10 ans du Digital News Report : le shopping en plus

En fait. Le 10 janvier, le Reuters Institute (for the Study of Journalism), de l’Université d’Oxford, a publié son rapport annuel « Digital News Report » – qui a 10 ans – sur les tendances et prévisions du journalisme, des médias et de la technologie pour 2022. L’information et le e-commerce vont se mélanger.

En clair. « Attendez-vous à trouver des actualités mélangées avec plus de shopping en ligne cette année, alors que Instagram, TikTok, et Snap s’appuient sur le commerce électronique », prévient le Digital News Report annuel, qui est publié depuis maintenant dix ans (2012-2022), avec toujours comme auteur principal Nic Newman. Il est chercheur associé au Reuters Institute for the Study of Journalism (RISJ), partie intégrante de l’Université d’Oxford (1). Ce centre de recherche journalistique se présente aussi comme un think tank, financé par la fondation de l’agence de presse mondiale Reuters (2), concurrente de l’Agence France-Presse (AFP), ainsi que par des médias tels que la BBC, Facebook, Google ou encore le quotidien allemand Süddeutsche Zeitung. Le rapport 2022 du RISJ souligne pour la première fois que « le Social Shopping décolle » et les médias s’engouffrent dans la brèche.
« Qu’il s’agisse de vêtements de sport ou de maquillage, les consommateurs naviguent, découvrent et achètent de plus en plus de produits sur les plateformes de médias sociaux (…). Certains éditeurs cherchent à encaisser [eux aussi], constate le Digital News Report. La grande question est de savoir si cela fonctionnera pour les éditeurs d’actualités. (…) Le commerce électronique est plus adapté aux marques de style de vie [lifestyle], et les informations de dernière minute [breaking news] sont largement banalisées [commoditised]». Vendre sur les réseaux sociaux du contenu journalistique, comme l’on y vend des vêtements ou de l’électroménager, attire de plus en plus d’éditeurs. Articles, podcasts, courtes vidéos ou newsletters électroniques : les « lecteurs » sont invités à acheter pour s’informer tout en faisant leur shopping.
Les recettes issues du « e-commerce » sont d’ailleurs citées par 30 % des éditeurs comme une source de revenu importante pour 2022. Mais le rapport RISJ ne précise pas s’il s’agit d’activités diversifiées de « shopping » (comme au New York Times), d’annonces immobilières ou classées, voire de billetterie en ligne (à l’instar du Figaro), ou bien de vente de contenus éditoriaux en mode « Social Shopping ». Sans doute le « mélange de modèles » dont parle Nic Newman (3). Reste que l’abonnement demeure la principale source de leurs revenus (pour 79 % des éditeurs), suivie de l’affichage publicitaire (73 %), du native advertising (4) et des événements (40 %). @

Le président chinois Xi Jinping se mue en « Grand Timonier » de l’économie numérique de son pays

Alors qu’il est depuis près de dix ans président de la République populaire de Chine, Xi Jinping n’a jamais été aussi centralisateur et exigeant sur la manière de réguler le capitalisme dans l’Empire du Milieu. Tout en accentuant la censure de l’Internet, le secrétaire du parti communiste chinois met au pas la finance de ses géants du numérique.

Le président de la Chine, Xi Jinping (photo), et son homologue des Etats-Unis, Joe Biden, lequel a pris l’initiative de cet appel, se sont longuement parlé au téléphone le 9 septembre au soir. Les dirigeants des deux plus grandes puissances économies mondiales, dont le dernier coup de fil remontait à sept mois auparavant (février 2021), ont eu une « discussion stratégique » pour tenter d’apaiser les relations sino-américaines qui s’étaient tendues sous l’administration Trump. Durant leur entretien de près d’une heure et demie, ils sont convenus d’éviter que la concurrence exacerbée entre leur deux pays ne dégénère en conflit.
Cet échange franc au sommet – où économie, tarifs douaniers punitifs, restrictions à l’exportation (1), affaire « Huawei », climat et coronavirus ont été parmi les sujets abordés – semble tourner la page de la guerre économique engagée par Donald Trump. En apparence seulement, car l’administration Biden a fait siennes les accusations lancées – sans preuve – par l’ancien locataire de la Maison-Blanche à l’encontre du géant technologique chinois Huawei toujours accusé de cyber espionnage via notamment ses infrastructures 5G dont il est le numéro un mondial (2). Face aux coups de boutoir de Washington (3), la firme de Shenzhen a perdu la première place mondiale des fabricants de smartphone qu’il avait arrachée un temps à Samsung début 2020 et après avoir délogé Apple de la seconde début 2018 (4).

