Systèmes d’exploitation des smartphones : le duopole d’Apple et de Google n’est pas tenable

Le duopole de fait constitué par les écosystèmes mobiles Android (Google Play) ou iOS (App Store) pose problèmes non seulement aux éditeurs et développeurs de contenus, mais aussi aux autorités antitrust. L’arrivée d’HarmonyOS de Huawei (avec son AppGallery) pourrait jouer les trouble-fête.

Le duopole Apple-Google en tant qu’écosystèmes mobiles dominants dans le monde, à savoir Android et iOS assortis de leur boutique d’applica-tion respective Google Play et App Store, est de plus en plus mal vécu par les développeurs et les éditeurs qui dénoncent des abus de position dominante et des pratiques monopolistiques. Les OS du petit robot vert et de la marque à la pomme s’arrogent, à eux deux, plus de 95 % de ce marché mondial sur smartphone.

Accusés d’abus de position dominante
Dans le monde, d’après StatCounter, Android domine à lui seul avec plus de 70 % de parts de marché sur smartphones et iOS suit de loin avec plus de 25 % de parts de marché (1). Lorsqu’il s’agit de tablettes, l’écart entre le système d’exploitation de Google et celui de Apple s’avère moins grand : plus de 56 % pour Android et plus de 43 % pour iOS (2). Que cela soit sur smartphone ou sur tablettes, le duopole de Google et d’Apple – dirigé respectivement par Sundar Pichai (photo de gauche) et Tim Cook (photo de droite) – est quasi sans partage. Lancés respectivement en juin 2007 et septembre 2008, iOS et Android ont rapidement évincé du marché des systèmes d’exploitation dits de première génération comme Symbian de Nokia, Blackberry de RIM, Bada de Samsung, Windows Mobile de Microsoft ou encore Palm OS de Palm Computing.
La bataille des OS s’est réduite à peau de chagrin au profit des deux géants américains, Google et Apple, qui font partie du cercle très fermé des GAFAM. Rappelons que Google avait racheté la start-up Android il y a plus de quinze ans pour seulement 50 millions de dollars, puis s’est mis à proposer gratuitement aux fabricants de smartphones dans le monde cet OS (sans frais de licence) à condition que ses propres applications – Gmail, YouTube, Chrome, Google Maps et Google Play Store, etc. – soient installées et mises en avant sur les terminaux mobiles. Depuis, les deux géants sont soupçonnés voire condamnés pour abus de position dominante et pour pratiques anticoncurrentielles (3). Aucun rival européen n’est présent sur ce marché mondial des écosystèmes mobiles, pourtant stratégique. La seule arme du Vieux Continent a été réglementaire, en sanctionnant financièrement Google en juillet 2018 pour abus de position dominante dans le mobile à hauteur de 4,34 milliards d’euros d’amende. Ce fut la plus grosse condamnation pécuniaire de la filiale du groupe Alphabet en Europe (4). En France, la Cnil a pointé – dans une décision datée de janvier 2019 mettant à l’amende Google (50 millions d’euros) – la position dominante du système d’exploitation Android sur le marché français, associée au modèle économique du moteur de recherche bâti sur la publicité personnalisée.
Plus récemment, en juin 2020, Margrethe Vestager, viceprésidente exécutive de la Commission européenne en charge de la concurrence, lançait deux enquêtes sur les pratiques douteuses de respectivement l’App Store et l’Apple Pay de la marque à la pomme. Et ce, à la suite de plaintes distinctes déposées par Spotify pour la musique en ligne et par Kobo du groupe Rakuten pour le livre numérique (5). Globalement, la marque à la pomme compte 1,5 milliard de terminaux sous iOS (smartphones) ou iPadOS (tablettes) dans le monde, tandis que 500 millions de personnes utilisent l’App Store régulièrement.
Concernant la boutique en ligne (App Store), l’enquête européenne porte sur « l’utilisation obligatoire du système d’achat intégré [in-app, ndlr] propriétaire d’Apple et sur les restrictions de la capacité des développeurs à informer les utilisateurs d’iPhone et d’iPad de possibilités d’achat moins coûteuses en dehors des applications ». Concernant cette fois le système de paiement électronique (Apple Pay), sont dans le collimateur européen « les modalités, conditions et autres mesures imposées par Apple pour l’intégration d’Apple Pay dans les applications commerciales et les sites web commerciaux sur les iPhone et les iPad, sur la limitation instaurée par Apple de l’accès à la fonctionnalité de communication en champ proche (NFC) dite tap-and-go sur les iPhone pour les paiements [sans contact, ndlr] en magasin, ainsi que sur des refus allégués d’accès à Apple Pay ».

