Avatars conversationnels, les chatbots s’imposent dans nos vies connectées sans garde-fous

Depuis un an, l’Assurance Maladie laisse un chatbot répondre aux millions de visiteurs de son site web Ameli.fr. De plus en plus d’entreprises ont recours à ces robots conversationnels pour assurer leurs relations clients. Du marketing au divertissement, ils remplacent l’humain. Selon quelles règles ?

Les chatbots s’en donnent à cœur-joie. A part la Californie qui leur a consacré une loi en 2018 pour les encadrer et assurer une transparence vis-à-vis des utilisateurs et des consommateurs (1), aucun autre pays – ni même l’Europe pourtant soucieuse du droit des consommateurs et du respect des données personnelles – n’a encore établi de cadre pour réguler ces agents conversationnels aux allures d’êtres humains, qu’il s’agisse d’avatars de l’écrit ou du vocal s’exprimant en langage naturel.

Un avis du CNPEN en vue pour la rentrée
Cependant, la Commission européenne a lancé, dans le cadre de son groupe d’experts de haut niveau sur l’intelligence artificielle (AI HLEG (2)), une réflexion sur les chatbots en vue d’établir des règles éthiques quant à leur utilisation et d’instaurer des garde-fous contre des pratiques abusives (conversations illégales, déloyales, trompeuses, voire manipulatrices). Objectif pour Bruxelles : assurer la protection des consommateurs et des données personnelles, ainsi que la vie privée. « Pensez-vous qu’en Europe, il faudrait adopter un cadre législatif comparable à celui de l’Etat de Californie ? », demande en France le Comité national pilote d’éthique du numérique (CNPEN), dans une consultation publique sur « les enjeux éthiques liés aux chatbots» lancée il y a un an (3). Selon nos informations, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE), dont dépend le CNPEN (4), rendra un avis sur les chatbots « au début du prochain semestre », avec son analyse à la suite de cet appel à contribution qui s’est achevé à l’automne dernier. Son avis sera accompagné de recommandations dans l’utilisation éthique des agents conversationnels et à l’attention de leurs concepteurs et développeurs. « Cet aspect naturel du dialogue est susceptible d’influer sur l’être humain : c’est le problème fondamental de l’éthique des chatbots », prévient le CNPEN.
Il s’agit notamment d’éviter la manipulation – ou nudge – que pourrait pratiquer un dialogueur virtuel en amenant – sans contrainte et par des biais cognitifs – un utilisateur connecté à changer d’avis, à modifier son comportement, voire à faire quelque chose contraire à ses convictions. Et ce, parfois de façon insidieusement. « Tous les nudges sont-ils permis ? Comment peut-on distinguer les bons des mauvais nudges? », s’interroge le CNPEN, sachant qu’un nudge peut être un moyen soit d’influence des individus à des fins mercantiles ou politiques, soit au contraire de surveiller notre santé et d’améliorer notre bien-être. Bien d’autres questions se posent sur l’éthique des chatbots, telles que leur rôle en cas de conflit, de mensonge, de désinformation, de fausses nouvelles (fake news) ou encore d’appel à la délation. Sans parler des « deadbots » qui peuvent faire parler ou écrire virtuellement des personnes décédées (Microsoft y travaille), soit pour faire vivre la mémoire des disparus, soit pour usurper leur identité. « De tels usages porteraient-ils atteinte au principe de respect de la dignité de la personne humaine ? », questionne encore le CNPEN. Ces robots-logiciels en ligne et interactifs n’ont pas réponse à tout, mais ces « dialogueurs » (5) sont de plus en plus présents dans l’e-commerce, l’e-administration, voire l’e-divertissement. Google a présenté le 18 mai dernier son chatbot LaMDA (6). De son côté, Facebook veut racheter pour 1 milliard de dollars la start-up américaine Kustomer, laquelle avait racheté en mai 2020, la start-up newyorkaise Reply.ai qui lui a justement apporté ce savoir-faire conversationnel. La Commission européenne a fait savoir le 12 mai dernier qu’elle ouvrait une enquête sur le rachat de cette société spécialisée dans la gestion de la relation client et de la publicité en ligne, ou Customer Relationship Management (CRM) et Software as a Service (SaaS). CRM et chatbots sont devenus indissociables, Messenger et WhatsApp pouvant soutenir la conversation. Dix Etats membres de l’Union européenne – dont la France – ont demandé à Bruxelles d’examiner cette opération au regard du droit de la concurrence. Ce droit de regard de ces pays a été rendu possible par le fait que Facebook a tout de même dû soumettre son projet à l’autorité de la concurrence en Autriche. En conséquence, « Facebook doit donc nous notifier la transaction, qu’il ne peut mettre en œuvre sans notre autorisation », indique la Commission européenne.

