Pierre Louette devient président de l’Alliance de la presse d’information générale (Apig) pour tenir tête aux GAFA

L’Alliance de la presse d’information générale (Apig), qui réunit depuis deux ans « la presse quotidienne et assimilée » en France, a un nouveau président : Pierre Louette, PDG du pôle médias de LVMH et ex-dirigeant d’Orange. Et ce, au moment où le bras de fer « presse-GAFA » est à une étape historique, sur fond de crises.

C’est le 8 octobre, lors de l’assemblée générale de l’Alliance de la presse d’information générale (Apig), que Pierre Louette (photo) – PDG du groupe Les Echos-Le Parisien (pôle médias de LVMH) et ancien directeur général délégué d’Orange – en est devenu président. Sa désignation, sans surprise, et pour un mandat de deux ans, était attendue, étant le seul candidat pour succéder à Jean-Michel Baylet (1) à la tête de cette alliance créée il y a deux ans (2) par les quatre syndicats historiques de « la presse quotidienne et assimilée » : SPQN (3), SPQR (4), SPQD (5) et SPHR (6), soit un total de 300 journaux d’information politique et générale. Coïncidence du calendrier : c’est aussi le 8 octobre que la Cour d’appel de Paris a donné raison à l’Autorité de la concurrence qui, en avril dernier, avait enjoint Google « dans un délai de trois mois, de conduire des négociations de bonne foi avec les éditeurs et agences de presse sur la rémunération de la reprise de leurs contenus protégés ». Selon le gendarme de la concurrence, un médiateur pourrait être désigné, mais Google a dit le 7 octobre qu’il était disposé à un accord. La nomination de Pierre Louette à la présidence de l’Apig intervient aussi au pire moment pour la presse française, qui traverse une crise structurelle qui perdure depuis les années 1990 : généralisation d’Internet, érosion du lectorat papier, baisse des recettes publicitaires, sous-capitalisation, concentration aux mains d’industriels, …

La presse française est sinistrée voire en faillite
Les journaux sont en plus confrontés à une crise conjoncturelle aigüe provoquée par la pandémie du coronavirus, dont la deuxième vague augure le pire : fermeture des kiosques mis en difficulté depuis le confinement, baisse du nombre des kiosquiers justement, faillite de la distribution des journaux imprimés, … La presse est donc sinistrée, sinon en faillite. Pas sûr que le total des 483 millions d’euros d’aides supplémentaires accordés par le chef de l’Etat – lequel avait reçu le 27 août à l’Elysée « une délégation » de l’Apig – sorte la presse française de l’ornière, secteur qui touche déjà plus de 800 millions d’euros par an d’aides d’Etat. Environ 22 % de ce demi-milliard supplémentaire ont déjà été budgétés fin juillet dans les « mesures d’urgence », notamment par un crédit d’impôt de 30 % pour les abonnements à un journal d’information politique et générale (8), et les 78 % à venir seront étalés sur deux ans – « jusqu’en 2022 » – pour notamment, dit le gouvernement, « accompagner les transitions écologique et numérique du secteur ».

