La 6G n’attend plus que sa feuille de route 2030

En fait. Le 20 juin, la Commission européenne et le Haut représentant de la diplomatie de l’UE ont présenté ensemble la « stratégie européenne de sécurité économique ». Parmi les technologies à promouvoir pour préserver la « souveraineté » européenne : la 6G, face à la Chine qui n’est pas mentionnée.

En clair. Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, et Josep Borrell, chef de la diplomatie de l’Union européenne (UE) ont présenté le 20 juin un document commun intitulé « Stratégie européenne de sécurité économique » afin de « minimiser les risques (…) dans le contexte de tensions géopolitiques accrues et de changements technologiques accélérés » et de « promouvoir son avantage technologique dans des secteurs critiques ». Parmi les technologies à promouvoir, le document de 17 pages (1) mentionne notamment la 6G aux côtés de l’informatique quantique (quantum), des semi-conducteurs (chips) et de l’intelligence artificielle (IA).
La Chine n’est pas citée dans ce document, mais le spectre de Pékin plane. En revanche, dans son discours le 20 juin portant sur cette « sécurité économique » de l’Europe, la vice-présidente Margrethe Vestager a explicitement visé la Chine et ses deux équipementiers télécoms mondiaux, Huawei et ZTE (2). Et ce, en rappelant que la Commission européenne a, le 15 juin, fortement incité les Etats membres qui ne l’ont pas déjà fait – comme l’Allemagne voire la France – de ne plus recourir aux technologies 5G de Huawei et ZTE, les deux chinois étant cités nommément par le commissaire européen au Marché intérieur, Thierry Breton (3). Il va sans dire que la 6G est concernée par ce bannissement initié par les Etats-Unis, lesquels font pression sur les pays de l’UE et de l’OTAN pour faire de même. Pour se défendre de tomber dans le protectionnisme, la stratégie européenne de sécurité économique veut aller de pair avec « la garantie que l’Union européenne continue de bénéficier d’une économie ouverte ». La Finlande, elle, a signé le 2 juin avec les Etats-Unis une déclaration commune de « coopération dans recherche et développement de la 6G », sans que l’équipementier finlandais Nokia ne soit mentionné dans le joint statement (4). Nokia comme le suédois Ericsson profiteront de l’éviction politique de leur deux plus grands rivaux chinois.
Reste à savoir si la 6G aura des fréquences harmonisées dans l’ensemble des Vingt-sept. Lors de la 18e conférence européenne sur le spectre, qui s’est tenue les 6 et 7 juin derniers à Bruxelles et à laquelle participait l’Agence nationale de fréquences (ANFR) pour la France, un consensus s’est dégagé sur « la nécessité d’une feuille de route claire sur le spectre pour la 6G à l’horizon 2030 » (5). A suivre. @

L’accord sur le transfert des données personnelles vers les Etats-Unis peut-il aboutir ?

Après l’échec du « Safe Harbor » et celui du « Privacy Shield », un nouvel accord se fait attendre entre l’Union européenne et les Etats-Unis sur le transfert des données à caractère personnel. Si le processus est incontestablement en cours, il suscite des réserves qui compromettent son aboutissement.

Par Emmanuelle Mignon, avocat associé, et Gaël Trouiller, avocat, August Debouzy

(Article paru le 26-06-23 dans EM@ n°302. Le 03-07-23, les Etats-Unis ont déclaré avoir « rempli leurs engagements » pour la protection des données UE-US. Le 10-07-23, la Commission européenne a publié sa décision d’adéquation)

En mars 2022, la Commission européenne avait annoncé qu’un accord politique entre sa présidente Ursula von der Leyen et le président des Etats-Unis Joe Biden avait été trouvé (1) : une première traduction juridique de cet accord, intitulé « Data Privacy Framework » (DPF) est alors née, le 7 octobre 2022, du décret présidentiel américain – Executive Order n°14086 – sur « le renforcement des garanties relatives aux activités de renseignement sur les transmissions des Etats-Unis » (2).

