Le Monde et la presse française se préparent à un exercice 2014 à haut risque, sur fond de consolidation

Le premier quotidien national fête cette année ses 70 ans. Mais Le Monde, comme l’ensemble de la presse française, est remis en question par les géants de l’Internet et par une chute « violente » de ses recettes publicitaires. Son président, Louis Dreyfus, s’interroge sur son avenir papier-numérique.

Louis Dreyfus-bisL’année 2013 aura été une annus horribilis pour la presse française : recul des ventes de journaux, chute des recettes publicitaires, pertes financières, suppression d’emplois, grèves à répétition, monétisation difficile du numérique, …
Rien que la chute de 7,1 % des ventes de quotidiens nationaux en kiosque sur la majeure partie de l’année 2013 a jeté un froid avant un hiver glacial en diffusion et publicité (1).
« Depuis octobre, on voit sur l’ensemble du marché de la presse une baisse forte, brutale, des recettes publicitaires. Il y a un refroidissement très net de la tendance. C’est une baisse à un chiffre mais importante en moyenne », s’est inquiété mi-décembre Louis Dreyfus (photo), président du directoire du Monde, devant l’Association des journalistes médias (AJM).

« La presse vit un crash industriel. C’est la sidérurgie des années 1980 »
Et 2014 ne se présente pas sous les meilleurs auspices, d’autant que les débuts d’année sont traditionnellement des périodes de vaches maigres pour la presse en matière de publicité. « Ce qui est en train de se passer dans la presse va forcer à une consolidation », a-t-il ajouté (2).
Le Monde, premier quotidien national, est à cet égard emblématique et illustre bien les doutes et interrogations qui taraudent la presse française en général face à ce énième « trou d’air » dû aux « à-coups très violents » du marché publicitaire.
« La presse vit un crash industriel. C’est la sidérurgie des années 1980 », a même osé lancer de son côté Arnaud Montebourg, le ministre du Redressement productif, le 9 janvier dernier.

A l’ère du digital, le papier peut encore sauver les meubles
Après une perte nette d’environ 2 millions d’euros en 2013, aggravée par rapport à
1,1 million de déficit net enregistré en 2012, le patron du groupe Le Monde – dont le quotidien perçoit près de 20 millions d’euros d’aides d’Etat par an – ne désespère pas pour autant. « On prévoit un retour à l’équilibre en 2014 », a-t-il assuré. Mais, en creux,
il y a tout de même péril en la demeure. Sur les 110 millions d’euros que le trio formé par Pierre Bergé, Xavier Niel et Matthieu Pigasse s’étaient engagés à injecter dans Le Monde, en échange de la prise de contrôle du groupe en novembre 2010, plus de la moitié a déjà été consommée à ce jour. Il ne reste donc plus qu’une cinquantaine de millions d’euros disponibles, dont une partie devrait aller au financement de la restructuration de l’imprimerie du Monde à Evry, déficitaire et en grande difficulté. Paradoxalement, en pleine révolution numérique, c’est le journal papier qui peut encore sauver les meubles mais en prenant un premier grand risque : la hausse du prix de vente de la version imprimée du quotidien Le Monde, passée à 2 euros (contre 1,80 euro) depuis le 4 janvier dernier, et même à 3,80 euros (au lieu de 3,50 euros) pour le quotidien du week-end flanqué de son magazine M très apprécié des médias-planneurs.

