Piratage en ligne : après la musique, le livre ?

En fait. Le 17 mars au soir a été inauguré le 31e Salon du Livre de Paris qui consacre, pour la quatrième année, un espace à l’édition numérique. « 2011, année charnière du numérique », scande le Syndicat national de l’édition (SNE) qui a créé et organise cet événement. Mais le spectre du piratage plane.

En clair. « Le piratage n’est pas encore massif mais il s’accélère, et le délai de piratage des nouveautés semble plus court », constate l’Observatoire du livre et de l’écrit en Ile-de-France (MOTif) dans sa seconde étude sur l’offre numérique illégale des livres, daté du 8 mars dernier (1). Il en veut pour preuve le bestseller de Stéphane Hessel,
« Indignez-vous ! » paru chez Indigène Editions, qui a été « disponible sur les réseaux pirates quelques semaines après le début de son “buzz“ médiatique ». Bien que l’offre de livres numériques pirates soit encore faible, avec « moins de 2% de l’offre légale papier »,  le phénomène progresse. Ainsi, il y aurait aujourd’hui 2.000 à 3.000 titres d’e-books illégaux. Mais les bandes dessinées sont au moins deux fois plus exposées au piratage sur Internet que les autres genres. Au total, sur 619.800 titres de livres et de BD disponibles légalement en version imprimée, 8.000 à 10.000 titres sont piratés – soit un taux situé entre 1,2 % et 1,6 %. Mais, si l’on rapproche (ce que ne fait pas MOTif) ce nombre aux 100.000 références de livres numériques disponibles recensés par l’institut GfK (2), ce taux de piratage pourrait atteindre 10 % des ebooks ! L’étude du MOTif constate en outre une forte baisse des échanges en peer to peer au profit du téléchargement direct – ou direct download sur des sites de type RapidShare et MegaUpload – qui devient « la pratique dominante en matière de piratage de livres, avec près de 3 livres sur 4 piratés de cette manière ». Ce qui est problématique pour
le Syndicat national de l’édition (SNE), qui est en train de choisir sa solution technique anti-piratage en vue de déposer – comme EM@ l’a révélé dans son n°27 en janvier – un dossier « Hadopi » à la CNIL. Or, la réponse graduée ne s’applique pour l’instant qu’aux réseaux peer to peer. Si elle ne veut pas refaire les mêmes erreurs que la musique en ligne, l’édition numérique va devoir développer une offre légale attractive de e-books – avec des prix en ligne moins élevés. Les plates-formes d’Amazon, de Google et d’Apple ne suffiront pas. « Le meilleur moyen d’enrayer le développement
du piratage est la mise en place d’une offre légale attractive et de qualité », prévient
le MOTif. La déléguée générale du SNE, Christine de Mazières, indique à EM@ que
« le marché du livre numérique a représenté 1,5 % du marché du livre en 2010, mais
il concerne essentiellement le marché du livre professionnel. Le livre numérique grand public, lui, ne dépasse pas 0,5 % du marché total ». @

La rentrée littéraire sous le signe de l’e-book

En fait. Le 8 septembre, lors du Conseil des ministres, Frédéric Mitterrand, a dressé un point sur la rentrée littéraire. Alors que 701 romans sont publiés,
il constate que « certains éditeurs font le pari de publier simultanément une version numérique et une version papier de leurs romans de rentrée ».