Joe Biden, prêt à réguler Internet
Aux Etats-Unis, Google (Alphabet) répond depuis octobre 2020 devant la justice à propos de son moteur de recherche monopolistique. De son côté, le département de la justice américaine, le DoJ, s’apprête à demander aussi des comptes à Apple sur ses pratiques liées à son écosystème App Store. Le rapport du groupe spécial antitrust de la Chambre des représentants des Etats-Unis, publié le 6 octobre dernier (6), avait appelé le Congrès américain à légiférer rapidement, sans attendre des années de procès. Les auteurs parlementaires de ce pavé dans la marre des GAFA se sont penchés sur les deux écosystèmes dominants des smartphones, qui ont en commun d’être quelque peu verrouillés et anticoncurrentiels. Le nouveau président américain, Joe Biden, semble disposé à réguler Internet et le monde merveilleux des applications (7).

Spotify, Epic Games, Tinder, Deezer, Facebook…
A propos d’Android, l’enquête américaine a démontré que « Google a utilisé Android pour enraciner et étendre sa domination de multiples façons qui minent la concurrence : en utilisant des restrictions contractuelles et des dispositions d’exclusivité pour étendre le monopole de recherche de Google des ordinateurs de bureau aux téléphones mobiles, et en favorisant ses propres applications ; en concevant “Android Lockbox”, un processus secret pour suivre les données en temps réel sur l’utilisation et l’engagement de tiers-partie des applications, dont certains étaient des concurrents de Google ». En outre, la boutique d’application Play Store de Google fonctionne maintenant comme « un “gardien de l’accès” (gatekeeper) que la filiale d’Alphabet utilise de plus en plus pour augmenter les frais et favoriser ses propres applications ».
Globalement, dénonce le rapport, les pratiques commerciales d’Android révèlent comment Google a maintenu sa domination de recherche « en s’appuyant sur diverses restrictions contractuelles qui ont bloqué la concurrence et par l’exploitation des asymétries d’information, plutôt que par la concurrence sur les mérites ». Pour maintenir sa domination de son moteur de recherche, la filiale d’Alphabet a exigé que tout fabricant de smartphones, souhaitant une licence Android, préinstalle Google Search et Google Play Store, aux côtés de bien d’autres applications sélectionnées par le géant du Net. « Google a également offert aux fabricants d’appareils mobiles des accords de partage des revenus » (8).
A propos d’iOS, cette fois, l’enquête américaine a démontré que la puissance de marché d’Apple est pérenne en raison des coûts de commutation élevés, du verrouillage de l’écosystème et de la fidélité de la marque. Apple est le seul maître à bord de l’écosystème iOS en tant que gatekeeper sur la distribution de logiciels sur les terminaux iPhone et iPad. « Par conséquent, [la firme de Cupertino] occupe une position dominante sur le marché des boutiques d’applications mobiles et détient le monopole de la distribution d’applications logicielles sur les appareils iOS ». App Store est non seulement un passage obligé pour que les éditeurs et les développeurs puissent atteindre les utilisateurs de la pomme, mais aussi la boutique d’applications est la seule proposée sur les terminaux d’Apple qui ne permettent pas l’installation d’autres magasins d’applications que le sien, ni aux applications d’être mises en dehors de son écosystème (9). « Les développeurs ont expliqué qu’Apple sape activement les progrès du Web ouvert sur iOS pour pousser les développeurs à construire des applications natives sur iOS plutôt que d’utiliser les technologies web », rapportent les auteurs de l’enquête parlementaire. Côtés royalties, Apple empoche une commission de 30 % sur les applications mobiles vendues sur son App Store et sur les achats effectués dans l’appli sous iOS, ces frais étant appelés In-app Purchases (IAP), que cela soit pour des biens ou des services numériques. Quant aux abon-nements proposés par une application, ils sont facturés là aussi sous une forme de commission de 30 % pour la première année et de 15 % pour les années suivantes (10).
Ce sont ces émoluments élevés que contestent Spotify, le numéro un mondial des plateformes de streaming musical, et Epic Games (éditeur du jeu vidéo « Fortnite »). Le suédois et l’américain, rejoints par d’autres éditeurs numérique tels que le français Deezer et l’américain Match Group (éditeur du site de rencontres Tinder), fustigent cette « taxe Apple » qu’ils considèrent bien trop élevée et déloyale. Sous la pression, Apple a réduit de moitié depuis le 1er janvier 2021, soit à 15 %, la commission prélevée sur les ventes effectuées par les « petits développeurs » (dont les revenus sont inférieurs à 1 million de dollars dans l’année), lesquels constituent tout de même la majorité des éditeurs. Cela n’empêche : après les Etats-Unis et l’Australie, Epic Games a porté plainte contre Apple et Google au Royaume-Uni cette fois. Une première confrontation a eu lieu le 21 janvier devant le tribunal d’appel de la concurrence (11), d’après BBC News (12). Par ailleurs, en Californie, Facebook fustige – quitte à porter l’affaire devant la justice (13) – l’obligation de plus de transparence imposée par Apple sur la collecte des données et le ciblage publicitaire.

