Bernard Arnault, le nouveau magnat de la presse française, reprend sa revanche sur le numérique

L’homme le plus riche de France, deuxième fortune européenne et onzième mondiale, est en passe de faire du groupe Les Echos – qu’il a racheté au prix fort il y aura dix ans cette année – non seulement le pôle multimédia de son empire du luxe LVMH, mais aussi une société de services « high-tech » pour entreprises.

Il y a dix ans, en juin 2007, le PDG du groupe LVMH, Bernard Arnault (photo), jetait son dévolu sur Les Echos, premier quotidien économique français qu’il rachètera finalement – malgré l’opposition de la rédaction et la dimension politique de l’événement – pour près de 350 millions d’euros (dettes comprises). Tombent alors dans l’escarcelle de l’homme le plus riche de France (1) et d’Europe le journal Les Echos, assorti de son site web Lesechos.fr, mais aussi le mensuel Enjeux-Les Echos, Radio Classique ainsi que Investir et Connaissance des Arts. Malgré la résistance de la rédaction des Echos à l’époque et la création de la société des journalistes, malgré l’interpellation du président de la République (Nicolas Sarkozy, dont Bernard Arnault fut le témoin de mariage) et de la ministre de la Culture et de la Communication (Christine Albanel), et malgré une contre-offre de rachat présentée par Fimalac (groupe de Marc Ladreit de Lacharrière), Les Echos passeront en fin de compte des mains du groupe britannique Pearson (alors encore propriétaire du Financial Times) à celles du groupe de luxe LVMH.

Un nouveau « papivore », de plus en plus numérique
Bernard Arnault a ainsi réussi à s’emparer en novembre 2007 du premier quotidien économique français et à céder dans le même temps son concurrent chroniquement déficitaire La Tribune qu’il possédait depuis 1993. Depuis, la rédaction vit avec le risque de conflits d’intérêt permanent avec son unique propriétaire industriel multimarque – Louis Vuitton, Moët Hennessy, Christian Dior, Kenzo, Givenchy, Chaumet, Château Yquem, Krug, Berlutti ou encore Guerlain (2) – et par ailleurs actionnaire de Carrefour (à 8,74 %), sans parler de ses multiples participations via notamment son fonds personnel Aglaé Ventures (Netflix, Spotify, Airbnb, Devialet, SeLoger, Slack, Betfair, Back Market, …) ou via ses holdings Groupe Arnault et Financière Agache. Si l’intervention directe de Bernard Arnault dans le contenu éditorial du quotidien des affaires paraît improbable, le plus grand danger réside en fait dans l’autocensure
que peuvent s’appliquer les journalistes et leurs hiérarchies. Les garanties obtenues
en 2007 sur l’indépendance de la rédaction des Echos, la nomination de trois administrateurs indépendants, la création d’un comité d’indépendance éditoriale et la charte éthique avec le PDG du groupe Les Echos – Francis Morel depuis 2011, Nicolas Beytout auparavant – ne peuvent rien contre l’autocensure – insidieuse et pernicieuse. Il en va maintenant de même pour Le Parisien-Aujourd’hui en France que le milliardaire du luxe a racheté en octobre 2015, avec son site web Leparisien.fr, pour environ 50 millions d’euros.