En plus des 800 M€ d’aides d’Etat annuelles
Une partie de la rallonge de 483 millions d’euros passera par le ministère de la Culture et son Fonds stratégique pour le développement de la presse (FSDP), dont « les crédits seront fortement augmentés pour un total de 50 millions d’euros » (contre 16,5 millions de dotation initiale), ainsi que par un plan de transformation des imprimeries à hauteur de 18 millions d’euros par an. En outre, « une aide pérenne sera instaurée en faveur des services de presse en ligne d’information politique et générale, à hauteur de 4 millions d’euros par an », avait précisé le trio Macron-Le Maire-Bachelot (9). Dans la foulée de ce plan de secours additionnel sans précédent en faveur de la presse française – donc en plus de presque 1milliard d’euros d’aides d’Etat annuelles –, le président de la République a promis à la filière en souffrance que « l’Etat continuera de s’engager, au niveau national comme au niveau européen, pour la bonne application du droit voisin des éditeurs de presse et pour une meilleure régulation du marché de la publicité en ligne ».
Cela fera un an fin octobre qu’entrait en vigueur la loi française instaurant un droit voisin au profit des éditeurs de presse et des agences de presse (10). Avec ce premier texte législatif, la France ne manque pas une occasion de revendiquer être le premier pays des Vingt-sept à avoir transposé dans son droit national la directive européenne « sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique » (11). Elle prévoit des négociations entre, d’une part, les éditeurs et agences de presse qui peuvent autoriser ou interdire la reprise de leurs contenus, et, d’autre part, les plateformes numériques, en vue d’un « partage de la valeur ». Mais aussitôt que les discussions se sont ouvertes entre l’Apig et Google en France, aussitôt elles se sont soldées par un échec. Sur ses moteurs de recherche (dont Google Actualités), le géant du Net veut remplacer les snippets (vignettes) affichant extrait, photo ou vidéo – pour les journaux qui n’acceptent pas la gratuité de cet aperçu – par quelques mots seulement. Les éditeurs français, eux, accusent Google de vouloir contourner l’esprit de la loi en ne voulant pas tous les rémunérer. Le point de blocage est là. Saisie en novembre 2019 par l’Apig, le Syndicat des éditeurs de la presse magazine (SEPM) et l’Agence France-Presse (AFP), l’Autorité de la concurrence avait le 9 avril dernier ordonné à Google (12) de négocier « dans un délai de trois mois » avec la presse généraliste. Google avait fait appel pour tenter d’annuler cette décision, sans que ce recours ait été suspensif du compte à rebours. Mais, à fin juilletdébut août, les nouvelles négociations n’ont pas eu plus de succès que les précédentes. En conséquence, début septembre, l’Apig, le SEPM puis l’AFP ont annoncé avoir chacun ressaisi le gendarme de la concurrence pour « non-respect de l’injonction ». « Google n’a pas négocié de bonne foi [et] nous a proposé une extension des discussions, ce qu’on a refusé car celles-ci ont tourné en rond », a affirmé Fabrice Fries, PDG de l’AFP… dans une dépêche AFP. La balle est à nouveau dans les mains de l’Autorité de la concurrence, confortée par l’arrêt du 8 octobre qui condamne en plus Google « aux dépens et à payer » 60.000 euros répartis entre l’Apig, le SEPM et l’AFP.
Qu’il est loin le temps où une précédente association de la presse généraliste, l’AIPG (13), pactisait avec Google en signant en grande pompe le 1er février 2013 à l’Elysée – avec François Hollande – un accord pour créer en France un « fonds pour l’innovation numérique de la presse » (Finp) doté de seulement 60 millions d’euros sur trois ans. Une aumône (14). Le Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne (Spiil) en critiqua la portée (15). Le « Digital News Initiative » (DNI) qui prit la suite du Finp, au niveau européen cette fois mais pour seulement 150 millions d’euros étalés sur trois ans (16), ne fit guère fait mieux. Parallèlement au dialogue de sourds de cet été, l’Apig annonçait le 30 juillet avec VG Media, la puissante société allemande de gestion collective des droits d’auteur et les droits voisins des médias outre-Rhin (télévision, radio, presse, numérique), la cocréation d’« une nouvelle société de gestion collective, ouverte à tous les éditeurs de presse européens ». Ce projet franco-allemand a été salué par Emmanuel Macron. Pas de quoi, semble-t-il, impressionner Google qui continue de raisonner mondialement malgré les exigences locales des éditeurs de presse en France, en Allemagne ou encore en Australie.

Google, Apple et Facebook ont « mauvaise presse »
Le PDG de Google (depuis plus de cinq ans), Sundar Pichai, qui est aussi le PDG de la maison mère Alphabet (depuis près d’un an), a mis sur la table le 1er octobre 1 milliard de dollars pour nouer des partenariats avec des éditeurs de journaux du monde entier. « Cet engagement financier, notre plus important à ce jour (17), permettra aux éditeurs de créer et de sélectionner du contenu de haute qualité (…). Google News Showcase [« Vitrine d’actualités », ndlr] est un nouveau produit qui bénéficiera à la fois aux éditeurs et aux lecteurs », a-t-il lancé sur son blog (18). Quelques journaux en Europe, tels que les allemands Der Spiegel, Stern, Die Zeit et le Handelsblatt, ou des britanniques, ont déjà signé ce nouveau partenariat aux côtés de 200 autres publications dans le monde. Sur un autre terrain, l’Apig se bat – avec d’autres organisations d’éditeurs de presse en Europe – contre Apple et ses 30 % de commission (19) que les éditeurs de presse jugent « excessivement élevé, inéquitable et discriminatoire ». Prochaine cible : Facebook, comme en Australie. @

