Face aux entreprises et au secret des affaires, la liberté de la presse bat de l’aile devant les tribunaux

La liberté de la presse s’arrête-t-elle là où commence le secret des affaires et la confidentialité des procédures de conciliation ou de mandat ad hoc ? Les affaires
« Conforama » et « Consolis » rappellent la menace judiciaire qui pèse sur le droit d’informer. L’avenir de la démocratie est en jeu.

Fabrice Lorvo*, avocat associé, FTPA.

Deux décisions importantes ont été rendues en juin 2019, qui contribuent à la définition des limites de la liberté d’expression lorsqu’elle est confrontée aux dossiers économiques. Ces deux décisions concernent des révélations, faites par les sites de presse en ligne, sur la désignation d’un mandataire ad hoc dans l’intérêt de sociétés – d’un côté le groupe Conforama (1), de l’autre le groupe Consolis (2). Dans ces deux cas, c’est la responsabilité de l’organe de presse qui a été recherchée devant les tribunaux.

La presse non tenue à la confidentialité
Car selon l’article L611-15 du code du commerce, les procédures de mandat ad hoc et
de conciliation sont couvertes par la confidentialité (3). Il ne s’agit pas, ici, de contester la nécessité de protéger les droits et libertés des entreprises qui recourent à une mesure de prévention des difficultés. La confidentialité permet d’abord de favoriser le succès de la négociation en assurant aux créanciers ou partenaires que les efforts ou les sacrifices qu’ils vont consentir ne puissent servir de références ultérieures. La confidentialité permet aussi d’éviter que les difficultés de l’entreprise qui sollicite ces mesures ne soient aggravées par leur publicité (vis-à-vis des tiers, fournisseurs, clients et concurrents). Cependant, cette obligation de confidentialité pèse sur les personnes limitativement énumérées par le texte
(à savoir « toute personne qui est appelée à la procédure de conciliation ou à un mandat ad hoc ou qui, par ses fonctions, en a connaissance »). Il apparaît clairement que les organes de presse ne figurent pas sur la liste des personnes tenues à la confidentialité.
Si une des personnes énumérées par L611-15 astreints à la confidentialité viole son obligation légale pour informer la presse, cette dernière doit-elle s’autocensurer et ne pas diffuser l’information (puisqu’elle provient de la violation d’une disposition légale) ou doit-elle diffuser l’information au nom du droit à l’information du public ?
Dans l’affaire « Conforama », l’organe de presse – en l’occurrence Challenges – avait été condamné par le tribunal de commerce à retirer l’information de son site web et à ne plus évoquer l’affaire « sous astreinte de 10.000 euros par infraction constatée ». La cour d’appel de Paris a cassé ce jugement dans un arrêt (4) du 6 juin 2019. Elle a jugé que les difficultés économiques importantes (5) du groupe sud-africain Steinhoff et ses répercussions sur Conforama, qui se présente comme un acteur majeur de l’équipement de la maison en Europe et qui emploie 9.000 personnes en France, constituent sans conteste un sujet d’intérêt général tel que garantit par l’article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CSDHLF). Si cette décision constitue manifestement un progrès, force est de constater que les dossiers économiques continuent de bénéficier d’une protection dérogatoire qui remet en cause tant la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) que la conception traditionnelle de la liberté d’expression.
D’abord, la cour d’appel de Paris suit respectueusement la jurisprudence de la Cour de cassation (6), selon laquelle – au nom de l’effectivité du principe – la confidentialité pèse aussi sur la presse, attachant ainsi la confidentialité à l’information et non aux personnes visées par L611-15. De plus, probablement par timidité, la cour d’appel ne s’est pas contentée de constater que les informations diffusées sur Conforama contribuaient à l’information légitime du public sur un débat d’intérêt général. Elle n’a pas pu s’empêcher
de relativiser l’appréciation par plusieurs autres constats. La cour a relevé que la publication des informations a été faite au mode conditionnel. Si l’information avait été publiée de manière affirmative, la publication aurait-elle perdue son caractère d’intérêt général ?

