Orphelin de la grande réforme audiovisuelle, le Sénat n’a pas dit son dernier mot sur « France Médias »

Le Sénat, qui fut moteur dans le projet de réforme de l’audiovisuel (notamment depuis le rapport « Leleux-Gattolin » de 2015), se retrouve dépossédé d’un texte qui, dépecé, devait être une priorité du quinquennat « Macron ». La chambre haute se concentre sur le vaste plan de relance de la France.

Depuis une dizaine d’années, la chambre haute a été une force de propositions pour faire évoluer le cadre législatif de l’audiovisuel français qui en aurait bien besoin. Tout le PAF (1) n’attend que cela et depuis bien avant les grandes promesses d’Emmanuel Macron visant à réformer la loi de 1986 sur « la liberté de communication » devenue archaïque à l’heure du numérique et des GAFAN. Présidé par Gérard Larcher depuis 2008 (excepté d’octobre 2011 à septembre 2014), le Sénat se retrouve fort dépourvu.

5 ans de projet « France Médias » pour rien
Le projet de loi consacré « à la communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle » (2), sur lequel le gouvernement avait engagé la procédure accélérée, devait être examiné par l’Assemblée nationale entre fin mars et début avril. Mais les séances publiques avaient été annulées pour cause de coronavirus. Deux réunions impliquant l’Elysée, Matignon, la rue de Valois et Bercy, les 8 et 17 juin, ont définitivement enterré la grande réforme audiovisuelle pour donner la priorité au vaste plan de relance face à l’urgence économique (3). « Cette réforme de la loi de 1986 – attendue depuis de nombreuses années, réclamée par les professionnels du secteur, nécessaire pour réduire les asymétries législatives et règlementaires entre les opérateurs linéaires traditionnels et les plateformes de SVOD – a connu tous les déboires, les reports, les manques de courage, les atermoiements imaginables et nous voilà encore devant un “refus de saut” dans ce dépeçage où l’on ne pourra traiter que les urgences (transposition des directives “SMA”, “Droit d’auteur”, “CabSat”, …) », explique Jean-Pierre Leleux (photo), sénateur, à Edition Multimédi@. Rapporteur de la commission « culture », dont il est vice-président aux côtés de la présidente Catherine Morin- Desailly, il est notamment l’auteur avec son collègue André Gattolin du rapport de 2015 sur le financement de l’audiovisuel public. C’est ce rapport (4) qui propose pour la première fois de « regrouper l’ensemble des sociétés de l’audiovisuel public au sein d’une nouvelle entité qui pourrait être dénommée “France Médias” » (proposition n°12). Bien d’autres recommandations sont avancées, comme le passage de la redevance audiovisuelle à une « contribution forfaitaire universelle » (indépendamment de la possession d’un téléviseur). Si cette dernière n’a pas encore été arbitrée, bien d’autres mesures (holding, gouvernance, désignation des dirigeants, …) avaient été introduites dans la grande réforme audiovisuelle voulue par le chef de l’Etat (5). Par ailleurs, en tant que membre de la commission de affaires européennes du Sénat, Jean-Pierre Leleux avait contribué dès 2016 à faire adopter une résolution européenne (6) sur les services de médias audiovisuels (SMA) instaurant des obligations aux plateformes vidéo telles que Netflix ou Disney+ (exposition des œuvres européennes et contribution à leur financement). Finalement, pour que ces dispositions entrent en vigueur en France à partir du 1er janvier 2021, le ministre de la Culture, Franck Riester, auditionné le 1er juillet par la commission « culture » (7), a confirmé que la transposition « SMA » se fera par « un amendement du gouvernement » examiné en juillet (dans un projet de loi d’adaptations européennes via ordonnance). Pour autant, le sénateur des Alpes-Maritimes (8) regrette la grande réforme : « Je déplore que ce secteur ne soit plus considéré aujourd’hui comme prioritaire – l’a-t-il été un jour ? – et que les réformes de fond soient encore différées, fragilisant encore ainsi nos opérateurs nationaux confrontés aux mutations technologiques, à la concurrence des puissants opérateurs américains et à la révolution des usages ». Par ailleurs, la chambre haute a pris la crise à bras-lecorps : sa commission des affaires économique, présidée par la sénatrice Sophie Primas, a publié le 17 juin pas moins de sept propositions de plans de relance sectoriels, dont l’un portant sur le numérique, les télécoms et les postes (9). Le Sénat y préconise d’accélérer la couverture numérique des territoires, d’accompagner massivement entreprises et concitoyens dans la transition numérique, de soutenir les technologies numériques-clés, de faire émerger des champions numériques et de promouvoir une société numérique de la confiance, et enfin d’approfondir la régulation des plateformes structurantes.

