Ebooks : Hachette, Editis, Madrigall et Média Participations passent à l’offensive face à Amazon, Apple et Adobe

Les quatre premiers groupes français de l’édition s’associent au sein de l’association EDRLab – présidée par Pierre Danet, bras droit « numérique » du PDG d’Hachette Livre, Arnaud Nourry – pour tenter d’imposer le standard ouvert ePub de livres numériques, face aux systèmes verrouillés d’Amazon, d’Apple et d’Adobe.

Le premier éditeur français Hachette Livre, partie intégrante du troisième groupe mondial de l’édition – Lagardère Publishing – présidé par Arnaud Nourry (photo), est la tête de file des cofondateurs et cofinanceurs d’une nouvelle association d’envergure européenne baptisée EDRLab (European Digital Reading Lab), créée l’été dernier et tout juste installée à Paris. Présidée par Pierre Danet, qui reporte directement à Arnaud Nourry en tant que directeur de l’innovation numérique d’Hachette Livre, cette association a pour mission de développer des logiciels libres (open source), permettant une interopérabilité totale des livres numériques fonctionnant sous le standard ouvert ePub 3, quel que soit le terminal utilisé par l’utilisateur et lecteur : smartphone, tablette, ordinateur, liseuse, … Il ne s’agit ni plus ni moins que de s’attaquer aux deux géants mondiaux du livre numérique que sont Amazon et Apple, ainsi qu’à Adobe, dont les systèmes respectifs de ebooks fermés et verrouillés, sont non-interopérables. Outre Hachette Livre, l’association EDRLab – à but non lucratif – compte parmi ses membres fondateurs les trois autres plus grands éditeurs français : Editis (La Découverte, Le Cherche Midi, Xo Editions, …), Madrigall (Gallimard, Flammarion, Casterman, …) et Media Participations (Dargaud, Dupuis, Le Lombard, Fleurus, …).

EDRLab : initiative française sous tutelle américaine
En plus de ces quatre groupes français de maisons d’édition traditionnelles, il y a aussi dans les fondateurs présents au « conseil d’administration » d’EDRLab le Syndicat national de l’édition (SNE), lequel représente 650 membres actifs en France, le syndicat Cercle de la Librairie (CL) et le Centre national du livre (CNL), ainsi que le ministère de la Culture et de la Communication, avec le soutien d’Axelle Lemaire, secrétaire d’Etat au Numérique. A cela s’ajoute le pôle compétitivité d’Ile-de-France, Cap Digital, qui héberge les bureaux nouvellement installés d’EDRLab et l’aide dans son financement auprès des pouvoirs publics. Pierre Danet est d’ailleurs aussi vice-président de Cap Digital (1). Ensemble, ces cofondateurs publics-privés ont injecté pas moins de 1,3 million d’euros dans l’association, officiellement déclarée au J.O. du 29 août 2015, pour qu’elle puisse accélérer ses développements logiciels en étroite collaboration avec deux organisations américaines dont elle dépend étroitement.

Budget initial de 1,3 million d’euros
Il s’agit d’une part de l’International Digital Publishing Forum (IDPF), qui a établi le format standard ouvert ePub (electronic publication) et ses évolutions pour le livre numérique, et d’autre part de la fondation Readium, qui, en tant qu’émanation de l’IDPF (2), a en charge de mettre à disposition des kits de développement logiciel – ou SDK (3) – pour accélérer l’adoption de ce standard ouvert pour ebooks sur l’ensemble des plateformes numériques du monde entier. Le format ePub permet ainsi de lire des livres numériques quel que soit l’appareil de lecture utilisé (sous Android, Windows, iOS, OSx ou Web), sans verrouillages ni restrictions, en toute interopérabilité. L’EDRLab, qui est ainsi sous double tutelle de l’IDPF (basé à Seattle, Etat de Washington) et de Readium (domicilié à Wilmington, Etat du Delaware), compte dans son conseil d’administration deux représentantes à la fois d’IDPF et de Readium : Cristina Mussinelli, experte du
« SNE » italien auprès du gouvernement italien, et Bente Franck- Sætervoll, directrice de Bokbasen en Norvège. Pour être membre d’EDRLab, il faut être membre d’IDPF ou de Readium. « Nous sommes l’état major d’IDPF et de Readium en Europe. Et une force de frappe qui va être significative pour l’open sourceautour de la lecture numérique », a assuré Pierre Danet, lors des 15es Assises du livre numérique organisées le 13 novembre dernier par le SNE, où fut présenté à cette occasion Laurent Le Meur fraîchement recruté fin octobre comme directeur technique d’EDRLab. Venu de la plateforme de VOD UniversCiné, ancien d’Allociné et du Medialab de l’AFP, il va « créer une petite équipe de développeurs – une sorte de commando [sic, ndlr] – pour accélérer le développement des logiciels Readium, sorte de ‘’moteurs de lecture’’ qui ne sont pas des logiciels de lecture complets de type ereader, mais plutôt leur ‘’réacteur’’ permettant de lire ces ebooks au format ePub 3 et de développer
facilement. ». Ces logiciels open source sont basés sur le principe du copyleft (4).