« AmeliBot » de l’Assurance Maladie
En France, où la Cnil a émis en février sur les chatbots des « conseils pour respecter les droits des personnes » (7), l’Assurance Maladie a par exemple lancé il y a un an « AmeliBot » en s’appuyant sur la plateforme conversationnelle DigitalCX du néerlandais CX Company, laquelle a été rachetée en mai 2020 par son compatriote CM.com. L’expérience est concluante puisque le chatbot de cette branche de la Sécurité sociale a pu accélérer le traitement de plus de 40 millions de demandes en moyenne par mois. @

Charles de Laubier

Bataille mondiale du « bitcoin » entre les Etats et les nouveaux émetteurs de monnaies numériques

La Banque centrale européenne (BCE) dira l’été prochain si elle compte créer ou pas l’euro numérique. La Chine, elle, teste déjà grandeur nature l’e-yuan, avant sa généralisation en 2022. De leur côté, les Bahamas sont pionniers du « bitcoin » souverain avec leur « dollar de sable ».

La république populaire de Chine, présidée depuis mars 2013 par le très technophile Xi Jinping (photo), pourrait être l’an prochain la première puissance mondiale à lancer sa monnaie numérique. Cet e-yuan souverain, testé depuis le début de l’année et notamment à Shanghai et Shenzhen, est attendu avec fébrilité par les pays occidentaux qui craignent la fin de l’hégémonie monétaire américaine de l’« US dollar » – monnaie de réserve mondiale. De Washington à Francfort-sur-le-Main en Allemagne, où les banques centrales des Etats-Unis (la Fed) et de l’Union européenne (la BCE) ont respectivement leur siège social, c’est le branle-bas de combat.