Ecosystème HarmonyOS-AppGallery en vue
« Il est peu probable qu’il y aura une entrée de marché réussie pour contester la domination d’iOS et Android », avait affirmé le rapport antitrust. Mais n’est-ce pas sans compter sur Huawei ? Le géant chinois déploie son propre système d’exploitation mobile – HarmonyOS – après avoir été interdit par l’administration Trump de travailler avec Google. La version bêta commence à être installée dans des smartphones Huawei. Après cet embargo américain l’empêchant d’utiliser Android et le Google Play, la firme de Shenzhen mise gros. Mais son écosystème HarmonyOS et sa boutique d’applications AppGallery pourraient, après la Chine, s’attaquer au duopole Google-Apple. @

Charles de Laubier

iTunes n’a pas fêté ses 20 ans le 9 janvier 2021,et pour cause : iTunes est mort, mais bouge encore

C’est le 9 janvier 2001 – il y a deux décennies – que feu Steve Jobs avait présenté iTunes, soit neuf mois avant de lancer l’iPod, le baladeur qui redonna des couleurs à la pomme. De player musical au format MP3, iTunes est devenu le couteau suisse multimédia d’Apple, avant d’éclater en 2019.

Steve Jobs (photo) n’a pas inventé iTunes puisque le lecteur de musiques au format MP3 existait déjà depuis juin 1999 sous le nom de « SoundJam MP », un player développé par Jeff Robbin et Bill Kincaid qui en avaient confié l’édition à Casady & Greene (C&G), spécialisé dans les logiciels Macintosh (Crystal Quest, Spreadsheet, …). L’ancien président cofondateur d’Apple a aussitôt jeté son dévolu sur SoundJam MP en rachetant ses lignes de code en 2000, point de départ d’iTunes.+

