Chômage et inégalités : la face cachée du numérique

En fait. Du 20 au 23 janvier, s’est tenu à Davos le 46e Forum économique mondial (World Economic Forum) sur le thème cette année de « la 4e révolution industrielle » (numérique, biotechnologie, robotique, intelligence artificielle, …), dont Internet est le catalyseur. Rime-t-elle avec chômage et inégalités ?

« Est-ce que l’Arcep sert encore à quelque chose ? », s’interroge Sébastien Soriano, son président

C’est la question la plus pertinente que le président de l’Arcep, Sébastien Soriano, a lancée lors de son show des conclusions de sa « revue stratégique », le 19 janvier, dans le grand amphithéâtre de La Sorbonne, avec la participation
de Emmanuel Macron, ministre de l’Economie, de l’Industrie et du Numérique.

« Nous devons nous poser la question
de notre valeur ajoutée : est-ce qu’on
sert encore à quelque chose ? », s’est interrogé Sébastien Soriano (photo de gauche), président depuis un an maintenant de l’Autorité de régulation
des communications électroniques et
des postes (Arcep). « Je pense que oui. Mais comment ? », a-t-il ajouté. Alors que cette autorité administrative indépendante (AAI), créée en 1997, va fêter dans un an ses 20 ans,
elle a tenté dans le cadre de sa « revue stratégique » de résoudre son problème existentielle, à savoir quelles seront ses nouvelles missions maintenant que le cycle d’ouverture à la concurrence des télécoms s’est achevé. Tout ce qui faisait la vocation de l’Arcep tend à disparaître : ses compétences historiques étaient d’édicter des règles dites ex ante, c’està- dire établies « au préalable » (a priori) et applicables aux seuls opérateurs télécoms en position dominante sur le marché – Orange (ex-monopole public France Télécom) et dans une moindre mesure SFR. Cette régulation qualifiée d’« asymétrique » consiste à imposer des obligations spécifiques à l’opérateur
« puissant » sur un marché, dans le but de supprimer ou de réduire les « barrières
à l’entrée » et permettre ainsi aux opérateurs concurrents – alternatifs – de s’installer
et de prospérer – surtout lorsqu’il existe une infrastructure essentielle comme c’est le cas de la boucle locale téléphonique encore très largement utilisée pour l’accès à Internet haut débit dans les offres triple play (1).

Une autorégulation sans gendarme des télécoms ?
« La régulation asymétrique a vocation à se rétracter progressivement pour se concentrer, à terme, sur quelques points d’accès qui demeureront des goulots d’étranglement, notamment en ce qui concerne l’accès à des infrastructures essentielles », prévoit bien l’Arcep dans le texte de sa consultation publique « Revue stratégique » menée en fin d’année 2015. Maintenant que la concurrence dans les télécoms est là – avec Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free (2) –, à quoi va maintenant servir l’Arcep ? La régulation asymétrique a plus que jamais ses limites
et elle touche à sa fin. La réglementation ex ante a vocation à être remplacée par
une régulation ex post, c’est-à-dire cette fois « après les faits » (a fortiori). Ainsi, aux règles et obligations « spécifiques », imposées aux opérateurs télécoms dominants,
se substituent progressivement des règles « transverses » s’appliquant à l’ensemble des acteurs du marché.