E-yuan, nerf de la guerre impérialiste
Avec l’e-yuan, l’Empire du Milieu cherche à reprendre la main sur le rôle régalien de l’Etat à « frapper monnaie », mis à mal par le paiement mobile qui s’est généralisé auprès des Chinois grâce aux géants Ant Group (spin off d’Alibaba) avec Alipay, et Tencent avec Wepay (90 % de parts de marché à eux deux en Chine). L’argent en monnaie sonnante et trébuchante est largement passé au second plan des paiements effectués en Chine. Bien que les autorités bancaires chinoises aient mis en garde le 18 mai contre les cryptomonnaies « spéculatives », Xi Jinping nourrirait le secret espoir de voir à terme le crypto-yuan devenir une monnaie numérique internationale et un moyen de réduire la dépendance de la Chine vis-à-vis de l’empire financier mondial des Etats-Unis, son grand rival économique dont il convoite la première place de puissance économique en termes de produit intérieur brut (PIB). Des tests transfrontaliers sont menés avec la banque centrale de Hong Kong en prévision d’une utilisation à l’étranger, ce qui pourrait rendre les frais transferts de monnaie virtuelle moins élevés (comparé aux devises classiques) et les opérations exécutées plus rapidement.
Appelé aussi e-CNY ou e-RMB, du nom de la monnaie officielle chinois (le renminbi), le yuan digital est préparé depuis sept ans – à l’initiative de Zhou Xiaochuan lorsqu’il était à la tête de la PBC (1), la banque centrale chinoise – par le gouvernement de Pékin, afin de lutter contre la pauvreté, l’exclusion financière et le blanchiment d’argent. L’e-yuan est aussi une réponse officielle au Bitcoin à l’origine probablement japonaise (2) ou au Diem (ex-Libra) de Facebook. La Chine a d’ailleurs interdit dès 2017 l’usage des crypto monnaies sur son sol virtuel. Concrètement, d’après la PBC, les premiers utilisateurs ont dû télécharger sur leurs smartphones l’application gouvernementale e- CNY permettant de gérer le portefeuille électronique relié au compte bancaire de chacun. Les transferts d’argent vers le compte virtuel, plafonnés durant la période d’expérimentation à 10.000 yuans (soit l’équivalent de 1.280 euros), puis les paiements en e-yuan se font instantanément à partir d’un QR code (l’habituel code-barres en deux dimensions) ou en NFC (communication sans fil de proximité). Pour inciter les Chinois à utiliser l’application e-CNY, des commerçants partenaires proposent des réductions sur les biens achetés chez eux. Ces derniers sont encouragés de leur côté par l’Etat à proposer le paiement en crypto-yuan qui ne prélève aucun frais de transaction (contrairement aux 0,5 % environ retenu par Alipay et WePay). Mais, comme le rapporte l’agence américaine Bloomberg, des particuliers et des professionnels disent craindre d’être suivis à la trace par les autorités dans leur vie quotidienne et sans protection pour leur vie privée. La PBC tente de rassurer sur la sécurisation et l’anonymisation des transactions et la traçabilité des flux centralisés dans une base de données gouvernementale. Pékin table à terme sur une utilisation massive de l’e-yuan. Selon les prévisions de Sharnie Wong, une analyste de Bloomberg Intelligence (BI), le renminbi digital – appelé officiellement Digital Currency Electronic Payment (DCEP) – sera utilisé à l’échelle nationale avant les Jeux olympiques de Pékin en 2022 et représentera 9% des paiements numériques en Chine d’ici 2025. Mais ce n’est pas encore le Grand Bond en avant numérique de la politique monétaire chinoise.

« Dollar de sable » des Bahamas, pionnier
Si la Chine est à l’avant-garde du « bitcoin » souverain, elle n’est pas la seule. En février dernier, la banque centrale des Bahamas (CBTB) et la fintech Island Pay ont annoncé en collaboration avec Mastercard le lancement de la carte prépayée « Sand Dollar », du nom de la monnaie numérique créée par cet archipel situé dans l’océan Atlantique (faisant partie du Commonwealth britannique). Cette solution de e-paiement, conçue en 2019 puis déployée en octobre 2020 comme première version numérique de la monnaie fiduciaire d’un pays, offre la possibilité de convertir instantanément la monnaie numérique en dollars traditionnels des Bahamas et de payer des biens et services partout où Mastercard est accepté, sur les 770 petites îles de l’archipel et dans le monde. Le « dollar de sable » numérique est ainsi nommé en référence aux oursins plats que l’on trouve au bord de la mer de certains océans. Réservé au Bahamiens, le « Sand Dollar » numérique sera par la suite utilisable aussi par les touristes (3).