iTunes, de la musique au multimédia
La première version d’iTunes fut lancée par Steve Jobs le 9 janvier 2001, lecteur présenté comme « le plus étonnant logiciel de jukebox que le monde ait jamais vu ». Le player permettait aux utilisateurs de Mac de « ripper » des CD en fichiers numérique MP3 et d’organiser leurs musiques dans une interface facile à utiliser. Son slogan : « Rip. Mix. Burn. » (récupérez, mixez, gravez), comme sur une table de mixage. La société C&G a finalement cessé définitivement d’éditer son SoundJam MP en juin 2001. Ce n’est que neuf mois après ce rachat opportun qu’Apple a lancé – le 23 octobre 2001 – la première version de son baladeur musical, l’iPod, qui, conjugué à iTunes, remis la marque à la pomme en manque d’inspiration sur la voie du succès. On connaît la suite : l’iPod débouche en 2007 sur l’iPhone (juin) et sur l’iPod (septembre), consacrant tous les deux l’écran tactile. Il faudra attendre une trentaine de mois avant l’arrivée ensuite de l’iPad (avril 2010). Sans le player iTunes, ni l’iPod, ni l’iPhone, ni l’iPad n’auraient rencontré immédiatement le succès et fait la fortune d’Apple, et celle de Steve Jobs. Pourtant, la firme de Cupertino ne s’est pas donnée la peine de fêter le 9 janvier les 20 ans d’iTunes. Il faut dire la marque à la pomme a cessé de mettre à jour ce logiciel au logo à double croche, d’abord musical avant de devenir au fil de ces deux décennies multimédia, la dernière version disponible (1) pour Mac datant de janvier 2019 et celle pour Windows de janvier 2018.
Le logiciel iTunes est devenu un player multimédia non seulement pour librairie musicale (téléchargements, playlists, éléments à imprimer, équaliseur, …) mais aussi depuis 2005 pour vidéos et pour podcasts, puis à partir de 2010 pour lire des ebooks. D’autres services associés ont fait leur apparition tels que iTunes U en 2007 pour dispenser des cours en ligne provenant des meilleurs collèges et universités américains, ou encore iTunes Radio en 2013 pour de la musique en streaming. L’an dernier, Apple a annoncé qu’iTunes U allait s’arrêter « à partir de fin 2021 » (2). Quant à la boutique numérique iTunes Store, elle n’a ouvert qu’en avril 2003 avec un modeste catalogue de 200.000 musiques. Mais le succès est au rendez-vous puisqu’en une semaine plus de 1 million de titres payants sont téléchargés (0,99 dollar le titre, 9,99 dollars l’album). Ces musiques sont alors protégées par un dispositif numérique DRM (3) appelé FairPlay, ce qui en limite leur lecture et pose des problèmes, jusqu’à ce que Steve n’obtienne de l’industrie musicale de proposer en 2007 certains titres sans DRM., puis tout son catalogue sans ce verrou de propriété intellectuelle en 2009 (à l’époque 10 millions de musiques). Dix ans plus tard, en 2020, iTunes Store était riche de 60 millions de chansons, de 2,2 millions d’applications, de 25.000 émissions de télévision et de 65.000 films.
Mais, entre-temps, après les lancements emblématiques de Spotify en 2006 et de Netflix en 2007, le streaming s’est généralisé au détriment du téléchargement cher à iTunes. L’écosystème fermé et verrouillé iTunes (4) est devenu une usine à gaz, malgré son succès auprès de centaines de millions d’utilisateurs, soit autant de cartes bancaires (575 millions de comptes d’utilisateurs en juin 2013). L’iTunes Store est devenu le passage obligé des « Applemaniaques », qu’ils soient sur iPhone, iPad, iPod Touch, Apple TV ou encore Mac.
Il y a deux ans et demi, le 3 juin 2019, la firme de Cupertino mettait fin à son logiciel multimédia iTunes pour les nouveaux Mac (5) au profit d’Apple Music (lancé en 2015), d’Apple Podcasts (lancé en 2016) et de l’application Apple TV (exiTunes Remote). Les iPhone et les iPad avaient déjà basculé dans les nouvelles applications dissociées. En tournant la page d’iTunes, Steve Jobs est finalement entré de plain-pied dans l’ère du streaming.

Après le player iTunes, la fin d’iTunes Store ?
Ce changement de pied intervenait aussi au moment où la boutique d’applications de la marque à la pomme – l’App Store, lancé en juillet 2008 – commençait à faire l’objet de sérieux griefs, Apple étant accusé d’abus de position dominante, non seulement par des utilisateurs américains qui avaient saisi la Cour suprême des Etats-Unis, mais aussi par Spotify en Europe (6). Bien que l’App Store fasse partie intégrante d’iTunes Store, la firme dirigée par Tim Cook depuis août 2011 ne fait plus depuis 2019 mention d’« iTunes Store » dans ses rapports annuels. C’est un signe. @

Charles de Laubier

L’obsolescence programmée prend un coup dans l’aile, avec une loi contre et un indice de réparabilité

Le 12 janvier, le Sénat a adopté à la quasi-unanimité la proposition de loi pour « réduire l’empreinte environnementale du numérique en France ». Est prévu un délit d’obsolescence programmée et d’obsolescence logicielle. Par ailleurs, un indice de réparabilité est en vigueur depuis le 1er janvier.

La proposition de loi visant à « réduire l’empreinte environnementale du numérique en France », adoptée le 12 janvier en première lecture au Sénat, est maintenant entre les mains de l’Assemblée nationale. Le texte a été cosigné par plus de 130 sénateurs de tous bords politiques, parmi lesquels « son principal auteur » : le sénateur Patrick Chaize (photo de gauche), par ailleurs président de l’Association des villes et collectivités multimédias (Avicca).