Après l’annulation du « Privacy Shield »
Sur le fondement de cet Executive Order (EO), la Commission européenne a publié, le 13 décembre 2022 (3), un projet de décision d’adéquation du système étasunien de protection des données au droit de l’Union européenne (UE). Celui-ci a fait l’objet d’un avis consultatif du Comité européen de la protection des données (CEPD) du 28 février dernier. Cet avis reconnaît que l’EO apporte de « substantielles améliorations », mais souligne cependant que des écueils subsistent et que des clarifications du régime américain demeurent nécessaires (4). Plus critique, le Parlement européen, dans sa résolution du 11 mai 2023, « conclut que le cadre de protection des données UE–Etats-Unis ne crée [toujours] pas d’équivalence substantielle du niveau de protection [et] invite la Commission à ne pas adopter le constat d’adéquation » (5).
Epicentre du DPF, l’EO n°14086 de Joe Biden a pour objet d’instaurer des garanties juridiques afin de prendre en considération le droit de l’UE, en particulier l’arrêt « Schrems II » de 2020. On se souvient que, par cet arrêt, la Cour de justice de l’UE (CJUE) avait jugé que :
Le « Privacy Shield » instituait des limitations au droit à la protection des données à caractère personnel – protégé par les articles 7 et 8 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE – méconnaissant les exigences de nécessité et de proportionnalité découlant de l’article 52 de cette même Charte. Etait en particulier visée la collecte « en vrac » de données des citoyens européens opérée par les services de renseignement étasuniens en application : de la section 702 du Foreign Intelligence Surveillance Act (FISA) de 2008, qui autorise les services de renseignement américains à adresser à un fournisseur de services de communications électroniques des directives écrites lui imposant de procurer immédiatement au gouvernement toute information ayant pour objet d’obtenir des renseignements (métadonnées et données de contenu) se rapportant à des personnes étrangères susceptibles de menacer la sécurité des EtatsUnis ; de l’Executive Order n°12333 de 1981, qui permet aux services de renseignement américains d’accéder à des données « en transit » vers les Etats-Unis, notamment aux câbles sous-marins posés sur le plancher de l’Atlantique, ainsi que de recueillir et de conserver ces données.
Le « Privacy Shield » ne fournissait pas de voie de contestation devant un organe offrant aux citoyens européens, dont les données sont transférées vers les EtatsUnis, des garanties substantiellement équivalentes à celles requises par l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE consacrant le droit à un recours effectif (6). Pour répondre aux attentes du droit de l’UE, l’EO n°14086 de Biden instaure des principes devant guider les services de renseignement américains lorsqu’ils traitent de données à caractère personnel. A cet égard, les services de renseignement doivent : respecter la vie privée et les libertés civiles indépendamment du lieu de résidence et de la nationalité des personnes dont les données sont collectées (en particulier, cette collecte ne pourra être opérée qu’à condition d’être « nécessaire » et « proportionnée » à la priorité en matière de renseignement alléguée) ; poursuivre des objectifs limitativement définis par l’EO, comme la protection contre le terrorisme ou l’espionnage, et s’écarter, en toute hypothèse, de ceux expressément exclus tels que l’entrave à la liberté d’expression.

L’Executive Order de Biden
L’EO de Biden prévoit, en outre, un mécanisme de recours à double niveau. En premier lieu, les citoyens européens pourront saisir, par l’intermédiaire d’une autorité publique désignée à cet effet, l’officier de protection des libertés publiques – Civil Liberties Protection Officer (CLPO) – d’une plainte. Ce dernier adoptera alors, s’il estime que les garanties conférées par l’EO n’ont pas été respectées, les mesures correctives appropriées comme la suppression des données illicitement récoltées. En second lieu, un appel de la décision du CLPO pourra être interjeté devant la Cour de révision de la protection des données – Data Protection Review Court (DPRC) – spécialement créée par l’EO. Elle sera composée de membres nommés en dehors du gouvernement américain et ayant une certaine expérience juridique en matière de données à caractère personnel et de sécurité nationale. La décision de cette Cour sera rendue en dernière instance et revêtue d’un caractère contraignant.