De l’échec d’Europ@web à la presse en ligne
Avec une fortune personnelle dépassant les 30 milliards d’euros en 2016, Bernard Arnault (68 ans) a les moyens de ses ambitions et désormais des médias d’influence
à sa main. Cela a un prix, surtout que Les Echos n’ont atteint l’équilibre opérationnel qu’au bout de sept ans et que Le Parisien est déficitaire. Sans parler de l’apport de 6millions qu’il a fait au quotidien L’Opinion lancé en 2013 par Nicolas Beytout. Le mécène de la presse française se rêve-t-il en tycoon des médias ? Après ses deux quotidiens, Les Echos et Le Parisien, Bernard Arnault s’intéresse à la presse quotidienne régionale et notamment au groupe Ebra, filiale du Crédit Mutuel qui possède Les Dernière nouvelle d’Alsace (DNA), Le Progrès, L’Est républicain ou encore Le Dauphiné libéré. C’est Francis Morel qui l’a laissé entendre il y a un an (3). Bernard Arnault partage d’ailleurs avec un certain Michel Lucas la passion de la musique classique. Or ce dernier (78 ans) a quitté début 2016 ses fonctions de président du Crédit Mutuel et va aussi céder mi-septembre prochain sa place de patron de la presse régionale du groupe Ebra à Philippe Carli, l’ancien DG du groupe Amaury (propriétaire de L’Equipe et… vendeur du Parisien à LVMH). Philippe Carli est déjà à l’oeuvre au Crédit Mutuel pour redresser ce pôle presse. Et le vendre assaini à Bernard Arnault qui deviendrait propriétaire du premier groupe de presse régionale en France ? L’avenir nous le dira – de même que l’on saura bien assez tôt qui succèdera au « manager de presse de la décennie » Francis Morel (70 ans l’an prochain).
Au-delà de la naissance d’un « papivore », c’est aussi la revanche d’un investisseur dans non seulement la presse écrite après ses déboires dans La Tribune, mais aussi dans le numérique après ses déconvenues lors de l’éclatement de la bulle Internet en 2000. Bernard Arnault a essuyé les plâtres de la « nouvelle économie » après avoir créé en 1999 son fonds d’investissement Internet, Europatweb, présent à l’époque dans Liberty Surf (racheté par la suite par Free), dans la banque en ligne Zebank (devenue Egg, puis revendu à Ing Direct), dans le site britannique de e-commerce Boo.com (liquidé en 2000), dans la société ST3G candidate à une licence 3G en France (avant d’y renoncer), et une cinquantaine d’autres participations liées à Internet. Europatweb, alors aussi actionnaire de Firstmark (boucle locale radio), fut sauvée des eaux par Suez Lyonnaise, avant de finalement jeter l’éponge et à renoncer à entrer en Bourse après le krach de 2000. « Europ@web » a signé l’échec de Bernard Arnault sur Internet. Sa revanche numérique semble aujourd’hui venue, via le groupe Les Echos-Le Parisien qui met les bouchées-double sur les contenus numériques et la hightech. Selon l’ACPM (ex-OJD), Leparisien.fr a enregistré en avril plus de 53,6 millions de visites, dont 89 % provenant de France. Ce qui le place en quatrième position des quotidiens après Le Monde, Le Figaro et 20 Minutes, et neuvième place des sites web en France. Tandis que Lesechos.fr affiche plus de 22,8 millions de visite ce même mois, dont 88 % de France, soit en vingt-deuxième position. Mais ce sont surtout les ventes numériques (4) qui sont encourageantes dans un contexte de chute des ventes « papier » en kiosque : Les Echos ont vendu en 2016 près de 35.000 versions numériques du journal par jour en moyenne sur un total payée de 128.663 exemplaires. Aujourd’hui en France – le pendant national du Parisien – fait bien moins en versions numériques avec quelque 2.000 exemplaires en moyenne par jour en 2016 pour un total de diffusion payée de 133.354 exemplaires. Le quotidien régionale Le Parisien, lui, fait mieux : plus de 13.000 versions numériques en moyenne par jour sur 205.486 exemplaires payés.
Francis Morel entend mettre en commun la gestion de la data, pour que le groupe Les Echos-Le Parisien soit plus fort dans la publicité en ligne ciblée et le brand content. Il se diversifie aussi dans la communication digitale d’entreprise, depuis le rachat début 2016 de Pelham Media. Bernard Arnault se développe ainsi dans les services qui pèsent déjà 35 % de son chiffre d’affaires, et compte atteindre les 50 % dans un ou deux ans. Tous ses médias déménageront d’ici la fin de l’année dans un même immeuble du XIe arrondissement de Paris avec vue sur la Tour Eiffel.

