Numérisation des livres indisponibles : la tentation d’ignorer la décision de la CJUE invalidant ReLire

La plateforme ReLire de numérisation des 500.000 livres indisponibles du XXe siècle a été partiellement invalidée le 16 novembre par la justice européenne. Comme pour la TVA sur les ebooks, la tentation – exprimée un temps par le DG
du Syndicat national du livre (SNE) – serait d’ignorer cette décision.

« Lorsque nous avons eu une condamnation au niveau français pour l’application d’un taux de TVA réduit sur le livre numérique, nous avons tenu bon sans appliquer la décision de la CJUE, et nous avons finalement obtenu gain de cause. Nous pourrions soutenir une position similaire dans le cas de ReLire, dans l’attente de mesures rectificatives ». Lorsque le directeur général du Syndicat national de l’édition (SNE), Pierre Dutilleul (photo), tient
ces propos dans une interview à ActuaLitté, c’est cinq
jours avant le verdict.

Manque de respect des auteurs
Son idée est alors de s’inspirer de ce qui a été fait lorsque la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) avait invalidé le taux réduit de TVA sur les livres numériques par décision du 5 mars 2015. Ainsi, la France pourrait ignorer l’invalidation de ReLire en attendant que la législation sur la numérisation les 500.000 livres indisponibles du XXe siècle (1) soit corrigée. Mais cette attitude risquerait cette fois de ne pas avoir la bienveillance de la Commission européenne. Autant l’harmonisation des taux de TVA entre livres imprimés et livres numériques apparaît inéluctable aux yeux de cette dernière, autant le non respect de l’auteur à qui il n’est pas demandé d’accord préalable avant toute numérisation ne saurait être toléré. Paris, qui se vante constamment d’être aux avant-postes de la protection du droit d’auteur face à la réforme envisagée par Bruxelles, se retrouve dans cette affaire en porte-à-faux et pris en flagrant délit de non respect des auteurs eux-mêmes…
Cinq jours après l’hypothèse formulée par Pierre Dutilleul, le verdict tombe et invalide
le dispositif mis en place par la France depuis quatre ans (2) (*) (**) car contrevenant à la directive « Droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information » (DADVSI) de 2001. Contacté par Edition Multimédi@, le directeur général du SNE a
un tout autre discours : « La décision de la CJUE n’invalide pas ReLire mais impose certaines conditions à la réalisation de sa mission, et nous respectons bien évidemment cette décision. Dans cette attente, l’octroi de nouvelles licences est bien évidemment suspendu », nous a-t-il répondu. Si la France devait faire la sourde oreille, elle risquerait de s’exposer à une notification de griefs de la part de la Commission européenne, voire à une procédure d’infraction pour manquement.
Ce que reproche la CJUE à la réglementation française réside dans l’absence d’une information individuelle de l’auteur avant toute numérisation de son oeuvre littéraire.
En effet, il est prévu que le droit d’autoriser l’exploitation numérique des livres indisponibles est transféré à la Société française des intérêts des auteurs de l’écrit (Sofia) « lorsqu’un livre est inscrit dans la base de données [ReLire de la BnF (3)] depuis plus de six mois » – autrement dit lorsque l’auteur ne s’y est pas opposé par écrit dans les six mois après l’inscription de son livre dans la base de données.

C’est justement ce principe de opt-out qui pose problème à la CJUE, car il n’est pas assorti d’une obligation d’information préalable des intéressés. « Il n’est donc pas exclu que certains des auteurs concernés n’aient en réalité pas même connaissance de l’utilisation envisagée de leurs œuvres, et donc qu’ils ne soient pas en mesure de prendre position (…). Dans ces conditions, une simple absence d’opposition de leur
part ne peut pas être regardée comme l’expression de leur consentement implicite
à cette utilisation. », déplore la CJUE, laquelle avait été saisie par le Conseil d’Etat (renvoi préjudiciel) après la plainte de deux auteurs français (4) qui avaient dénoncé une violation des droits exclusifs garantis aux auteurs par l’instauration d’une exception ou d’une limitation. « Tout auteur doit être effectivement informé de la future utilisation de son oeuvre par un tiers et des moyens mis à sa disposition en vue de l’interdire s’il le souhaite », souligne l’arrêt. Une simple absence d’opposition de la part de l’auteur d’un livre ne peut pas être regardée comme l’expression de leur consentement implicite à sa numérisation et son exploitation en gestion collective. Directement concernée par ce désaveux, la Sofia (5) – dont le conseil d’administration s’est réuni le 22 novembre dernier – estime qu’il est urgent d’attendre : « Cette décision appelle une analyse approfondie. Le Conseil d’Etat aura à en préciser le sens et la portée [s’il n’annule
pas le décret d’application (6) ndlr], au regard de la réglementation française »