Charles de Laubier

Google Search, Google News et Google Discover : le quasi-monopole de la recherche d’actualités en ligne

L’injonction prononcée le 9 avril par l’Autorité de la concurrence contre Google – pour l’obliger à négocier avec la presse française une rémunération pour la reprise de ses articles – est l’occasion de faire le point sur Google Search, Google News et Google Discover dans le traitement de l’actualité.

« Nous nous conformerons à la décision de l’Autorité de la concurrence que nous sommes en train d’analyser, tout en poursuivant [l]es négociations », a fait savoir le jour-même du verdict dans un communiqué Richard Gingras (photo), vice-président chez Google, en charge des activités « News », que les actualités soient sur le moteur de recherche Google Search, dans l’agrégateur d’actualités Google News ou le fil Google Discover. La firme de Mountain View – Richard Gingras étant basé, lui, à moins de dix kilomètres, à Los Altos – est en train de passer au crible les 72 pages (1) de l’injonction du gendarme français de la concurrence, lequel doit encore rendre sa décision sur le fond.

La position dominante de Google
« Google est susceptible de détenir une position dominante sur le marché français des services de recherche généraliste. En effet, sa part de marché en nombre mensuel de requêtes est de l’ordre de 90 % à la fin de l’année 2019. Il existe, par ailleurs, de fortes barrières à l’entrée et à l’expansion sur ce marché, (…) de nature à rendre la position de Google difficilement contestable », relève d’emblée l’Autorité de la concurrence, dans sa décision rendue le 9 avril dans l’affaire du droit voisin de la presse, et en attendant sa décision au fond. Le numéro un mondial des moteurs de recherche, créé il y a vingt-deux ans, est massivement utilisé pour rechercher des informations, à commencer par le vaisseau amiral Google Search (2). Internautes et mobinautes y formulent leurs requêtes par mots-clés (un ou plusieurs) et obtiennent en moins d’une seconde des résultats qui peuvent être au nombre de quelques-uns ou de plusieurs millions, voire plusieurs milliards. Parmi eux se trouvent des liens d’actualités affichés sous une forme standardisée (3) qui fait apparaître le titre de l’information, le nom du site web référencé, un extrait de texte ou de l’article en question, et éventuellement une image miniature. Dans cette « éditoriali-sation » des résultats de recherche, Google désigne l’extrait de texte sous le terme anglais de snippet (extrait, en français). « Le terme snippet ne recouvre ni le titre, ni l’éventuelle image miniature apparaissant dans les résultats de recherche », précise Google. Au-delà de ces extraits, le moteur de recherche de la filiale d’Alphabet met aussi en avant l’actualité à travers un carrousel intitulé « A la Une » et dont les résultats défilent horizontalement à l’aide de petites flèches. Y apparaissent photos, titres et noms des journaux et/ou des sites web d’information, et indication du temps écoulé depuis la parution de chacune des actualités. En revanche, n’apparaissent généralement pas dans ce carrousel d’actualités des extraits de l’article. Pour figurer dans ce carrousel « A la Une », notamment sur smartphone, le contenu des éditeurs doit être disponible au format AMP (4) qui accélère l’affichage des pages web lorsqu’elles sont construites à l’aide de ce protocole (5) créé en 2015 et opérationnel depuis février 2016. Selon Google « l’utilisation du protocole AMP équivaut à donner son consentement à la “mise en cache” et à la prévisualisation des images de [plus ou moins, en fonction du choix de l’éditeur, ndlr] grande taille ». Dans la frise, cette fois, des onglets situés en haut de la page des résultats, l’un d’entre eux – le deuxième – est intitulé « Actualités » (ou « News ») et donnent accès à une liste de titres avec pour chacun une photo, le nom de l’éditeur, le temps écoulé depuis la mise en ligne et le fameux snippet de deux lignes.
En dehors de ce vaisseau amiral Google Search, le géant du Net a aussi lancé en 2002 Google News (sorti de sa phase bêta en 2006). Cet agrégateur d’actualités – accessible gratuitement à partir de news.google.com ou via les applications mobiles sous iOS et Android – est décliné dans plusieurs pays, dont la France avec « Google Actualités » (sorti de sa période de test en 2009). Contrairement à Google Search, Google News est dédié à l’actualité et se décline en quelque 80 versions locales du monde entier, qui s’affichent automatiquement en fonction de la langue et la région de l’utilisateur (6). En tête du service, se trouve la barre de recherche d’actualités par mots-clés pour « rechercher des sujets, des lieux et des sources ». L’utilisateur en outre visualiser dans la page Google News différentes sections thématiques.