Préjudice versus intérêt général
De même, la cour d’appel a noté que la publication faisait suite « à plusieurs autres articles de presse décrivant les difficultés financières importantes du groupe Steinhoff, maison mère du groupe Conforama, et de ce dernier ». Si la publication avait été un scoop, aurait-elle perdue son caractère d’intérêt général ? Ensuite, la cour a mentionné que le déficit de la maison-mère de Conforama avait eu pour cause « des irrégularités comptables ». Si tel n’avait pas été le cas, la publication aurait-elle perdu de son caractère d’intérêt général ? Enfin, quel est le besoin de faire référence à l’absence de démonstration du préjudice du plaignant ? Si le préjudice avait été démontré, la publication aurait-elle perdu son caractère d’intérêt général ? Et comment démontrer le préjudice si ce n’est en prouvant que la conciliation a échoué ? Mais l’échec de la conciliation (dont le succès n’est jamais garanti) peut-il réellement être imputable à la publication de l’information ?

Le risque des dommages et intérêts
L’unique critère qui doit être appliqué par un tribunal est de savoir si la publication contribue à la nécessité d’informer le public sur une question d’intérêt général sans avoir à ajouter des critères surabondants. Ce critère unique est déjà difficile à apprécier du fait de son absence de définition. De plus, l’arrêt rendu par la Cour de cassation (7) dans l’affaire « Consolis » rajoute de l’incertitude en appréciant la manière dont l’organe de presse évoque ledit sujet d’intérêt général. Mergermarket avait diffusé sur son site web Debtwire.com, spécialisé dans le suivi de l’endettement des entreprises et consultable par abonnement, des articles sur l’évolution d’une procédure de conciliation demandée par la société Consolis en exposant notamment les négociations engagées avec les créanciers des sociétés du groupe, citant des données chiffrées sur la situation financière des sociétés.
La Cour de cassation a reconnu que la question de la résistance des opérations d’achat avec effet de levier (LBO) à la crise et les difficultés que des sociétés ainsi financées peuvent connaître relevait d’un débat d’intérêt général. Cependant, elle a aussi considéré que l’information diffusée portait sur le contenu même des négociations en cours et leur avancée. De ce fait, les informations divulguées n’étaient plus justifiées par un débat sur des questions d’intérêt général et ne contribuaient pas à la nécessité d’en informer le public puisque ces informations intéressaient, non le public en général, mais les cocontractants
et partenaires de ces sociétés en recherche de protection. En conséquence, un organe de presse peut informer le public mais à la condition de se contenter d’informations générales. A l’inverse, une information détaillée peut retirer à un sujet sa qualification d’intérêt général. L’absence de définition d’un sujet d’intérêt général et sa possible remise en cause en fonction de la manière dont l’information a été traitée sont de nature à exposer la presse à des sanctions d’une gravité inconnue à ce jour. En effet, les organes de presse sont dorénavant sous la menace d’une sanction pouvant conduire à leur disparition pure et simple. C’est là une seconde particularité dont bénéficient les dossiers économiques. Jusqu’à ce jour, et pour tous les sujets, les organes de presse bénéficiaient d’une immunité totale en cas d’abus de la liberté d’expression. Certes, le directeur de publication ainsi que le journaliste pouvaient s’exposer en cas de délits de presse (essentiellement la diffamation ou l’injure) à une peine de prison ainsi qu’à une amende, mais un organe de presse n’était jamais condamné à des dommages et intérêts. La raison en était simple, vu l’importance de la liberté de la presse (8), un abus – s’il doit être sanctionné – ne doit pas conduire à la disparition économique du journal. C’est pour cela aussi que régulièrement, la jurisprudence fermait la porte à toute tentative d’engager la responsabilité d’un organe de presse en dehors de la loi de 1881 sur la liberté de la presse (9) et notamment sur le fondement de la responsabilité civile (10).
La Cour de cassation vient de mettre définitivement fin à cette immunité de fait dans l’affaire « Mergermarket » (11). Après avoir obtenu en référé le retrait de l’ensemble des articles contenant les informations confidentielles et l’interdiction de publier d’autres articles, Consolis a ensuite assigné Mergermarket en indemnisation des préjudices subis du fait de la publication des articles litigieux et a obtenu devant la cour d’appel la somme de 175.854 euros.
Dans son arrêt, la Cour de cassation soumet donc l’organe de presse en ligne au régime de droit commun et juge « qu’ayant retenu qu’en divulguant des informations qu’elle savait couvertes par la confidentialité sans que cette divulgation soit justifiée par la nécessité d’informer le public sur une question d’intérêt général, la société Mergermarket avait commis une faute à l’origine d’un préjudice, c’est dans l’exercice de son pouvoir souverain que la cour d’appel a évalué le montant de la réparation propre à indemniser ce préjudice ».