Economie, innovation, high-tech, politique
Fin mai, le groupe a annoncé l’acquisition de 78 % du capital de Netexplo (société HappeningCo), un observatoire international du digital créé en 2007. Ses services et contenus « académiques » seront proposés en septembre dans un nouvel abonnement « platinum » des Echos, tandis qu’un supplément baptisé The Innovator sera proposé. Le salon Viva Technology, lancé l’an dernier avec Publicis et dédié aux start-up, couronne le tout. Le 16 juin, Bernard Arnault a pu s’y afficher aux côtés du nouveau chef de l’Etat, Emmanuel Macron. @

Charles de Laubier

Les services OTT pèsent 10 % du monde digital

En fait. Le 6 juin, l’Idate – think tank européen spécialisé dans l’économie numérique, créé il y a 40 ans – a publié la 17e édition de son DigiWorld Yearbook sur l’état du monde digital. Les services Internet franchiront cette année les 10 % du marché mondial du numérique. Pour l’Europe, c’est déjà fait.

Comment la DGCCRF (Bercy) se pose de plus en plus en redresseur de torts de l’économie numérique

La Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) est en passe de devenir le vrai gendarme de l’économie numérique. E-commerce, crowdfunding, réseaux sociaux, et demain algorithmes, Internet des objets ou encore voitures connectées : gare aux abus !

Un récent rapport du Conseil général de l’économie, de l’industrie,
de l’énergie et des technologies (CGE), lequel dépend du ministère de l’Economie et des Finances, propose de créer un « bureau des technologies de contrôle de l’économie numérique » qui « pourrait être localisé au sein de la DGCCRF », la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), rattachée à Bercy et dirigée par Nathalie Homobono (photo) depuis 2009.

« Bureau de contrôle » à la DGCCRF ?
Le rôle de ce bureau spécialisé, s’il était créé, serait de contrôler le Big Data, l’Internet des objets, les nouvelles méthodes de paiement, la maison intelligente, la loyauté des algorithmes, ou encore les voitures connectées (1) (*). Bref, cela reviendrait à lui donner un droit de regard sur presque toutes les coulisses de l’économie numérique. Selon les auteurs de ce rapport de Bercy, cette cellule de contrôle – inspirée du modèle américain de l’Office of Technology Research and Investigation (OTRI) crée en mars 2015 au sein de la Federal Trade Commission (FTC) – pourrait être saisie par la Cnil (2), l’AMF (3) et l’Arjel (4), mais aussi par l’Autorité de la concurrence, l’Arcep (5), le CSA (6), ainsi que par l’Acam (7), l’ACPR (8) ou encore l’ANSM (9). Le bureau en question nécessiterait environ six personnes, dont les compétences seraient non seulement techniques et scientifiques, mais aussi juridiques et économiques, avec un « conseil d’orientation » composé de représentants des pouvoirs publics, d’experts et de chercheurs.

Plus particulièrement sur les algorithmes, sur lesquels portait spécifiquement ce rapport, le CGE préconise en outre la mise en place d’une « plateforme collaborative scientifique » destinée à favoriser notamment le développement d’outils logiciels et de méthodes de tests d’algorithmes « responsables, éthiques et transparents ». L’Institut national de recherche en informatique et en automatique (Inria) a proposé de porter une telle plateforme, dénommée TransAlgo, qui sera développée en coopération avec non seulement la DGCCRF mais aussi le Conseil national du numérique (CNNum) et la Direction générale des entreprises (DGE) du ministère de l’Economie et des Finances. Avec un tel bureau de contrôle de l’économie numérique, le pouvoir d’enquête et d’investigation de la DGCCRF serait considérablement renforcé. Pour l’heure, elle dispose déjà d’un service spécialisé dans le contrôle du commerce électronique. Ses compétences portent aussi bien sur la protection des droits des consommateurs que sur le fonctionnement équilibré de ces marchés. La DGCCRF identifie les pratiques déloyales ou trompeuses vis à vis des utilisateurs finaux, ainsi que dans les relations interentreprises. En 2016, la surveillance du commerce électronique l’a ainsi amené
à contrôler un total de 10.829 sites Internet. Il en est ressorti que 31 % d’entre eux présentaient une « anomalie ». Ces enquêtes ont particulièrement porté sur l’information et la protection du consommateur dans des secteurs tels que le transport aérien ou le financement participatif (crowdfunding). Les constats établis lors de ces enquêtes peuvent en outre l’amener à proposer des évolutions normatives au droit
de la consommation. Cela touche essentiellement le e-commerce, tandis que des questions commencent à se poser sur les objets connectés par exemple.