Qu’on y reprenne plus Apple et d’autres
Selon la chambre haute du Parlement, cette proposition de loi vise notamment à « limiter le renouvellement des terminaux numériques, dont la fabrication est le principal responsable de l’empreinte carbone du numérique en France ». Le texte prévoit ainsi de sanctionner l’obsolescence logicielle, d’améliorer la lutte contre l’obsolescence programmée et de soutenir les activités de reconditionnement et de réparation par une baisse du taux de TVA à 5,5 %. Les pratiques consistant à programmer justement la fin de vie d’un appareil ou d’un terminal, ou d’en détériorer progressivement les performances pour pousser l’utilisateur à en changer, ont déjà fait l’objet de condamnations.
Il y a un an, en France et à la suite d’une plainte de l’association Hop (1), la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a infligé une sanction pécuniaire à Apple d’un montant de 25 millions d’euros, dont la marque à la pomme s’est acquittée dans le cadre d’une transaction (2). Même si l’accusation d’obsolescence programmée n’a pas été retenue dans cette affaire-là, le fabricant d’iPhone et d’iPad a été condamné pour « pratiques commerciales trompeuses par omission », faute d’avoir informé des détenteurs d’iPhone que les mises à jour du système d’exploitation iOS qu’ils installaient étaient susceptibles de conduire à un ralentissement du fonctionnement de leur smartphone (3). « C’est une première victoire historique contre des pratiques scandaleuses du prêt-à-jeter », s’était félicitée Hop en février 2020, alors que la France promulguait au même moment une loi de « lutte contre le gaspillage et [pour] l’économie circulaire » (4). Selon cette association cofondée en 2015 par Laëtitia Vasseur (photo de droite), sa déléguée générale, la condamnation d’Apple a ouvert la voie à des demandes en dommages et intérêts de la part des clients lésés (5). La firme de Cupertino semble coutumière du fait car les Etats- Unis l’ont aussi condamnée : à l’automne dernier, une trentaine d’Etats américains – excusez du peu – ont contraint Apple à verser pas moins de 113 millions de dollars pour régler un litige portant sur le ralentissement des performances d’iPhone dans le but caché de ménager leurs batteries vieillissantes. Parallèlement, dans le cadre d’une procédure en nom collectif (class action) lancée par des utilisateurs, Apple a accepté de payer quelque 500 millions de dollars pour mettre fin aux poursuites.
En France, Hop fait figure de David contre les « Goliath » de la Big Tech. L’association avait déjà attaqué il y a trois ans le fabricant d’imprimantes Epson et, l’an dernier, accusé Google d’« encourager l’obsolescence culturelle d’appareils » avec une publicité « changez pour Chromebook ». Elle entend aussi convaincre la Commission européenne d’agir dans le cadre de son plan d’action pour une économie circulaire : « Les décideurs européens ont une responsabilité décisive dans la mise en place d’un cadre législatif qui favorise les produits de longue durée », conclut Hop dans son livre blanc en faveur des « produits durables », publié en novembre dernier (6). Depuis, le Vieux Continent avance : la Commission européenne a adopté en mars 2020 son nouveau plan d’action pour une économie circulaire, ou CEAP (7) ; le Parlement européen a approuvé le 25 novembre dernier une résolution intitulée « Vers un marché unique plus durable pour les entreprises et les consommateurs » (8).
La France, elle, commence à passer à l’action sur le terrain dans sa lutte contre l’obsolescence programmée : depuis le 1er janvier 2021, un « indice de réparabilité » est obligatoire pour notamment « les producteurs, importateurs, distributeurs ou autres metteurs sur le marché d’équipements électriques et électroniques », y compris dans le e-commerce.

Longue vie aux ordinateurs et smartphones
Un lot de décret et d’arrêtés – tous datés du 29 décembre 2020 – ont été publiés au J.O. le 31 décembre par le ministère de la Transition écologique (9). Outre le décret instaurant cet indice de réparabilité et un arrêté qui en fixe les modalités d’affichage et de calcul, il y a sept autres arrêtés (par produit), dont un pour les ordinateurs portables et un autre pour les smartphones. Hop a mis en ligne son site d’information produitsdurables.fr. Longue vie à eux ! @

Charles de Laubier

Joe Biden (78 ans), 46e président des Etats-Unis, pourrait être celui qui mettra au pas les GAFA

Donald Trump est mort, vive Joe Biden ! A 78 ans, l’ancien vice-président de Barack Obama (2009-2017) et ancien sénateur du Delaware (1973-2009) a été investi 46e président des Etats-Unis le 20 janvier. Membre du Parti démocrate depuis 1969, Joseph Robinette Biden Junior est attendu au tournant par les Big Tech et la Silicon Valley.