Les BATX rappelés à l’ordre en Chine
Cette accalmie – passagère ? – entre Etats-Unis et Chine permet à Xi Jinping de se concentrer sur ses affaires intérieures, où il a décidé de reprendre le contrôle du capitalisme financier qui a prospéré dans son pays de façon débridée. Et de s’attaquer dans le privé à l’enrichissement démesuré qui reste à ses yeux incompatible avec « la prospérité commune ». Cette dernière expression, le chef de l’Etat chinois l’avait utilisée pour rappeler à l’ordre les milliardaires chinois en leur demandant de ne pas creuser les inégalités au sein de son peuple. Le président de l’Empire du Milieu, également secrétaire du parti communiste chinois, fait monter la pression réglementaire et gouvernementale sur les puissances de l’argent. Premier à avoir essuyé les plâtres de cette « répression » du pouvoir central sur les grandes entreprises et leurs dirigeants : Jack Ma, le fondateur d’Alibaba, qui se fait depuis très discret depuis des mois, alors qu’en octobre 2020 il avait critiqué publiquement la régulation de son pays.

Xi Jinping à la tête du CAC
Le géant du e-commerce et des réseaux sociaux est dans le viseur du pouvoir central de Pékin pour sa puissance financière débridée, ses abus de position dominante, la surexploitation des données personnelles et l’opacité de ses algorithmes, ou encore les conditions de travail de leurs employés. En avril dernier, la firme de Hangzhou a été condamnée à une amende équivalente à 2,3 milliards d’euros pour entrave à la concurrence. A la suite de l’intervention des autorités chinois début novembre 2020, en prétextant vouloir éviter un « risque financier », Alibaba avait dû abandonner son mégaprojet d’introduction en Bourse – à Hong Kong et à Shanghaï – de sa filiale bancaire Ant Group, dont le système de paiement en ligne Alipay est massivement utilisé par les Chinois et procure à sa maison mère un avantage quasi-monopolistique. Xi Jinping, qui envisagerait un démantèlement d’Alipay (5), projette par ailleurs de généraliser en 2022 l’e-yuan, actuellement testé (6). Depuis ce premier coup de pied dans la fourmilière du Net chinois, la pression de Pékin n’est pas redescendue depuis près d’un an. Plus d’une trentaine de grands groupes technologiques chinois se sont aussi attiré les foudres de Pékin, parmi lesquels Tencent (WeChat), ByteDance (TikTok), Baidu (Baidu.com), Meituan (Meituan.com) ou encore Didi (« Uber » chinois).
Xi Jinping siffle ainsi la fin de la récrée pour que le profit ne supplante pas le social, et pour que l’innovation et le consommateur ne soient pas les grands perdants de la mainmise de ces géants chinois du Net, surnommés parfois les BATX (Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi). Au printemps dernier, l’Administration chinoise du cyberespace, ou CAC (7) alias le Bureau de la commission des affaires du cyberespace central (8), avait convoqué les géants chinois du numérique pour leur reprocher des pratiques de concurrence déloyale et les mettre en garde contre les abus de position dominante. Le CAC, qui est le régulateur de l’Internet chinois, est officiellement dirigé par le secrétaire général du Parti communiste chinois, Xi Jinping lui-même, et est rattaché aux organes d’information (propagande ou idéologie), de censure (des médias ou sites web) et de sécurité (contre les contenus illégaux, politiques ou religieux). Quant au ministère chinois de l’Industrie et des Technologies de l’information (MIIT), il a le 13 septembre appelé les BATX à ne pas évincer leurs concurrents (9). Plus récemment, le régulateur chinois s’en est pris aux jeux vidéo, notamment à deux géants du gaming du pays, Tencent (WeGame) et Netease (163.com) qui ont aussitôt décroché en Bourse. Et pour cause : l’administration Jinping, qui a considéré cet été que les jeux en ligne étaient le nouvel « opium spirituel » du peuple, a fait savoir qu’elle allait « geler » les autorisations de nouveaux jeux en ligne, avant de préciser ensuite qu’il ne s’agissait pas d’un moratoire sur la sortie des titres – comme ce fut le cas en 2018 durant dix mois – mais seulement de « ralentir » le rythme frénétique de leur mise sur le marché. Le 8 septembre, plusieurs acteurs de ce qui constitue la plus grande industrie du jeu vidéo au monde ont été réunis par les autorités chinoises pour les rappeler à leur devoir de « solidarité », les réfréner dans leur course aux profits, et exiger d’eux qu’ils luttent contre l’« addiction », notamment des mineurs. Parmi les nouvelles règles du jeu : limitation à trois heures par semaine le temps des enfants à jouer aux jeux vidéo, afin qu’ils ne deviennent pas accros ni myopes, qu’ils réduisent leurs dépenses en objets virtuels et qu’ils deviennent plus productifs en dehors des jeux vidéo. Dans ce contexte de mise au pas des jeux, Tencent – propriétaire de l’éditeur américain Riot Games depuis 2015 – a reporté à octobre la sortie tant attendue de la version mobile de « League of Legends », au lieu de la date initiale du 15 septembre.
Cette offensive du président Xi Jinping pour mettre un terme à l’« expansion désordonnée du capital » dans l’Empire du Milieu aux 1,4 milliard de Chinois interpelle tous les secteurs économiques du pays, au premier rang desquels le numérique qui a contribué fortement à une flambée boursière désordonnée et perçue comme trop capitaliste aux yeux du pouvoir communiste. En secouant le cocotier du Net, celui qui prend des airs de « Grand timonier » est parti en guerre contre ce qu’il appelle aussi « la croissance barbare ». Jusqu’où ira l’administration Jinping dans ce vaste recadrage de l’économie numérique chinoise ? Seul Xi le sait, lui qui veut apparaître comme le deuxième homme fort de l’histoire de l’empire, après Mao Tsé-toung.