La presse indépendante menacée
Quand on connaît les difficultés financières des organes de presse indépendants, seuls les groupes de presse puissants vont pouvoir survivre à des condamnations financières de cette nature. L’évolution de la jurisprudence sur ces dossiers économiques n’est pas de bon augure au regard des dossiers à venir concernant le périmètre strict du secret des affaires. C’est probablement lorsque la presse indépendante aura disparu qu’on se rendra compte des effets bénéfiques qu’elle avait sur notre démocratie, mais une fois de plus, il sera probablement trop tard. @

* Fabrice Lorvo est l’auteur du livre « Numérique : de la
révolution au naufrage ? », paru en 2016 chez Fauves Editions.

Franck Riester veut relancer l’idée de taxe « Google Images », déjà prévue par la loi depuis… 2016

Le ministère de la Culture veut « la mise en oeuvre effective » d’une taxe sur les
« services automatisés de référencement d’images » sur Internet – autrement dit une taxe « Google Images ». La loi « Création » de 2016 en a rêvée, Franck Riester va la faire. Une mission du CSPLA vient d’être lancée.

Le président du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA), Olivier Japiot, a signé le 25 juin une lettre de mission confiée au professeur de droit des universités Pierre Sirinelli (photo de gauche) et mise en ligne le 4 juillet dernier sur le site web du ministère de tutelle (1). « Le ministre de la Culture [Franck Riester] a exprimé sa volonté de modifier le dispositif relatif aux services automatisés de référencement d’images adopté dans le cadre de la loi
[« Création »] du 7 juillet 2016 afin d’en assurer la mise en oeuvre », est-il spécifié.