Joe Biden (photo) et Kamala Harris ont donc prêté serment le 20 janvier 2021 en tant que respectivement président et vice-présidente des Etats-Unis. Battu de justesse et ayant eu du mal à admettre sa défaite, Donald Trump a boudé la cérémonie. Maintenant, la fête est finie et le 46e président des Etats-Unis se retrouve avec une pile de dossiers à traiter dans le Bureau ovale de la Maison-Blanche, sa résidence officielle jusqu’en janvier 2025 – son mandat étant de quatre ans, sauf décès ou destitution, renouvelable une fois. Située plutôt en haut de la pile des urgences se trouve la régulation de l’Internet, tant les problèmes se sont accumulés sous l’administration Trump : les enquêtes antitrust lancées à l’encontre des GAFA menacés de démantèlement pour en finir avec les abus de positions dominantes dans l’économie numérique et le e-commerce ; la protection des données personnelles en ligne et de la vie privée numérique, notamment mises à mal par les réseaux sociaux ; l’explosion des contenus controversés voire illicites sur Internet tels que publicités politiques, cyberhaine, cyberviolence ou encore désinformation ; la liste noire d’une dizaine d’entreprises technologiques chinoises devenues indésirables aux yeux de son prédécesseur sur le sol américain ; l’augmentation envisagée des droits de douanes sur des produits provenant des pays, dont la France, instaurant des taxes « GAFA ».

Biden et Trump, bonnet blanc et blanc bonnet ?
Ainsi, Joe Biden hérite d’au moins une demi-douzaine de problématiques digitales qui marqueront son mandat présidentiel. Ce à quoi s’ajoutent d’autres préoccupations des Big Tech depuis l’administration Trump : les décrets limitant les visas américains pour les salariés étrangers diplômés qui souhaiteraient travailler aux Etats-Unis, Silicon Valley comprise ; la neutralité de l’Internet annulée en 2018 par la FCC (1), laquelle décision fut confortée par un jugement mais laissant le dernier mot aux Etats fédérés (2) (*) (**). Plus globalement, le président démocrate est réputé plus favorable au renforcement du pouvoir fédéral, voire à un renforcement des lois antitrust que l’ancien président républicain. Ce dernier aspirait à moins de réglementation. Biden rime avec « plus de concurrence ». Alors que Trump rimait plus avec « positions dominantes ». Mais que l’on ne s’y trompe pas : Biden pourrait faire vis-à-vis des Big Tech dans le « Je t’aime… moi non plus » (3), et même nommer un « Monsieur antitrust » à la Maison-Blanche (4). De nombreuses Big Tech ont d’emblée misé sur le nouveau président en cofinançant ses cérémonies d’investiture, la plupart virtualisée en raison des risques de pandémie et d’émeutes. Le comité d’organisation mentionne comme donateurs : Google (Alphabet), Amazon, Microsoft, Verizon, Comcast (maison mère de NBC Universal), Qualcomm, Uber ou encore Yelp, ainsi que parmi les quelque 5.000 supporteurs Boeing. Mais qui trop embrasse mal étreint…

Antitrust, ePrivacy, data, fake news, …
La nouvelle administration « Biden » a maintenant les coudées franches pour légiférer autour d’Internet et du e-commerce dans la mesure où les démocrates américains ont la majorité à la Chambre des représentants et au Sénat.
Sur le front « antitrust », les GAFA ne s’attendent à aucun revirement politique à leur égard. Les enquêtes lancées l’an dernier par le pouvoir fédéral américain – notamment du ministère de la Justice, ou DoJ (5) – vont se poursuivre sous la houlette de son nouveau ministre, Merrick Garland, dans le but d’essayer de mettre un terme aux pratiques anticoncurrentielles des géants du numérique surnommés les « winner-take-all ». Google (Alphabet) répond déjà devant la justice américaine depuis octobre dernier à propos de son moteur de recherche monopolistique (6). Le DoJ pourrait demander aussi des comptes à Apple, contesté pour ses pratiques sur son écosystème App Store, ainsi qu’à Facebook. Le réseau social de Mark Zuckerberg est déjà dans le collimateur du gendarme américain de la concurrence, la FTC (7), laquelle se mord les doigts d’avoir laissé Facebook racheter en 2012 Instagram et en 2014 WhatsApp (8) Les auteurs parlementaires du rapport du groupe spécial antitrust de la commission des Affaires judiciaires de la Chambre des représentants des Etats-Unis, publié le 6 octobre dernier (9), a appelé le Congrès américain à légiférer rapidement, sans attendre des années de procès. Depuis ce pavé dans la mare des GAFA, des Etats américains se sont coalisés pour poursuivre en justice Google et Facebook (10).
Sur le front « ePrivacy », les Etats-Unis ont pris conscience de l’importance de la protection des données personnelles en ligne et de la vie privée numérique, notamment mises à mal par Facebook avec l’affaire retentissante « Cambridge Analytica » qui a valu à la firme de « Zuck » 5milliards de dollars d’amende infligés en juillet 2019 par la FTC. Ce scandale avait porté sur l’utilisation illégale de 50 millions de comptes de Facebook aux Etats-Unis pour influencer en 2016 l’élection présidentielle américaine (11). Joe Biden pourrait s’inspirer du règlement européen sur la protection des données (RGPD), en vigueur depuis mai 2018, pour pousser une loi fédérale de même portée, alors que le « California Consumer Privacy Act » l’est depuis juin de la même année. La vice-présidente des Etats- Unis, Kamala Harris (première femme et première noire à occuper ce poste), pourrait accélérer dans cette voie, elle qui fut sénatrice et procureure de Californie, la Mecque des Big Tech et des start-up. Elle est même proche familialement du directeur juridique d’Uber. Mais Washington et Silicon Valley ne font pas bon ménage sur cette question.
Sur le front « fake news », la question de la régulation de l’Internet se pose d’autant plus que la cyberhaine déversée lors de la dernière campagne présidentielle, suivie des émeutes mortelles des partisans de Donald Trump le 6 janvier au Capitole, a laissé des traces profondes dans l’opinion américaine et internationale.
Les publicités politiques financées, puis interdites, sur les réseaux sociaux et la guerre de la désinformation (fake news) ont porté atteinte aux valeurs démocratiques. Joe Biden a déjà fait savoir qu’il allait réviser la section 230 du « Communications Decency Act » de 1996, lequel accorde une « immunité » judiciaire aux plateformes numériques quant aux contenus mis en ligne par leurs utilisateurs. Mais ce bouclier (12) est aujourd’hui contesté car les médias sociaux ne sont plus seulement hébergeurs. Facebook, Twitter et autres Google ont joué tant bien que mal les « modérateurs », supprimant des contenus qui n’auraient pas dû l’être, ou inversement avec la cyberviolence ou des contenus d’extrême droite ou complotistes.

