Avec les affaires « Stéphane Richard » et « Dailymotion », l’Etat a repris le contrôle de France Télécom

Le 16 juin, François Hollande annonce le maintien de Stéphane Richard. Le 17 juin, le conseil d’administration a entériné sa décision. Le 1er juillet, France Télécom deviendra Orange. L’Etat, qui détient seulement 27 % du capital, en reprend le contrôle depuis l’affaire Dailymotion.

SRC’est un fait. L’Etat français reprend le contrôle sur France Télécom, dont il ne détient pourtant que 26,9 % du capital.
Et encore, il n’en possède directement que 13,4 %. Les 13,5 % autres actions sont détenues indirectement via le Fonds stratégique d’investissement (FSI).
Les droits de vote, eux, sont à peu près du même niveau (respectivement 13,5 % et 13,6 %). Bien que cela fasse dix ans
à la fin de l’année (depuis une loi du 31 décembre 2003), que l’ancien monopole public de télécommunications est devenu
une entreprise privée (1), l’Etat a bien repris la main en tant que premier actionnaire,
n’en déplaise à Stéphane Richard (photo) qui s’était insurgé contre l’intervention du gouvernement en avril dernier dans la négociation, avortée depuis, entre son groupe
et Yahoo.

L’Etat a fait l’effet d’épouvantail vis à vis de Yahoo!
Les trois représentants de l’Etat au conseil d’administration (sur un total de 15 membres) ont bien appliqué la consigne du président de la République, les autres administrateurs indépendants ayant presque suivi comme un seul homme (hors un vote contre et une abstention).
Au risque de faire passer l’ancien haut fonctionnaire pour une marionnette de Bercy,
qui plus est mis en examen pour « escroquerie en bande organisée » dans l’affaire Tapie-Crédit Lyonnais, accusé d’avoir été un acteur-clé en tant qu’ex-directeur de cabinet de Christine Lagarde, alors ministre de l’Economie, des Finances et de l’Industrie (2).
L’Etat redevient le patron, certes virtuel, du groupe. Il l’a démontré avec force à propos de Dailymotion, filiale à 100 % de France Télécom depuis le début de l’année (3), lors d’une réunion organisée le 12 avril à Bercy entre Arnaud Montebourg et le directeur des opérations de Yahoo, Henrique de Castro. C’est à cette réunion que le géant américain
du Web a renoncé à s’emparer de 75 % du capital du français Dailymotion, là où l’Etat
ne voulait en céder que 50 %. « Yahoo et France Télécom n’ont pas trouvé d’accord
de partenariat équilibré », a regretté le 30 avril Arnaud Montebourg, après l’échec des négociations. Ce à quoi Stéphane Richard lui a rétorqué : « Dailymotion est une filiale d’Orange, et non de l’Etat. C’est le groupe, sa direction et son conseil d’administration
qui gèrent ce dossier. (…) Ce n’est pas à la demande de l’Etat que nous avons investi.
Et Dailymotion s’est révélé une bonne affaire, dont la valeur a doublé ou triplé » (4).