Des frictions avec le droit de l’UE
Les points persistants de friction avec le droit de l’UE qui sont mis en avant par ceux qui sont hostiles à l’adoption du DPF sont les suivants :
La collecte « en vrac » de données à caractère personnel, bien qu’encadrée par l’EO de Biden, n’est pas entièrement prohibée et ne nécessite pas une autorisation préalable indépendante. Le recours à cette méthode peut poser une sérieuse difficulté de compatibilité avec le droit de l’UE. En effet, la CJUE voit dans la collecte généralisée et non différenciée des données une incompatibilité avec le principe de proportionnalité (7), à tout le moins lorsqu’une telle collecte ne fait l’objet d’aucune surveillance judiciaire et n’est pas précisément et clairement encadrée (8). Or, cet encadrement pourrait, au cas présent, faire défaut dans la mesure où il est très largement extensible par la seule volonté du Président américain qui est habilité par l’EO à modifier, secrètement, la liste des motifs sur le fondement desquels il peut être recouru à cette technique de surveillance (9).
Il n’est pas acquis, faute de définition dans l’EO, que les caractères « nécessaire » et « proportionné » des collectes de données aient la même signification que celle – exigeante – prévalant en droit européen.
L’indépendance des organes de recours peut être mise en doute, bien que le système instauré par l’EO comprenne des garanties supérieures à celles antérieurement attachées au médiateur – l’Ombudsperson – du Privacy Shield. En particulier, le CLPO et la DPRC sont organiquement rattachés au pouvoir exécutif américain, n’appartiennent pas organiquement au pouvoir judiciaire et pourraient alors ne pas pouvoir être qualifiés de tribunal au sens de l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE. L’EO institue toutefois des garanties fonctionnelles d’indépendance à ces deux instances. Ainsi, le directeur du renseignement national ne pourra pas intervenir dans l’examen d’une plainte déposée auprès du CLPO et il lui est interdit de révoquer ce dernier pour toute mesure prise en application de l’EO. Quant à la DPRC, ses membres – qualifiés de juges – ne pourront pas recevoir d’instructions du pouvoir exécutif, ni être limogés à raison des décisions qu’ils prendront. A cet égard, on peut s’interroger mutatis mutandis sur la portée de certaines des garanties apportées par le droit des Etats membres en matière de contrôle des activités de surveillance. L’équilibre n’est pas simple à trouver, mais, s’agissant de la France, le caractère secret de la procédure de contrôle devant le Conseil d’Etat suscite à tout le moins des interrogations.
Enfin, d’autres règlementations américaines comme le Cloud Act – régissant la communication de données dans le cadre d’enquêtes judiciaires – n’entrent pas dans le champ de l’EO. Leur application, qui n’est donc pas tempérée par les garanties instituées par ce dernier, pourrait se révéler incompatible avec le niveau de protection des données à caractère personnel en droit de l’UE. Il y a lieu toutefois de souligner que les dispositions du Cloud Act s’inscrivent dans le cadre de l’activité judiciaire des autorités américaines (poursuites et répression des infractions pénales et administratives), qui doit être clairement distinguée des activités de renseignement. Le Cloud Act offre en pratique des garanties qui n’ont rien à envier à celles du droit de l’UE et du droit des Etats membres (10).Ces points de vigilance, non-exhaustifs, devront être scrutés avec attention tout au long de l’examen du processus d’adoption de la décision d’adéquation. Après le CEPD et le Parlement européen, c’est au tour du comité composé des représentants des Etats membres de l’UE d’émettre prochainement un avis sur le projet de la Commission européenne. A supposer qu’il y soit favorable à la majorité qualifiée de ses membres, la décision d’adéquation pourra alors être adoptée. Si la Commission européenne s’est initialement affichée plutôt confiante sur l’avènement du DPF (11), celui-ci pourrait évidemment se retrouver grippé par une contestation de la décision d’adéquation devant le juge européen qui a déjà été annoncée par ses adversaires. En cas de succès de ce recours, l’avenir serait alors bien incertain dans la mesure où les Etats-Unis semblent être arrivés au bout de ce qu’ils sont prêts à concéder pour parvenir à un accord transatlantique sur le transfert des données qui ne se fera pas au prix d’un affaiblissement de la conception qu’ils se font de leur sécurité nationale.