Dans les communications électroniques, elle veille à la transparence des offres des opérateurs télécoms et à l’absence d’abus (tarifs des appels de service après-vente, sollicitations via spams vocaux ou SMS, arnaques aux consommateurs, …). En 2016,
la DGCCRF a mené vingtquatre enquêtes qui ont concerné l’économique numérique. Certaines d’entre elles ont porté sur la vente à distance où 1.430 sites Internet ont fait l’objet d’un contrôle l’an dernier, la majorité de ces contrôles ayant été suivis d’une perquisition dans les locaux même des entreprises.

Avertissements, injonctions, amendes, …
Il s’agissait de vérifier que les nouvelles règles des droits des consommateurs
– telles que les obligations d’information pré-contractuelle et le droit de rétractation issus de la loi « Hamon » sur la consommation du 17 mars 2014 (10) – soient respectées. Résultat : « Un taux de non-conformité élevé (49 %) a été relevé et les contrôles ont donné lieu à 355 avertissements, 312 injonctions, 23 procès verbaux (pour pratiques commerciales trompeuses) et 17 amendes administratives (manquements aux règles de la vente à distance et non-respect d’injonctions) », indique la DGCCRF dans son rapport annuel d’activité rendu public le 23 février dernier.

Réseaux sociaux dans le collimateur
D’autres enquêtes ont concerné le financement participatif où 30 établissements ont été contrôlés l’an dernier. Plusieurs manquements et infractions ont été constatés dans le crowdfunding immobilier tels que l’absence de mise à disposition des prêteurs d’un outil d’évaluation de leurs capacités de financement ou l’absence de fourniture d’un contrat de prêt type. Résultat : « Quatre avertissements, trois injonctions et deux rapports sur
la base de l’article 40 du Code de procédure pénale transmis aux parquets ». Dans le e-commerce, les réductions de prix « illusoires » ou « factices » (promotions déloyales et prix de référence) ont aussi été épinglées et ont fait l’objet de dix-neuf procèsverbaux – auprès d’Amazon, Vente-privee.com, Showroomprive.com, GrosBill, Zalando, H&M, Darel, Netquattro ou encore Comptoir des Cotonniers – ainsi que de 2,4 millions d’euros d’amendes.
Concernant les places de marché en ligne, la DGCCRF a vérifié leur conformité avec
le Code de commerce des relations commerciales et procédé à quarante-huit contrôles – suivis d’une assignation, d’un procès-verbal et de deux injonctions – mettant au jour des relations contractuelles déséquilibrées, des clauses illicites et des conditions de facturation non conformes. Mais depuis l’an dernier, ce sont les réseaux sociaux et leurs clauses contractuelles « abusives et illicites » qui sont dans la ligne de mire de la DGCCRF. Facebook, qui a été le premier à essuyer les plâtres l’an dernier, avait fait l’objet d’une procédure d’injonction à son encontre, laquelle s’est conclue par la mise
à jour de ses conditions générales d’utilisation (CGU) en décembre 2016. Il y a un an, en février, la DGCCRF avait donné 60 jours à Facebook pour se mettre en conformité
– sachant que les CGU non professionnelles de Facebook sont régies par les sociétés Facebook Ireland et Facebook Payments International. Posaient alors problème : clauses au détriment des utilisateurs, pouvoir discrétionnaire dans le retrait des contenus ou informations publiés par l’internaute, pouvoir de modifier unilatéralement ses conditions d’utilisation sans en informer préalablement l’internaute, clauses abusives dans les conditions de paiements, ou encore droit de modifier ou résilier unilatéralement son service de paiement sans en informer au préalable le consommateur. La procédure de la DGCCRF à l’encontre de Facebook se faisait indépendamment de celle lancée, en mars 2016, par cette fois par l’office anti-cartel fédéral allemand (Bundeskartellamtes) qui soupçonne le numéro un des réseaux sociaux d’abus de position dominante et d’infraction aux règlements de protection des données personnelles. Le cofondateur et patron de Facebook, Mark Zuckerberg, s’était même rendu à Berlin pour y rencontrer la chancelière Angela Merkel. C’est dire que l’affaire outre- Rhin est prise très au sérieux, la filiale irlandaise de Facebook où se situe son siège européen et sa filiale allemande à Hambourg étant directement visées. Parallèlement, dans la foulée de son homologue belge, la Cnil s’en est prise il y a un an également à Facebook en lui donnant trois mois – prolongés par la suite de trois autres mois jusqu’à août 2016 – pour respecter la loi « Informatique et libertés » en matière de collecte et d’utilisation des données des internautes. Il est notamment reproché au réseau social de tracer la navigation des internautes à leur insu sur des sites web tiers, même s’ils ne font pas partie des plus de 30 millions d’utilisateurs disposant en France d’un compte Facebook. Selon nos informations auprès de la Cnil, le dossier est toujours en cours d’instruction. En plus de cette procédure « Facebook », la DGCCRF a procédé à des investigations auprès de six autres réseaux sociaux « ciblés notamment en raison de leur attractivité vis-à-vis des jeunes consommateurs » : Twitter, Periscope (Twitter), Google+ (Google/Alphabet), Snapchat (Snap), WhatsApp (Facebook) et Tumblr (Yahoo).