En ligne de mire : les systèmes dits « propriétaires » d’Amazon et d’Apple, respectivement AZW (ou mobi) et iOS, incompatibles entre eux mais aussi avec Android de Google et vice versa. Face à ces systèmes fermés (walled gardens) d’acteurs du Net dominants, il s’agit d’opposer le format ePub 3, dont la version 3.0.1 actuellement en vigueur a été mise au point en juin 2014 et s’appuie sur le langage HTML5 du World Wide Web Consortium (W3C) – en attendant l’ePub 3.1 pour l’an prochain (5). « La validation de l’ePub 3.1 devrait avoir lieu vers octobre 2016. Un ou plusieurs drafts sont prévus d’ici là », indique Laurent Le Meur à Edition Multimédi@. En matière de protection, via le chiffrement des livres numériques, il s’agit aussi de s’émanciper des carcans imposés par les géants du Net. « Il faut sortir de cette logique des silos que l’on connaît aujourd’hui avec Amazon et Apple, et doter les logiciels Readium du système de protection LCP (Lightweight Content Protection) qui est
une alternative plus légère d’emploi par rapport à la solution DRM (Digital Rights Management) d’Adobe. Nous devons nous mettre en ordre de bataille pour pouvoir certifier des solutions de protection LCP développées par d’autres, et assurer l’interopérabilité de ces solutions de DRM pour que tous les types de logiciels compatibles LCP puissent le lire un livre numérique », a prévenu Laurent Le Meur. Objectif : ne plus être obligé de s’inscrire auprès d’une société précise (Amazon,
Apple, Adobe, …), ni de devoir être en ligne pour débloquer son livre numérique,
et de pouvoir le lire sur un nombre illimité d’appareils.
Le standard ePub 3.0 et les logiciels Readium apporteront même la possibilité aux maisons d’édition d’intégrer dans les livres numériques des enrichissements interactifs et multimédias tels que les vidéos, les animations, les fenêtres pop-up pour les notes, ou encore des fonctionnalités pour les personnes handicapées visuelles. Plus nombreuses seront les plateformes numériques à l’adopter, plus rentables seront les développements de ces ebooks enrichis. Ainsi l’ePub 3 pourrait donner un coup de vieux aux « livres noirs » digitaux (ceux édités en texte noir sur blanc uniquement), encore dominants.

Premier « ePub Summit » à Paris en avril 2016
Fort de ses soutiens publics-privés en France et de l’intérêt que lui porte la Commission européenne dans le cadre de son Agenda numérique, lequel vise notamment à favoriser l’interopérabilité et l’accessibilité des contenus digitaux (6), l’EDRLab vient
de se voir confier par l’IDPF et Readium l’organisation à Paris en avril 2016 – pour la première fois dans le monde – de la toute première édition d’un « ePub Summit ».
C’est Pierre Danet qui l’a révélé lors des Assises du livre numérique, tout en précisant que « l’EDRLab a établi un business plan sur trois ans, avec pour objectif de passer d’un financement public à un financement privé par les services du laboratoire ».
Et d’ajouter : « C’est le challenge pour 2018. Il y aura trois sources de revenu : la certification pour les implémentations de LCP ou de toute technologie, la formation,
et les événements ». Cette offensive des grands éditeurs français pourrait faire décoller le livre numérique en France, qui pèse encore seulement 6,4 % des ventes totales de l’édition en 2014 – soit 161,4 millions d’euros. @

Charles de Laubier

Maisons d’édition : la peur d’être « amazonisées »

En fait. Du 14 au 18 octobre s’est déroulé la Foire internationale du livre de Francfort. L’ombre d’Amazon, exposant en tant que maison d’édition (Amazon Publishing), a plané sur les éditeurs traditionnels qui préfèrent avoir leur bouc (book ?) émissaire que de se remettre en question face au numérique.