Inclure l’audiovisuel dans le plan de relance
La commission « culture » du Sénat, elle, s’est penchée sur l’audiovisuel « qui ne peut pas être le “grand oublié” des plans de relance ». Ce groupe de travail, présidé par Jean-Pierre Leleux, a présenté le 10 juin dix propositions (10), à commencer par « redonner à la politique publique en faveur du secteur audiovisuel un caractère prioritaire ». La chambre haute compte bien relancer le projet « France Médias ». @

Charles de Laubier

La France veut aboutir en 2020 à la signature d’un « contrat de filière commun» aux industries culturelles

Avec des « Etats généraux des industries culturelles et créatives » qui se déroulent de décembre 2019 à mars 2020, le président de la République, Emmanuel Macron, veut faire de l’« exception culturelle » française une filière industrielle à part entière avec la création d’un « comité stratégique de filière ».

La musique, le cinéma, le livre, l’audiovisuel, le jeu vidéo, les créations numériques, les arts visuels, le spectacle vivant, la presse, la radio, l’architecture, … L’objectif du chef de l’Etat est de « structurer les différents secteurs en une véritable filière » (1). Pourquoi ? Parce que tous ces secteurs des industries culturelles et créatives (ICC) sont confrontés à des défis communs, parmi lesquels la révolution numérique, la blockchain (chaîne de blocs) et l’intelligence artificielle (IA). Se posent aussi pour toutes les questions de financement de la création, d’exportation des oeuvres à l’international ou encore de formation.

Faire face à la révolution numérique
« Les secteurs qu’elles représentent en France pèsent 640.000 emplois et 91 milliards d’euros de chiffre d’affaires. C’est pour leur faire bénéficier pleinement de ce potentiel économique que nous lançons, les Etats généraux des industries culturelles et créatives (ICC) », a déclaré Franck Riester, ministre de la Culture, le 28 novembre dernier, en présence de Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, et Bruno Le Maire, ministre de l’Economie et des Finances. D’après le 3e Panorama des ICC, réalisé par le cabinet EY (ex-Ernst & Young), publié le jour même (2), la valeur ajoutée des ICC est de 47,5 milliards d’euros, soit 2,3 % de l’économie nationale – « un poids économique comparable à celui de l’industrie agroalimentaire et 1,9 fois plus important que celui de l’industrie automobile » (dixit EY).
A ceci près que le « chiffres d’affaires » de cette étude commanditée par le lobby des industries culturelles elles-mêmes – France Créative (3), qui dénonce depuis sa création en 2012 un « transfert de valeur » au profit des plateformes numériques (4) – mélange revenus directs et subventions publiques. Ces aides de l’Etat et des collectivités territoriales pèsent tout de même 16,6 milliards d’euros dans le « chiffre d’affaires » des ICC sur l’année 2018. Et encore, cette subvention globale dont bénéficient les industries culturelles ne prennent pas en compte les crédits d’impôts dont elles bénéficient chaque année (5). Par exemple, le crédit d’impôt du jeu vidéo (CIJV) instauré en 2017 fait que près d’un tiers des dépenses de production de ce secteur sont aujourd’hui défiscalisées. Ne sont pas non plus comptées les avances annuelles à l’audiovisuel public (environ 3,9 milliards d’euros via la redevance audiovisuelle) ni les dépenses fiscales en matière de culture et de communication (autour de 1,5 milliard d’euros). Ce montant de 16,6 milliards de subventions publiques exclut également les allocations octroyées dans le cadre du régime des intermittents du spectacle. Dès lors, la comparaison avec d’autres secteurs de l’économie française est sujette à caution.
Mais revenons aux motivations des Etats généraux des ICC, lesquels doivent aboutir à « l’installation d’un comité stratégique de filière en avril 2020 et à la signature d’un contrat stratégique de filière des industries culturelles et créatives [CSF ICC, ndlr] d’ici fin 2020 », sous l’égide d’Emmanuel Macron (photo). Pour préparer cette échéance, le gouvernement a lancé une consultation préalable en ligne (6), à laquelle les professionnels des secteurs culturels concernés ont jusqu’au 31 décembre prochain pour y répondre. La synthèse des contributions sera remise en mars 2020 au président de la République, qui installera le mois suivant le bureau du CSF ICC (bureau composé de 10 à 15 membres représentants du secteur privé, de l’Etat et des organisations syndicales), afin de parvenir à la définition et à la signature du contrat de filière en novembre 2020.
La mise en œuvre du contrat de filière des industries culturelles s’étalera alors jusqu’en novembre 2023. « Les industries culturelles et créatives (…) sont devenues un enjeu majeur pour la compétitivité, l’attractivité et le développement de notre économie. La révolution numérique a largement contribué à l’accélération de ce phénomène et à la profonde mutation du secteur. (…) Dans le même temps, l’ouverture et l’intensification de la concurrence internationale qui en découlent rendent indispensables l’élaboration d’une stratégie nationale concertée », justifie le gouvernement dans sa note explicative (7).