En clair. La rentrée 2010-2011 du marché français de l’édition est censée donner le coup d’envoi du livre numérique en France, alors que se profile à l’horizon le projet
de loi sur l’adaptation de la loi Lang au monde digital. « La rentrée 2010 témoigne
du dynamisme et de la diversité de l’édition française, avec un total de 701 romans français et étrangers, soit une augmentation de 6% par rapport à 2009 (…). Certains éditeurs font le pari de publier simultanément une version numérique et une version papier de leurs romans de rentrée », a expliqué Frédéric Mitterrand en Conseil des ministres. Hachette Livre (1), Gallimard, Albin Michel, Eyrolles, … Les éditeurs français n’auraient jamais mis autant de livres numériques à disposition du public. La dématérialisation permet d’obtenir une réduction pouvant aller jusqu’à 30 % pour le client. Si “La carte et le territoire” de Michel Houellebecq chez Flamarion n’a pas son édition numérique, “Une forme de vie” d’Amélie Nothomb chez Albin Michel est par exemple proposée à 11,99 euros en version numérique, contre 15,11 euros en imprimé. Mais selon Livres Hebdo, l’offre numérique s’avère « très limitée et proposée à dose homéopathique ». Le MOTif (2) a prévu d’assurer une veille sur le téléchargement d’e-books qui permettra d’y voir plus clair. Selon Marie-Pierre Sangouard, directrice du livre à la Fnac, « le marché est vraiment à un moment de bascule. Sur les 700 romans publiés à l’occasion de la rentrée littéraire 2010, entre 20 % et 25 % d’entre eux sont disponibles en numérique. L’an dernier, cette fourchette ne dépassait pas 5 % à 7 % » (3). Les uns ont opté pour iBooks sur l’App Store d’Apple dans le sillage de l’iPad (Hachette Livre) ; les autres ont préféré ne pas être prisonniers de la grille tarifaire de la marque à la pomme (Gallimard). Reste à savoir si l’édition enregistrera cette année une meilleure croissance que les 2% de 2009. Tout dépendra aussi de l’évolution du cadre législatif. Le député Hervé Gaymard a déposé en fin de semaine dernière une proposition de loi pour abaisser le taux de TVA à 5,5 % pour les livres numériques qui sera ainsi aligné sur le papier. La semaine précédente, les sénateurs Catherine Dumas et Jacques Legendre ont déposé un autre texte de loi en vue de « fixer un cadre souple de régulation du prix du livre numérique, à mi-chemin entre l’organisation du marché par le contrat et l’encadrement trop strict d’un marché naissant ». @

Marie Pic-Pâris Allavena, groupe Eyrolles : « Nous sommes parmi les premiers éditeurs français sur l’iPad »

Directrice générale du groupe Eyrolles depuis janvier 2009, Marie Pic-Pâris Allavena explique à Edition Multimédi@ comment elle compte faire de la vente d’ebooks – notamment pour l’iPad et bientôt sur le Kindle – une opportunité prioritaire sur un marché du livre « difficile ».

Propos recueillis par Charles de Laubier

Edition Multimédi@ : Cela fait un an et demi que vous dirigez le groupe familial Eyrolles. Est-ce que livre numérique est devenu une priorité ?
Marie Pic-Pâris Allavena (photo) :
La part du numérique dans notre chiffre d’affaires pour l’activité « éditions » avoisinera les 3 % cette année. Notre objectif pour l’an prochain est de réaliser 8 % de nos revenus avec nos contenus numériques. Nous avons aujourd’hui 1.000 livres numériques disponibles, principalement au format PDF.
Ils sont commercialisés par de nombreux libraires via des e-distributeurs. Ils sont également disponibles sur le site iZibook. Parmi mes priorités pour l’année 2010,
il est notamment impératif de franchir une nouvelle étape dans le numérique. Depuis
deux ans, nous vendons nos livres numériques en format PDF via un certain nombre de e-distributeurs. Et, depuis le 28 mai, nous sommes parmi les premiers éditeurs français sur l’iPad [avec notamment Albin Michel et Hachette Livre, ndlr]. Etre présent sur tous canaux de diffusion possibles permet de proposer à chacun une offre ebook adaptée à son usage et à son terminal.
Il s’agit aussi en 2010 d’assurer le développement de notre activité dans un marché
du livre difficile (concurrence, crise, …). Ce qui signifie, entre autres, de continuer à produire des livres de qualité sur nos secteurs historiques que sont l’entreprise, l’informatique, le BTP, la photo, l’artisanat, tout en élargissant à d’autres thèmes comme le pratique ou la culture générale. Nous voulons également de façon prioritaire soutenir les libraires, sachant que le groupe Eyrolles possède cinq librairies en direct. Il n’y a pas d’économie du livre sans une présence forte de tous les acteurs de la chaîne. Enfin, nous allons poursuivre notre forte croissance dans la diffusion. Nous sommes en cours de finalisation avec des acteurs prestigieux, nous permettant ainsi de renforcer notre présence dans des rayons porteurs.