L’Etat français doit corriger
Pourtant, le 1er mars 2014, le Conseil constitutionnel avait validé la loi du 1er mars 2012 sur cette exploitation par le Registre des livres indisponibles en réédition électronique (ReLire). Sont actionnaires de cette société commune la Caisse des dépôts et consignations (CDC), bras armé financier de l’Etat, et le Cercle de la librairie, syndicat historique des éditeurs et des libraires (7). @

Charles de Laubier

Livre numérique : le format ouvert Epub est en passe d’intégrer le W3C, le consortium du Web

C’est un moment historique pour le jeune monde de l’édition numérique. Le format ouvert Epub (electronic publication), conçu par l’International Digital Publishing Forum (IDPF) pour développer des livres numériques, va devenir à partir du 1er janvier 2017 un standard du World Wide Web consortium (W3C).
Les membres de l’IDPF viennent d’approuver ce ralliement.

tim-berners-lee

Les membres l’International Digital Publishing Forum (IDPF),
à l’origine du format ouvert Epub et ses évolutions pour le livre numérique, ont jusqu’au 4 novembre prochain pour voter en faveur du projet de ralliement de leur organisation au World Wide Web consortium (W3C). C’est le 13 octobre dernier que le conseil d’administration de l’IDPF, présidé par Garth Conboy, en charge chez Google de l’ingénierie logiciel et de la normalisation (1), a approuvé le plan de transfert vers le W3C qui est actuellement soumis aux membres.

Alliance du livre et du Web
Parmi les membres de l’IDPF, qui doivent se prononcer en vue de confier à partir du
1er janvier 2017 l’avenir du format Epub au W3C, l’on retrouve, pour la France, Editis, Hachette Livre, Izneo (Média Participations), Actes Sud, Dilicom, le Syndicat national de l’édition (SNE), le Cercle de la librairie (Electre), le Syndicat des distributeurs de loisirs culturels (SDLC) ou encore la plateforme de livres numériques Youboox (2). Comme le préconisent les dirigeants de l’IDPF (3), et malgré des opposants tels que OverDrive ou Microsoft, il ne fait aucun doute que le vote entérinera la décision d’intégrer le consortium du Web fondé en 1994 et aujourd’hui dirigé par Tim Berners-Lee (photo), l’inventeur du World Wide Web. « Nous partageons une vision excitante entre le W3C et l’IDPF de pleinement harmoniser l’industrie de l’édition et
le coeur de la technologie Web. Cela va créer un environnement média enrichi pour l’édition numérique qui ouvre de nouvelles possibilités pour les lecteurs, les auteurs
et les éditeurs », avait déclaré le célèbre informaticien et physicien britannique en mai dernier lors du BookExpo America 2016 à Chicago. « Pensez au livres éducatifs. Le contenu du livre que l’on connaît aujourd’hui est en train de devenir hautement interactif et accessible avec des liens vers des vidéos et des images issues des événements historiques actuels et des données de recherche originales. Cela va donner une plus grande authenticité et un environnement d’apprentissage plus engageant pour les professeurs et les étudiants », s’était enthousiasmé Tim Berners-Lee. Six mois après son intervention, la fusion-absorption de l’IDPF est en passe d’être validée. Le format Epub rejoint ainsi les autres standards du Web tels que HTML, CSS, SVG ou encore ECMAScript dans l’Open Web Platform (OWP), une bibliothèque technologique lancée par le W3C en 2010. Au sein du W3C, c’est le Digital Publishing Interest Group (DigPubIG) qui prendra sous son aile le format ouvert pour livres numériques afin de poursuivre son développement au sein d’un écosystème d’impression numérique ouvert et interactif, avec recours aux métadonnées et aux contenus enrichis (de la typographie jusqu’au multimédia).
En France, où une association EDRLab (4) a été créée il y a un an par les maisons d’édition à Paris afin de développer avec l’IDPF des logiciels libres pour le livre numérique, le SNE va accueillir le 16 novembre prochain le directeur général du W3C, Jeffrey Jaffe, dans le cadre des 17e Assises du livre numérique consacrées à ce rapprochement Epub- Web. Ce dernier reconnaît que « les premières technologies
du Web n’ont pas répondu aux besoins rigoureux des auteurs et des éditeurs, dont le contenu est conçu dans des livres, des journaux et des magazines avec une typographie améliorée ». L’Epub au sein du W3C va y remédier.
Les maisons d’édition françaises, au premier rang desquelles se trouvent Editis (La Découverte, Le Cherche Midi, Xo Editions, …), Madrigall (Gallimard, Flammarion, Casterman, …) et Media Participations (Dargaud, Dupuis, Fleurus, Izneo, …), misent plus que jamais sur Epub 3 pour résister aux deux géants mondiaux du livre numérique que sont Amazon et Apple, ainsi qu’à Adobe, dont les systèmes respectifs de ebooks fermés et verrouillés sont non-interopérables (5). Les développements technologiques pour ebooks devraient s’accélérer. Car, pour l’heure, les ventes de livres numériques en France progressent trop lentement : elle ne représentent en 2015 que 6,5 % du marché français du livre, soit 173,3 millions d’euros – alors que c’est 24 % aux Etats-Unis, 16 % au Royaume-Uni ou encore 8,2 % en Allemagne. @