Robots (bots), crawling et Big Data
Le point commun entre Google Search et Google News, c’est que ces deux services gratuits s’appuient sur le même index de Google. Cet index de plusieurs milliards de pages web est le nerf de la guerre de la firme de Mountain View, son fonds de commerce, sa raison d’être. Ce Big Data est constitué par une exploration – crawling – quotidienne du Web, à l’aide de robots d’indexation. Ces bots Internet naviguent systématiquement sur le World Wide Web pour indexer les contenus qui s’y trouvent. Google les stocke aussitôt sur ses plus de 2,5 millions de serveurs informatiques répartis sur la planète (7). Le protocole d’exclusion des robots – ou REP pour Robot Exclusion Protocol – permet aux éditeurs d’autoriser ou d’exclure des parties de leurs sites web aux robots d’exploration automatisés. Quant aux balises Meta, elles donnent aussi des instructions aux robots d’indexer ou pas des pages web, tandis que le « Publisher Center » permet aux éditeurs de gérer la présentation de leurs contenus dans Google News.

Loi « Droit voisin » en vigueur depuis 6 mois
Sur smartphones et tablettes, un autre service appelé Google Discover (ex-Google Feed) offre la possibilité aux mobinautes d’obtenir des informations en rapport avec ses centres d’intérêt. Il s’agit d’un flux d’actualités intégré sous Android ou sous iOS. Plus de 800 millions de mobinautes utilisent cette fonctionnalité à travers le monde, selon un tweet de Vincent Courson (8), responsable de la sensibilisation et directeur de programme chez Google à Dublin (Irlande). Les résultats affichés d’emblée par Discover, souvent en lien avec l’actualité, apparaissent sous la forme d’images-vignettes, de titres de page, de noms d’éditeur ou de domaine, et éventuellement de snippets ou de prévisualisation vidéo animée. « Discover n’est pas un service d’actualités spécialisé, a précisé Google à l’Autorité de la concurrence. Il s’agit essentiellement du moteur de recherche général fonctionnant sans requête spécifique, utilisant plutôt les intérêts connus de l’utilisateur pour fournir un flux de résultats personnalisés qui pourraient intéresser l’utilisateur ».
Jusqu’à fin 2019, les éditeurs devaient remplir un formulaire pour être affichés dans Google News. Depuis, ils peuvent opter pour ne plus être sur Google News en donnant une instruction aux robots d’exploration automatiques (automated crawlers) du géant du Net. Google a en outre expliqué en début d’année à l’Autorité de la concurrence que « Google Actualités s’appuie également sur l’index de recherche général de Google, mais les applications contiennent aussi du contenu supplémentaire : les éditeurs de presse qui ont des accords avec Google peuvent directement fournir des flux RSS [Really Simple Syndication, ndlr] de leur contenu à Google Actualités ». Or, dans la foulée de la promulgation de la loi du 24 juillet 2019 créant un droit voisin au profit des agences de presse et des éditeurs de presse (9) et en prévision de son entrée en vigueur le 24 octobre suivant, Google a modifié – de façon unilatéral et sans négociation avec les éditeurs sur leur rémunération à venir – sa politique d’affichage des contenus d’actualité au sein des différents services en ligne, notamment Google Search, Google Actualités et Discover. Sur le blog officiel de Google France, Richard Gingras a prévenu dès le 25 septembre 2019 que « [le moteur de recherche] n’affichera plus d’aperçu du contenu en France pour les éditeurs de presse européens, sauf si l’éditeur a fait les démarches pour nous indiquer que c’est son souhait » et que « ce sera le cas pour les résultats des recherches effectuées à partir de tous les services de Google » (10). Les éditeurs basés en France, dont les sites web ont été désignés « European press publication » par la « Google Search Console Team », ont reçu le même jour un e-mail – comme celui reçu par Edition Multimédi@ (11) – les informant des nouvelles balises Meta (max-snippet, max-image-preview, max-videopreview) à mettre en place dans le code source de leurs pages web. Si l’éditeur utilise les réglages pour permettre les aperçus de texte et d’image, Google le paiera-t-il ? « Nous n’acceptons pas de rémunération pour les résultats de recherche organiques et nous ne rémunérons pas les liens ou les aperçus figurant dans les résultats de recherche. Lorsque vous utilisez les nouveaux réglages, vous acceptez l’utilisation d’aperçus de votre contenu sans paiement, que ce soit vers ou depuis Google » (12). Les éditeurs de presse français ont aussitôt reproché au géant du Net de « contourner la loi » et d’abuser de sa position dominante (13), mais la plupart d’entre eux ont autorisé Google à continuer à afficher des contenus protégés (14) – sans pour autant renoncer à rémunération pour la reprise et l’affichage de leurs contenus (les éditeurs l’ont fait savoir à Google par courrier). Pour les sites web d’information qui n’ont pas autorisé Google à afficher leurs contenus protégés, ils se sont exposés à des baisses de trafic significatives, de l’ordre de 30 % à plus de 50 %. « L’application par Google d’un “prix nul” à l’ensemble des éditeurs de presse pour la reprise de leurs contenus protégés n’apparaît pas comme constituant une mesure raisonnable au sens de la jurisprudence », ont considéré les sages de la rue de l’Echelle. Google s’est défendu en leur affirmant qu’il peut avoir des accords contractuels et financiers avec des éditeurs de presse en ce qui concerne la vente et l’achat de publicités en ligne. Mais l’Autorité de la concurrence a considéré que « les pratiques anticoncurrentielles et les discriminations peuvent constituer un abus de position dominante » de la part de Google. Ces pratiques sont susceptibles d’être préjudiciables aux éditeurs et agences de presse, en privant la loi « Droits voisins » de juillet 2019 de ses effets escomptés.

En attendant une décision au fond
Dans l’attente de la décision au fond, et au vu des demandes de mesures conservatoires demandées (15) par l’APIG (16), le SEPM (17) et l’AFP (18), il est exigé de Google – sous forme d’injonction – « de négocier de bonne foi avec les éditeurs et agences de presse qui en feraient la demande pour la reprise de leurs contenus ». Et ce, « dans un délai de 3 mois à partir de la demande d’ouverture d’une négociation » et « de façon rétroactive [au] 24 octobre 2019 ». Ces injonctions demeurent en vigueur jusqu’à la publication de la décision au fond de l’Autorité de la concurrence. @

Charles de Laubier

Tout en justifiant son soutien à la directive « Copyright », Qwant prépare une grosse levée de fonds et vise la Bourse

Slogan de Qwant : « Le moteur de recherche qui respecte votre vie privée » – … « et le droit d’auteur », rajouteraiton depuis que son PDG Eric Léandri soutient la directive « Droit d’auteur » – adoptée le 26 mars. Mais il se dit opposé au filtrage du Net. Côté finances, le moteur de recherche veut lever 100 millions d’euros et vise la Bourse.

Les éditeurs de presse veulent leur « droit voisin » pour toucher des redevances des « Google News »

Google a annoncé début octobre 2017 vouloir aider les éditeurs de journaux
à gagner des abonnés. L’exploitation des articles de presse a soulevé ces dernières années d’importants débats en matière de droit d’auteur et sur les solutions – comme le « droit voisin » de la presse actuellement en débat.

* Ancien bâtonnier du Barreau de Paris, et auteure de
« Cyberdroit », dont la 7e édition (2018-2019) paraîtra en
novembre 2017 aux éditions Dalloz.

