My Justice

Si la justice est souvent considérée comme un monde à part, que les citoyens espèrent croiser le moins possible, elle n’avait cependant aucune raison d’être tenue à l’écart de la révolution numérique. Longtemps en retrait, la planète Justice est finalement entrée dans une phase active de modernisation
au point qu’un juge des années 2000 y perdrait son latin. Même si certains symboles pourraient faire croire le contraire : les perruques anglo-saxonnes et les robes latines sont toujours bien là pour témoigner de l’immanence et de la permanence de la justice. Pour le reste, changement dans tous les prétoires ! La justice est aujourd’hui entièrement numérique. Les montagnes de papiers, qui ont de tout temps symbolisées les bureaux du personnel judiciaire, ont pratiquement disparu sous la force de la vague digitale : comptes rendus, minutes, jugements et autres arrêts ont cédé leur place à des banques de données. Outre l’avantage de soulager les greffes, il s’agissait d’augmenter la fiabilité des documents : fini, ou presque, les pertes ou les erreurs de classement dans le traitement d’un dossier pénal. En France, c’est véritablement le lancement des projets « télérecours » en 2012 et « e-barreau » dès 2004, vaste réseau informatique virtuel privé des avocats et des greffiers des tribunaux, qui ont signé l’entrée de la justice dans l’ère numérique : données mises à jour en temps réel, élimination des temps morts et circulation des dossiers imposants et ventrus réduits à une poignée de données. Ce qui a sans doute fasciné au début les plus anciens formés à l’ombre des bibliothèques, c’est la puissance de la recherche automatique permettant de retrouver en un clic un arrêt ou un mot précis. Les scènes mythiques d’avocats penchés sur leurs grimoires ou perchés sur des échelles, à la recherche de l’article qui leur permettra de porter l’estocade au camp adverse, sont révolues.

« Une justice directe a émergé : des particuliers
se rendent entre eux – via des plateformes en ligne –
des services juridiques »

Hervé de La Martinière : « Trop de plateformes pourrait nuire à la diffusion du livre numérique »

Alors que le groupe La Martinière (maisons d’édition Le Seuil, L’Olivier et les Editions La Martinière) attend le 18 décembre le jugement dans son procès pour contrefaçon contre Google, son PDG explique à Edition Multimédi@ les enjeux de sa nouvelle plateforme Eden Livres et comment il souhaite voir évoluer la loi Lang.

Propos recueillis par Charles de Laubier

Edition Multimédi@ : Votre plateforme « Eden Livres » est ouverte depuis un mois maintenant. Quel est son mode de fonctionnement et de rémunération vis-à-vis des libraires et des auteurs ?
Hervé de La Martinière :
La plateforme numérique Eden Livres a été créée par trois acteurs indépendants de l’édition, Gallimard, Flammarion et nous-mêmes, La Martinière Groupe. Elle est réservée uniquement aux libraires. C’est donc un outil nouveau mis à leur disposition. Le grand public, lui, n’y a pas accès. Son fonctionnement est simple. Un client s’adresse à son libraire. Si celui-ci est en compte avec Eden Livres, il peut commander un exemplaire numérique d’un ouvrage du Seuil, de Gallimard ou encore de Flammarion. Le libraire, qui a une clé et un numéro de compte, entre en contact avec la plateforme qui lui envoie immédiatement le fichier numérique demandé pour son client. Un livre en version numérique coûte environ 25 % moins cher qu’un ouvrage publié sur papier. Le professionnel qu’est le libraire bénéficie de « la remise libraire » évaluée entre 20 % à 25 % du prix affiché. Les auteurs conservent leurs droits à l’identique, indifféremment du support, numérique ou papier.

Le livre numérique cherche sa plateforme unique

En fait. Le 30 septembre, le ministre de la Culture et de la communication, Frédéric Mitterrand, s’est prononcé – au Centre national du livre – en faveur de la création d’une « plateforme unique d’accès à l’offre numérique en matière de livre » qui « devra réunir les éditeurs français ».

En clair. Le gouvernement fait de cette future « plateforme unique » de téléchargement de livres numériques un « projet stratégique » qui permettra la création d’une offre alternative à Google. « Je veillerai particulièrement à l’accompagnement que mes services pourront apporter pour faire aboutir ce projet », avait insisté le ministre de la Culture et de la Communication, Frédéric Mitterrand, auprès des professionnels réunis au Centre national du livre. Mais le géant américain du Net dispose d’une longueur d’avance dans la numérisation des livres : 500.000 titres disponibles dès le « premier semestre 2010 », au moment où sa bibliothèque en ligne Google Editions sera lancée en Europe (1). Autre géant du Net, l’américain Amazon est le seul rival sérieux avec son Kindle Store offrant déjà plus de 200.000 titres numériques. Si la France ne veut pas qu’un duopole ne s’installe durablement, les éditeurs français sont appelés à faire bloc en proposant au grand public une alternative crédible. Il ne s’agit pas de répéter les mêmes erreurs que l’industrie du disque, laquelle n’avait pas proposé rapidement d’offre légale. Car le gouvernement veut aussi « éviter la dérive vers le piratage ». Mais pour l’heure, plusieurs grandes maisons d’édition sont déjà parties en ordre dispersé. Le numéro 1 français de l’édition, Hachette Livre, a racheté en 2008 la société Numilog à l’origine de la première plateforme de ce type en France avec environ 60.000 titres téléchargeables aujourd’hui. Hachette Livre chercherait à fédérer autour de lui les autres maisons – quitte à leur proposer d’entrer dans son capital –, mais sans succès jusque-là. Le deuxième éditeur français, Editis, entend lui aussi rassembler autour de sa E-Plateforme lancée le 9 octobre dernier avec déjà une centaine de maisons ou groupes d’édition : Michelin, Michel Lafon, Média-Participations ou encore le canadien Quebecor Média, sans oublier l’espagnol Planeta (la maison mère d’Editis). Quant au groupe La Martinière, qui attend pour le 18 décembre le jugement dans son procès pour contrefaçon contre Google, il a formé un triumvirat avec les éditions Gallimard et Flammarion autour de sa plateforme baptisée Eden-Livre (2). Mais pour mettre d’accord tout son monde, Frédéric Mitterrand va réformer la loi « Lang » sur le livre pour que l’ebook bénéficie aussi du prix unique et d’une TVA à 5,5 %. @