La culture, une industrie comme les autres
Ainsi, à l’instar de dix-huit autres filières telles que l’automobile, l’agroalimentaire, l’aéronautique, la mode & luxe ou encore la transformation & valorisation des déchets qui ont chacune leur propre comité stratégique de filière (CSF), les industries culturelles et créatives sont, elles aussi, appelées par le gouvernement à se regrouper au sein d’un CSF. Et ce, dans le cadre du Conseil national de l’industrie (CNI), créé en 2010 et placé sous la houlette du Premier ministre et du ministre de l’Economie et des Finances. @

Charles de Laubier

Aux pouvoirs élargis à la distribution de la presse, l’« Arcep-dp » devient (trop ?) super-régulateur

La loi modernisant la distribution de la presse a été publiée au Journal Officiel le 19 octobre 2019 : 70 ans après la loi « Bichet », la diffusion de la presse française va s’ouvrir à la concurrence (en 2023) et prend en compte le numérique. L’« Arcep-dp » sera-t-elle à la hauteur et indépendante ?

PDG depuis 5 ans de la Française des Jeux (FDJ), Stéphane Pallez mise sur le digital et… gagne

Du 7 au 20 novembre, public et investisseurs pourront souscrire à des actions « FDJ », ce sigle ayant été choisi comme enseigne par la Française des Jeux il y a dix. L’Etat français passera de 72 % du capital à 20 % après privatisation de cette cash machine. Son plan « FDJ2025 » accroît la mise sur le numérique.

Télescopage du calendrier pour Stéphane Pallez (photo), la présidente-directricegénéral (PDG) de la Française des Jeux (FDJ) : elle fête en novembre ses 5 ans à la tête de cette entreprise héritière de Loterie nationale créée en 1933, et, au cours de ce même mois de novembre, elle l’accompagne dans sa privatisation. Première cotation en Bourse : le 21 novembre. C’est l’occasion de dresser un premier bilan de sa stratégie « FDJ2020 » qu’elle avait lancée en juillet 2015 pour digitaliser son écosystème. Et c’est maintenant au tour de « FDJ2025 ».