La zone euro suspendue à la BCE
De son côté, la Grande-Bretagne s’interroge sur le lancement éventuel du « britcoin ». En avril, la Banque d’Angleterre (BoE), banque centrale du Royaume-Uni, et « le trésor de Sa Majesté » ont lancé un groupe de travail (taskforce) pour « coordonner l’étude sur le potentiel d’une monnaie numérique » qui serait émise par la BoE et sur « les avantages, les risques et les aspects pratiques de cette démarche », y compris les considérations d’inclusion financière et numérique ainsi que les répercussions sur les données et la vie privée. Il s’agit aussi pour le pays du Brexit de « surveiller les développements internationaux des CBDC (Central Bank Digital Currency) pour s’assurer que le Royaume-Uni reste à la pointe de l’innovation mondiale ».
Cette annonce de la Grande-Bretagne a été fait le 19 avril, soit trois jours avant une visioconférence de l’Eurogroupe auquel elle n’appartient pas – n’étant pas Etat membre de la zone euro. Cet organe informel, qui réunit chaque mois les ministres des Finances des pays concernés et qui est actuellement présidé par l’Irlandais Paschal Donohoe, a notamment abordé la question de « l’euro en tant que monnaie numérique » en général et « un euro numérique de la Banque centrale européenne (BCE) » en particulier. Pour la France, c’est donc Bruno Le Maire, ministre de l’Economie, des Finances et de la Relance, qui y assistait parmi les vingt-trois participants, dont Christine Lagarde, présidente de la BCE justement. Cette réunion en distanciel a permis de faire le point sur les travaux en cours sur l’euro numérique, à la lumière des résultats de la consultation publique lancée par la BCE en octobre 2020. « La consultation a montré que les questions liées à la protection de la vie privée, à la sécurité et à la garantie de la portée paneuropéenne de ce projet, si celuici devait aller de l’avant, figurent parmi les priorités de nos citoyens et de nos entreprises. Nous avons souligné qu’un euro numérique a le potentiel de soutenir un secteur de la finance numérique plus innovant et des systèmes de paiement plus efficaces et résilients », ont souligné les participants qui appellent l’Euro Summit, lequel réunit cette fois les chefs d’Etats et de gouvernement de la zone euros, à entreprendre « les travaux exploratoires sur l’introduction éventuelle d’un euro numérique » envisagés lors de la réunion du sommet de la zone euro le 25 mars dernier « Nous appelons de nos vœux un secteur financier numérique plus fort et plus innovant et des systèmes de paiement plus efficaces et plus résilients », avait conclu les gouvernement de l’Euro Summit, et en tenant compte « des dimensions politiques de ce projet » (4). L’Eurogroupe devait se réunir à nouveau le 21 mai (5), tandis que le prochain Euro Summit se tiendra en juin (6). L’Allemagne a déjà fait savoir – par la voix de son vice-chancelier et ministre fédéral des Finances, Olaf Scholz (socialdémocrate) – qu’elle était favorable à la création de l’euro digital. « Nous ne devons pas être spectateurs », avait-il lancé de Berlin.
La balle est maintenant dans le camp de la BCE, Christine Lagarde devant dire l’été prochain si le projet est faisable ou pas. Les résultats de la consultation de l’institution de Francfort-sur-le-Main – menée d’octobre 2020 à janvier 2021 (« participation record » avec 8.200 réponses reçues et à 94 % provenant de particuliers) – ont montré que la protection de la vie privée est la principale préoccupation du public et des professionnels (43 % des répondants). Viennent ensuite la sécurité (18 %), la possibilité de payer dans toute la zone euro (11 %), et ce sans frais supplémentaires (9 %) ainsi que hors ligne (8 %). La BCE a mis en place un « Digital euro hub » (7) pour préparer les esprits à l’introduction éventuelle du crypto-euro (8).
Au pays des GAFAM, de l’omniprésent dollar et du futur « stable coin » Diem de Facebook (indexé sur le dollar américain), c’est l’expectative voire l’attentisme. Mais aussi la crainte de voir le billet vert pâlir face aux monnaies numériques souveraines qui fleurissent de par le monde.

