14 millions d’utilisateurs dans le monde, Deezer concrétise sa stratégie de développement sur des marchés émergents. @