Charles de Laubier

Le projet de réforme européenne du droit d’auteur à l’heure du numérique fait des vagues en France

La Commission européenne a présenté, le 14 septembre, son projet de réforme du droit d’auteur pour le marché unique numérique. En France, les réactions sont moins épidermiques qu’attendu. Les lobbies sont maintenant à l’oeuvre avant le prochain débat au Parlement européen.

Le gouvernement français s’est dit satisfait que « la réforme [du droit d’auteur (1)] aborde l’enjeu essentiel du partage de la valeur entre les créateurs et les intermédiaires qui mettent massivement en ligne des œuvres protégées ». Mais la ministre de la Culture et de la Communication, Audrey Azoulay, et le secrétaire d’Etat chargé des Affaires européennes, Harlem Désir, veulent « la clarification du statut de ces activités au regard du droit d’auteur, en particulier le droit de la communication au public et une responsabilisation appropriée de ces intermédiaires, en coopération avec les titulaires de droit ».

Désaccord sur la territorialité
Dans leur communiqué commun du 15 septembre, les deux ministres estiment qu’« il s’agit d’une occasion historique de mettre fin à une situation profondément inéquitable, et destructrice de valeur, aux dépens des auteurs, des artistes et du financement de la création ». Le gouvernement français apporte notamment son soutien à la proposition de création d’un droit voisin au profit des éditeurs de presse, afin de permettre à ces derniers de faire valoir leurs droits et ceux des journalistes dans les relations contractuelles avec les plateformes numériques et dans la lutte contre la contrefaçon. En revanche, le gouvernement émet des réserves sur « l’approche ciblée » de la Commission européenne en matière d’exception au droit d’auteur et demande « des améliorations et des clarifications pour mieux prendre en compte les intérêts légitimes des secteurs concernés ». Quant à la proposition européenne sur les œuvres indisponibles, elle devrait, selon les deux ministres, « mieux refléter la diversité des approches nationales, à l’image du dispositif français ».
Enfin, ils expriment « avec force leur désaccord avec l’extension du principe du pays d’origine à certains services en ligne des radiodiffuseurs », estimant que cela risque
de « fragiliser la territorialité des droits d’auteur, qui constitue (…) la clé de voûte de
la distribution et du financement de l’audiovisuel selon des modalités adaptées à la diversité des espaces culturels et linguistiques qui font la richesse de l’Union européenne et de sa culture ». S’il n’est plus question explicitement de licence paneuropéenne, la Commission européenne souhaite que le droit de diffusion audiovisuelle soit transfrontalier au sein du marché unique numérique. De leur côté,
les acteurs du Net – pour la plupart réunis en France au sein de l’Association des services Internet communautaires (Asic) – dénoncent ce projet de directive européenne sur le droit d’auteur qu’ils considèrent comme « un texte approximatif et bancal remettant en cause le modèle ouvert de l’Internet ». Représentant Google (et sa filiale YouTube), Dailymotion (Vivendi), PriceMinister (Rakuten), AOL et Yahoo (tous les deux détenus par Verizon (2)), ainsi que Facebook, Deezer (Access Industries (3)), Microsoft ou encore Allociné (Fimalac), l’Asic « exprime sa plus vive inquiétude sur les attaques qui sont faites à des principes fondamentaux de l’Internet ». Selon elle, le projet de directive sur le droit d’auteur « ébranle deux de ces principes » que sont les liens hypertextes caractéristiques du Web, d’une part, et le statut d’hébergeur, d’autre part.
Contre le premier principe, il est question d’instaurer un droit voisin pour les contenus numériques des journaux. « Les éditeurs de presse en ligne pourront demander rémunération pour l’utilisation – l’indexation, un court extrait, un partage sur un réseau social, etc. – de leurs contenus », déplorent les acteurs du Net. Contre le second principe, il est prévu que les intermédiaires doivent conclure des accords de licence
et prendre des mesures de protection des contenus grâce à des technologies de reconnaissance de contenu. « Le diable étant dans les détails, le texte ne s’arrête pas
à ce qui aujourd’hui a été mis en place volontairement depuis près de dix ans par les hébergeurs (…) comme Dailymotion et YouTube – à travers les contrats conclus en France avec la SACD (4), la Sacem (5), la Scam (6) et l’ADAGP (7)… et l’adoption de systèmes de reconnaissance de contenus type (Audible Magic, Signature ou Content ID…) – mais va plus loin et prévoit une obligation de “prévenir la disponibilité des contenus” sur ces plateformes. L’article 13 [du projet de loi de directive sur le droit d’auteur, ndlr] veut ainsi instaurer une obligation de monitoring et de filtrage pour ces plateformes en contradiction totale avec les principes de la directive e-commerce », dénonce l’Asic.