Avec la Commission européenne en soutien
« Les investigations en cours ont montré la présence de clauses abusives, illicites,
voire inintelligibles pour le consommateur », a révélé Nathalie Homobono, lors de la présentation du rapport annuel d’activité, tout en précisant que les procédures engagées se poursuivent en vue d’obtenir la mise en conformité des CGU respectives. « Cette enquête est menée en coordination avec la Commission européenne et les autres Etats membres, afin d’en faire bénéficier l’ensemble des consommateurs de l’Union européenne », a-t-elle précisé. Bruxelles a envoyé à différents réseaux sociaux, qui ont commencé à répondre, les griefs dont font état des autorités de la concurrence en Europe. @

Charles de Laubier

Lee Jae-yong (alias Jay Y. Lee), le discret héritier de Samsung, est attendu au tournant en 2017

L’année 2017 sera décisive pour le conglomérat familial Samsung créé il y a près de 80 ans. Discret, Lee Jae-yong – petit-fils du fondateur – est propulsé à la tête du groupe et de sa plus célèbre filiale : Samsung Electronics. Mais le n°1 mondial de la high-tech est au bord de la scission et mêlé à un scandale d’Etat.

(A l’heure où nous avons publié cet article dans EM@, nous apprenions qu’un mandat d’arrêt contre Jay Y. Lee était demandé. Le 19 janvier, la justice sud-coréenne refusait de délivrer ce mandat d’arrêt. Le 17 février, le « prince héritier » a été arrêté.)

Son père, Lee Kun-hee, vient de fêter – le 9 janvier – ses 75 ans et dirige le conglomérat – chaebol en coréen – depuis 30 ans maintenant. Mais lui, Lee Jae-yong (photo), fils unique et aîné de trois soeurs (1), a été propulsé à la tête du groupe Samsung. Cette montée en grade s’est accélérée depuis que le patriarche – lui-même troisième enfant de Lee Byung-chul, celui qui a fondé l’entreprise Samsung il y aura 80 ans l’an prochain – a été hospitalisé en mai 2014 à la suite d’une crise cardiaque et est depuis lors souffrant.
Le « prince héritier », comme certains le surnomment lorsqu’il n’est pas appelé familièrement « Jay Y », tient entre ses mains l’avenir de l’une des plus importantes multinationales connues au monde. Il en est officieusement le patron en l’absence de son père, lequel prépare sa succession depuis près de trois ans maintenant via la méconnue et opaque holding familiale du groupe appelée Cheil Industries (ex-Samsung Everland).