Vers une 3e annulation par la CJUE ?
Il est peu de dire qu’une éventuelle annulation par la CJUE de la future troisième décision d’adéquation après celles relatives aux « Safe Harbor » (décision « Schrems I » de 2015) et au « Privacy Shield » (décision « Schrems II » de 2020), cristalliserait, de part et d’autre de l’Atlantique, des positions politiques et juridiques certainement irréconciliables. Surtout, cela prolongerait la situation d’incertitude juridique dans laquelle sont plongés les acteurs économiques qui peuvent se voir infliger de lourdes sanctions en cas de transferts transatlantiques irréguliers de données, à l’image de la société Meta condamnée, le 12 mai 2023, à une amende record de 1,2 milliard d’euros par le régulateur irlandais. @

La peur envers les intelligences artificielles de type ChatGPT tourne à la psychose irrationnelle

Depuis la pétition signée le 29 mars 2023 par Elon Musk et des experts demandant un moratoire sur le développement des « cerveaux numériques » qui, selon eux, présentent des « risques majeurs pour l’humanité », les craintes se le disputent aux fantasmes quant à l’avenir des « ChatGPT ».

A les entendre ces Cassandres et Nostradamus de ce début du XXIe siècle, « l’extinction de l’humanité » serait pour bientôt. La fin des temps arriverait aussi rapidement que se développent les intelligences artificielles à la ChatGPT, lesquelles sont l’objet de toutes leurs angoisses existentielles. Si l’Apocalypse relève de l’eschatologie religieuse, la « ChatGPTéisation » annoncerait, elle, l’hécatombe de l’être humain. Ce tsunami numérique des IA, à l’apprentissage fulgurant, provoquerait la fin du monde.