Europe : « La bonne échelle » (Macron)
Bref, le secteur est devenu mature et tend à s’affranchir du « gendarme des télécoms ». De plus, les instruments de régulation deviennent plus souples – lorsque ce n’est pas l’autorégulation qui prend progressivement le pas sur la régulation « institutionnelle ». Cette soft regulation ne relève plus nécessairement d’un droit spécifique mais plus du droit commun de la concurrence. De ce point de vue, c’est à se demander si l’Autorité de la concurrence ne suffirait pas à jouer ce rôle de gendarme et d’arbitre ex post sur le marché des télécoms, comme elle le fait déjà sur certaines affaires dont elle est saisie (fusions-acquisitions, neutralité des réseaux, ententes illicites, …). Sur le plan de l’audiovisuel et des services de médias audiovisuels à la demande (SMAd), il y a aussi le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) aux pouvoirs renforcés. Sur la question de la protection des données et de la vie privée, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) intervient elle aussi. Sans parler de l’Hadopi, dont la mission s’inscrit aussi dans l’économie numérique. Alors, l’Arcep ne serait-elle pas devenue
une AAI de trop ?
A l’échelon européen, la mise en place du marché unique numérique – dans un cadre réglementaire et communautaire harmonisé – tend à dessaisir les « Arcep » nationales de leurs prérogatives historiques. « La bonne échelle, la plupart du temps, est européenne », a bien souligné Emmanuel Macron (photo de droite), le ministre de l’Economie, de l’Industrie et du Numérique, lors du show de Sébastien Soriano à La Sorbonne. Cela fait d’ailleurs maintenant dix ans que les « Arcep » des Vingt-huit sont tenues de notifier préalablement à la Commission européenne leurs analyses de marchés et les remèdes qu’elles envisagent de mettre en place. Le marché unique numérique (ou DSM pour Digital Single Market) nécessite désormais une plus forte coordination entre les Etats membres. C’est pourquoi la Commission européenne a mené, jusqu’au 7 décembre dernier, une consultation publique sur la révision des directives composant le cadre réglementaire européen des télécoms de 2002, révisé
en 2009. Sans attendre cette réforme, le Parlement et le Conseil européens ont adopté le 25 novembre 2015 un règlement garantissant sur l’ensemble de l’Europe un « Internet ouvert » – à défaut de parler explicitement de « neutralité de l’Internet » (3). Des « lignes directrices » doivent compléter ce règlement – entrant en vigueur le 30 avril 2016 – et assurer le respect de ces dispositions. C’est l’Organe des régulateurs européens des communications électroniques (Orece ou Berec (4)), dont Sébastien Soriano a été élu vice-président pour cette année et président pour l’an prochain, qui est chargé de préparer d’ici au mois d’août ces lignes directrices « Neutralité du Net », ainsi que des propositions en matière d’itinérance. Et dans les trois ans à venir, ce
« super régulateur européen » (5) jouera un rôle central non seulement dans la révision du quatrième « Paquet télécom » (6) mais aussi dans l’instauration du DSM, sans parler des questions liées aux services OTT (Over-The-Top), à l’Internet des objet (IoT) ou encore aux réseaux de nouvelle génération (NGN).

Placé sous la houlette de la Commission européenne qui l’a créé en janvier 2010 malgré les réticences des « Arcep » nationales, l’Orece fut en quelque sorte une mise sous tutelle communautaire de l’ancien Groupe des régulateurs européens (GRE) (7). Avec l’Orece, Bruxelles s’est doté d’un droit de regard et de veto sur les décisions des différentes « Arcep » européennes. Or avec Sébastien Soriano à sa présidence, et comme l’indique la feuille de route « Revue stratégique » (8), il « constitue un levier d’action pour l’Arcep afin d’accroître son influence en Europe et en particulier auprès des législateurs européens ». Le président de l’Arcep a d’ores et déjà annoncé qu’
« une réunion plénière du Berec se tiendra en février 2017 à Paris ». En France,
les compétences de l’Arcep vont évoluer à l’aune du règlement européen « Internet ouvert » – via le projet de loi « République numérique » adopté le 26 janvier à l’Assemblée nationale – pour lui permettre de faire respecter les dispositions de
ce règlement européen (9) : éviter les blocages, les filtrages, les silos, … C’est sur
cette compétence majeure que l’Arcep va « pivoter », pour reprendre l’expression Sébastien Soriano empruntée au monde des start-up.

Régulation : des télécoms à Internet
Cette neutralité des réseaux, dont l’Arcep sera la garante en France, va s’imposer à tous les opérateurs télécoms et fournisseurs d’accès à Internet (FAI), conformément
à la nouvelle régulation symétrique, et non pas seulement à un acteur en position dominante. Et de là à ce que l’Arcep se sente remplie d’une mission de « régulateur
de l’Internet », il n’y a qu’un pas. Le projet de loi « République numérique » introduit
un principe de « loyauté des plateformes » du Net, tandis que Sébastien Soriano parle de « régulation par la donnée » qui viendrait en plus de la régulation par les réseaux (accès, interconnexion) et par les ressources rares (fréquences, numéros). @

Charles de Laubier

Droit d’auteur : comment le Syndicat national du livre (SNE) s’en prend à la Commission européenne

C’est un brûlot que les maisons d’édition françaises ont lancé début septembre pour dénoncer le projet de réforme du droit d’auteur de la Commission européenne attendu en fin d’année. Le SNE a mandaté l’avocat Richard Malka
qui mène la charge contre Jean-Claude Juncker, Julia Reda et… Axelle Lemaire.

« La Commission Juncker s’apprête ainsi à transformer l’Europe en terrain de chasse pour des acteurs déjà en position dominante [comprenez Amazon, Google, Apple, etc, ndlr] et laissera exsangues, en emplois et en ressources, le monde de l’édition et avant tout les auteurs eux-mêmes », accuse Richard Malka (photo) dans son opus au vitriol lancé début septembre contre l’exécutif européen et intitulé « La gratuité, c’est le vol. 2015 :
la fin du droit d’auteur ? » (1).