Hausse des tarifs mais baisse du lectorat
Mais cette augmentation tarifaire, à laquelle se sont résolus d’autres quotidiens nationaux en mal d’argent frais (Le Parisien, Libération, Les Echos, …), n’ira pas dans le sens d’une progression de la diffusion de la presse en France – bien au contraire.
« On ne considère pas que l’on aura plus de lecteurs en augmentant le prix, mais cette hausse est inéluctable », a reconnu le patron du groupe Le Monde devant l’AJM.
Cette hausse, qui semble tenir d’une fuite en avant, touche aussi l’édition numérique du Monde, passant de 1,79 euro à 2 euros à partir de mi-janvier pour les ventes à l’acte, tandis que l’abonnement digital à 15 euros par mois passe à 17,90 euros sur lemonde.fr, et de 17,99 euros à 19,99 euros sur le kiosque d’Apple où il est présent depuis novembre dernier (3). Et ce, conformément à ce qu’a décidé le conseil de surveillance du groupe le 17 décembre. Pour l’heure, Le Monde vend moins de 280.000 exemplaires en moyenne par jour, en baisse de près de 5 %, dont 126.500 abonnés à l’édition digitale – parmi ces derniers, 56.500 l’étant uniquement en numérique. « Nous avons fixé un objectif de 200.000 abonnés numériques à deux ou trois ans », a rappelé Louis Dreyfus, qui ne semble pas craindre un ralentissement des ventes numérique sur l’abonnement nettement plus cher. Il prévoit en tout cas de lancer en avril prochain un autre journal tactile payant qui sera disponible en fin de journée (à partir de 18 heures) – en plus de l’édition payante de 14 heures.
En revanche, il ne parle pas d’objectif pour le papier… Et pour cause. Cette surenchère tarifaire va à l’encontre de ce principe démocratique selon lequel la presse imprimée devrait être accessible au plus grand nombre. En France, cette idée devient-elle un vœu pieux en ce nouvel an ? Cette inflation accentue une dichotomie confuse entre le gratuit et le payant, qui frappe la presse face à l’Internet. De ce point de vue, Le Monde et ses confrères ne savent plus bien à quel saint se vouer. Plus d’une décennie après avoir ouvert la boîte de Pandore du gratuit sur Internet (4), les quotidiens se livrent
– en déversant une quantité de leurs articles rendus accessibles librement auprès des internautes et mobinautes – à une course à l’échalote avec la multitude de sites web gratuits couvrant l’actualité. Aujourd’hui, les éditeurs s’en mordent les doigts et Louis Dreyfus en convient : il y a un vrai problème. « La question est plutôt de savoir comment on organise notre offre, payant sur le papier, gratuite et payante sur le web. (…) On a besoin d’avoir une offre gratuite, mais il faudra que l’on précise notre offre payante pour que la différence entre le gratuit et le payant soit plus évidente ».
Car c’est là que le bât blesse. Tant que la presse ne limitera pas la gratuité à l’information factuelle – par ailleurs disponible librement et massivement sur Internet et les mobiles –
et qu’elle n’étendra pas le payant à tous les articles à valeur ajouté (décryptage, analyse, enquêtes, interview, …), elle prendra un second grand risque, celui de dévaloriser son fond de commerce éditorial. « De manière générale, on a un modèle freemium sur le numérique : il y a du gratuit et du payant. Le gratuit ne peut pas être du payant en moins bien ! Car on a vocation à élargir l’audience de notre site web. Il faut que le payant soit compréhensible pour les internautes. Chaque fois que l’on créera des produits spécifiques payants, cela nous aidera à préciser la promesse éditoriale », a expliqué Louis Dreyfus. Cette quadrature du cercle – pour ne pas dire quadrature du Net – n’est pas impossible, à condition qu’il y ait une profonde remise en question éditoriale des éditeurs dans leur façon de proposer l’information. Publier le lendemain dans l’édition papier vendue 2 euros de l’actualité factuelle qui a été très largement divulguée gratuitement la veille sur l’Internet mondial, sur les « Google News » et via les dépêches d’agences de presse (AFP, Reuters, AP, Bloomberg, …) de plus en plus visibles librement sur tous les terminaux (5), ce n’est plus possible !
Troisième grand risque pris par la presse : celui d’une frontière plus poreuse entre la partie éditoriale et la partie publicité, aussi bien sur papier qu’en numérique, au risque de malmener la déontologie journalistique.

Des articles financés par les annonceurs…
L’année 2014 s’annonce en effet pour la presse comme étant celle du publi-information, appelé aussi « Native Advertising » pour désigner ces articles sponsorisés par des annonceurs. « Il y a une demande forte des annonceurs pour que l’on imagine de nouveaux formats. En même temps, nous sommes très vigilant sur la distinction entre ce qui est produit par la rédaction et ce qui ne l’est pas. Cela doit être clair », a voulu rassurer Louis Dreyfus, précisant que Le Monde pratique déjà cela sur mobile et sur son site web. Espérons que les lecteurs, eux, n’auront pas l’impression que leurs journaux y perdent leur âme. @

Charles de Laubier

La 2e bulle Internet éclatera-t-elle en février 2014 ?

En fait. Du 10 au 12 décembre derniers s’est tenue la 10e édition parisienne de
la conférence LeWeb (ex- Les coulisses des blogs), créée par Loïc et Géraldine
Le Meur et rachetée il y a un an par le groupe anglo-néerlandais Reed Midem.
Les start-up du Net y ont été portées au pinacle : avant l’éclatement de la bulle ?

Le débat sur la fiscalité du numérique s’européanise enfin face aux GAFA transfrontaliers

Alors que la France souhaiterait revoir les règles fiscales en vigueur afin de soumettre à l’impôt les acteurs du numérique, les GAFA, qui réalisent des profits en Europe, cette dernière étudie la façon de mettre en place une telle politique et circonscrire une évasion fiscale massive.

L’Arcep ne comprend pas du tout le coup de blues des opérateurs télécoms européens

A grand renfort d’études (ADL, Greenwich, Roland Berger, Idate, …), les opérateurs télécoms ne cessent de se plaindre sur leur sort en Europe : déclin des revenus, moindre marge, sur-fiscalité, surréglementation face aux géants du Net ou sur-concurrence. Mais nouveauté : l’Arcep les contredit.

Par Charles de Laubier

JLSLa Fédération française des télécoms (FFTélécoms), qui représente la plupart des opérateurs de l’Hexagone hormis Free et Numericable, a de nouveau dénoncé le 28 novembre dernier « de très fortes pressions » auxquelles sont soumis ses membres – Orange, SFR et Bouygues Telecom en tête – en s’appuyant sur une troisième étude d’Arthur D. Little (ADL) sur l’économie
du secteur. Leur message est amplifié auprès de la Commission européenne en pleine révision du « Paquet télécom » (1).

