La Commission européenne plaide pour le respect du droit international dans l’affaire «Microsoft Irlande»

Dans l’affaire du stockage des données en Irlande qui oppose Microsoft au gouvernement américain, la Commission européenne a déposé un mémoire devant la Cour suprême des Etats-Unis dans lequel elle plaide pour une application des principes de « territorialité » et de « courtoisie internationale ». Explications.

L’Open data risque de se heurter aux droits de propriété intellectuelle des services publics

Le buffet des données publiques est ouvert, mais les administrations réfractaires à l’open data n’ont peut-être pas dit leur dernier mot avec le droit d’auteur. La loi « République numérique » pourrait leur avoir offert une nouvelle arme pour lutter contre la réutilisation de leurs données.

Marie-Hélène Tonnellier (avocat associée) & Corentin Pallot (avocat) – Latournerie Wolfrom Avocats

L’« économie de la donnée » est sur toutes les lèvres, et l’ouverture en grand des vannes des données générées par les services de l’Etat et des collectivités territoriales est présentée par beaucoup comme un sérieux levier de croissance. A voir les données déjà « offertes » au téléchargement par les administrations sur la plateforme publique Data.gouv.fr, l’on comprend aisément tout le potentiel pour les opérateurs économiques : base « Sirene » de l’ Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) donnant accès au répertoire de 9 millions d’entreprises et 10 millions d’établissements actifs, mais aussi par ailleurs données de trafic des transporteurs publics, cartes maritimes, liste des fournisseurs des départements, dépenses d’assurance maladie par les caisses primaires et départementales, etc.

Accélération du mouvement open data
Mais l’open data entend dépasser la seule sphère économique et compte s’imposer comme un véritable outil démocratique en permettant à tous, et notamment aux journalistes et aux médias, d’accéder et d’exploiter les masses colossales de données générées par l’administration. Toujours sur la plateforme Data.gouv.fr, développée et animée par la mission Etalab (voir encadré page suivante), les statistiques relatives aux impôts locaux, aux infractions constatées par département ou encore les résultats de tous les établissements scolaires privés et publics français, représentent sans conteste une source exceptionnelle mise à la disposition des journalistes de données (data journalists) pour entrer dans l’intimité du fonctionnement de l’Etat. C’est la loi « pour une République numérique » du 7 octobre 2016 (1), portée par Axelle Lemaire (alors secrétaire d’Etat chargée du Numérique et de l’Innovation), qui a souvent été présentée comme la grande réforme de l’open data. Le chantier avait en réalité été déjà bien entamé dans les mois qui l’avaient précédée. Ainsi le législateur avait-il par exemple décidé d’aller au-delà des impératifs européens en matière de tarification des données, en consacrant purement et simplement le principe de la gratuité avec la loi « Valter » (2). Mais il faut néanmoins reconnaître à Axelle Lemaire une avancée législative notable pour l’open data, qui a d’ailleurs introduit la notion de « service public de la donnée » (3). Parmi ses mesures les plus emblématiques, l’ouverture des données
des services publics industriels et commerciaux apporte un élargissement considérable à la notion d’« information publique ». Alors que la réglementation autorisait jusqu’à cette réforme l’accès à ces données mais en interdisait la libre réutilisation (4), il est à présent possible d’exploiter ces immenses gisements informationnels.
Nous pourrions également citer d’autres nouveautés d’une aide indéniable pour le développement de l’open data, comme l’obligation faite aux administrations de publier en ligne certains documents et informations, tels que les « bases de données, mises à jour de façon régulière, qu’elles produisent ou qu’elles reçoivent et qui ne font pas l’objet d’une diffusion publique par ailleurs » ou encore « les données, mises à jour de façon régulière, dont la publication présente un intérêt économique, social, sanitaire ou environnemental » (5). De même, la contrainte faite aux administrations qui souhaitent soumettre la réutilisation gratuite à des licences de choisir parmi une liste fixée par décret permettra nécessairement une plus grande facilité de réutilisation (6), même
si les administrations conservent néanmoins la possibilité d’élaborer leurs propres licences, à condition néanmoins de les faire homologuer par l’Etat.
Mais qui trop embrasse mal étreint. Et à vouloir border textuellement tous les aspects de l’open data, la loi « République numérique » pourrait avoir offert aux administrations une nouvelle arme pour lutter contre la réutilisation de leurs données, grâce à leurs droits de propriété intellectuelle.