Orange fera-t-il oublier France Télécom ?
Le PDG de Dailymotion, Cédric Tournay, a lui aussi dit « regretter le blocage gouvernemental, parce que nous vivons dans un environnement mondialisé » (5). Aujourd’hui, il a tourné la page Yahoo et, à défaut d’être racheté pour l’instant, parle plutôt d’acquisitions. « Nous progressons surtout sur notre plan d’investissement et sur nos projets d’acquisition. Nous ne sommes pas pressés de reprendre notre recherche de partenaires mais sommes évidemment à l’écoute des propositions qui peuvent être formulées », nous a expliqué Cédric Tournay. Pour tenter de reprendre la main et montrer qu’il continuait à rechercher un investisseur outre-Atlantique pour conquérir le marché américain, vital pour Dailymotion, Stéphane Richard s’était rendu début mai dans la Silicon Valley pour essayer de rassurer les entreprises américaines sur l’intervention de l’Etat français dans ses affaires. « Je souhaite (…) que l’Etat reste discret dans ces négociations, tout en faisant valoir les intérêts de sa politique et des entreprises françaises », avait déclaré le 8 mai Fleur Pellerin, ministre déléguée chargée des PME, de l’Innovation et de l’Economie numérique.
A son tour dans la Silicon Valley début juin, elle a tenté à son tour de rassurer les investisseurs américains : « Il y a eu beaucoup de malentendus autour de cette question car je me rends compte que certains pensaient qu’Orange était une entreprise 100 % publique. (…) Orange ne souhaitait pas vendre totalement Dailymotion, mais rester un actionnaire de référence », a-t-elle déclaré à cette occasion le 5 juin. Les efforts de Fleur Pellerin et de Stéphane Richard pour essayer de réparer les pots cassés pourraient être anéantis après l’annonce de François Hollande sur M6 qu’il donnera des instructions pour que ce dernier soit maintenu à la tête de France Télécom. C’est la deuxième fois en moins de deux mois que l’Etat actionnaire fait comme s’il était seul maître à bord. De quoi rendre sceptique toute entreprise privée américaine, ou étrangère, si tant est qu’il y en ait encore d’intéressée. Reste à savoir
si les déboires étatiques de Dailymotion n’auront pas des répercutions indirectes sur Deezer, la plate-forme de musique en ligne française dans laquelle France Télécom détient une participation – minoritaire cette fois (10,5 % via la société Odyssey Music Group). Et ce n’est pas faute pour la direction d’avoir essayé de minimiser le poids décisionnel de l’Etat français dans la conduite stratégique de la multinationale France Télécom (170.531 salariés dans le monde, dont 104.000 en France, au 31 décembre 2012). « Le secteur public pourrait, en pratique, compte tenu de l’absence d’autres blocs d’actionnaires significatifs, déterminer l’issue du vote des actionnaires dans les questions requérant une majorité simple dans leurs assemblées. Toutefois, l’Etat ne bénéficie ni d’action de préférence (golden share) ni d’aucun autre avantage particulier, hormis le droit de disposer de représentants au conseil d’administration au prorata de sa participation dans le capital », a, par exemple, rappelé la société cotée depuis octobre 1997 (à Paris et à New York) dans son document de référence déposé à l’AMF le 27 mars dernier.
Avec les deux affaires “Stéphane Richard” et “Dailymotion”, le groupe France Télécom aura beau se rebaptiser juridiquement Orange à partir du 1er juillet prochain, il lui sera difficile de faire oublier la présence de l’Etat dans son capital et dans ses prises de décision. Cette nouvelle dénomination sociale, héritée de la société britannique Orange créée en 1994 et rachetée à prix d’or en 2000 à Vodafone (pour 39,7 milliards d’euros
de l’époque !) est censée permettre à France Télécom de tourner le dos à son image persistante d’entreprise publique au passé social dramatique depuis sa privatisation.
Le PDG maintenu reste cependant à la merci de l’Etat. «Si la procédure judiciaire venait
à être d’une nature telle qu’il ne puisse pas être dirigeant de l’entreprise, à ce momentlà une autre décision serait prise », a prévenu François Hollande, en précisant en outre que l’Etat ne compte pas céder sa participation en raison du cours de Bourse insuffisamment élevé. Autant dire que Stéphane Richard, qui se retrouve avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête, ne pourra plus dire « le patron, c’est moi ».
Et cela tombe très mal pour le groupe France Télécom qui non seulement passe à l’Orange, mais se trouve seulement à mi-parcours de son programme « Conquête
2015 » qui doit notamment passer par l’accélération du développement international
et l’investissement dans les réseaux fixes et mobiles très haut débit et très coûteux.

François Hollande et ses 100 % de THD en 2022
En France, le chef de l’Etat lui-même n’a-t-il pas fixé l’objectif très ambitieux et dévoreur de capitaux de « couvrir 100 % de la France en très haut débit [THD] d’ici à 2022 et très majoritairement en [FTTH] » ? Quitte à pousser le gouvernement de Jean-Marc Heyrault à organiser d’ici 2025 « l’extinction du cuivre » (6) de l’opérateur historique de la boucle locale. Le tandem Orange-Etat a encore de beaux jours devant lui. @

Charles de Laubier

Vincent Montagne, président du SNE : « L’hégémonie de quelques acteurs sur Internet n’est pas une fatalité »

A l’occasion du 33e Salon du livre de Paris, le président du Syndicat national
de l’édition (SNE), qui est aussi le PDG de Média-Participations, nous explique comment le marché du livre s’organise en France pour « favoriser les offres
légales numériques » et « garantir la rémunération de la création ».