Passage de FDJ2020 à FDJ2025
A peine le plan stratégique FDJ2020 est-il achevé que Stéphane Pallez vient de lancer le plan FDJ2025. Et ce, a expliqué le 7 octobre dernier l’ancien monopole des jeux d’argent et de hasard en ligne, « sur la base de la confirmation pour 25 ans de ses droits exclusifs sur la loterie et sur les paris sportifs en points de vente, et du nouveau cadre fiscal et réglementaire ». Point commun majeur entre ces deux plans successifs : la digitalisation est placée au coeur du développement de la FDJ. Le plan FDJ2020 était doté d’une enveloppe de 500 millions d’euros sur cinq ans pour notamment investir dans la transformation de son système d’information (50 %), la numérisation de son réseau de distribution (36 %) ou encore l’innovation (5 %).
L’objectif était que les ventes digitalisées au niveau du réseau de vente et des services en ligne atteignent 20 % du chiffre d’affaires en 2020, soit quatre fois plus qu’en 2014. Ce seuil pourrait être dépassé, au regard des 15 % de « mises numérisées » atteints l’an dernier. Les 25 millions de Français « de 18 ans et plus » clients de la FDJ jouent de plus en plus connectés, notamment via leur smartphone. Le réseau de distribution de plus de 30.000 points de vente (1) s’est digitalisé, tandis que le site de e-commerce fdj.fr et les applications mobiles font un tabac (2). Les jeux, eux, sont aujourd’hui au nombre de 85 : jeux de loterie ou de tirage (Loto, Euromillions, …), jeux instantanés (Millionnaire, Cash, Mission Patrimoine, Astro, Vegas, …) et paris sportifs (Parions Sport). Grâce à eux, la FDJ a collecté l’an dernier 15,8 milliards d’euros de mises (+ 4,4 % en un an), sur lesquelles elle a distribué 10,7 milliards d’euros à ses joueurs (+ 5,7 %), tout en contribuant pour 3,5 milliards d’euros aux finances publiques et en rémunérant son réseau de détaillants à hauteur de 800 millions d’euros. Son chiffre d’affaires 2018 a progressé de 2,3 % à 1,8 milliard d’euros et le résultat net est de 170 millions d’euros, pour un effectif de 2.200 collaborateurs. « La FDJ enregistre un produit brut des jeux (3) en hausse de 1,9 % à 5,1 milliards d’euros, avec une part du secteur économique des jeux d’argent en France proche de 50 % », avait indiqué l’entreprise pour 2018. Cette cash machine est une affaire très rentable, y compris pour l’Etat… mais plus pour longtemps. Ses capitaux propres étaient de 564 millions d’euros au 31 décembre 2018 et sa trésorerie disponible de 841 millions d’euros. La FDJ fait aussi valoir sa contribution à la richesse nationale : 5,4 milliards d’euros en 2018 (+ 2,9 % en un an), soit 0,2 % du PIB (4). Cette fois, le plan « FDJ2025 » de Stéphane Pallez – dont le mandat se termine en 2024 – prévoit d’accroître encore plus la numérisation de la deuxième plus importante loterie en Europe (5) et quatrième au niveau mondial (6). « Sur la période 2020-2025, la FDJ prévoit des investissements cumulés, hors croissance externe, d’environ 600 millions d’euros dédiés notamment, comme depuis cinq ans, à la transformation de ses systèmes d’information », a expliqué le 7 octobre la société d’économie mixte actuellement contrôlée par l’Etat français à hauteur de 72% de son capital. « Ce plan poursuit la dynamique initiée par le plan stratégique 2020, notamment au niveau de la digitalisation et du développement international ».
Pour les cinq ans qui viennent, comme le montre le prospectus d’introduction en Bourse daté du 17 octobre (7), la FDJ table sur une croissance annuelle moyenne des mises et du chiffre d’affaires entre 3 % et 4 %. Les paris sportifs devraient progresser plus vite que la loterie. Quant aux autres activités, notamment le business-to-business (B2B) à l’international (comme fournir en marque blanche une plateforme technique de poker à un casino) et les paiements et services en points de vente, elles devraient contribuer à soutenir la croissance.

CA : 2 milliards d’euros en 2019
L’année 2019, elle, marquera le franchissement de la barre des 2 milliards d’euros de chiffre d’affaires, grâce non seulement à la croissance mais aussi à la prise en compte en année pleine de Sporting Group racheté en mai dernier. Et en 2020, la FDJ devrait profiter de l’UEFA Euro 2020 sur les paris sportifs et par ailleurs de la nouvelle fiscalité basée sur le produit brut des jeux (PBJ) applicable à partir du 1er janvier 2020. @

Charles de Laubier

La France est fermée à la Libra, mais pas tout le G7

En fait. Le 17 octobre se tenaient les 3es Assises des Technologies financières, à Paris, organisées par l’agence Aromates sur le thème de « Banque du futur : la construire ou la subir ? ». Le ministre de l’Economie et des Finances, Bruno Le Maire, s’y est exprimé par vidéo pour réaffirmer son opposition à Libra.