Les Etats-Unis sont en embuscade
Alors que la fintech Coinbase, plateforme d’échange de crypto monnaies (bitcoin, ether, litecoin, …), a plus que réussi son entrée en Bourse le 14 avril dernier au Nasdaq, en atteignant une valorisation record – sans précédent pour l’introduction d’une entreprise américaine – de 86 milliards de dollars, Washington semble fébrile. Ce qui contraste avec l’enthousiasme du multimilliardaire Elon Musk (Tesla, SpaceX, …), quoique s’étant dit le 12 mai refroidi par l’impact du minage de « bitcoins » sur le réchauffement climatique. Or dans les coulisses de la Fed, son président Jerome Powell ne cache pas que depuis six mois la banque fédérale américaine développe l’e-dollar. Ce dernier avait succédé en février 2018 à Janet Yellen, elle-même devenue en janvier dernier secrétaire au Trésor et favorable à la création du dollar numérique. @

Charles de Laubier

Après Facebook et Apple, Noyb – cofondée par l’Autrichien Max Schrems – s’attaque à Google

L’organisation Noyb indique à Edition Multimédi@ que « le plaignant français » (en fait plusieurs plaintes de Français) a reçu le 9 avril un e-mail de la Cnil lui confirmant la réception le 6 avril de sa plainte contre Google, accusé de le suivre sans son consentement via des « cookies » AAID.

« Nous ne connaissons pas l’étape de la procédure, mais nous savons que le plaignant [en fait plusieurs plaintes de Français épaulés par Noyb, ndlr] a reçu une confirmation de réception le jour du dépôt et il a reçu un autre courriel le 9 avril confirmant que la plainte avait été attribuée au “service des plaintes de la Cnil (1)” », nous a précisé une porte-parole de l’organisation cofondée en 2017 par l’Autrichien Maximilian Schrems (photo), tout en nous confirmant que « le plaignant est un citoyen français ». De son côté, la Cnil a répondu à Edition Multimédi@ qu’elle est « en train d’étudier la recevabilité des plaintes reçues par ce biais » – à savoir en « m[ettant] un “modèle” de plainte sur son site ».

Eviter l’Irlande via la directive « ePrivacy »
L’Android Advertising Identifier (AAID) est à Google ce que l’Identifier for Advertisers (IDFA) est à Apple. Ce sont des traceurs qui permettent, une fois déposés sous forme de « cookies » dans les terminaux des Européens, de les suivre à la trace justement dans leurs navigations sur le Web ou sur les applications mobiles, tout en capitalisant sur leurs comportements de visiteurs et de consommateurs à des fins de ciblages publicitaires et marketing. Comme pour l’IDFA d’Apple sur les terminaux sous iOS, l’AAID de Google est, selon Noyb, « un code de suivi non autorisé installé illégalement sur les téléphones Android ». Cinq moins après avoir déposé plainte – le 16 novembre 2020 – contre Apple et son traceur installé sous forme de cookies dans les terminaux iOS des utilisateurs européens, et sans leur consentement préalable pourtant rendu obligatoire par la directive européenne « ePrivacy » de 2002 (modifiée en 2006 et 2009), l’organisation Noyb (2) a de nouveau porté plainte le 6 avril dernier, mais cette foisci contre Google et son traceur du même genre. Alors que la plainte contre la marque à la pomme avait été déposée à la fois auprès de la « Cnil » allemande, le BfDI (3), et auprès de la « Cnil » espagnole, la AEPD (4), la plainte contre l’éditeur du système d’exploitation Android a, elle, été adressée à la Cnil en France (5). Dans ces deux affaires, « Apple/IDFA » et « Google/AAID », Noyb attaque les deux géants du numérique sur le fondement de la directive « ePrivacy » concernant le « traitement des données à caractère personnel et protection de la vie privée dans le secteur des communications électroniques » (6). Car, selon l’organisation autrichienne, la directive sur la protection des données électroniques (ePrivacy) prévaut juridiquement sur le règlement général sur la protection des données (RGPD). Mais la directive présente un double avantage sur le règlement. D’une part, l’article 5.3 de la directive prévoit clairement que « les Etats membres garantissent que l’utilisation des réseaux de communications électroniques en vue de stocker des informations ou d’accéder à des informations stockées dans l’équipement terminal d’un abonné ou d’un utilisateur ne soit permise qu’à condition que l’abonné ou l’utilisateur, soit muni, (…) d’une information claire et complète, entre autres sur les finalités du traitement, et que l’abonné ou l’utilisateur ait le droit de refuser un tel traitement par le responsable du traitement des données ». Chaque Etat membre de l’Union européenne (UE) a transposé en droit national cette disposition, comme en France dans la loi « Informatique et libertés ».
D’autre part, la directive « ePrivacy » permet à la « Cnil » nationale d’être compétente pour contrôler et sanctionner les pratiques dans le dépôt cookies et le recueil préalable du consentement des utilisateurs. Alors que si le plaignant de Noyb s’était appuyé sur le règlement RGPD, l’instruction de la plainte et ses éventuelles sanctions auraient dû être confiées à la « Cnil » en Europe considérée comme l’autorité « chef de fil » car relevant du pays européen où la plateforme numérique en question est basée. En l’occurrence, Apple et Google ont leur quartier général européen en Irlande – le premier à Cork, le second à Dublin. Cela aurait dû être alors à la « Cnil » irlandaise, en l’occurrence la Data Protection Commission (DPC), d’instruire les deux affaires.

