La filière du livre en Europe s’acharne contre Amazon

En fait. Du 8 au 12 octobre, s’est déroulée la 65e édition du salon international du livre de Francfort – la Frankfurt Book Fair, organisé par l’association allemande des éditeurs et des libraires. « Amazon Publishing » était présent dans deux halls. Le géant du e-commerce est toujours montré du doigt.

En clair. Que cela soit au Salon du livre de Paris (en mars) ou au Salon du livre de Francfort (en octobre), Amazon fait désormais figure de loup dans la bergerie. Aux Etats-Unis, en revanche, le géant du e-commerce est perçu comme un levier de croissance pour le marché du livre – qu’il soit imprimé ou numérique. Sur le Vieux Continent, Amazon est attaqué sur plusieurs fronts. La fédération européenne et internationale des libraires, la EIBF (European and International Booksellers Federation), a demandé à la Commission européenne qu’une enquête soit lancée sur
le « monopole présumé » de la société que Jeff Bezos (50 ans cette année) – l’actuel PDG – a fondée il y a vingt ans maintenant. La requête est actuellement entre les mains de Destina Spanou, en charge des consommateurs au sein de la DG Consommation de l’exécutif européen. Elle complète une enquête européenne de
la DG Concurrence sur les pratiques du géant du e-commerce.

Derrière le bras de fer Amazon-Hachette, le livre numérique remet en cause le prix unique

Amazon bouscule le monde de l’édition et la politique du prix unique du livre en voulant vendre moins chers les ebooks par rapport à leurs équivalents imprimés. Des éditeurs et des auteurs se rebiffent. La France monte au créneau. Pourtant, les lecteurs veulent des ebooks plus abordables.

Après la musique et le cinéma, le livre est confronté à la concurrence – voire à la cannibalisation – de ses versions physiques par leurs équivalents dématérialisées.
Le livre imprimé ne sortira à son tour pas indemne de cette révolution numérique, à l’instar des CD ou des DVD pour la musique et la vidéo. C’est inéluctable : les ventes de livres « papier » vont être appelées à décliner au profit des ebooks. Cette dématérialisation induit une désintermédiation qui, là aussi, immanquablement, aura
un effet sur la baisse des prix au profit des consommateurs, étant donné que les coûts d’édition papier, de stockage et de distribution n’existent plus.

Casser les prix des ebooks
C’est sur ces bases qu’Amazon milite en faveur de la baisse des prix des livres numériques, pour les vendre pas plus de 9,99 dollars contre par exemple 12,99 à
19,99 dollars exigés par la filiale américaine Hachette Book Group (HBG) de Lagardère – avec laquelle il est en conflit sur cette question depuis le printemps dernier.
La Commission européenne a annoncé début juin qu’elle examinait ce contentieux, tandis que la France – pays de la « loi Lang » du 10 août 1981 instaurant le « prix du livre » – tire à boulet rouge sur le géant américain du e-commerce.
Aurélie Filippetti, alors ministre de la Culture et de la Communication, avait dénoncé – dans un entretien au Monde publiée le 12 août dernier – les « pratiques inqualifiables et anticoncurrentielles » du groupe Amazon. « C’est un abus de position dominante et
une atteinte inacceptable contre l’accès aux livres. Amazon porte atteinte à la diversité littéraire et éditoriale », a-t-elle insisté. C’était deux jours après qu’aux Etats-Unis, dans une tribune publicitaire publié en pleine page dans le New-York Times daté du 10 août, près d’un millier d’auteurs réunis au sein de l’organisation Authors United (1), aient dénoncé les pratiques d’Amazon envers Hachette. Sous la forme d’une « lettre à nos lecteurs », ils s’insurgent contre les discriminations dont ferait l’objet la filiale américaine de Lagardère : « Boycott des auteurs d’Hachette, refus de tarifs réduits, livraisons ralenties, incitation à préférer d’autres auteurs que ceux d’Hachette » (2). Ce fut la réponse du berger à la bergère, Amazon ayant la veille lancé Readers United (3).
Le 18 août, ce fut au tour de plus d’un millier d’auteurs en Allemagne de lancer une pétition contre Amazon (4). Aurélie Filippetti s’était défendue de venir spécifiquement au secours du français Lagardère contre l’américain Amazon. « Les auteurs qui ont signé la tribune [dans le New York Times] ne sont pas tous publiés par Hachette, ils ont simplement conscience de l’intérêt général. Pour ma part, je défends l’écosystème du livre en entier, pas un acteur en particulier », avait-elle précisé.
Ce n’était pas la première fois que l’ex-ministre de la Culture et de la Communication s’en prennait au géant du e-commerce. Dans un entretien au Républicain Lorrain daté du 30 juin 2013, elle avait déclaré : « Je ne cesserai jamais de m’insurger contre ces pratiques [il est alors question de dumping fiscal, ndlr] parce qu’elles sont destructrices d’emploi, destructrices de culture, destructrices de lien social, parce que faire mourir les petites librairies dans les centres-villes, c’est une catastrophe ».