Haro sur Google, Apple et Amazon
Selon cet avocat, formé par Georges Kiejman (ténor du barreau parisien et célèbre défenseur de François Mitterrand) et connu pour avoir Charlie Hebdo parmi ses clients (dans l’affaire des caricatures de Mahomet), la Commission européenne présidée par Jean-Claude Juncker est « sous l’influence conjuguée et paradoxale de multinationales transatlantiques et de groupements libertariens ou “pirates” ». Mandaté par le Syndicat national de l’édition (SNE), il reproche à l’exécutif européen de ne pas avoir réalisé d’étude d’impact économique sur les réformes envisagées de la directive « DADVSI » du droit d’auteur (2). « Cette réforme, applaudie par les lobbyistes de Google, Apple, Facebook et Amazon, en totale adéquation avec leurs attentes (…), relève donc d’une initiative exclusivement technocratique, détachée de la moindre nécessité économique, dénuée de toute légitimité démocratique, induisant l’affaiblissement d’une des industries européennes les plus importantes », fustige Richard Malka dans son livret gratuit d’une trentaine de pages. La Commission européenne nous a indiqué qu’elle répondait au SNE dans des termes que nous mettons en ligne (3). Sous sa plume incisive, il reproche à Jean-Claude Juncker – ainsi qu’à Andrus Ansip, commissaire européen
et vice-président en charge du Marché unique numérique, et à Günther Oettinger, commissaire européen à l’Economie et à la Société numériques – d’être tout acquis
à la cause des « opérateurs numériques, qui réclament avec insistance cette réforme
à l’aide de centaines de lobbyistes ». Il affirme que la Commission européenne
« donnerait les clés des industries culturelles européennes et de la rémunération des auteurs aux seuls grands industriels de la communication numérique », alors que selon cet avocat elle devrait plutôt s’occuper des « entraves à la circulation des œuvres ».

L’eurodéputée Julia Reda en prend également pour son grade (4), après que son rapport de réformes à faire pour le droit d’auteur ait été adopté le 9 juillet par le Parlement européen. Alors que les propositions de la Commission européenne sont attendues en fin d’année, après que son unité « Copyright » aura rendu les siennes
au cours de cette rentrée, le SNE – organisateur de « Livre Paris » en mars 2016 (ex-Salon du livre de Paris) – monte d’ores et déjà au créneau. En France, est aussi dans le collimateur la secrétaire d’Etat au Numérique, Axelle Lemaire, qui va soumette à consultation publique à partir du 21 septembre son projet de loi numérique introduisant des « exceptions » (open access, text and data mining, …) soutenues notamment
par 75 personnalités et le CNNum (5). Or, l’avocat militant estime que les menaces persistent pour le secteur du livre contrairement au domaine audiovisuel : la Commission européenne envisagerait de rendre obligatoire jusqu’à 21 exceptions
au droit d’auteur qui ne donneraient plus lieu à rémunération (notamment dans le prêt numérique en bibliothèque, ou bien à des fins pédagogiques, voire dans le cadre d’œuvres transformatives au nom de la liberté créative ou encore pour des travaux
de recherche à l’aide du data mining).

Autre exception au droit d’auteur contre laquelle s’élève le SNE et son avocat : le principe du fair use. « Cette exception importée des Etats-Unis est révélatrice des sources d’inspiration de Madame Julia Reda et de la Commission [européenne]. Elle permet d’utiliser une oeuvre sans autorisation dès lors qu’un motif légitime le justifie (droit à l’information, à la création, à la parodie…) », écrit Richard Malka. Le droit d’auteur européen est basé sur une liste limitative d’exceptions, contrairement au système juridique américain qui laisse les tribunaux apprécier au cas par cas si les utilisations des œuvres relève du fair use (6).

Pour le geoblocking des œuvres 
Quant à l’« extraterritorialité » (permettre l’achat de contenus sans restriction géographique ou geoblocking), elle est perçue par l’auteur comme une « exception » supplémentaire qui « constituerait donc une atteinte injustifiée aux droits des auteurs sur leurs œuvres ». Ce livre à charge est assorti du site Auteursendanger.fr. Le bras de fer ne fait que commencer. @

Charles de Laubier

TDF (40 ans) : les télécoms vont dépasser l’audiovisuel

En fait. Le 2 juin, Olivier Huart, président de TDF, est intervenu en introduction
du XXIe colloque NPALe Figaro consacré aux « piliers de la transformation numérique ». Il a placé TDF au coeur de « l’économie connectée », malgré
une perte de chiffre d’affaires induite par la fin de la diffusion analogique.

Pourquoi le géo-blocage est l’un des points de… blocage pour le marché unique européen

La Commission européenne a confirmé le 6 mai vouloir réformer le droit d’auteur afin de mettre un terme aux géo-blocages qui empêchent l’émergence d’acteurs européens capables de rivaliser avec les sociétés américaines. La France, elle, défend son « exception culturelle ».