La bataille du statut
Les acteurs du Net reprochent à la Commission européenne d’ouvrir « une brèche » dans le statut de l’hébergeur. Ils entendent bien poursuivre les discussions devant le Parlement européenne et le Conseil de l’Union européenne pour que soit préservé ce statut qui leur assure une responsabilité allégée en cas de contrefaçon (lire aussi p. 3). « Les positions de la France (…) confirment les craintes de l’Asic », ajoute l’association française des acteurs du Net, présidée par Giuseppe de Martino, par ailleurs directeur général délégué de Dailymotion.

« Saborder »… : lapsus de la Cisac
Du côté des auteurs et des ayants droits, la Confédération internationale des sociétés d’auteurs et compositeurs (Cisac) estime pour sa part que la réforme proposée va dans le bon sens : « L’ensemble de propositions sur le droit d’auteur en Europe (…) constitue un bon point de départ pour remédier à la situation inéquitable faite aux créateurs sur le marché numérique ». Mais l’organisation – regroupant 230 sociétés de gestion de droits d’auteur dans le monde et présidée par le musicien Jean-Michel Jarre – demande aux institutions européennes de « prendre d’autres mesures pour assurer une rémunération équitable et un meilleur avenir aux créateurs sur les réseaux numériques ». A noter au passage que dans la version française du communiqué de la Cisac publié le 14 septembre, il est écrit que la proposition de directive sur le droit d’auteur « saborde [sic] la question du transfert de valeur » – alors qu’il est dit dans la version originale en anglais « that tackles the issue of transfer of value », dans le sens « traite » ou « aborde »… Ce transfert de valeur, appelé value gap (ou perte de valeur), décrit la distorsion du marché créée par l’usage, par des intermédiaires en ligne, d’oeuvres protégées sans rémunérer convenablement leurs créateurs. « L’Europe a entendu l’appel de la communauté des créateurs et des sociétés d’auteurs pour une action urgente », se félicite Gadi Oron, directeur général de la Cisac, pour qui « la nouvelle proposition européenne reconnaît le rôle et les obligations des services en ligne sur
le marché numérique ». Son président, Jean-Michel Jarre, enfonce le clou : « La Commission européenne a fait un effort pour (…) remédier à la situation actuelle, inéquitable, du marché numérique. Des acteurs majeurs utilisent des oeuvres pour générer des profits colossaux sans rémunérer équitablement leurs créateurs » (8).