Samsung Electronics, porte-drapeau du chaebol
Le groupe « trois étoiles » – c’est la signification en coréen de Samsung – présentera le 24 janvier les résultats financiers 2016 de Samsung Electronics. Ils sont annoncés comme « supérieurs aux attentes », malgré les déboires du groupe l’an dernier avec le retrait du marché de la phablette (2) Galaxy Note 7 pour cause d’explosions ou d’embrasements (les résultats de l’enquête sur les causes seront publiés avant la fin du mois), et le rappel de millions de… machines à laver le linge défectueuses. Pour Lee Jae-yong, fin janvier s’annonce donc comme un baptême du feu…
La filiale high-tech – créée en 1969 et devenue numéro un mondial des smartphones ainsi que numéro un mondial des téléviseurs – est plus que jamais aujourd’hui le porte-drapeau planétaire du conglomérat sud-coréen, également présent dans le bâtiments, les chantiers navals, les parcs d’attraction ou encore dans l’assurance. En près de 50 ans, l’entreprise de fabrication de produits électroniques et électroménagers – Samsung Electronics – s’est développée à coup de diversifications technologiques : téléviseurs, écrans plats, magnétoscopes, lecteurs de vidéodisques, ordinateurs, téléphones mobiles, semi-conducteurs, puces mémoires, écrans pour smartphones, mais aussi laves linge, réfrigérateurs, fours à micro-ondes, climatiseurs, …

Holding opaque et scandale financier
A un an près, Lee Jae-yong (48 ans) a le même âge que Samsung Electronics, dont
il est vice-président depuis décembre 2012, après en avoir été directeur opérationnel durant trois ans. Et c’est lors d’une assemblée générale extraordinaire organisée le 27 octobre dernier que le quadra a fait son entrée au conseil d’administration de Samsung Electronics que préside Oh-Hyun Kwon (64 ans), auquel Lee Jae-yong pourrait succéder. Fort de ses deux pouvoirs, opérationnel et stratégique, le dauphin devient
le tycoon du groupe familial – coté en Bourse et valorisé 260 milliards de dollars. Multimilliardaire, la fortune personnelle de Lee Jaeyong est estimée par le magazine Forbes à 6 milliards de dollars en 2016, ce qui en fait la 201e personne la plus riche du monde – tandis que son père est en 112e position avec un patrimoine de 14,4 milliards de dollars. Bien qu’à la manoeuvre depuis l’éloignement de son père, l’intronisation de Lee Jae-yong au board l’amène officiellement à prendre part aux décisions stratégiques du groupe – quant aux investissements, à la réorganisation des activités ou encore à la « création d’une culture d’entreprise plus ouverte » (dixit Oh-Hyun Kwon).
Le groupe de Séoul avait fait savoir au printemps dernier qu’il souhaitait adopter une culture de start-up pour être plus réactif – dans un monde high-tech à la croissance ralentie – grâce à des processus de décisions simplifiés. De là à « pivoter », comme disent les dirigeants de jeunes pousses ? Difficile pour un poids lourd de la taille de Samsung. Des décisions majeures ont néanmoins déjà été prises sous l’égide de « Jay Y. Lee » telles que la vente en septembre de l’activité imprimantes à HP pour plus de 1milliard de dollars afin de se recentrer sur ses coeurs de métier, et l’introduction en Bourse en novembre de la filiale pharmaceutique Samsung Biologics permettant de lever 1,9 milliard de dollars. Mais c’est l’acquisition en décembre du groupe Harman International Industries, pour 8 milliards de dollars, qui est un coup de maître. En s’emparant du spécialiste des appareils audio, vidéo et systèmes automobiles connectés (Harman Kardon, JBL, Lexicon, Mark Levinson, AKG Acoustics, …), Samsung Electronics donne un coup d’accélérateur à sa diversification afin d’aller chercher dans la voiture connectée de nouveaux relais de croissance. A la grandmesse de l’high-tech grand public, le Consumer Electronic Show (CES) qui s’est tenu à Las Vegas début janvier, le groupe sud-coréen a annoncé le lancement du fonds Samsung Next doté de 150 millions de dollars qui ont commencé à être orientés vers des investissements dans des start-up de la réalité virtuelle, l’intelligence artificielle, l’Internet des objets, et d’autres innovations technologiques (3). Mais Lee Jae-yong n’était pas présent aux Etats-Unis, car il était entendu à Séoul comme suspect dans le scandale politico-financier qui met en cause la présidente de la Corée du Sud, Park Geun-Hye, soupçonnée de trafic d’influence et menacée de destitution : elle aurait permis en 2015 une fusion – contestée par des actionnaires minoritaires, dont le fonds américain Elliott – de deux entités de Samsung, Cheil Industries et C&T, opération qui devait renforcer l’emprise de la famille Lee et faciliter la passation de pouvoir à la tête du géant sud-coréen de l’électronique sans trop payer de droits de succession. Le hedge fund Elliott (4) est le même qui pousse à une scission de Samsung Electronics évoquée depuis longtemps, avec les activités industrielles d’un côté et financières de l’autre. La direction s’est donnée au moins jusqu’à mai pour mener sa « revue stratégique ».