20e Congrès du PPC à l’automne 2022
Après avoir célébré le 1er juillet dernier le centenaire du Parti communiste chinois (PCC), où ses racines marxistes-léninistes ont été rappelées à ses quelque 95 millions de « camarades » membres, le leader pékinois briguerait un nouveau mandat à la tête de la première économie mondiale en puissance. La prochaine étape cruciale est dans un an : ce sera le 20e Congrès du PCC à l’automne 2022. Xi Jinping, qui n’a pas mis un pied en dehors de la Chine depuis plus d’un an et demi, pourrait se rendre au prochain G20 prévu fin octobre à Rome et serrer la main de Joe Biden. @

Charles de Laubier

Digital Services Act et Digital Markets Act : projets règlements européens sous influences

La proposition de règlement pour un « marché unique des services numériques » (DSA) et la proposition de règlement sur les « marchés contestables et équitables dans le secteur numérique » (DMA) sont sur les rails législatives. Chacun des rapporteurs est très courtisé par les lobbies.

La commission du marché intérieur et de la protection des consommateurs (Imco) du Parlement européen s’est réunie le 21 juin dernier pour examiner les projets de rapports de respectivement Christel Schaldemose (photo de gauche), rapporteur du projet de règlement DSA (Digital Services Act), et de Andreas Schwab (photo de droite), rapporteur du projet de règlement DMA (Digital Markets Act). Dans les deux cas, le délai pour le dépôt des amendements avait été fixé au 1er juillet.