En clair. « L’enquête est en cours », a indiqué la Commission européenne à Edition Multimédi@, sans vouloir faire plus de commentaire, à propos de la procédure formelle d’examen qu’elle a ouverte mi-juin dernier pour savoir si certaines pratiques commerciales d’Amazon en matière de distribution de livres numériques relèvent
d’un abus de position dominante en Europe. Sont notamment dans le collimateur des clauses contractuelles entre Amazon – actuellement le plus grand distributeur de livres numériques en Europe – et certaines maisons d’édition qui obligent ces dernières à
« informer Amazon de l’offre de conditions plus favorables ou différentes à ses concurrents ». Cette pratique commerciale apparaît, aux yeux de Margrethe Vestager, commissaire européenne chargée de la Concurrence, comme « restrictive » dans le sens où ces clauses rendent « plus difficile pour les autres distributeurs de livres numériques de concurrencer Amazon grâce au développement de nouveaux produits et services innovants ». L’enquête se concentre en particulier sur les clauses qui semblent protéger la firme de Jeff Bezos contre la concurrence d’autres distributeurs de livres numériques, telles que celles qui lui octroient le droit d’être informée de toutes conditions différentes, voire plus favorables, accordées à ses concurrents, et/ou le droit de bénéficier de modalités et de conditions analogues à celles qui sont accordées à ses concurrents. S’inspirant de l’action européenne, des écrivains et libraires aux Etats-Unis (1) ont demandé mijuillet au Department of Justice (DoJ) d’ouvrir une enquête similaire. Ce n’est pas la première fois que la Commission européenne s’intéresse de près aux ebooks. En décembre 2011, Apple a été soupçonné de s’être entendu avec cinq éditeurs internationaux – dont Hachette Livres ou Penguin Random House – pour « limiter la concurrence au niveau des prix de détail » des livres numériques. Finalement, les entreprises impliquées se sont engagées à cesser ces agissements. De son côté, Amazon a eu maille à partir en 2014 avec la filiale américaine Hachette Livre sur les conditions de vente en ligne des ebooks. Finalement, les deux groupes avaient trouvé un accord commercial (2). Dans ce contexte de discordes, d’accords et de soupçons autour d’Amazon, les maisons d’édition traditionnelles rechignent à faire évoluer leur modèle économique pour l’adapter à l’économie numérique. @

Les maisons d’édition craignent un coup de frein des ventes de livres numériques si la TVA revenait à 20 %

Ironie de l’histoire, c’est du Français Pierre Moscovici (photo), commissaire européen à la Fiscalité, que dépendra l’issue de l’affaire française de la TVA réduite sur les ebooks. La France échappe pour l’heure à une sanction, en attendant la révision de la directive européenne « TVA » prévue fin 2016.

« L’année prochaine sera une année décisive pour le développement du livre numérique en Europe suite au jugement
de la Cour de Justice de l’Union européenne [CJUE] sur le taux
de TVA applicable au livre numérique. Il sera en effet difficile de maintenir une croissance équivalente si la TVA du livre numérique téléchargeable revient au taux normal », a prévenu Gabriel Zafrani, chargé de mission Affaires économiques au Syndicat national de l’édition (SNE), dont l’assemblée générale s’est tenue le 25 juin.

Incertitude fiscale jusqu’à fin 2016
La CJUE a en effet décidé le 5 mars dernier que l’application par la France (1) d’un taux réduit de TVA aux livres numériques téléchargeables était illégal. Depuis janvier 2012, la France applique l’alignement du taux de TVA pour les livres numériques sur celui du livre papier : 5,5 %. Or, selon la Commission européenne, le livre numérique est un service de téléchargement qui doit donc être assujetti au taux normal de 20 %. La France s’attendait à être condamnée pour infraction au droit communautaire et sera
a priori contrainte de revenir l’an prochain au taux normal de TVA pour les ebooks.
Mais l’exécutif européen a tout de même reconnu qu’il lui fallait, dans le cadre d’une réforme générale de la TVA qu’il dévoilera fin 2016, aligner le taux de TVA des livres numériques. Car, pour l’heure, la directive européenne « TVA » ne permet d’appliquer le taux de TVA réduit qu’aux biens et services cités dans son annexe III, laquelle ne
cite que les livres sur support physique. De plus, la CJUE constate que la législation communautaire exclut explicitement la possibilité d’appliquer un taux réduit de TVA
aux « services fournis par voie électronique » (2). Ce qui est le cas de la vente de livres numériques.