… Huawei, TikTok, Xiaomi, taxes GAFA
Sur le front « Chine », une dizaine d’entreprises technologiques chinoises – à commencer par Huwei, le numéro un mondial des réseaux 5G, mais aussi ZTE – ont été placées sur une liste noire, accusées sans preuve de cyberespionnage et d’atteinte à la sécurité nationale du pays, le tout sur fond de bras de fer commercial sinoétatsunien. L’été dernier, Donald Trump avait signé des « Executive Order » pour interdire TikTok et WeChat aux Etats-Unis, sauf à être cédées par leur maison mère respectives, ByteDance et Tencent. A six jours de la fin du mandat, l’ancien président Trump a rajouté Xiaomi, devenu troisième fabricant mondial de smartphones devant Apple, à sa liste des chinois indésirables. Joe Biden, lui, enterra-t-il la hache de guerre pour fumer le calumet de la paix avec la Chine ?
Sur le front « taxe GAFA », la taxe que Paris a appliquée en 2019 aux grandes plateformes numériques – d’où son surnom de « taxe GAFA » – avait amené les Etats-Unis à envisager des représailles via une hausse des droits de douanes sur certains produits français. Or le 8 janvier dernier, le gouvernement fédéral américain a suspendu ce projet, le temps d’examiner les taxes GAFA similaires dans une dizaine d’autres pays (Grande-Bretagne, Italie, Inde, …). La future secrétaire au Trésor américain, Janet Yellen, s’est dite le 19 janvier plutôt favorable à une telle taxe pour « percevoir une juste part » des géants du Net. Avec Joe Biden, les Etats-Unis changent de pied. @

Charles de Laubier

Altice Europe est valorisé 6,7 milliards d’euros à la Bourse d’Amsterdam, mais plus pour longtemps

Le 21 janvier est la date limite de l’offre de rachat du solde d’Altice Europe par son actionnaire majoritaire, Patrick Drahi. La maison mère de SFR et BFM TV sera ensuite retirée de la cote pour ne plus être pénalisée par les investisseurs inquiets de sa dette, bien que ramenée à 28,5 milliards d’euros.

Après l’assemblée générale extraordinaire d’Altice Europe, qui s’est tenue le 7 janvier dernier, Patrick Drahi (photo) a obtenu l’autorisation des actionnaires pour racheter les dernières actions de son groupe coté à la Bourse d’Amsterdam depuis près de sept ans. Le milliardaire franco-israélien veut fuir les marchés financiers volatiles qui ont joué au yoyo avec son titre en fonction des humeurs versatiles des investisseurs, plus ou moins inquiets par le quasi-surendettement d’Altice Europe.