Autre affaire que l’héritier suit de prêt : celle des brevets où Apple accuse depuis 2011 Samsung d’avoir copié l’iPhone. D’après une décision de la Cour suprême des Etats-Unis datée du 6 décembre dernier, le groupe sudcoréen pourrait ne plus avoir à payer que 149 millions de dollars de dommages et intérêts au lieu de 548 millions (jugement en 2015) ou de 930 millions (jugement de 2012). Lee Jae-yong a en outre eu à gérer
la crise historique de l’accident industriel du Galaxy Note 7, qui a finalement coûté à Samsung plus de 6 milliards de dollars (selon l’agence Bloomberg) et la perte de parts de marché au profit de fabricants chinois comme Huawei (pas d’Apple). Mais le numéro un mondial des smartphones a les reins solides et pourrait afficher un bénéficie record dès cette année 2017. C’est du moins ce que pense un analyste financier cité par l’agence Reuters, en tablant sur le succès des futurs Galaxy S8 dotés d’intelligence artificielle et attendus en avril.

Apple n’a qu’à bien se tenir
Et selon le site d’informations économiques Business Korea, le numéro un mondial
des smartphones compte aussi lancer au second semestre un Galaxy Note 8 ultra performant et doté d’un écran 4K pour entrer dans la réalité virtuelle et faire oublier le fiasco du prédécesseur. Le géant de Séoul devrait in fine se remettre rapidement de ses catastrophes industrielles. D’autant que les ventes de puces mémoire et d’écrans pour smartphones ont été bonnes. @

Charles de Laubier

Claude Perdriel laisse derrière lui un « Nouvel Obs » exsangue et un « Rue89 » en perdition

Le patriarche de la presse française, Claude Perdriel (90 ans), va céder sa part minoritaire qui lui reste dans le capital de la société Nouvel Observateur du Monde. Il laisse derrière lui un hebdomadaire historique mal en point et un pionnier des médias en ligne devenu l’ombre de lui-même.

C’est en janvier 2014 que Le Nouvel Observateur était passé sous le contrôle du trio « BNP » – constitué par le milliardaire Pierre Bergé, l’industriel Xavier Niel (Free) et le banquier Matthieu Pigasse (Lazard). Ensemble, ils l’avaient acheté
13,4 millions d’euros à son fondateur Claude Perdriel (photo) qui en avait alors conservé 35 % (1). Outre Le Nouvel Obs, rebaptisé depuis L’Obs, l’acquisition incluait aussi le site de presse en ligne Rue89 qui avait été racheté par Claude Perdriel en décembre 2011 – il y a maintenant cinq ans.