Selon le monde de l’édition française, le retour à une TVA à 20 % au lieu de 5,5 % donnera un sérieux coup de frein au marché du livre numérique dont le démarrage reste déjà lent. « La transition vers le numérique est en cours pour les éditeurs et les incertitudes qui pèsent sur le taux de TVA à appliquer pour les livres numériques téléchargeables mettent tous les acteurs de la filière du livre dans une situation compliquée. (…) L’équilibre financier reste délicat à atteindre pour les éditeurs et la lecture sur support numérique a besoin de conditions favorables pour se développer », a expliqué Gabriel Zafrani. En 2014, le marché de l’édition numérique – tous supports et catégories éditoriales confondus – a généré un chiffre d’affaires de 161,4 millions d’euros, en progression de 53,3 % sur un an. Cela représente, toujours en valeur, 6,4% des ventes de livres des éditeurs. Cette progression a été principalement portée par le marché professionnel qui représente 64 % des ventes en numérique (contre 58 % l’an dernier). Quant à l’édition numérique grand public, elle atteint désormais 2,9 % des ventes de livres (contre 2,3 % l’an dernier). Mais les maisons d’édition françaises peuvent s’estimer épargnées pour l’instant par le verdict de la CJUE : la Commission européenne – qui est souveraine sur ce sujet – a décidé de ne pas poursuivre la France où un changement de TVA pour les livres numériques n’interviendra pas avant le 1er janvier 2016 (loi de Finances 2016). Tandis que la réforme de la TVA sera présentée
fin 2016 par la Commission européenne. « Il est possible que le passage au taux plein de TVA soit suspendu d’ici là », espère le SNE. Ironie de l’histoire, c’est du Français Pierre Moscovici, ancien ministre de l’Economie et des Finances, actuel commissaire européen à la Fiscalité (3), que dépendra l’issue politique de cette épineuse affaire.
La décision doit être prise à l’unanimité par les Etats-membres. Ce n’est pas gagné :
les ministres de la Culture croient plutôt à cet alignement de TVA, alors que les ministres des Finances sont plus réservés.

Les Vingt-huit sont très divisés
« Une dizaine d’Etats demeurent encore opposés à cette réforme : le Royaume-Uni
en particulier, qui craint une remise en cause de son taux zéro sur le livre papier, le Danemark et la Bulgarie qui pratiquent des taux normaux sur le livre papier, mais
aussi l’Estonie, l’Irlande, Malte, la République tchèque, la Slovaquie, la Roumanie et l’Autriche. D’un autre côté, l’Italie a adopté une loi sur le taux réduit de TVA pour les livres physiques et numériques, y compris en ligne (4 % au lieu de 22 %), en vigueur depuis le 1er janvier 2015 », détaille le SNE dans son rapport d’activité 2014-2015 dévoilé lors de son AG. Le syndicat avait lancé en mars dernier une vaste campagne virale baptisée #ThatIsNotABook, afin d’interpeller les instances communautaires et sensibiliser les lecteurs français et européens à la nécessité de préserver un taux de TVA réduit sur le livre numérique. @

Charles de Laubier

Madrigall(Gallimard-Flammarion) adopte la solution anti-piratage de livres numériques d’Hologram Industries

Le groupe d’édition Madrigall, qui réunit Gallimard et Flammarion, vient d’adopter la solution d’empreinte numérique de la société Hologram Industries pour lutter contre le piratage de livres numériques, solution préconisée par le Syndicat national de l’édition (SNE) qui tient son AG annuelle le 25 juin.

Selon nos informations, le troisième groupe d’édition français (1), la holding familiale Madrigall qui chapeaute Gallimard et Flammarion, a finalement opté pour la solution de lutte contre le piratage d’ebooks proposée par le Syndicat national de l’édition (SNE) à ses membres depuis deux ans maintenant (2). Ce service, qui devient enfin effectif, est assuré par la société Hologram Industrie (dans le cadre d’une convention qui lie cette société au SNE) avec le soutien financier de la Société française des intérêts des auteurs de l’écrit (Sofia).