L’Homo sapiens supplanté par l’IA sapiens
Les tribunes et déclarations de ces craintifs se suivent et se ressemblent : il faudrait pour les uns instaurer « un moratoire » face aux « risques majeurs pour l’humanité » que constitueraient les IA concurrentielles pour l’homme ; il est temps pour les autres de « prendre au sérieux certains des risques les plus graves de l’IA avancée » menaçant l’espèce humaine d’« extinction ». Les peurs que suscitent les ChatGPT, Midjourney et autres Bard, ainsi que toutes les autres IA surhumaines qui les supplanteront, virent aux fantasmes voire à l’hystérie collective. « L’atténuation du risque d’extinction dû à l’IA devrait être une priorité mondiale, parallèlement à d’autres risques à l’échelle de la société tels que les pandémies et les guerres nucléaires », clament des dizaines de signataires chercheurs en intelligence artificielle (AI Scientists), professeurs d’universités et personnalités, dont Samuel (Sam) Altman (photo), le cofondateur avec Elon Musk de la start-up OpenAI qui a développé ChatGPT (générateur de textes) et de Dall-E (générateur d’images). Ce sont les deux IA les plus en vue depuis leur lancement respectif fin novembre 2022 et début 2021.
Sam Altman, qui a fait part le 17 mai au Sénat américain de sa peur de voir cette « superintelligence » provoquer de « graves dommages au monde », serait-il devenu malgré lui le pompier-pyromane en chef des IA générative ? La courte déclaration mise en ligne le 30 mai dernier sur le site du Center for AI Safety (1), une ONG américaine dédiée aux « risques IA », est aussi signée par Bill Gates (Gates Ventures) ou encore Grimes (célèbre musicienne). Il y a même le Canadien Geoffrey Hinton (75 ans), professeur émérite d’informatique et chercheur, parfois surnommé le parrain voire le « Dieu le Père » (Godfather)de l’IA et du Deep Learning (apprentissage profond dont se nourrissent les intelligences artificiels). Il s’est distingué le 1er mai dernier en annonçant qu’il quittait Google « pour pouvoir parler des dangers de l’IA ». Et critiquer son ancien employeur dans ce domaine comme l’a suggéré le New York Times (2) ? Que nenni : « Sans considérer comment cela affecte Google. Google a agi de façon très responsable », a-t-il rectifié dans un tweet (3). Geoffrey Hinton, qui aujourd’hui rejoint le cœur de ceux qui parlent de « profonds risques pour la société et l’humanité », a travaillé pendant près d’un demi-siècle sur l’IA générative appliquée aux chatbots, ces robots conversationnels (4) qui terrifient un nombre croissant d’humains. Au risque de conflits d’intérêts, il avait annoncé en mars 2013 – lorsque la firme de Mountain View a racheté son entreprise DNNresearch (5) – qu’il allait « poursuivre [s]es recherches à Toronto et, en même temps, aider Google à appliquer les nouveaux développements en apprentissage profond pour créer des systèmes qui aident les gens ». Il n’avait alors émis à l’époque aucune réserve sur ses travaux…
Elon Musk, pourtant moins frileux dans d’autres domaines industriels où le zéro risque n’existe pas, et qui plus est un des cofondateurs d’OpenAI (d’où il s’est retiré en 2018), a été l’un des milliers de cosignataires de la tribune « AI Pause » (6) parue le 22 mars 2023. Ce texte lançait des cris d’orfraie en disant stop : « Nous appelons tous les laboratoires d’IA à suspendre immédiatement pendant au moins 6 mois la formation des systèmes d’IA plus puissants que GPT-4. Cette pause devrait être publique et vérifiable et inclure tous les acteurs-clés. Si une telle pause ne peut être mise en œuvre rapidement, les gouvernements devraient intervenir et instituer un moratoire ». Parmi les plus de 31.800 autres signataires : le chercheur français Joseph Sifakis, prix Turing de l’informatique 2007, pour qui « la technologie va trop vite » (7). Sam Altman, lui, n’en est pas signataire…

Réguler, oui ; arrêter l’IA, non
Le patron d’OpenAI, financé à coup de milliards par Microsoft, appelle les Etats à réguler ces IA superintelligentes : pour mieux freiner ses concurrents (comme Google avec Bard) et conforter la position dominante de ChatGPT sur ce tout naissant marché ? Après le Sénat américain le 17 mai, Sam Altman a rencontré le 23 mai Emmanuel Macron (8), puis le lendemain il a menacé de Londres de fermer ChatGPT en Europe si son futur AI Act était trop contraignant ! Avant de se dédire face au courroux du commissaire européen Thierry Breton l’accusant le 25 mai (9) de « chantage ». @

Charles de Laubier

Vivendi gonflerait-il l’audience de Dailymotion ?

En fait. Le 11 mai, le groupe Vivendi a annoncé une nouvelle application mobile pour Dailymotion. Son PDG Maxime Saada (président de Canal+) annonce une audience mensuelle de la plateforme de partage vidéo de « près de 400 millions d’utilisateurs ». Or c’est trois fois moins selon Similarweb.