Patrick Drahi, seul maître à bord
Si la dette fut un temps abyssale, dépassant les 50 milliards d’euros en 2016, elle reste encore préoccupante aujourd’hui – même si elle a été ramenée à 28,5 milliards au 30 septembre dernier, contre plus de 31 milliards d’euros six mois plus tôt. Alors que d’importantes échéances de remboursement sont prévues d’ici 2025, autrement dit pas de « ligne de crédit majeure arrivant à maturité » avant cinq ans, Patrick Drahi espère pouvoir gérer sa dette plus sereinement sans être sous la pression permanente de la Bourse. Pour vivre heureux, vivons cachés ?
« La structure de propriété proposée va permettre de renforcer l’attention sur l’exécution de notre stratégie de long terme », avait justifié le président d’Altice Europe, faisant un pied de nez au courtermisme qui, d’après lui, caractérise les marchés financiers. Le fondateur d’Altice aurait surtout été échaudé par la dévalorisation de son titre en Bourse durant l’annus horribilis 2020, tiré vers le bas notamment par la crise économique provoquée par la pandémie du coronavirus. Malgré ses efforts sur le long chemin du désendettement, le boulet de près de 30 milliards d’euros a été perçu par bon nombre d’investisseurs comme un handicap supplémentaire dans l’actuel contexte de récession. Il suffit de voir l’évolution du cours de Bourse d’Altice Europe N.V. à Amsterdam pour constater les montagnes russes qu’a dû subir le titre « ATC » (1). Après être descendu au plus bas, à 1,56 euros le 23 novembre 2018, l’action de la maison mère de l’opérateur télécoms SFR, de la chaîne de télévision BFM TV et de la radio RMC avait tout de même réussi à rebondir pour atteindre son plus haut niveau le 6 février 2020 à 6,74 euros. Hélas, plus dure a été la chute libre : la dégringolade vertigineuse du titre – sombrant en un mois et demi à 2,50 euros le 18 mars 2020, soit une perte de 63 % de sa valeur ! – aura sans doute donné des sueurs froides à Patrick Drahi, pourtant un aguerri de la finance. Le divorce entre Altice et la Bourse était virtuellement prononcé. La convalescence boursière fut poussive au cours des six mois suivants, jusqu’au jour où – le 11 septembre 2020 et après une nouvelle rechute débutée fin août – l’actionnaire majoritaire d’Altice Europe et président du conseil d’administration a annoncé une offre publique de rachat des actions qu’il ne possède pas afin de prendre le contrôle total de son groupe de télécoms et de médias. Patrick Drahi possède déjà 77,6 % du capital d’Altice Europe. Le milliardaire veut s’approprier via sa holding personnelle Next Private le reste en mettant d’abord sur la table un total de 2,5 milliards d’euros, à raison de 4,11 euros par action, ce qui valorise le groupe près de 5 milliards d’euros. Aussitôt, l’action enlisée à 3,21 euros se ressaisie en passant au-dessus de 4,10 euros. Mais c’était sans compter les exigences de nombreux petits actionnaires, emmenés par des fonds d’investissement (2), qui ont reproché à Patrick Drahi de sous-évaluer la valeur du titre. Revendiquant ensemble environ 9,1 % du capital d’Altice Europe, les contestataires avaient pointé la valorisation de leur « expropriation » largement sousestimée par Patrick Drahi. Dans une lettre adressée le 29 novembre dernier par email à Jurgen van Breukelen, chairman du conseil d’administration d’Altice Europe – Patrick Drahi en étant le président, le fonds Lucerne accuse même ce dernier de pratique quelque peu illégale : « L’offre publique n’est rien de plus qu’une tentative illicite de M. Drahi d’exploiter la pandémie de covid-19 pour se transférer à nouveau une valeur massive, au détriment des actionnaires minoritaires » (3). Et Lucerne de rappeler que les analystes de la Deutsche Bank et de Kempen ont fixé leur objectif de cours, respectivement de 9,5 euros et de 6,8 euros (4).

Next Private face aux actionnaires
Lucerne en Europe et Winterbrook aux Etats-Unis avaient donc engagé des poursuites à l’encontre de l’homme d’affaires. Finalement, le 16 décembre dernier, celui-ci – toujours via Next Private – a cédé en relevant à 5,35 euros par action le prix de son offre sur Altice Europe. Comme par enchantement, le cours de Bourse a repris d’un coup des couleurs, à 5,32 euros… Au 7 janvier, Altice Europe N.V. était valorisé 6,7 milliards d’euros. Les actionnaires s’en tirent à bon compte. @

Charles de Laubier