Coût : moins de 1 € par livre
Hologram Industrie repère les œuvres sur Internet et envoie automatiquement des notifications en cascade aux acteurs de la mise en ligne des contenus contrefaisants.
« La technologie d’empreinte numérique utilisée permet de s’assurer que le fichier trouvé est bien une contrefaçon du livre. Ce service contrôle également que le retrait
a bien eu lieu. Chaque éditeur dispose d’un accès individuel et confidentiel à son outil statistique », vient de rappeler le SNE dans la dernière note juridique envoyée à ses membres. En l’adoptant, le groupe Madrigall, que préside Antoine Gallimard (photo), donne le véritable coup d’envoi à l’utilisation de cette solution. « Ces premières souscriptions déclenchent la faculté pour d’autres éditeurs de recourir immédiatement
à un service de notification et retrait automatisé », confirme le syndicat. En effet, l’une des conditions de sa mise en oeuvre est que l’ensemble des engagements des adhérents ayant souscrits au service d’Hologram Industries atteigne au moins un total de 3.990 euros par mois (moyennant 100, 200 ou 300 euros par mois et par éditeur, avec un engagement d’un an) pour des questions d’économie d’échelle. L’adhésion
de Madrigall est décisif pour ce dispositif antipiratage puisque, outre Gallimard et Flammarion, le groupe compte une quinzaine de maisons d’édition dont Denoël, Mercure de France, les éditions Pol, Arthaud, Aubier, Autrement, ainsi que J’ai lu, GF, Fluide Glacial, Père Castor et Casterman. A noter que Gallimard et Flammarion gèrent avec d’autres éditeurs tels que La Martinière et Actes Sud la plateforme de distribution de livres numériques Eden livres. Ce qui pourrait laisser présager d’autres ralliements
à la solution d’Hologram Industrie. Cela n’empêche pas d’autres éditeurs de choisir des solutions alternatives, comme celle de l’américain Attributor retenue par Hachette du groupe Lagardère (premier éditeur français). Avec Madrigall, le SNE peut garantir le déploiement technique de la solution à un coût modéré pour chaque éditeur désireux d’offrir dès à présent à son catalogue une protection contre le téléchargement illicite.
La Sofia soutient cette initiative et subventionne les éditeurs qui adoptent cette solution à hauteur de 50 % des sommes qu’ils engagent pour la souscription à ce service. Ainsi, le coût au livre de cette technologie anti-piratage devait être de l’ordre 1 euro que la Sofia subventionne pour moitié. Lorsque le montant total mensuel atteindra 12.500 euros par mois avec de nouvelles adhésions, le coût par livre sera moindre. En 2011,
le SNE avait écarté le recours à l’Hadopi en raison du coût trop élevé de la réponse graduée (3).
En revanche, l’autre solution anti-piratage d’ebooks proposé par le SNE – à savoir la mise à disposition du site web Portailprotectionlivres.com développé par l’association anglaise des éditeurs (Publishers Association) – ne semble pas vraiment intéresser
les éditeurs, alors qu’elle revient pourtant moins cher (environ 250 à 5000 euros par
an selon le chiffre d’affaires). « Je n’ai pas connaissance d’adhésion à Portailprotectionlivres.com », a indiqué Julien Chouraqui, juriste au SNE. Il faut dire
qu’il n’y a pas avec le portail, contrairement à la solution Hologram Industries, d’automatisation des signalements.
Par ailleurs, le SNE va signer d’ici fin juin la charte d’engagement contre les sites illicites avec les acteurs du paiement en ligne. Le syndicat a déjà signé, le 23 mars dernier, la charte des professionnels de la publicité.

Deux chartes : le SNE signataire
Un comité de suivi sera chargé d’observer la mise en oeuvre de la charte et de relever les cas de manquement à cette charte. « Ce comité sera composé paritairement. Chaque organisation représentant les professionnels de la publicité et chaque catégorie d’ayants droit auront un siège (le livre aura un siège, tout comme le jeu vidéo, la musique et le cinéma) », explique le SNE qui occupera ce siège. Une « liste noire »
de sites web majoritairement tournée vers le téléchargement illégal est établie par les ayants droit pour être la source principale des listes noires mises en oeuvre par les acteurs de la publicité et du paiement en ligne. @

Charles de Laubier

Livre numérique : les auteurs s’inquiètent du piratage et de leur rémunération

Alors que le marché du livre numérique peine à décoller en France, les auteurs doutent de la capacité de l’industrie de l’édition à lutter contre le piratage sur Internet. En outre, ils se prennent à espérer une meilleure rémunération avec le nouveau contrat d’édition tenant compte du numérique.