Opposition à la libre-circulation des data
Il existait depuis longtemps un débat sur la faculté pour les administrations d’opposer
à la libre réutilisation de leurs informations publiques leurs droits de propriété intellectuelles sur les documents dans lesquels ces précieuses données figuraient (bases de données, logiciels, etc.). Certes, la Commission d’accès aux documents administratifs ( CADA ) , a u torité administrative chargée de veiller à la liberté d’accès aux documents administratifs, avait eu l’occasion de répondre par la négative à cette question (7).

Propriété intellectuelle et droit d’auteur
Mais la doctrine d’une administration ne suffit pas à faire le droit et la cour administrative d’appel de Bordeaux, en 2015, avait justement jugé le contraire, en considérant que le conseil général du département de la Vienne pouvait opposer son droit sui generis de producteur de bases de données pour s’opposer à la réutilisation des archives publiques de la collectivité (8). Le Code de la propriété intellectuelle permet notamment d’interdire l’« extraction, par transfert permanent ou temporaire de
la totalité ou d’une partie qualitativement ou quantitativement substantielle du contenu d’une base de données sur un autre support, par tout moyen et sous toute forme que ce soit [et la] réutilisation, par la mise à la disposition du public de la totalité ou d’une partie qualitativement ou quantitativement substantielle du contenu de la base, quelle qu’en soit la forme » (9). Saisi de la question, le Conseil d’Etat a rejeté l’argumentaire des magistrats bordelais par un arrêt du 8 février 2017 (10). En interdisant à l’administration d’opposer un quelconque droit de propriété intellectuelle, le Conseil d’Etat apportait ainsi sa pierre à l’édifice de l’open data. Sauf qu’entre-temps le législateur avait à tout prix souhaité légiférer sur le sujet.
Visiblement inquiets, si l’on en croit les discussions parlementaires, de l’arrêt de la
cour administrative de Bordeaux précité, les rédacteurs de la loi ont cru devoir écarter expressément la faculté pour l’administration d’opposer ses droits sui generis de producteur de base de données. Mais l’enfer est pavé de bonnes intentions et, apparemment obnubilés par cet arrêt d’appel, les rédacteurs se sont alors contentés d’interdire aux administrations d’opposer ce droit sui generis sans faire mention des autres droits de la propriété intellectuelle – notamment le droit d’auteur. Les administrations host i les à l’open data ne manqueront probablement pas d’exploiter cette maladresse pour opposer leurs autres droits de propriété intellectuelle. Tout
aussi contraire à l’esprit d’ouverture de la loi , celle-ci cantonne ce t te interdiction d’opposer le droit sui generis de producteur de bases de données à la réutilisation
des seuls contenus de « bases de données que ces administrations ont obligation de publier ». A savoir : les « bases de données, mises à jour de façon régulière, [que les administrations] produisent ou qu’elles reçoivent et qui ne font pas l’objet d’une diffusion publique par ailleurs » (11). Cette disposition ouvre encore ici la voie à une interprétation a contrario des administrations réticentes, puisque seules certaines bases de données doivent impérativement être publiées.
La CADA a eu beau s’émouvoir de ce dangereux excès de précision, la loi a été votée et promulguée en l’état (12). Il existe donc à ce jour une marge d’interprétation et, partant, une source d’inconnu quant à la faculté pour l’administration de s’opposer à la libre réutilisation de données lorsque celles-ci sont contenues dans des documents sur lesquels elle détient des droits de propriété intellectuelle : soit parce qu’elle invoque des droits de propriété intellectuelle autres que ceux du producteur de bases de données, soit parce qu’il s’agit de bases de données dont la publication n’est pas obligatoire.