Vers une gestion collective obligatoire
Le fameux « dispositif » prévu par la loi « Création », promulguée il y a maintenant trois
ans (2), n’est autre qu’une taxe « Google Images ». Dans son article 30 intitulé « services automatisés de référencement d’images » (3), il est en effet institué une gestion collective des droits d’auteur par la perception des rémunérations correspondantes en fonction des œuvres exploitées en ligne et la répartition des sommes perçues aux auteurs ou à leurs ayants droit. Et ce, via une société de gestion collective des droits – seule agréée à signer des conventions limitées à cinq ans avec les « services automatisés de référencement d’images » (dont les photos) comme Google Images (Google, Bing, Qwant, Wikipedia, MSN, etc.). Encore aurait-il fallu que le décret d’application soit publié, ce qui n’a jamais
été fait – malgré le fait que le projet de décret ait été notifié le 5 septembre 2016 à la Commission européenne (4). Car, comme Edition Multimédi@ l’avait révélé l’an dernier,
le Conseil d’Etat avait mis son holà dans un avis de février 2017 jamais rendu public (5).
Les risques juridiques, au regard du droit constitutionnel garantissant la protection du droit de propriété et du droit européen protégeant le droit exclusif de l’auteur, ont eu raison de ce décret mort-né (6). Selon Next Inpact, « c’est avant tout la jurisprudence ReLire de la CJUE, sur les livres indisponibles (7), qui a suscité le feu rouge du Conseil d’Etat » (8).
Mais depuis cette déconvenue, le vent a tourné avec l’adoption le 26 mars 2019 de la directive européenne sur le droit d’auteur et le droit voisin « dans le marché unique numérique », publiée au JOUE le 17 mai (9). « Depuis lors, [cette directive « Copyright »] est venue conforter l’objectif poursuivi par le législateur français à travers divers dispositifs visant à renforcer la capacité des créateurs à être rémunérés par les plateformes numériques qui exploitent leurs œuvres », justifie le CSPLA pour relancer l’idée de cette taxe « Google Images ». Certes, un article 13 ter du projet de directive prévoyait explicitement l’« utilisation de contenus protégés par des services de la société de l’information fournissant des services automatisés de référencement d’images ». Mais cette disposition spécifique, non prévue par le projet initial présenté par la Commission européenne en 2016, a été supprimé lors du trilogue pour s’en tenir au principe général de rémunération des créateurs par les plateformes. Il est donc demandé au professeur Sirinelli missionné d’« évaluer les conditions dans lesquelles le dispositif de gestion collective obligatoire pourrait être mise en place » et de faire « état des éventuels dispositifs alternatifs qui pourraient également permettre d’assurer la juste rémunération aux photographes et plasticiens ». Pour mener à bien cette mission d’ici au 31 octobre prochain, une rapporteure a été désignée : Sarah Dormont (photo de droite), maître de conférences à l’université Paris-Est Créteil Val de Marne (Upec), docteure en droit privé. Le rapport Sirinelli-Dormont devra être présenté lors de la séance plénière du CSPLA « de cet automne ».
La taxe « Google Images » pourrait être collectée dès 2020 par une société de perception
et de répartition des droits (SPRD), que l’on appelle désormais à la Cour des comptes qui les contrôle des « organismes de gestion indépendants » (OGI). Dans la foulée de la loi
« Création », la Société des auteurs dans les arts graphiques et plastiques (ADAGP) et la Société des auteurs des arts visuels et de l’image fixe (SAIF) s’étaient déclarées candidates pour assurer cette gestion collective. Encore faudra-t-il se mettre d’accord sur un barème.

Négocier un barème de rémunération
La loi « Création » donnait aux sociétés de gestion collective et aux acteurs du Net concernés « six mois suivant la publication du décret en Conseil d’Etat » pour aboutir à un accord. A défaut de quoi, « le barème de la rémunération et ses modalités de versement [seraient] arrêtés par une commission présidée par un représentant de l’Etat et composée, en nombre égal, d’une part, de représentants des [OGI] et, d’autre part, des représentants des [Gafa, Google en tête, ndlr] ». A moins que les parties prenantes soient sages comme des images… @

Charles de Laubier

Le « Cloud Act » américain est-il une menace pour les libertés des citoyens européens ?

La controverse née avec l’affaire « Microsoft » sur la localisation
des données prend fin avec le « Cloud Act » dans lequel le Congrès américain précise que la localisation physique de données n’est pas
un élément pertinent lorsqu’un juge américain émet un mandat de perquisition.

Règlement européen sur la protection des données : ce qui va changer pour les internautes

Le règlement européen sur la protection des données – proposé il y a plus de quatre ans par la Commission européenne – a été publié au J.O. de l’Union européenne le 4 mai. Il sera applicable sur toute l’Europe le 25 mai 2018. Il renforce les droits des Européens sur leurs données personnelles.

Par Christiane Féral-Schuhl*, avocate associée, cabinet Féral-Schuhl/Sainte-Marie

Ayant constaté l’existence d’une fragmentation dans la mise en oeuvre de la protection des données à caractère personnel dans l’Union européenne (UE), la Commission européenne a soumis le
25 janvier 2012 (1) au Parlement et au Conseil européens une proposition de règlement européen « relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation des données ».