Ils sont désormais plus de 400 auteurs à avoir signé la pétition contre le piratage lancée il y a un peu plus d’un mois. « Le temps où le monde du livre se pensait à l’abri du piratage est révolu. Nous sommes très nombreux à nous être aperçus que plusieurs
de nos ouvrages étaient mis à disposition sur de sites de téléchargement gratuits », s’inquiètent-ils. Après la musique et le cinéma, c’est au tour du livre de tirer la sonnette d’alarme sur ce qui pourrait devenir un fléau pour l’industrie de l’édition.

Sondage : 20 % piratent des ebooks
Selon le 5e baromètre réalisé pour la Société française des intérêts des auteurs de l’écrit (Sofia), le Syndicat national de l’édition (SNE) et la Société des gens de lettres (SGDL), et publié au Salon du livre en mars dernier, 20 % des personnes interrogées disent avoir eu recours à une offre illégale. Le piratage de livres numériques serait en nette augmentation, puisque ce taux n’était que de 13 % il y a trois ans. Cette pratique illicite concerne aujourd’hui 4 % de la population français, selon l’institut de sondage OpinionWay qui a mené cette enquête (1). « Aujourd’hui, les livres mis en ligne illégalement pullulent », constatent les auteurs qui multiplient les e-mails d’alerte aux hébergeurs Internet pour leur demander de supprimer immédiatement des liens de téléchargement. Mais les écrivains et illustrateurs de livre craignent le même problème que pour les sites web pirates de la musique (The Pirate Bay, T411, …) ou du cinéma (Allostreaming, eMule, Wawa, …) : les hébergeurs ont beau supprimer les liens d’accès, ils réapparaissent peu après avec de nouvelles adresses ou sites miroirs.
« Ce qui revient à lutter contre une grave avarie par voie d’eau avec un dé à coudre ! », déplorent les auteurs, tout en critiquant le fait que la directive européenne « Commerce électronique » de 2000 « dédouane de toute responsabilité en la matière l’ensemble des hébergeurs » (2). En France, cette disposition a été transposée il y a maintenant plus de dix par la loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN) de 2004.
Ce qui confère aux plateformes et hébergeurs numériques une responsabilité limitée
au regard du piratage en ligne qui pourrait être constaté chez eux, à ceci près qu’ils doivent retirer « promptement » les contenus illicites qui leur seraient signalés (3).
Le livre, la musique et le cinéma sont main dans la main à Bruxelles pour demander à la Commission européenne de réformer ce statut d’hébergeur, comme en contrepartie de la révision de la directive « DADVSI » (4) de 2001 que souhaite Jean-Claude Juncker pour « casser les silos nationaux dans le droit d’auteur » (suppression du géo-blocage, élargir les exceptions au droit d’auteur, harmoniser la copie privée, …).

En France, au moment où le gouvernement met en place un plan de lutte contre le piratage en impliquant les acteurs du Net, les auteurs ne veulent pas être les laissés pour compte. Une première charte « anti-piratage » engageant les professionnels de
la publicité en ligne a été cosignée en mars par le SNE, lequel devrait aussi cosigner
la seconde charte prévue en juin avec les professionnels du paiement sur Internet (5). Mais cette volonté d’« assécher » les sites web illicites en les attaquant au portefeuille sera-elle suffisante, notamment dans le monde du livre ? « Le piratage, tentaculaire et en permanente évolution, ne pourra être combattu que par la mise en place d’une action commune à tous les acteurs du monde éditorial : auteurs, éditeurs, distributeurs, libraires, site de téléchargement légaux, etc… Le phénomène du piratage littéraire ne doit plus être pris en compte de façon ‘artisanale’ au coup par coup », estiment les auteurs, qui rappellent en outre que le SNE avait écarté en 2011 le recours à l’Hadopi parce que « le phénomène du piratage était marginal dans le domaine du livre numérique ». En fait, le coût de la réponse graduée était le vrai obstacle.

Précarité des auteurs
Autre sujet de préoccupation : la rémunération. Alors que la ministère de la Culture
et de la Communication mène jusqu’au 25 mai une enquête sur les revenus des auteurs (6), un sondage que la Société civile des auteurs multimédia (Scam) et la SGDL ont rendu public au Salon du livre en mars montre que 60 % des auteurs se disent « insatisfaits » de leurs relations avec leurs éditeurs : àvaloir en baisse, droit d’auteur inférieur à 10 %, précarité de la profession, … Reste à savoir si le nouveau contrat d’édition tenant compte du numérique, qui est censé être appliqué par les éditeurs depuis le 1er décembre dernier, améliorera le traitement et la rémunération
des auteurs à l’heure d’Internet. @

Charles de Laubier