L’AFP accélère sa conquête mondiale de nouveaux clients, tout en augmentant sa visibilité sur Internet

C’est un tournant pour l’Agence France-Presse (AFP) : elle s’est engagée dans un vaste développement commercial sur cinq ans (2017-2021), en misant plus que jamais sur la vidéo, et s’est dotée d’un accord « historique » d’entreprise en vigueur depuis le 11 mars. Sa présence sur Internet et les mobiles s’intensifie.

Par Charles de Laubier

« Nous pourrions arriver sur Instant Article, (…) en tant qu’AFP. C’est en tout cas une possibilité que l’on étudie », a révélé Emmanuel Hoog (photo), PDG de l’Agence France-Presse, devant l’Association des journalistes médias (AJM) le 5 avril dernier, sans vouloir en dire plus. Il faut dire qu’à chaque fois que l’AFP fait un pas de plus sur Internet, cela inquiète ses clients médias qui craignent d’être concurrencés par leur propre fournisseur d’informations. Lancé en mai 2015 par Facebook, Instant Articles permet aux médias de publier en affichage rapide des articles en ligne sur mobile. L’arrivée de la troisième agence de presse mondiale sur l’application d’actualité du numéro un mondial des réseaux sociaux n’est pas anodine.
En fait, née il y a plus de 70 ans, l’AFP est de plus en plus présente en tant qu’éditeur sur le Web et les mobiles : elle a lancé dès 2009 une chaîne YouTube qui compte aujourd’hui 116.500 abonnés. Et depuis son arrivée à la tête de l’agence il y a quatre ans, Emmanuel Hoog n’a eu de cesse d’accroître cette visibilité en ligne.

L’AFP directement sur Internet : « Cela a toujours été mal compris » (Hoog)
L’agence est depuis 2010 sur Facebook avec à ce jour plus de 551.100 amis, depuis 2011 sur Twitter avec actuellement quelque 2,5 millions de followers, depuis 2012 sur le Web avec le Making-of (making-of.afp.com), un blog à succès consacré aux coulisses de l’information de l’AFP et des médias en général, sans parler de ses avancées sur Instagram et Snapchat avec de courtes vidéos.
L’AFP, qui va aussi lancer en juin avec ses homologues italienne Ansa et allemande DPA un site web gratuit de data-journalisme (European Data News Hub), est passée d’une logique « filaire » à une logique de « plateforme de services », au risque de concurrencer ses propres clients médias (1). Mais Emmanuel Hoog s’en défend : « Quand je dis que l’AFP dois être présente sur Internet, cela a toujours été mal compris. Du moins, j’ai dû mal m’exprimer car l’idée n’était pas du tout de mettre le fil (des dépêches) sur Internet. Cela n’aurait eu aucun sens car nous sommes dans le B2B et nous le resteront. En revanche, il n’était pas possible d’imaginer, au moment où les réseaux sociaux arrivaient, que l’AFP n’ait qu’un site web “corporate”. Il fallait donc trouver des chemins », a-t-il justifié. Double langage ?