Des rapporteurs influencés par les lobbies
La Danoise socialiste et l’Allemand démocrate-chrétien sont les rapporteurs les plus courtisés du moment par les lobbies. Et pour cause : leur projet de rapport respectif propose de multiples amendements au paquet législatif initialement présenté par la Commission européenne le 15 décembre 2020, composé du projet de règlement DSA, d’une part, et du projet de règlement DMA, d’autre part. Le premier texte règlementaire vise à mieux responsabiliser les plateformes Internet jusqu’alors protégées par leur statut d’hébergeur par la directive européenne « E-commerce » qui leur accorde une responsabilité limitée. Le second texte veut imposer à la dizaine de grandes plateformes numériques dites « systémiques » (dont les GAFAM) des contraintes antitrust et empêchant les abus de position dominante de certains écosystèmes.
Déjà, lors de la publication des textes il y a plus de six mois, les GAFAM avaient exprimé leur préoccupations face cette nouvelle régulation de l’Internet à venir, craignant pour « l’innovation numérique », « les droits fondamentaux », « la liberté d’expression et de création », « le secret des algorithmes » ou encore « les risques de sanctions financières » (1). Les projets de DSA (2) et de DMA (3) poursuivent leur marathon euro législatif ; ils passent à ce stade par les fourches caudines des eurodéputés réunis au sein de la décisive commission du marché intérieur et de la protection des consommateurs (Imco) où les deux rapporteurs ont été désignés fin janvier. Chacun a rendu son rapport, datés respectivement du 28 mai 2021 pour celui Christel Schaldemose sur le futur DSA et du 1er juin 2021 pour celui de Andreas Schwab sur le futur DMA. Les deux rapports actuellement examinés présentent de multiples amendements apportés aux textes législatifs qu’avaient proposés la Commission européenne. C’est dans l’élaboration de ces amendements que joue à plein le lobby des GAFAM et bien d’autres entreprises, organisations ou personnes « ayant apporté leur contribution à la rapporteur » (DSA) et « ayant apporté leur contribution au rapporteur » (DMA) « pour l’élaboration du projet de rapport ». Ainsi, comme ils l’ont indiqué dans une annexe de leur rapport, Christel Schaldemose a eu affaire à 56 contributeurs et Andreas Schwab à 51 contributeurs. Pour les deux projets de rapport, on retrouve les GAFAM : Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft (exceptés Apple côté DSA et Microsoft côté DMA). L’eurodéputée rapporteur a aussi eu l’oreille de Alibaba, Airbnb, Huawei, Match Group, Reddit, TikTok, Wikimedia, Schibsted, Dropbox ou encore de Zalando. Elle a aussi été approchée par les organisations des GAFAM et autres Big Tech : Computer & Communications Industry Association (CCIA), Dot Europe (ex-Edima), ainsi que DigitalEurope (ex-Eicta).
Quant à l’eurodéputé rapporteur, il a aussi eu affaire de son côté à Netflix, Spotify, Snap, Expedia, Booking, Criteo, IBM, Salesforce, Kelkoo Group, DuckDuckGo ou encore à Yelp. Il a aussi été en contact avec la CCIA et la GSMA. L’Etno, association des opérateurs télécoms européens (historiques en tête), a aussi conseillé, influencé ou orienté – c’est selon – Christel Schaldemose et Andreas Schwab dans leurs travaux parlementaires. Jamais un paquet législatif européen n’a fait l’objet d’un tel lobbying intense. Ou bien, faut-il remonter à la libéralisation des télécoms de la fin des années 1990 pour retrouver une telle pression ou influence des acteurs concernés sur les travaux parlementaires.

Bras de fer entre Big Tech et l’Europe
Plus de vingt ans après le premier « paquet télécoms » (4) et plus de dix ans après le second « paquet télécoms » (5), ce nouveau « paquet DSA/DMA » est l’un des plus grands cadres règlementaires que l’Union européenne (UE) s’apprête à adopter. Les instances européennes et les industries culturelles veulent mettre au pas les GAFAM en les responsabilisant voire en les sanctionnant sur les contenus dits « illicites » qu’ils hébergent et véhiculent. Tandis que les géants du numériques plaident plus une régulation raisonnée de l’Internet pour ne pas porter atteinte aux droits fondamentaux. Les amendements contenus dans les deux projets de rapport illustrent le bras de fer qui s’opère dans les couloirs du Parlement européen et parfois sous le manteau des eurodéputés. Le salon parisien Vivatech a d’ailleurs été utilisé comme tribune par des Big Tech pour critiquer la future réglementation de l’Internet. Le 16 juin, le patron d’Apple, Tim Cook, en a profité pour mettre en garde contre notamment un DMA qui « détruirait la sécurité de l’iPhone et d’initiatives pour la vie privée ».