Le terminal personnel doit être sanctuarisé
Mais Max Schrems a voulu éviter d’en passer par l’Irlande où, comme il l’a affirmé à l’AFP le 21 avril, « 99,9% des dossiers sont tout simplement jetés à la poubelle » ! De plus, pour pouvoir mettre à l’amende Apple et Google, il aurait fallu s’accorder avec tous les pays de l’UE dans lesquels ces entreprises sont présentes. Ce qui est loin d’être gagné d’avance. Alors qu’en utilisant l’article 5.3 de la directive « ePrivacy », comme l’a déjà fait la Cnil en France (où il a été transposé dans la loi « Informatique et libertés ») pour sanctionner financièrement en décembre dernier Amazon (35 millions d’euros) et Google (100 millions d’euros) pour infraction aux règles sur les cookies (8), chaque « Cnil » est compétente sur son territoire pour contrôler et sanctionner.
Le considérant 24 de la directive « ePrivacy » est on ne peut plus clair sur l’extension du domaine de la vie privée des internautes et mobinautes : « L’équipement terminal de l’utilisateur d’un réseau de communications électroniques ainsi que toute information stockée sur cet équipement relèvent de la vie privée de l’utilisateur, qui doit être protégée au titre de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ».

Série d’affaires, de « Schrems 1» à « Schrems 4»
Et le législateur européen d’enfoncer le clou pour mettre en garde les plateformes numériques, réseaux sociaux et autres sites web : « Or, les logiciels espions, les pixels invisibles (web bugs), les identificateurs cachés et les autres dispositifs analogues peuvent pénétrer dans le terminal de l’utilisateur à son insu afin de pouvoir accéder à des informations, stocker des informations cachées ou suivre les activités de l’utilisateur, et peuvent porter gravement atteinte à la vie privée de ce dernier. L’utilisation de tels dispositifs ne devrait être autorisée qu’à des fins légitimes, et en étant portée à la connaissance de l’utilisateur concerné ». Tout est dit. L’article 5.3, lui, va ainsi règlementer deux types de traitement : le stockage d’informations ou l’accès à des informations déjà stockées dans l’équipement terminal de l’utilisateur. L’organisation de Max Schrems part du principe que la directive « ePrivacy » est technologiquement neutre (confortée par un avis du groupement des « Cnil » européennes, le G29, en avril 2012) et considère que l’AAID de Google comme l’IDFA d’Apple sont « très similaire[s] à un identifiant de traçage présent dans un cookie de navigation ».
Ainsi, l’éditeur d’Android et le fabricant d’iPhone – voire des tierces parties telles que les fournisseurs d’applications mobiles – peuvent chacun de leur côté « accéder l’information stocker dans l’équipement terminal de l’utilisateur » et « ceci peut être utilisé afin de déterminer les préférences de l’utilisateur associées avec son [AAID ou IDFA] afin d’afficher des annonces pertinentes sur d’autres applications ou même sur des pages de site web non liés ». Ces affaires « Apple/IDFA » et « Google/AAID », que l’on pourrait surnommer les affaires, respectivement « Schrems 3 » et « Schrems 4 », interviennent après les deux précédentes affaires judiciaires initiées et remportées par Max Schrems. Avant qu’il ne crée Noyb, ce jeune homme (actuellement 33 ans) s’était fait connaître en portant plainte, en tant que citoyen