Renforcement des droits de la personne
Cette nouvelle législation a fait l’objet d’un accord informel en trilogue le 17 décembre 2015, et a été votée définitivement le 14 avril dernier et publiée le 4 mai au Journal officiel de l’UE. L’une des avancées majeures du règlement « Protection des données » – entré en vigueur 20 jours après sa publication (soit le 24 mai), pour être applicable dans tous les pays de l’UE le 25 mai 2018 (les entreprises ont donc deux années entières pour s’y préparer) – est sans conteste le renforcement des droits de la personne.
Dans un univers dématérialisé où tout devient possible en quelques clics, l’UE avait dans une directive, dès 1995, souhaité protéger l’individu en lui accordant un certain nombre de droits. Elle prévoyait ainsi :
• un droit à l’information qui consiste en l’obligation, pour le responsable de traitement, de fournir certaines informations énumérées dans la directive ;
• un droit d’accès qui est le droit pour la personne concernée de réclamer de la part du responsable de traitement la consultation de certaines informations portant sur ses données personnelles et sur le traitement de ses données ;
• un droit de rectification qui consiste en la possibilité pour la personne concernée
de demander la rectification, l’effacement ou le verrouillage des données qui sont incomplètes ou inexactes ;
• un droit d’opposition qui est le droit pour la personne concernée de s’opposer à
tout moment à ce que ses données fassent l’objet d’un traitement, pour des raisons légitimes. Pourtant, comme le soulignait Viviane Reding en 2012, lorsqu’elle était encore commissaire européenne à la Justice, aux Droits fondamentaux et à la Citoyenneté, les citoyens « n’ont pas toujours le sentiment de maîtriser entièrement
les données à caractère personnel les concernant ».
En effet, qui n’a pas déjà reçu des publicités dans sa boîte aux lettres sans que l’on n’ait jamais ni effectué d’achats chez l’émetteur de publicités ni donné ses informations personnelles telles que les nom, prénom, et adresse ? Qui n’a pas réceptionné des appels téléphoniques inconnus dont l’objet est de promouvoir un produit, ou de vous solliciter pour un sondage téléphonique, l’interlocuteur connaissant déjà vos nom et prénom sans même que vous ne l’ayez déjà contacté de votre vie, ou sans même que les prestataires de services professionnels avec qui vous avez contracté ne vous ait prévenu de la communication de vos informations à ces tiers précisément ?
Pour remédier à ce problème de maîtrise des données, le règlement prévoit un chapitre entier sur les droits de la personne concernée, ce que ne faisait pas la directive de 1995, laquelle se contentait de placer les droits de la personne concernée dans un chapitre intitulé « Conditions générales de licéité des traitements de données à caractère personnel ».
Le renforcement des droits de la personne concernée se fait en accentuant les droits préexistants de celle-ci, par exemple en prévoyant une meilleure transparence quant
à la communication des informations relatives au traitement des données à caractère personnel, ou encore en rallongeant la liste des informations à fournir à la personne concernée.

Quatre principaux nouveaux outils
Mais surtout, le règlement européen lui octroie de nouveaux droits :
• Un droit à l’information lors de l’apparition de failles de sécurité.
Ainsi, le droit à la notification d’une violation de ses données à caractère personnel semble aujourd’hui indispensable, alors que l’on ne compte plus le nombre d’entreprises victimes de failles de sécurité relatives aux informations sur leur clientèle : noms, adresses, numéros de téléphone ou encore données bancaires se retrouvent alors publics.
• Un droit d’opposition à une mesure fondée sur le profilage.
Au-delà des failles de sécurité dont peuvent être victimes les entreprises, les internautes doivent, aussi, à leur échelle, faire preuve de vigilance. En effet, au travers des historiques de navigations, des blogs, des réseaux sociaux ou des moteurs de recherche, ils dévoilent, sans souvent en avoir pleinement conscience, des pans entiers de leur vie privée. Or ces informations se révèlent souvent précieuses puisqu’elles pourront être valorisées, alimentant ainsi une véritable économie des données. En ce sens, le « profilage », destiné à évaluer et analyser certains aspects personnels afin d’orienter les publicités selon les intérêts ou de prévenir certains comportements illicites peut être source d’erreurs ou d’abus. C’est dans cet objectif que le Règlement prévoit une obligation d’information spécifique en matière de profilage ainsi que la possibilité
de s’y opposer.
• Un droit à l’« effacement » numérique.
Comme le souligne la CNIL dans son rapport d’activité 2013, « la circulation d’informations concernant une personne peut avoir de graves conséquences sur sa
vie privée et professionnelle, parfois plusieurs années après les faits ». Aussi, le Règlement européen vient consacrer un « droit à l’effacement » qui permettra à la personne concernée, selon des motifs limitativement énumérés, d’obtenir l’effacement de données personnelles la concernant et la cessation de la diffusion de ces données. La consécration de ce nouveau droit par le Règlement achève ainsi une évolution nécessaire au regard de la protection de la vie privée des citoyens européens.
• Un droit à la portabilité de ses données.
Ces nouveaux droits sont primordiaux en ce qu’ils permettent à la personne concernée d’exercer un contrôle ex post sur ses données. La personne concernée a le droit de se voir communiquer ses données personnelles par le responsable de traitement, sous un format « structuré, couramment utilisé et lisible par machine » afin de faciliter leur transfert vers un autre prestataire de services si elle le souhaite et sans que le responsable de traitement ne puisse s’y opposer. L’objectif ici est d’éviter à la personne concernée de se lancer dans une fastidieuse récupération manuelle de ses données qui pourrait l’inciter à renoncer à changer de prestataire.