En clair. « Dailymotion est passé d’une audience de moins de 300 millions d’utilisateurs mensuels en 2017 à près de 400 millions en 2023. C’est la seule plateforme vidéo gratuite française avec un rayonnement mondial et une présence dans 145 pays », s’est félicité le 11 mai Maxime Saada, président du directoire du groupe Canal+, maison mère depuis 2015 de Dailymotion, dont il est aussi PDG depuis 2016. Dans le document d’enregistrement universel de Vivendi publié le 17 mars, il est question de « plus de 350 millions d’internautes » chaque mois. Est-ce à dire qu’en deux mois l’audience du « YouTube » français a progressé à ce point ?
Or, lorsque l’on se réfère au site de mesure d’audience Similarweb, Dailymotion affiche trois fois moins de fréquentation (toujours ordinateurs et mobiles) que les chiffres communiqués par Vivendi, à savoir : seulement 124,9 millions de visiteurs sur le mois d’avril, et même en baisse par rapport aux 130,5 millions de visiteurs de mars. Qui dit vrai ? Contacté, Vivendi ne nous a pas répondu. Toujours selon Similarweb (1), Dailymotion se place en avril au 367e rang mondial des sites web, soit à des années lumières des 32,7 milliards de visiteurs sur YouTube (2e rang mondial). En France, d’après Médiamétrie cette fois, Dailymotion totalise un peu plus de 19,4 millions de visiteurs en mars et se place ainsi à la 24e place, bien loin des plus de 48,3 millions de visiteurs sur la même période de YouTube, en 2e place derrière le moteur de recherche Google, sa filiale sœur au sein d’Alphabet. « L’audience de Dailymotion atteint des niveaux records », affirme Vivendi, grâce à des accords comme avec MSN (portail de Microsoft) en Europe et aux Etats-Unis.
Maxime Saada est président de la régie publicitaire Dailymotion Advertising. Il préside en outre les filiales de Dailymotion aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, tout en étant directeur général de celles basées en Allemagne et à Singapour. « Et nous voulons aller encore plus loin », a assuré le PDG de Dailymotion qui bénéficie à ce titre d’un plan d’intéressement depuis 2015 et jusqu’au 30 juin 2026 « indexé sur l’accroissement de la valeur de Dailymotion par rapport à son prix d’acquisition au 30 juin 2015 ». Vivendi ne dévoile pas les résultats de Dailymotion, hormis le fait que son chiffre d’affaires a augmenté en 2022 de 29,5 % sur un an. Mais la plateforme perd de l’argent (2). @

Eclairage sur NewsGuard, la start-up qui éloigne les publicitaires des « mauvais » sites d’actualités

NewsGuard a repéré une cinquantaine de sites web d’actualités générées par des intelligences artificielles (newsbots). Mais qui est au juste cette start-up newyorkaise traquant depuis 5 ans la mésinformation en ligne, notamment pour le compte de Publicis qui en est coactionnaire ?

Il y a cinq ans, en mars 2018, la start-up newyorkaise NewsGuard Technologies lançait la première version de son extension pour navigateurs web qui avertit les utilisateurs lorsque des contenus faisant état de fausses informations (fake news) ou relevant de conflits d’intérêt (lobbying) sont détectés sur les sites web visités. L’équipe d’analystes et de journalistes de NewsGuard évaluent la fiabilité générale et la crédibilité des sites en ligne, avec un système de notation sur 100 et de classement. A partir de 75/100, un site d’actualité devient généralement crédible.