La Sacem, qui est membre de la Cisac au même titre que la SACD, la Scam, l’ADAGP ou encore la SGDL (9), prend en effet acte « du signal envoyé aux artistes et créateurs puisque ce texte contient des mesures intéressantes permettant de corriger le transfert de valeur dont profitent les nouveaux acteurs numériques au détriment des créateurs [et] de lutter en particulier contre l’irresponsabilité des intermédiaires techniques de l’Internet ». La SACD, elle, accueille le projet de réforme du droit d’auteur « avec circonspection », en constatant que « la Commission européenne semble avoir entendu la mobilisation en faveur du droit d’auteur de certains pays, dont la France, et des créateurs européens, légitimement inquiets face aux menaces évoquées en 2014 de remettre en cause la territorialité des droits ». Et de mettre en garde, en dramatisant quelque peu l’enjeu : « Parce que le financement de la création audiovisuelle et cinématographique est étroitement lié à la possibilité de maintenir des exclusivités territoriales, toute remise en cause profonde du droit d’auteur mettrait en danger la diversité de la création et menacerait le droit de créer ». La SACD, forte de plus de 58.500 auteurs associés, estime en outre que la Commission européenne ne va pas assez loin en termes d’obligation de transparence, dans le triptyque reddition des comptes-révision des contrats-règlement des conflits – « le triangle des Bermudes du droit des auteurs » ! La société de gestion collective propose d’y remédier en instaurant «un droit inaliénable à rémunération pour tous les auteurs européens afin que les créateurs puissent (…) percevoir une juste rémunération pour l’exploitation de leurs œuvres partout en Europe, notamment sur les services en ligne ».
Et pour accroître la disponibilité et la circulation des films et séries en Europe, elle préconise – tel que cela a été adopté en France dans la loi « Création » – de « mettre
à la charge de ceux qui détiennent les droits l’obligation de faire leurs meilleurs efforts pour assurer l’exploitation des œuvres ». Cette obligation d’exploitation suivie des œuvres permettrait d’enrichir l’offre légale et éventuellement d’enrayer le piratage
sur Internet. Globalement, écrit sur son blog Pascal Rogard, directeur général de la SACD, « la Commission européenne ne mérite ni excès d’honneur ni indignité , juste
la note moyenne qui convient à un exercice technocratique essayant de tenir un équilibre (…) ».
Quant à la Société civile des auteurs multimédia (Scam), qui gère les droits de plus de 38.100 associés, elle exprime son soulagement en constatant que « la réforme radicale annoncée à l’arrivée de la Commission Juncker semble enterrée et que les exceptions au droit d’auteur sont plus limitées que prévu » (10) (*) (**). Elle regrette cependant « le silence pesant (…) sur un droit [inaliénable, ndlr] à rémunération géré collectivement
par les sociétés pour les auteurs d’œuvres audiovisuelles utilisées en ligne », ce que défend depuis longtemps la Société des auteurs audiovisuels (SAA), laquelle s’est aussi dite déçue.

Neutralité technologique
Concernant le principe de neutralité technologique retenu pour les services de retransmission, c’est aux yeux de la Scam « une bonne chose », mais elle se demande pourquoi la Commission européenne « s’est-elle abstenue d’éclaircir une bonne fois pour toutes la notion de communication au public mise à mal par la Cour de Justice de l’Union ? ». Enfin, la Scam dirigée par Hervé Rony s’interroge sur l’opportunité de mettre en place un droit voisin des éditeurs de presse : « Il ne faudrait pas qu’il affaiblisse les droits des journalistes »… @

Charles de Laubier

Audiovisuel : YouTube n’est pas « éditeur », quoique…

En fait. Le 27 septembre, le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) a organisé ses premières Rencontres sur le thème de « L’audiovisuel dans l’espace numérique : plateformes et données ». En première ligne, Google a défendu son statut d’hébergeur : « Nous ne sommes pas éditeur de contenus ». Vraiment ?

Olivier Huart, PDG de TDF, craint un « tsunami pour la télévision » et appelle les chaînes à jouer collectif

A la tête de TDF depuis maintenant plus de six ans, Olivier Huart a lancé le 14 juin dernier un appel à l’union aux éditeurs de chaînes de télévision afin de lancer en France une plateforme numérique commune – sur le modèle de Freeview en Grande-Bretagne, où toutes les chaînes sont accessibles.

« Pour la télévision de demain, il faut penser collectif – esprit collectif. Mon appel, je l’adresse à tous les acteurs de la télévision (…) : unissez-vous, unissons-nous. C’est comme ça que la vague du numérique ne se transformera pas en tsunami pour la télévision », a lancé le 14 juin Olivier Huard, le PDG de TDF (1). « La télévision de demain nécessite de basculer vers
un monde multipolaire, beaucoup plus hybride pour intégrer la TNT au cœur de l’écosystème digital. (…) Ce monde multipolaire impose également de travailler de manière beaucoup plus collaborative. Les chaînes seront encore puissantes dans vingt ans. Mais à une condition : qu’elles joignent leurs forces pour faire le saut numérique », a-t-il prévenu.