« Education » et « hygiène informatique »
Ces nouveaux outils doivent cependant s’accompagner d’une part, d’une « éducation » à la protection des données, et d’autre part, de la promotion d’une certaine « hygiène informatique », selon l’expression consacrée par l’ANSSI (2), qui permettra à la personne concernée de fixer elle-même les frontières de sa vie privée.

Le règlement européen tient aussi compte de l’invalidation du « Safe Harbor » (3) (décision CJUE du 6 octobre 2015 (4). et ses conséquences en consacrant son chapitre V au transfert de données à caractère personnel vers des pays tiers ou à des organisations internationales L’invalidation de cette décision a conduit la Commission européenne et le gouvernement américain à conclure un accord visant à assurer un niveau de protection suffisant aux données transférées de l’UE vers les Etats-Unis appelé « Privacy Shield ».

Articulation avec le « Privacy Shield »
Le G29 réunissant les « Cnil » européennes, qui avait publié son avis le 13 avril 2016 sur le niveau de protection des données personnelles assuré par le « Privacy Shield » (5), a cependant rappelé qu’il devrait tenir compte du règlement européen sur les données personnelles – lequel n’avait pas encore été adopté au moment de la publication du « Privacy Shield ». L’article 45 du règlement énonce les critères à prendre en compte par la Commission européenne lors de l’évaluation du caractère adéquat du niveau de protection des pays tiers à l’Union. Au nombre de ces critères,
on trouve « le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la législation pertinente, tant générale que sectorielle, y compris en ce qui concerne la sécurité publique, la défense, la sécurité nationale et le droit pénal ainsi que l’accès
des autorités publiques aux données à caractère personnel (…) ».
Outre le renforcement de la sécurité juridique, on notera que le règlement vise à : réduire la charge administrative des responsables de traitement de données, faire peser davantage de responsabilité sur les sous-traitants, renforcer l’exercice effectif par les personnes physiques de leur droit à la protection des données les concernant au sein de l’UE (notamment leur droit à l’effacement et leur droit d’exiger que leur consentement préalable, clair et explicite soit requis avant l’utilisation de leurs données personnelles), améliorer l’efficacité de la surveillance et du contrôle de l’application des règles en la matière (6).
Le règlement aura d’autant plus d’impact qu’il s’appliquera, dès le 25 mai 2018, de manière uniforme dans l’ensemble des pays de l’UE, sans devoir être transposé en droit national (7). Son champ d’application s’étendra au-delà des frontières des Vingt-huit puisque, désormais, des entreprises ayant leur siège social en dehors de l’UE pourront se voir appliquer le règlement dès lors que les données qu’elles traitent concernent des résidents de l’UE, ce que ne prévoyait pas la directive. @

* Ancien bâtonnier du Barreau de Paris.

Blue Efficience, plus fort que Content ID de YouTube ?

En fait. Le 4 février, Blue Efficience s’est félicitée d’être « le nouveau prestataire technique de protection et lutte contre l’exploitation non autorisée des œuvres
du groupe TF1 », après un appel d’offre remporté en juillet 2015. Cette société française fait la chasse au piratage de films sur Internet.