Le français Publicis, actionnaire et client
La société NewsGuard a été cofondée en août 2017 par les deux directeurs généraux actuels et « co-directeurs de la rédaction », Gordon Crovitz (photo de gauche) et Steven Brill (photo de droite), deux vétérans de la presse américaine, notamment respectivement ancien éditeur du Wall Street Journal (Dow Jones) pour le premier et fondateur du magazine The American Lawyer et de Court TV pour le second. Parmi ses nombreux coactionnaires, il y a un géant mondial de la publicité, le français Publicis – « moins de 10 % du capital » –, nous dit Gordon Crovits – aux côtés de Knight Foundation, Cox Investment Holdings ou encore Fitz Gate Ventures (1). La relation avec Publicis est non seulement actionnariale mais aussi partenariale. Cela fait deux ans que NewsGuard et Publicis ont annoncé leur alliance pour « stimuler la publicité sur les sites d’actualité fiables ».
Le groupe publicitaire fondé il y a presqu’un siècle par Marcel Bleustein-Blanchet (dont la fille Elisabeth Badinter est toujours la principale actionnaire) identifie ainsi depuis pour ses clients annonceurs et professionnels du marketing « des plateformes publicitaires plus responsables et dignes de confiance, et des opportunités de combattre l’infodémie dans les médias ». Et surtout « pour éviter que leurs publicités financent involontairement des milliers de sites de mésinformation et d’infox » (2). L’enjeu est de taille puisque la publicité programmatique a tendance à financer aussi bien des sites de mésinformation que des sites d’actualités fiables. Dans son dernier document d’enregistrement universel pour l’année 2022, publié le 26 avril dernier, le groupe Publicis parle de « partenariat exclusif » avec NewsGuard qui « donne à tous [s]es clients accès à l’outil “Publicité responsable dans les médias” (3) permettant l’inclusion ou l’exclusion de sites, afin d’éviter que leurs publicités financent involontairement des sites d’infox ou de mésinformation/désinformation » (4). Au-delà de sa solution de «Ratings» sur la transparence des sites web d’information, NewsGuard Technologies propose aussi aux annonceurs, agences et autres sociétés de l’adtech une solution baptisée BrandGuard pour éviter que leurs publicités en ligne ne se retrouvent sur des sites web jugés non fiables ou sources de mésinformation. Ainsi, les analystes et conseillers éditoriaux de la start-up américaine – il y a même des « rédacteurs en chef » – évalue « des milliers de sites d’actualité et d’information couvrant 95 % de l’engagement en ligne dans chaque marché, pour certifier les sites d’actualité fiables, et alerter sur les domaines peu fiables qui diffusent de fausses informations dangereuses, des théories du complot, ou se font passer pour des sources d’actualité légitimes ». Ainsi, ce sont plusieurs milliers de sites web d’actualités qui sont passés au crible aux Etats-Unis, au Royaume-Uni, au Canada, en Allemagne, en Italie et en France. NewsGuard Technologies se préoccupe aussi de débusquer une autre catégorie de sites d’actualités sujets à caution : les newsbots, dont les contenus sont en majorité ou totalement écrits par des intelligences artificielles (IA) et qui s’avèrent être « de qualité médiocre ».
NewsGuard en a identifié une cinquantaine et l’a fait savoir le 1er mai dernier. Ces robots d’actualités ou « fermes à contenus », ou newsbots, ont pour nom : Famadillo, GetIntoKnowledge, Biz Breaking News, News Live 79, Daily Business Post, Market News Reports, BestBudgetUSA, HarmonyHustle, HistoryFact, CountyLocalNews, TNewsNetwork, CelebritiesDeaths, WaveFunction, ScoopEarth ou encore FilthyLucre (5). Contactés par Edition Multimédi@, les deux auteurs de l’étude – McKenzie Sadeghi et Lorenzo Arvanitis – indiquent qu’ils ont aussi en France identifié Actubisontine et Commentouvrir, sites web francophones boostés à l’IA.

Détecter les textes générés par l’IA
« Malheureusement, les sites ne fournissent pas beaucoup d’informations sur leur origine et sont souvent anonymes », nous précise McKenzie Sadeghi. Tandis que Lorenzo Arvaniti nous indique que « la saisie d’articles dans l’outil de classification de texte AI (6) vous donne une idée d’un modèle selon lequel une quantité substantielle de contenu sur le site semble générée par IA ». NewsGuard a aussi soumis les articles de son étude à GPTZero (7), un autre classificateur de texte d’IA. @

Charles de Laubier