Des administrations peu enclines à partager
On sait que certaines administrations n’ont pas été particulièrement enchantées par
le mouvement l’ouverture des données publiques, pour diverses raisons : nécessaire surcharge d’activité induite par le travail de mise à disposition, refus de partager leurs précieuses données jalousement conservées depuis des décennies (ou pense notamment aux services publics industriels et commerciaux), manque à gagner puisque certaines administrations monétisaient – parfois fort cher ! – leurs données. Ces administrations ne manqueront certainement pas de s’engouffrer dans la brèche.
La grande razzia sur les données publiques que l’on nous avait annoncée se révèlera peut-être moins facile qu’on nous l’avait promise. @

ZOOM

Google, Microsoft, Orange ou encore Salesforce, partenaires d’Etalab
En France, la politique d’ouverture en ligne des données publiques (Open data) est pilotée par la mission Etalab, placée sous l’autorité du Premier ministre depuis février 2011 et, depuis octobre 2012, rattachée directement au Secrétaire général pour la modernisation de l’action publique. Etalab gère le portail unique interministériel Data.gouv.fr, lequel met « à disposition librement l’ensemble des informations publiques de l’Etat, de ses établissements publics et, si elles le souhaitent, des collectivités territoriales et des personnes de droit public ou de droit privé chargées d’une mission de service public ». Etalab rassemble en outre des acteurs de l’innovation en France au sein d’une communauté appelée Dataconnexions, dans laquelle l’on retrouve Google, Microsoft, Orange ou encore Salesforce parmi les partenaires. C’est dans ce cadre que sont organisés des concours pour encourager l’usage des données publiques et récompenser les projets les plus innovants. Six éditions ont déjà eu lieu. @

Charles de Laubier

Le père fondateur du Web décide de donner un coup de pouce aux DRM sur Internet : controverse

Alors que le 9 juillet fut la journée internationale contre les DRM, le World Wild Web Consortium (W3C) – présidé par Tim Berners-Lee, principal inventeur du Web – a approuvé le 6 juillet la controversée spécification EME (Encrypted Media Extensions) facilitant la mise en ligne de contenus protégés.

« Par rapport aux méthodes précédentes de visualisation de vidéo chiffrée sur le Web [comprenez des vidéos de films, de clips vidéo ou de séries cryptées pour n’être lues que par l’acquéreur, ndlr], EME a l’avantage que toutes les interactions se produisent au sein du navigateur web et il déplace ces interactions des plugins vers le navigateur. De cette façon, EME apporte une meilleure expérience utilisateur, offrant une plus grande interopérabilité, confidentialité, sécurité et accessibilité pour la visualisation de vidéos chiffrées sur le Web », a expliqué Tim Berners Lee (photo) pour justifier l’approbation le 6 juillet (1) de la spécification Encrypted Media Extensions (EME) par le World Wild Web Consortium (W3C) qu’il dirige.