Le bonheur n’est pas dans le Net
Alors que l’industriel millionnaire, inventeur du Sanibroyeur et épris de presse, va céder d’ici la fin de l’année le reste de sa participation au trio « BNP », l’hebdomadaire créé en novembre 1964 et le site web lancé en mai 2007 sont au plus mal. L’Obs est victime de la destruction créatrice du numérique et Rue89 n’a pas su trouver son modèle économique en ligne. Le monde digital fut sans doute le point faible du patriarche
de la presse française. Il n’a d’ailleurs jamais vraiment cru dans l’Internet. Et son investissement dans Rue89 en juin 2011 (moyennant 200.000 euros), suivi de son rachat six mois après (pour 7,5 millions d’euros), ne lui aura pas fait changer d’avis. Dès l’année suivant, l’audience du site de presse en ligne créé par d’anciens journalistes de Libération (Pierre Haski, Laurent Mauriac, Pascal Riché et Arnaud Aubron) fléchit. La version française du site américain The Huffington Post cofondé
par Arianna Huffington est lancé en janvier 2012 par le groupe Le Monde, qui lui
coupe l’herbe sous le pied. S’ensuivra une descente aux enfers et une perte d’identité symbolisée par le remplacement fin 2013 de Rue89.com par Rue89.nouvelobs.com. Entre temps, Rue89 a été contraint par Claude Perdriel de quitter le Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne (Spiil) qui, contrairement au groupe Nouvel Observateur (assurant alors la présidence de l’AIPG, l’association des grands titres de presse), prônait la suppression des aides directes d’Etat à la presse (2) (*) (**).
Interrogé en mars 2014 par l’Association des journalistes médias (AJM), Claude Perdriel faisait part de son dépit : « Internet m’inquiète et me désespère un peu pour
ce qui concerne la presse écrite », avait-il confié. Celui qui s’est lancé il y a trente ans avec succès dans les fameuses messageries roses sur Minitel (les 3615 Aline ou 3615 Jane), lesquelles lui ont permis de faire oublier l’échec du Matin de Paris et de renflouer Le Nouvel Observateur, a toujours considéré qu’Internet mettait en péril la presse :
« Moi, je ne crois pas au payant en matière d’Internet. En tout cas, absolument pas pour l’information généraliste. L’information est partout et elle est gratuite. Les internautes ne paieront jamais. L’univers médiatique que je défends est menacé, y compris par Internet, par lui-même ». A-t-il regretté d’avoir acheté Rue89 pour 7,5 millions d’euros en janvier 2012 ? « C’était un peu cher. (…) Ils étaient en péril, même gravement ; ils auraient peut-être disparu. Mais on a pas vraiment fait prendre la mayonnaise : on ne les a pas ramenés à côté de l’Observateur » (dixit devant l’AJM). Finalement, Claude Perdriel aura été plus à l’aise avec les messagerie roses sur Minitel qu’avec les sites de presse en ligne ! « J’ai été à l’origine du Minitel rose en 1984. J’avais déjà imposé deux pages de petites annonces dans le journal [Le Nouvel Observateur, ndlr] contre l’avis des bien-pensants, des rédacteurs les plus âgés, et avec les jeunes. Ces pages étaient formidables, romantiques, drôles. Je m’en suis servi pour créer 3615 Aline, et Xavier Niel [aujourd’hui copropriétaire de… L’Obs, ndlr] a suivi de modèle », a-t-il confié en janvier dernier (3).
D’ici la fin de l’année, L’Obs et ce qui reste de Rue89 seront la pleine propriété du trio
« BNP » au même titre que – au sein de la holding Le Monde Libre – le quotidien Le Monde, Télérama, Courrier International et La Vie Catholique acquis en 2010 pour
100 millions d’euros. Tous ces titres seront rassemblés au futur siège près de la Gare d’Austerlitz à Paris : déménagements prévus au cours de l’été 2017.

Quel avenir numérique ?
Mais d’ici là, L’Obs – qui a perdu 2,5 millions d’euros en 2015 et chuté de 13 % en diffusion sur un an à 401.000 exemplaires en moyenne par semaine – va devoir réduire ses effectifs de 189 à 143 personnes (3,6 millions d’euros d’économie), auxquels s’ajoutera une réduction de 1,1 million d’euros de fonctionnement. Pas de quoi être vraiment « heureux » (4). Il s’agit aussi de « rassembler sur le numérique toutes les forces, aujourd’hui trop dispersées » et de trouver « une nouvelle dynamique » en ligne. La période d’information-consultation en interne a pris fin le 19 novembre. @

Charles de Laubier