Maurice Botbol, président du Spiil : « Ce sont les sites de presse innovants qui méritent d’être aidés en premier lieu »

Président du Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne (Spiil) depuis 2009 et directeur fondateur de Indigo Publications, Maurice Botbol nous explique les propositions que lui et Edwy Plenel – reçus à l’Elysée le 28 février – ont faites en faveur de la presse numérique.

Google France : le patron change, les dossiers restent

En fait. Le 5 mars, Carlo d’Asaro Biondo, président de Google Europe du Sud, de l’Est, Moyen-Orient et Afrique, a annoncé la nomination d’un nouveau directeur général pour la filiale française : Nick Leeder, dont la femme est Française, quitte l’Australie pour remplacer le 1er avril Jean-Marc Tassetto.
CAB GoogleEn clair. Le président de Google Europe, Carlo d’Asaro Biondo (photo), reprendrait-il en main la filiale française qu’il ne s’y prendrait pas autrement, en y nommant un nouveau directeur général pour remplacer Jean-Marc Tassetto sur le départ.
Ce dernier, à ce poste depuis moins de trois ans (octobre 2010 (1)), aurait été dépassé par les négociations avec l’Association de la presse IPG (information politique et générale) sous la houlette du médiateur Marc Schwartz nommé fin novembre par le gouvernement.
C’est Carlo d’Asaro Biondo, et non plus Jean- Marc Tassetto, qui avait alors mené la fin du bras de fer jusqu’au bout. Une loi a été évitée par Google.
L’ultimatum du chef de l’Etat n’a pas été respecté
Mais Eric Schmidt lui-même, le patron du groupe Google, a dû signer le 1er février à l’Elysée – en présence de François Hollande – un protocole d’accord « historique », lequel doit encore être finalisé d’ici fin mars avec son fonds de 60 millions d’euros (2) (*) (**).
Avec Jean-Marc Tassetto, les négociations se sont enlisées au-delà de l’échéance du
31 décembre 2012 que le chef de l’Etat avait fixée comme ultimatum en vue d’aboutir à un accord. A défaut de quoi, il menaçait de légiférer en faveur d’une « Lex Google » et de droits voisins que demandait l’association IPG.
Aux yeux de Google, vallait mieux un accord qu’une loi
« Je suis dubitatif sur la signature d’un accord avant la fin de l’année [2012] », avait avoué dès mi-décembre Jean-Marc Tassetto lors d’une intervention à HEC (3).
A-t-il sous-estimé la détermination des trois syndicats de l’AIPG (SPQN, SEPM et SPQR) en parlant de « manque d’unité sur le front des éditeurs » ?
Auparavant, dans une lettre adressée au gouvernement et révélée mi-octobre par l’AFP, Google France avait menacé de ne plus référencer les médias français sur Google Actualités si un droit d’auteur pour la presse était imposé par la loi. Bref, les négociations tournaient au conflit.
Vers un redressement fiscal de 1 milliard d’euros ?
Autre dossier épineux : celui de la fiscalité. Le fisc français réclamerait à Google France 1 milliard d’euros ! « Maintenant, ça n’exonère pas Google de ses autres devoirs, je pense notamment à des devoirs fiscaux (…) Tout le travail ne s’arrête peut-être pas là », avait déclaré Aurélie Filippetti, ministre de la Culture et de la Communication, le 10 février sur Canal+, après s’être félicitée de l’accord Google-AIPG…
L’Australien Nick Leeder, parlant couramment notre langue et diplômé en France de l’Insead (4), a déjà son comité d’accueil à la française… @
 

Les 13 chaînes YouTube ont signé une « exclu » pour 3 ans, avec un revenu garanti la première année

Les contrats de YouTube France avec les 13 chaînes, presque toutes lancées depuis octobre 2012, sont confidentiels. Mais, selon nos informations, ils portent sur trois ans avec une exclusivité mondiale pour la filiale de Google et un minimum garanti de revenu aux ayants droits la première année.