Conso, place de marché, pub en ligne
• Dans le projet de rapport Schaldemose de 145 pages (6) sur le « marché unique des services numériques » (DSA), plusieurs amendements vont dans le sens des consommateurs internautes et mobinautes. Par exemple, le n°1 ajoute dans les garanties du futur règlement DSA « un niveau élevé de protection des consommateurs », en plus du respect des droits fondamentaux des citoyens européens (liberté d’expression et d’information, liberté d’entreprise, droit à la non-discrimination, …). L’amendement n°4, lui, tend à « éviter un retrait excessif de contenus juridiques » en précisant que les contenus illicites sont considérés comme tels s’ils « ne sont pas conformes au droit de l’Union (européenne) ». Et Christel Schaldemose de justifier ce rajout : « Cela afin de garantir que, par exemple, une vidéo montrant une voiture qui roule trop vite ne relève pas de la définition, à moins qu’une référence à une activité illicite ne soit en soi illégale, selon le droit de l’Union ou d’un Etat membre (par exemple, des contenus pédopornographiques, des contenus à caractère terroriste, etc.) ».
Autre mesure pro-consommateur : l’amendement n°23 propose de supprimer un considérant de la Commission européenne qui prévoyait de ne pas soumettre les micro entreprises ou les petites entreprise (TPE) au règlement DSA. Motif : « Les lois sur la protection des consommateurs ne font pas la distinction entre les petites et les grandes entreprises. Les obligations [système interne de traitement des réclamations, règlement extrajudiciaire des litiges, signaleurs de confiance, mesures de lutte et de protection contre les utilisations abusives, notification des soupçons d’infraction pénale, transparence de la publicité en ligne, … (7) ndlr] devraient également s’appliquer aux micro entreprises et aux petites entreprises afin de protéger les consommateurs et les bénéficiaires des services des contenus illicites ». L’amendement n°73, lui, introduit des conditions supplémentaires pour que les places de marché en ligne ne bénéficient pas de l’exemption de responsabilité lorsqu’elles vendent des produits et services illicites. « Une plateforme en ligne ne bénéficie pas de l’exemption de responsabilité si elle ne respecte pas certaines obligations de diligence fixées dans le présent règlement ou lorsqu’un professionnel d’un pays tiers n’a pas, au sein de l’Union, d’opérateur économique responsable de la sécurité des produits. Les consommateurs seront en mesure de déposer un recours contre la plateforme en ligne et, en retour, cette dernière sera en mesure de déposer un recours contre le professionnel ». Christel Schaldemose tient d’ailleurs à respecter le principe selon lequel « ce qui est illégal hors-ligne est également illégal en ligne ».
Concernant cette fois la publicité en ligne, elle estime que « la collecte et l’utilisation généralisées des données des utilisateurs à des fins de publicité ciblée, micro-ciblée et comportementale sont devenues incontrôlables ». Aussi, l’amendement n°92 ajoute un article prévoyant que « le fournisseur de services intermédiaires est tenu, par défaut, de ne pas laisser les bénéficiaires de ses services faire l’objet de publicité ciblée, micro-ciblée et comportementale, à moins que le bénéficiaire des services n’ait donné son consentement libre, spécifique, informé et non ambigu ». Quant à l’amendement n°91, il étend la portée de la transparence de la publicité en ligne à tous les services intermédiaires (non pas seulement aux plateformes en ligne) et avec de nouvelles dispositions allant dans ce sens, y compris « un marquage visible et harmonisé » lorsqu’il s’agit de contenu provenant d’influenceurs commerciaux sur YouTube, Facebook ou autres TikTok.