autrichien, contre Facebook accusé de transférer les données personnelles de ses utilisateurs européens vers les Etats-Unis. Ce qui a amené la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) à invalider en 2015 le « Safe Harbor », lequel autorisait depuis l’année 2000 le transfert des données personnelles des citoyens européens vers les Etats-Unis sous certaines conditions. C’était l’affaire « Schrems 1 » (9), laquelle a propulsé Max Schrems audevant de la scène médiatique face à Facebook. Le « Safe Harbor » annulé (10), celui-ci a été remplacé en 2016 par le « Privacy Shield » malgré un avis mitigé à l’époque du groupement des « Cnil » européennes (11), dit « Article 29 » ou G29 – devenu le Comité européen de la protection des données (CEPD).
Fort de son premier succès à l’encontre du « Safe Harbor », Max Schrems a encore porté plainte, contre cette fois le « Privacy Shield », ce « bouclier de la vie privée » ou « bouclier des données » qui permettait aux Etats-Unis d’être considérés comme un pays ayant un niveau de « protection adéquate » par la Commission européenne pour les transferts de données à caractère personnel vers des organisations américaines auto certifiées. Là aussi la CJUE a eu à se prononcer et, le 16 juillet 2020, à l’invalider à son tour au regard cette fois des exigences découlant du RGPD et à la lumière des dispositions de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne garantissant le respect de la vie privée et familiale, de la protection des données personnelles et du droit à une protection juridictionnelle effective (12). C’est l’affaire « Schrems 2 » (13) qui a renforcé la légitimité de Max Schrems (14) face à la firme de Mark Zuckerberg. Avec une quinzaine de personnes travaillant pour elle, l’organisation à but non lucratif Noyb, surnommée European Center for Digital Rights et basée à Vienne, ne se limite pas à ces affaires emblématiques puisque plus d’une centaine de recours l’occupent actuellement.

Données de localisation : « Schrems 5 » ?
Par exemple, Noyb a porté plainte en juin 2020 sur la base du RGPD contre l’opérateur mobile A1 Telekom en Autriche pour manque de transparence sur les données de géolocalisation collectées auprès de ses mobinautes. « Où étiez-vous ? Ça ne vous regarde pas ! ». En Australie cette fois, l’autorité de la concurrence ACCC a d’ailleurs pour la première fois au monde sanctionné le 16 avril Google pour avoir « induit les consommateurs en erreur au sujet de la collecte et de l’utilisation des données de localisation » (15). Il y a matière pour une affaire « Schrems 5 »… @

Charles de Laubier

Les satellites font de l’ombre à la fibre et à la 5G

En fait. Le 27 avril, le français Eutelsat a annoncé l’acquisition d’environ 24 % du capital de OneWeb, constellation de satellites conçus pour fournir l’Internet haut débit sur la planète. Le même jour, l’américain SpaceX a obtenu l’autorisation de la FCC pour positionner des satellites Internet sur une orbite plus basse.

Internet global : la régulation nationale adaptée ?

En fait. Le 25 mars, Mark Zuckerberg, Sundar Pichai et Jack Dorsey ont été auditionnés par une commission du Congrès des Etats-Unis sur « l’extrémisme et la désinformation » véhiculés par Facebook, Google et Twitter. La régulation de l’Internet global risque de tourner en patchwork réglementaire.