La vidéo, premier relais de croissance
L’AFP est en fait prise en tenaille entre ses homologues (Reuters, AP, …) et les géants du Net (Google, Facebook, …) qui se livrent une concurrence féroce sur le marché de l’actualité et du direct (2). Elle doit donc se démarquer pour ne pas perdre des parts de marché face à ces géants mondiaux. « Le plus inquiétant sur les réseaux sociaux, c’est le problème de la répartition de la valeur. Il y a captation de la valeur [par de nouveaux acteurs comme Google, ndlr] », s’est inquiété Emmanuel Hoog. En plaidant – avec l’Alliance européenne des agences de presse (EANA) dont elle est membre – pour la défense d’un droit voisin étendue à son activité (en plus des éditeurs de presse), l’AFP a rappelé le 14 mars dernier que « l’utilisation de licences de contenu protégé par le droit d’auteur est la principale source de financement des agences de presse », et que, selon elle, « les moteurs de recherche sont devenus des banques de données, tirant un profit à partir d’un contenu qu’ils n’ont ni créé ni financé ».
Déjà massivement présente avec ses dépêches reprises aussitôt – plus ou moins
« bâtonnées » (comprenez retravaillées) – par les sites de presse en ligne et les blogs d’actualité, avec pour conséquence une uniformisation de l’information due au « copier-coller » démontré par une récente étude publiée par l’INA (3), l’AFP mise par ailleurs plus que jamais sur la vidéo. Alors que la crise de la presse écrite, clientèle historique de l’AFP qui pèse sur son chiffre d’affaires généré par les abonnements aux fils de dépêches d’actualité, la vidéo se retrouve plus que jamais comme« le premier relais
de croissance » de l’agence qui a commencé à y investir il y a quinze ans maintenant. C’est en effet en 2002 qu’ont été lancés AFPTV et la plateforme vidéo, internationalisés depuis 2007. Puis ce fut le lancement en 2015 de la déclinaison live comme offre de flux vidéo en direct (actualité internationale, événements sportifs, vie culturelle, rendez-vous institutionnels, …), à destination des médias – chaînes de télévision en tête. Avec son plan de relance et de développement commercial 2017- 2021, lequel vise à conquérir en France et dans le monde un millier de nouveaux clients d’ici à cinq ans
(de 4.800 environ à quelque 5.800), la vidéo devient une priorité, ainsi que le sport et l’international. Il s’agit notamment pour l’agence de « développer la transmission des sujets vidéo dans le monde sous IP (Internet) ». L’objectif « ambitieux » porté par Emmanuel Hoog – dont le mandat se termine en avril 2018 – est dans le même temps de diminuer le poids des 50 plus gros clients – hormis l’Etat et les services publics français – dont l’agence de presse est encore aujourd’hui trop dépendante à hauteur de plus de la moitié de ses revenus. Pour cette année, le conseil d’administration de l’AFP table sur un chiffre d’affaires de 300 millions d’euros – en incluant la dotation de l’Etat
« au titre de la mission d’intérêt général » de 115 millions d’euros – pour un résultat net à l’équilibre (contre une perte prévisionnelle de 5 millions d’euros en 2016). La vidéo, elle, n’aurait rapporté que 13,5 millions d’euros l’an dernier mais la croissance à deux chiffres de cette offre audiovisuelle lui permet d’espérer de s’approcher des 20 millions d’euros cette année. AFPTV produit par mois 2.500 vidéos et 200 directs, et compte à ce jour 300 clients dans le monde, dont, depuis fin mars, la BBC qui a retenu l’agence de presse française comme l’un de ses principaux fournisseurs de vidéos et de live. Autre offre prioritaire, le sport a généré l’an dernier plus de 43 millions d’euros. Quant
à AFP-Services, filiale « à la demande » de l’agence qui vend des contenus originaux, services vidéo et productions personnalisées aux institutions, entreprises et médias, elle a vu son chiffre d’affaires baisser de 6 % l’an dernier à 5 millions d’euros mais vise cette année une croissance de 15 %. Elle fournit non seulement des vidéos, des photos et des reportages texte, mais aussi des « fils sur les réseaux sociaux », du « blogging en direct », ainsi que des graphiques et des infographies animées. A travers cette activité, l’AFP n’est plus uniquement le fournisseur historique de la presse écrite et de l’Etat français, mais aussi de plus en plus des entreprises et des organisations dites
« corporate ».
Soixante ans après la loi du 10 janvier 1957 « portant statut de l’agence France-
Presse », modifiée par la loi du 17 avril 2015, l’AFP est désormais en ordre de bataille pour concurrencer à armes égales ses deux principales rivales mondiales que sont l’agence britannique Reuters et de l’américaine Associated Press (AP). Sa « nouvelle filiale technique de moyens et d’innovation » AFP Blue, société privée créée en janvier 2015 sur les bases de celle du même nom qui existait déjà depuis 1986, a été financée à plus de 35 millions d’euros (4) pour investir dans le numérique et la vidéo.

Accord « historique » d’entreprise
L’AFP emploie 800 journalistes environ (sur 2.300 personnes avec les collaborateurs), quelque 130 ouvriers, 95 employés dits de presse et 320 cadres administratifs et techniques. Après trois ans de négociations, un accord unique d’entreprise –
« historique » – est entré en vigueur le 11 mars après avoir été signé, non sans mal, par les trois syndicats majoritaires CGT, SNJ et CFDT. @

Charles de Laubier