Rapport « Albanel » : le livre (numérique) ne devra pas (trop) concurrencer le livre (papier)

Le rapport de Christine Albanel, intitulé « Pour un livre numérique créateur de valeurs » et remis le 15 avril au Premier ministre, propose notamment l’extension
au livre numérique « homothétique » de la loi Lang sur le prix unique avec un encadrement de ce prix.

Par Christophe Clarenc (photo) et Renaud Christol, avocats, cabinet Latham & Watkins

Aux termes de l’article premier de la « loi Lang » – loi n° 81-766 du 10 août 1981 relative au prix du livre, chaque livre (papier) a un prix unique fixé par l’éditeur ou par l’importateur et ce prix s’impose à tous les détaillants.

« Pour » ou « contre » Google Books

L’actuel président de la Bibliothèque nationale de France (BnF), Bruno Racine,
qui vient d’être reconduit pour un second mandat de trois ans (l’actuel s’achevant ce 31 mars), s’oppose à son prédécesseur, Jean-Noël Jeanneney,
sur Google – par livres interposés publiés en mars.

Bruno Racine, dans « Google et le nouveau monde » (Plon) : « Pour »
« Le débat est légitime. Encore faut-il le situer au bon niveau et ne pas le réduire à ces oppositions faciles – antiaméricanisme contre-atlantisme, secteur public contre entreprise privée, anciens et modernes… – qui n’expliquent rien (…) », écrit-il. Depuis le lancement du programme en 2005, d’autres bibliothèques sont venues rejoindre Google Books, dont la bibliothèque municipale de Lyon : « Le reproche adressé à Google de favoriser l’hégémonie de la culture anglo-saxonne apparaît dès lors comme un faux procès ». D’après lui, le modèle de Google déconcerte parce qu’il est hybride : « En offrant en libre accès des contenus culturels de haut niveau à travers Google Livres, il perturbe les schémas mentaux de ceux pour qui service public et financement publicitaires sont des notions incompatibles. (…) Comme on le voit au projet de “settlement” avec les éditeurs et auteurs anglosaxons, Google (…) se voit confier des missions d’intérêt général qui pourraient enter dans la définition du service public ». Il ne croit guère au risque évoqué par certains de voir Google se comporter en monopole classique : « On se tromperait de combat en décrivant Google comme un pur et simple instrument du “marché”, mû par la seule obsession du profit : ce serait méconnaître (…) son rôle dans l’avènement de ce “capitalisme cognitif” ». A propos de son prédécesseur à la tête de la BnF : « [Jean-Noël Jeanneney] s’est fait le porteparole d’une opposition déterminée à l’entreprise Google. (…) Il proposait une “contre-offensive” européenne. (…) La bibliothèque numérique européenne (…) a bel et bien pris forme, certes, mais chez Google. (…) On ne doit pas penser le projet européen [Europeana] comme une “riposte” à Google ». Sur l’enveloppe de 750 millions d’euros attribuée à la numérisation du patrimoine culturel :
« La commission Tessier (…) propose donc un partenariat fondé sur l’échange de
fichiers “un pour un” entre la BnF et Google et suggère même la création d’une
plateforme conjointe de numérisation. Si Google accepte cette offre, il s’agirait d’un
accord très ambitieux dans sa visée qui ferait de Gallica [bibliothèque numérique de
la BnF] le site incontournable de la francophonie (…) ». « L’effort financier de l’Etat (…) permet d’envisager sereinement un partenariat avec Google, dans exclusive, c’est-à-dire sans monopole ». @