Plateforme essentielle et gatekeeper
• Dans le projet de rapport Andreas Schwab de 86 pages (8) sur le « marchés contestables et équitables dans le secteur numérique » (DMA), l’amendement n°37 propose de remonter le seuil de désignation d’une plateforme numérique considérée comme « contrôleurs d’accès » (gatekeeper) : de 6,5 millions à 10 millions d’euros de chiffre d’affaires annuel, ou, si l’on considère la valorisation de l’entreprise en question, de 65 milliards à 100 milliards d’euros (capitalisation boursière moyenne ou juste valeur marchande équivalente). Le rapporteur Andreas Schwab propose en outre « d’ajouter, comme condition supplémentaire à la désignation d’entreprises en tant que contrôleurs d’accès, le fait qu’elles soient des fournisseurs non pas seulement d’un, mais, au moins, de deux services de plateforme essentiels ». Quoi qu’il en soit, les « plateformes essentielles » ayant un rôle de « contrôleurs d’accès » ne doivent pas se livrer à des pratiques déloyales, en empêchant notamment d’autres entreprises de se développer sur le marché unique numérique. @

Charles de Laubier

Les GAFAM se retrouvent aux Etats-Unis dans l’oeil du cyclone antitrust, avec risque de démantèlement

Le vent tourne. A deux mois de la prise de fonction de la juriste Lina Khan au poste de présidente de la FTC, l’autorité de la concurrence américaine, un paquet de six projets de loi « anti-monopole » des Big Tech a été adopté le 24 juin 2021 par la commission des Affaires judiciaires de la Chambre des représentants des Etats-Unis.

La commissaire européenne à la Concurrence, Margrethe Vestager, en rêve ; la future présidente de l’autorité de la concurrence américaine, Lina Khan (photo), va peut-être le faire : mettre au pas les GAFAM, si ce n’est les démanteler, pour mettre un terme aux abus de position dominante et aux pratiques monopolistiques de ces Big Tech nées aux Etats-Unis et déployées dans la plupart des régions du monde, au point d’asphyxier toute concurrence sérieuse voire de tuer dans l’oeuf toute innovation provenant de start-up gênantes. « Protéger les consommateurs américains », tel est le leitmotiv de la Federal Trade Commission (FTC) que va présider à partir du mois de septembre l’Américaine Lina Khan, née en Europe (à Londres) de parents pakistanais il y a un peu plus de 32 ans. Cette brillante juriste, que le président américain Joe Biden a nommée à la tête de l’autorité fédérale de la concurrence et de l’anti-monopole, s’est forgée une réputation « anti-GAFAM » très redoutée des Big Tech. Son premier fait d’arme est un article paru en 2017 dans le Yale Law Journal de l’université américaine Yale et intitulé « Paradoxe anti-monopole d’Amazon« . Le ton est donné. La politique concurrentielle américaine a permis à des mastodontes comme la firme de Jeff Bezos d’écraser les prix et la concurrence, sur fond d’emplois précaires et d’optimisation fiscale.

Lina Khan, chairwoman redoutée à la tête de la FTC
Comme il se doit dans le fonctionnement des institutions des Etats- Unis, Lina Khan a été désignée en mars comme commissaire – démocrate – de la FTC par Joe Biden, ce qui fut confirmé le 15 juin par le Sénat américain. Dans la foulée le locataire de la Maison- Blanche l’a nommée présidente de la FTC pour un mandat de trois ans à partir de septembre prochain. Son premier dossier sera celui du rachat des studios de cinéma Metro Goldwyn Mayer (MGM) par le géant Amazon, lequel a demandé le 30 juin dernier à ce que Lina Khan n’instruise pas elle-même cette affaire par souci d’impartialité. La FTC enquête déjà sur la marketplace d’Amazon. En avril dernier, lors de son audition d’intronisation devant le même Sénat américain, la jeune juriste spécialiste des lois antimonopoles – jusqu’à maintenant professeure de droit à l’université de Columbia à New York – avait fait part de son inquiétude sur la position dominante des GAFAM sur les nouveaux marchés. « J’ai eu l’occasion de travailler sur les questions de concurrence par l’entremise des services gouvernementaux, d’abord à la FTC et, plus récemment, en tant qu’avocate au sous-comité du droit antitrust, commercial et administratif, de la commission de la magistrature à la Chambre [des représentants des Etats-Unis, ndlr] », a indiqué Lina Khan.