Reste que la question de prix réduits pour les livres numériques par rapport à leurs équivalents papier va continuer de se poser. Pourquoi acheter un ebook à prix unique élevé, alors que son prix de revient est bien moindre que pour l’édition imprimée ?
« Le public attend clairement une différence de prix de l’ordre de 40 % ou 50 % »,
a expliqué le Centre d’analyse stratégique (5) du Premier ministre, dans une étude publiée en mars 2012 (6). En France, les éditeurs ont obtenu la TVA réduite pour les livres numériques (7) et prétendent appliquer des rabais suffisants sur ces ebooks de l’ordre de 20 %. En toile de fond, c’est la loi de 1981 – il y a 33 ans ! – qui pose problème. Yves Michaud, philosophe, déclarait dans Marianne le 20 décembre dernier : « Le prix unique du livre est un archaïsme (…) à l’époque d’Internet et des tablettes ». Interdire tout discount de plus de 5 % sur les livres, y compris numérique depuis la loi du 26 mai 2011, a-t-il encore un sens aujourd’hui, à l’heure des Internet Natives ? Les pratiques émergentes de streaming, d’abonnement en ligne et d’offres illimitées à des ebooks (Kindle Unlimited lancé en juillet, Izneo, Youboox, …) ne remettent-elles pas ces rigidités tarifaires ? Sans doute.

Combat d’arrière-garde Pour l’heure, la France semble s’être installée dans un combat d’arrière-garde. Le gouvernement a fait voter au Sénat le 26 juin dernier une loi dite
« anti-Amazon » (8) qui interdit à ce dernier de cumuler la réduction de 5 % sur les
prix uniques des livres papier avec la gratuité des frais de port. Du coup, Amazon facture 1 ct d’euro l’envoi ! @

Charles de Laubier

Pour la première fois, la consommation d’ebooks croit

En fait. Le 4 août, l’Hadopi a publié la 5e vague du baromètre – réalisé par l’Ifop – des « usages » licites ou non de biens culturels sur Internet. Pour la première fois, la consommation déclarée de livres sur Internet est en progression. De plus, les ebooks donnent davantage lieu à un acte d’achat.

En clair. La consommation en France de livres numériques commence enfin à entrer dans les mœurs, d’après les déclarations des internautes interrogés par l’Ifop pour l’Hadopi. Il s’agit même du seul bien culturel en ligne à vraiment progresser.
Et comparé aux autres biens culturels (musiques, films, vidéos, séries TV, photos),
les livres dématérialisés donnent (avec les jeux vidéo) davantage lieu à un acte d’achat. Mais 57 % disent avoir déjà piraté un ebook… Rappelons que selon le SNE (1), les ebooks ont représenté en France 4,1 % des ventes de livres en 2013 pour un chiffre d’affaires de 105,3 millions d’euros (+ 28,6 %). @

Piratage de livres numériques : le Syndicat national de l’édition (SNE) passe à l’action

Le SNE, qui regroupe 660 maisons d’éditions, tenait son assemblée générale le 26 juin dernier. S’il détaille bien deux solutions « mutualisées » pour déjouer la contrefaçon numérique des livres, le syndicat est en revanche très discret sur l’action au pénal depuis 2012 contre le site Team AlexandriZ.

Par Charles de Laubier

Isabelle Ramond-Bailly

Isabelle Ramond-Bailly, SNE et Editis

Le SNE reste toujours actif dans sa lutte contre le piratage, avec
le suivi de ce procès au long cours au pénal contre un site de téléchargement illicite [Team AlexandriZ, ndlr] et le déploiement
de l’offre Hologram Industries », a indiqué Isabelle Ramond-Bailly (photo), présidente de la commission Juridique du Syndicat national de l’édition (SNE) et directrice déléguée d’Editis en charge des Affaires juridiques.
Sollicitée par Edition Multimédi@ pour en savoir plus sur l’état d’avancement de l’action intentée au pénal en novembre 2012 par le SNE et six grands éditeurs français – selon nos informations, Hachette, Editis, Gallimard, Albin Michel, La Martinière et Actes Sud – contre le site web Team AlexandriZ accusé de contrefaçon numérique de livres, Isabelle Ramond-Bailly nous a opposé le secret de l’instruction pénale (1).

Malgré la loi anti-Amazon, Amazon s’impose au livre

En fait. Le 26 juin, le Syndicat national de l’édition (SNE) a – pour une fois –
tenu son AG annuelle dans l’hôtel particulier de Massa, lequel fut donné à l’Etat en 1928 à condition d’héberger la Société des gens de lettres (SGDL)…
Le Syndicat de la librairie française (SLF) y est aussi. Pas encore Amazon !

En clair. Les éditeurs, les auteurs et les libraires se serrent les coudes face à la
vague du numérique qui s’apprête à déferler en France tel un tsunami sur le monde
de l’édition de livre. Le Parlement était de la partie : le matin même de l’assemblée générale du SNE, les sénateurs adoptaient – après les députés en février – la loi pour
« encadrer les conditions de la vente à distance des livres », loi surnommée « anti-Amazon ». Ce texte, modifiant la loi de 1981 sur le prix unique du livre, interdit désormais le géant du e-commerce – mais aussi les sites web des libraires – de vendre des livres imprimés avec à la fois la réduction de 5 % sur le prix unique et la gratuité des frais de port. Le SLF et le SNE s’en sont félicités. Pour Amazon, qui perd un avantage concurrentiel, c’est un coup dur. Pas sûr que cela améliore ses relations
avec le monde traditionnel de l’édition. La firme de Seattle a déjà maille à partir avec Hachette Livre (Lagardère) sur, cette fois, les prix des livres numériques. Au point que la Commission européenne se penche sur ce différend (1).