Plateforme TV commune en France ?
Le patron de TDF, qui intervenait à l’occasion d’une conférence organisée par l’institut Idate (2), a pris en exemple la plateforme TNT Freeview en Grande-Bretagne, qui, forte de ses 60 chaînes et jusqu’à 15 chaînes HD diffusées par voie hertzienne, a lancé en octobre 2015 « Freeview Play », un guide de programme en ligne permettant de voir et revoir en télévision de rattrapage (replay) tous les programmes. Et ce, gratuitement et dans un délai de sept jours, pour peu que le téléviseur ou le magnétoscope numérique soient connectés à Internet. Pour Olivier Huart, il est temps de lancer une telle plateforme TNT-replay en France. D’où son appel aux éditeurs de la télévision français, TF1, M6, France Télévisions, Canal+ et aux autres chaînes de la TNT qui en compte au total 26 gratuites. « Le modèle Freeview est très inspirant et répond à bon nombre de nos défis actuels. Freeview est une sorte de grand magasin, comme les Galeries Lafayette avec des corneurs de marques, qui vous permet d’accéder depuis un même endroit à l’ensemble des chaînes : Sky, ITV, BBC, Channel 4 et le TDF anglais Arqiva ont construit ensemble cette plateforme. Chaque chaîne garde sa marque, son style, son indépendance, son âme, dans une maison technologique commune », a-t-il expliqué. Et d’insister, avant de laisser sa place à Gilles Pélisson, PDG du groupe TF1 : « Cela concerne tout le secteur de la télévision. Et c’est cet appel que je lance pour qu’en France nous arrivions aussi à construire une plateforme similaire technologique. (…) L’immobilisme tue. L’avenir est quelque chose qui se surmonte (Bernanos). On ne suit pas l’avenir ; on le fait : alors y a plus qu’à… ».

TDF se verrait bien en fédérateur des chaînes françaises pour déployer une telle offre groupée. Par le passé, les discussions entre les chaînes privées autour d’un projet commun de télévision de rattrapage avaient abouti à une impasse. En 2009, M6, TF1
et Canal+ avaient en effet entamé des pourparlers en vue de se mettre d’accord pour le lancement d’une plateforme commune de replay. Mais ce fut sans lendemain. En mars 2013, M6 avait encore écarté toute plateforme commune avec les deux autres groupes privés de télévision (3). Pourtant, trois mois avant, il s’était montré ouvert à un partenariat SVOD avec TF1, dont le patron Nonce Paolini – le prédécesseur de Gilles Pélisson – nous avait dit que c’était « une idée intéressante ». En février 2014, Jean-François Mulliez, à l’époque directeur délégué de e-TF1, s’était dit en faveur d’un
« Hulu à la française ». De leur côté, des producteurs et des ayants droits du cinéma français avaient songé en 2013 à une plateforme commune de VOD/SVOD qui leur permettrait de maîtriser la diffusion des films en streaming à la manière d’Hulu (4) ou d’Epix (5). Pour l’heure, il n’existe qu’Universciné qui regroupe 30 à 40 producteurs (6). A noté que par ailleurs, la président de France Télévision, Delphine Ernotte, réfléchie depuis l’an dernier à un « Google de la création française » (sic), une plateforme audiovisuelle en ligne qui pourrait être lancée en 2017. « France Télévisions (…) et l’INA qui dispose de sa plateforme de SVOD devront être les moteurs de cette initiative. Mais elle sera ouverte à tous les autres diffuseurs privés. Ainsi, les Français auront un accès illimité et permanent à la création française, sur un modèle mixte payant et gratuit. Ce sera un véritable concurrent des Netflix, YouTube ou Amazon », avait-elle expliqué le 28 octobre dernier dans Le Figaro (7).

Fédérer les chaînes 4K sur un canal TNT
Dans l’immédiat, TDF voit dans l’ultra haute définition 4K une occasion d’unir les chaînes autour d’une même plateforme commune. « Sur ce sujet aussi, il serait bon
de s’unir. Nous travaillons chez TDF à un modèle d’”agrégateur 4K”. Le principe en
est simple : offrir un canal TNT dédié totalement au 4K en additionnant les contenus produits par les différentes chaînes. Cette initiative collective traduit bien les voie possibles pour que les chaînes construisent ensemble la télévision de demain ».
A suivre. @

Charles de Laubier