Commission antitrust aux avant-postes
C’est justement ce « subcommittee on antitrust » (6), bipartisan (démocrate/républicain) et présidé par le démocrate David Cicilline (photo ci-contre), qui a publié en octobre 2020 un rapport de 451 pages – un véritable pavé dans la mare des Big Tech – intitulé « Investigation of competition in the Digital markets » (7). Il recommande au Congrès américain de légiférer rapidement pour empêcher ces mastodontes planétaires du numérique aux comportements monopolistiques d’évincer la concurrence – quitte à en passer par leur séparation structurelle ou spin-off (8). Et ce, après avoir entendu en juillet 2020 Sundar Pichai (Google), Jeff Bezos (Amazon), Mark Zuckerberg (Facebook) et Tim Cook (Apple), convoqués à la fin de l’enquête parlementaire. Si Satya Nadella (Microsoft) n’était pas de la partie, il a tout de même été question aussi de la firme cofondée par Bill Gates.
Démantèlement en vue ou pas, l’intégration verticale des géants du Net pose problèmes à la concurrence, à l’emploi et à l’innovation. Joseph Simons, qui fut président de la FTC jusqu’en janvier dernier, avait d’ailleurs reconnu qu’autoriser par exemple les rachats d’Instagram (en 2012) et de WhatsApp (en 2014) par Facebook fut deux graves erreurs de ce gendarme fédéral de la concurrence (9). Pour l’heure, un juge de Washington a estimé le 28 juin dernier que la FTC n’apportait pas « suffisamment de preuves » d’un abus de position dominante de la firme de Mark Zuckerberg.
Cette fois, toujours sous l’impulsion de David Cicilline, la commission de la magistrature de la Chambre des représentants des Etats-Unis (la fameuse House Judiciary Committee) vient de repartir à la charge contre les GAFAM en approuvant les 23 et 24 juin derniers six projets de loi (10) : un texte rétablit la concurrence en ligne et veille à ce que les marchés numériques soient équitables et ouverts en empêchant les plateformes en ligne dominantes d’utiliser leur pouvoir de marché pour choisir les gagnants et les perdants, favoriser leurs propres produits ou bien encore fausser le marché par des comportements abusifs en ligne (11) ; un texte visant à limiter les retards et les coûts pour les procureurs généraux des Etats lorsqu’ils portent des affaires antitrust devant la cour fédérale, en raison du transfert de ces affaires à un autre endroit (12) ; un texte interdisant aux plus grandes plateformes en ligne de se livrer à des fusions qui élimineraient des concurrents, ou des concurrents potentiels, ou qui serviraient à accroître ou à renforcer leur pouvoir monopolistique (13) ; un texte autorisant la FTC et le département de la Justice américaine (DoJ) à prendre des mesures – comme le démantèlement ? – pour empêcher les plateformes en ligne en position dominante de tirer parti de leur pouvoir monopolistique pour fausser ou détruire la concurrence sur les marchés qui dépendent de cette plateforme (14) ; un texte donnant à la FTC de nouveaux pouvoirs et outils d’application afin d’établir des règles favorables à la concurrence pour l’interopérabilité et la portabilité des données en ligne (15) ; un texte augmentant les frais imposés aux parties lors du dépôt d’un gros projet de fusion et acquisition, afin de donner plus de moyen financier au DoJ et à la FTC (16).
Avec cet arsenal antitrust tel qu’il est proposé, les GAFAM ont du souci à se faire. « Après 29 heures et les meilleurs efforts des Big Tech, la commission judiciaire de la Chambre a adopté les six projets de loi de notre programme pour construire #AStrongerOnlineEconomy ! Grande victoire pour les consommateurs, les travailleurs et les petites entreprises ! », a twitté David Cicilline le 24 juin à l’issu de l’approbation de cette demi-douzaine de projets de loi qui sont sans précédent dans l’histoire encore récente de l’Internet. Côté Républicains, il y a aussi un accueil favorable à ces mesures sans concession : l’un d’eux, Kenneth Buck, estime que cette réforme antitrust se fait « au scalpel, pas à la tronçonneuse » ! S’il n’est pas question à ce stade de démantèlement, il n’y a qu’un pas judiciaire pour imposer des spin-off. La démocrate Pramila Jayapal, elle, a été à l’origine du projet de loi obligeant les plateformes incriminées à se dessaisir entièrement de certains secteurs d’activité en cas d’abus de position dominante.La balle est maintenant dans le camp du Congrès des Etats-Unis pour que ce paquet législatif soit voté, mais aussi entre les mains de Lina Khan, la future présidente de la FTC, pour que ces nouvelles règles – si elles devaient être finalement promulguées – soient mises en œuvre.