Ils sont en fait onze éditeurs à avoir signé fin 2012 avec YouTube France pour lancer treize chaînes « originales », AuFeminin du groupe Axel Springer et le producteur indépendant Troisième Oeil ayant chacun lancé deux chaînes (voir notre tableau ci-dessous).
Ces onze ayants droits ont signé un contrat sur trois ans avec l’exclusivité mondiale
– sur tous supports – accordée à YouTube et avec l’assurance pour les éditeurs de percevoir un minimum garanti la première année, sur un budget total de quelques centaines de milliers d’euros consenti comme avance sur recettes.

12 des 13 chaînes YouTube France ont été lancées
Les reversements aux éditeurs de chaînes sont calculés sur un partage des revenus publicitaires, selon une clé de répartition tenue secrète et établie en fonction du nombre
de vidéos visionnées et du taux de publicités vidéo cliquées.
« C’est un partage de la valeur équilibré entre la chaîne et YouTube », assure Virginie Courtieu, directrice des partenariats de la filiale française (en charge de la stratégie concernant les contenus et des partenariats locaux), intervenue le 15 février dernier devant la commission TV connectée du Groupement des éditeurs de services en
ligne (Geste).

Entre 0,50 euro et 2 euros les 1.000 vues
Les reversements aux éditeurs de chaînes sont calculés sur un partage des revenus publicitaires, selon une clé de répartition tenue secrète et établie en fonction du nombre
de vidéos visionnées et du taux de publicités vidéo cliquées. « C’est un partage de la valeur équilibré entre la chaîne et YouTube », assure Virginie Courtieu, directrice des partenariats de la filiale française (en charge de la stratégie concernant les contenus
et des partenariats locaux), intervenue le 15 février dernier devant la commission TV connectée du Groupement des éditeurs de services en ligne (Geste). Mais l’on sait par ailleurs que la plateforme de partage vidéo de Google rémunère les éditeurs de vidéos ou de chaînes entre 0,50 euro et 2 euros les 1.000 vues, ou RPM (1), et selon le nombre de clics enregistrés sur les vidéos publicitaires (2). Encore faut-il faire de l’audience. Or, à ce stade, force est de constater que les 12 chaînes originales YouTube actuellement disponibles en France sur les 13 – Euronews Knowledge devrait l’être « avant le printemps », nous indique-t-on – comptent encore seulement quelques milliers d’abonnés (non payants) pour des nombres de vues encore modestes. La meilleure performance revient à la chaîne Studio Bagel de Black Dynamite, avec 188.598 abonnés (relevé le 21 fév. par EM@) pour près de 13 millions de vidéos vues. Si la chaîne « X-Treme Video » produite par la société du même nom arrive en seconde position avec 138.597 abonnés, elle caracole en tête avec plus de 203 millions de vues. Virginie Courtieu a indiqué que YouTube en France enregistre par mois 30 millions de visiteurs uniques et 25 milliards de vidéos vues, dont 25 % à partir des mobiles (smartphones et tablettes).
Lancer une chaîne sur YouTube est-il alors viable économiquement ? « Aujourd’hui, il n’y a pas de business model », dit clairement Claire Leproust, directrice des développements numériques du groupe Capa et de la chaîne Rendezvous à Paris (3), laquelle vient de dépasser les 10.000 abonnés pour quelques 779.614 vues. En devenant pour la première fois éditeur de chaîne sur la sollicitation de YouTube (qui plus est dans le divertissement et non dans son journalisme habituel), Capa reste sur sa faim : « On n’est pas encore satisfait de l’audience », reconnaît Claire Leproust qui espère cependant dépasser le million de vues courant février. La question de la monétisation des chaînes YouTube se pose d’autant plus que les chaînes se sont engagées auprès de YouTube à produire au moins trente heures par an. Ce qui est beaucoup, à raison de courtes vidéos originales de 3 à 7 minutes qui coûtent pour Capa « entre 800 et 3.500 euros » chacune. Le contrat triennal exclusif avec YouTube n’empêche pas l’éditeur de la chaîne originale d’aller cherche des financements complémentaires comme auprès du « web Cosip », le fond de soutien aux productions financées par une plateforme Internet mais sans diffuseur télévisé. Ce dispositif, géré par le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC), existe depuis maintenant près de deux ans (4). @

Charles de Laubier