DRM : Digital Restrictions Management
Ce standard est destiné à faciliter l’usage par les ayants droits de DRM, ces systèmes de gestion numériques des droits d’œuvres audiovisuelles. Comme le suggère son nom, EME est une spécification technique qui prolonge le standard HTML5 en fournissant des API (Application Programming Interface) pour mieux contrôler la lecture – à partir d’un navigateur web – de contenus cryptés. Il s’agit donc de faciliter a priori
la vie de l’internaute face aux nombreux contenus protégés ou restreints en utilisation, conformément aux exigences des industries culturelles et de leurs ayants droits. EME fait office de passerelle entre les navigateurs web et les logiciels de DRM (Digital Rights Management), lesquels ne font pas l’unanimité – certains préférant les appeler d’ailleurs des « Digital Restrictions Management ». L’avantage de EME est, selon le W3C, de permettre l’utilisation de vidéos sous HTML5 pour les visualiser avec leur DRM embarqué comme pour des services de streaming vidéo, mais sans avoir besoin de recourir à des plugins tiers tels que Flash d’Adobe ou Silverlight de Microsoft. Cette nouvelle spécification est basée sur le HTML5, lequel permet le développement d’applications sur le Web fixe et mobile, et permet d’avoir du streaming adapté en utilisant des standards tels que Mpeg-Dash (Dynamic Adaptive Streaming over http)
(2) ou Mpeg Common Encryption (Mpeg-Cenc). Dès avril 2013, Netflix fut la première entreprise à offrir des vidéos en mode EME sur des ordinateurs Chromebook de Samsung (fonctionnant sous le système d’exploitation Chrome OS développé par Google). Sans attendre l’adoption du W3C, les navigateurs Chrome (Google), Internet Explorer (Microsoft), Safari (Apple), Firefox (Mozilla Foundation) et Edge (Microsoft) l’ont adopté à partir de 2016. La controverse vient du fait que EME contient des éléments propriétaires, par définition fermés, au coeur de ce qui devrait être au contraire un écosystème entièrement ouvert et basé sur des logiciels libres. Il est reproché à cette extension d’instaurer des barrières au niveau des navigateurs web censés être open source, d’être un frein à l’interopérabilité, de poser des problèmes au regard de la vie privée, ou encore d’exposer l’internaute à des ennuis judiciaires avec les ayants droits.
Aux Etats-Unis, la controverse des derniers mois fait place à la polémique. La Free Software Foundation (FSF), qui mène campagne contre les restrictions des DRM en tout genre via sa campagne militante « Defective by Design », s’en ait pris à la décision de Tim Berners-Lee approuvant EME. « Nous sommes opposés à EME depuis le début [il y a trois ans, ndlr] parce qu’il empiète sur le contrôle des internautes de leurs propres ordinateurs et affaiblit leur sécurité et leur vie privée. Un représentant de l’ONU [Frank La Rue, directeur général adjoint à la communication et à l’information de l’Unesco, ndlr], un groupe de défenseurs des droits de l’homme [Just Net Coalition, dont sont membres pour la France Eurolinc, Open-root, Louis Pouzin, Planète informatique et libertés, ndlr], une pléthore de chercheurs reconnus en sécurité ainsi que des experts en Internet, ont contesté l’approbation de EME », a déclaré la FSF. De plus, la fondation pour le logiciel libre pointe le fait que EME est soutenu par Netflix, Google, Microsoft ou encore Apple, ainsi que par la puissante Motion Picture Association of America (MPAA), tous apportant leur contribution financière au W3C.

Recours contre la décision « EME »
Les opposants à EME avaient jusqu’au 21 juillet pour faire appel – devant le comité consultatif du W3C – de la « décision désastreuse » de Tim Berners-Lee qui fut plus inspiré par le passé pour défendre la neutralité du Net et un Web ouvert (3) (*) (**) (***). Si au moins 5 % des 475 membres signent le recours dans ce délai de deux semaines,
cela déclencherait un nouveau vote pour ratifier ou rejeter EME. Pour la FSF, le W3C n’a pas à aider Hollywood dans l’utilisation de DRM pour verrouiller les contenus. @

Charles de Laubier

Réforme du droit d’auteur en Europe : inquiétudes légitimes du secteur de l’audiovisuel

La Commission européenne avait présenté, le 14 septembre 2016, la version finale du « Paquet Droit d’auteur ». Ce texte, qui vise à réformer le droit d’auteur afin de l’adapter au « marché unique numérique », suscite inquiétudes et critiques de la part des acteurs du secteur de l’audiovisuel.

Piraterie audiovisuelle : il faut réinventer un arsenal juridique préventif

Si le législateur a su donner au juge des outils pour lutter contre les pirates, ces outils ne sont cependant pas toujours adaptés, notamment lors de diffusions en direct – comme dans le sport – ou pour les nouveautés. A quoi bon condamner un pirate si la sanction ne peut être exécutée.

* Auteur du livre « Numérique : de la révolution
au naufrage ? », paru en 2016 chez Fauves Editions