Couper l’herbe sous pied de l’Europe
Les Facebook, Amazon et autres Apple n’auront qu’à bien se tenir. « Briser les monopoles et améliorer nos lois antitrust », a résumé le démocrate Jerrold Nadler qui préside, lui, la commission de la magistrature : « En freinant les abus anticoncurrentiels, notre loi fait en sorte qu’il y ait de la place pour les opportunités et l’innovation pour prospérer en ligne ». Même Margrethe Vestager à Bruxelles n’aurait pas mieux dit si elle avait eu son mot à dire à Washington. Finalement, comme le laisse entendre David Cicilline (17), les Etats- Unis entendent ne pas – en voulant légiférer contre ses propre GAFAM – se faire dicter des lois anti-monopoles numériques par l’Union européenne, laquelle examine actuellement le paquet DSA/DMA (Digital Services Act/Digital Markets Act). Mais le Vieux Continent a une longueur d’avance législative sur le Nouveau Monde. @

Charles de Laubier

Le magnat du câble et des médias John Malone, qui vient d’avoir 80 ans, consolide son empire « Liberty »

L’Américain multimilliardaire John Malone, « modèle » pour Patrick Drahi dont il est le « protégé », a fêté ses 80 ans le 7 mars dernier. Président de Liberty Media, de Liberty Global et de Qurate Retail (ex-Liberty Interactive), le « cow-boy du câble » poursuit sa stratégie de convergence aux Etats-Unis et en Europe.

(Une semaine après la parution de cet article dans Edition Multimédi@ n°255, AT&T a annoncé le 17 mai 2021 qu’il allait fusionner sa filiale WarnerMedia avec le groupe de télévision Discovery, lequel est détenu à 21 % par John Malone).

John Malone (photo) est devenu une légende dans les télécoms et les médias, aux Etats-Unis comme en Europe. A 80 ans tout juste, ce stratège hors pair préside toujours son empire « Liberty », composé aujourd’hui de Liberty Global dans les télécoms internationales (11 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2020), de Liberty Media dans les contenus (8 milliards), de Qurate Retail (10 milliards) dans les services Internet, et de Liberty Broadband avec sa participation dans le câbloopérateur Charter aux Etats-Unis et en Alaska. Le tycoon contrôle tous ces groupes de télécoms, de médias et du numérique en tant que principal actionnaire. Classé 316e personne la plus riche du monde, avec une fortune professionnelle estimée par Forbes à près de 8 milliards de dollars, John Malone détient ainsi 30 % de Liberty Global 47 % de Liberty Media, 40 % de Qurate Retail (ex-Liberty Interactive), 48 % de Liberty Broadband, sans oublier environ 21 % du groupe de média américain Discovery, présent aussi en Europe. Réputé libertarien – « directeur émérite » du think tank libertarien Cato Institute –, John Malone fut surnommé le « cowboy du câble », lorsque ce ne fut pas « Dark Vador » de façon plus méchante, voire « Mad Max » ! Sa succession ? En 2008, l’octogénaire a fait entrer le cadet de ses deux fils, Evan (photo suivante), au conseil d’administration de Liberty Media en tant que directeur. Il apparaît comme le successeur potentiel de l’empire « Malone ».