Investissement record et historique
Mais lors du DigiWorld Summit à Montpellier, en réponse à Yves Gassot, directeur général de l’Idate sur « les difficultés que rencontrent les opérateurs télécoms en Europe », le président de l’Arcep, Jean-Ludovic Silicani (photo), avait déjà pris le contre-pied de ce discours dominant : « Je vais peut-être vous étonner mais le secteur des télécoms en Europe, en tout cas en France, est en très forte croissance de 6 % par an en volume. C’est le secteur économique qui croît le plus vite, et de très très loin. Il n’y a aucun secteur économique ayant une telle croissance – en volume ».
C’est le secteur économique qui croît le plus vite, et de très très loin. Il n’y a aucun secteur économique ayant une telle croissance – en volume ». En valeur cette fois, le chiffre d’affaires des opérateurs télécoms baisse effectivement dans toute l’Europe (2), mais le régulateur estime que c’est parce que les prix baissent plus vite que les volumes ne s’accroissent. « Mais ce n’est pas une récession car il n’y a pas de baisse de volume. (…) Si les marges ont aussi baissé, elles demeurent quand même importantes. Il y a beaucoup de secteurs dans l’économie qui seraient heureux d’avoir autour de 30 % de marge brut comme pour le secteur des télécoms », a relativisé Jean- Ludovic Silicani,
en rappelant que l’Arcep s’assure que le niveau de marge des opérateurs télécoms leur permettent d’investir pour moderniser les réseaux existants et pour déployer le très haut débit fixe et mobile. « Or, contrairement à ce l’on peut entendre ou lire, le niveau de l’investissement n’a pas baissé en France, mais augmenté pour atteindre un niveau historique record en 2012 de 8 milliards d’euros d’investissements physiques (3). C’est le niveau le plus élevé jamais atteint depuis toujours. C’est historique ! Et au 1er semestre 2013, l’investissement se maintient à un niveau record (4)», a-t-il souligné comme pour tordre le cou aux idées reçues. Face à la sinistrose et aux lamentos des opérateurs télécoms, l’Arcep appelle au contraire à se réjouir de leurs investissements. « Cela veut dire qu’ils ont confiance dans l’avenir. Car ils n’investissent pas pour faire plaisir au gouvernement ou au régulateur ! », a ironisé Jean-Ludovic Silicani.

Amené par Yves Gassot sur « le gap relativement significatif entre le taux d’investissement des grands opérateurs mobile nord-américains et celui constaté en Europe », là aussi le président de l’Arcep a contredit son interlocuteur : « Si l’on fait
la comparaison entre les Etats-Unis et l’Europe, il faut la faire mais bien. Il y avait aux Etats-Unis un retard dans la 3G, qui n’a pas eu le succès qu’elle a eu en Europe, et dans les réseaux haut débit fixe aussi. La situation des Etats-Unis a été de rattraper pour finalement sauter en quelque sorte l’étape de la 3G pour passer de la 2G à la 4G. Cette étape de rattrapage a forcément impliqué un investissement extrêmement important.
Mais si l’on regarde non pas sur deux ou trois ans mais sur dix ans, le niveau global des investissements aux Etats-Unis est strictement identique en France et aux Etats-Unis », at- il nuancé. L’Arcep s’est félicité au passage d’avoir « lâché un lièvre » (dixit) dans la 4G – à savoir Bouygues Telecom (5). Et pour le haut débit fixe d’ajouter : « Est-ce que l’on a envie en Europe d’avoir une offre triple play non plus à 35 euros mais à 70 ou 80 euros ? Est-ce que nous avons envie d’avoir des offres mobile une fois et demie ou deux fois plus chères à qualité égale, faute d’une concurrence suffisante ? Je ne suis pas sûr que cela soit le vœu ni des utilisateurs ni des pouvoirs publics… ». Aux Etats-Unis, la forte concentration du marché télécoms a conduit à détruire plus de 600.000 emplois en dix ans. En Europe, l’Arcep estime qu’il peut y avoir un juste milieu en matière de concurrence des opérateurs télécoms mais en réfutant l’idée qu’il puisse y avoir « un nombre d’or ».

Télécoms : l’Europe a déjà ses « champions »
« Et quand on dit et on répète que l’on aurait des opérateurs nains en Europe et des opérateurs géants aux Etats-Unis, les faits sont faux. A l’heure où nous parlons, les quatre principaux opérateurs européens – Vodafone, Orange, Telefonica et Deutsche Telekom – ont à eux quatre 65 % du marché en Europe. C’est seulement 10 % de moins que les quatre principaux opérateurs télécoms américains. Et Vodafone et Orange ont plus d’abonnés que AT&T et Verizon ! », a-t-il conclu. L’Europe des télécoms a déjà ses
« champions ». @

Charles de Laubier

Un droit à l’oubli universel applicable à l’Internet mondial semble hors de portée

Il existe plusieurs aspects du droit à l’oubli où les Américains et les Européens pourraient s’entendre, notamment sur l’obligation des plates-formes numériques d’effacer des données personnelles. Mais les différences législatives et culturelles rendent un droit à l’oubli universel illusoire.