Le numérique en procédure accélérée au Parlement

En fait. Le 18 juin, est paru au Journal Officiel un décret convoquant le Parlement en session extraordinaire à partir du 1er juillet 2019. Plusieurs projets et propositions de loi vont (continuer à) être examinés : taxe GAFA, droit voisin
de la presse, sécurité de la 5G, lutte contre la cyberhaine, CNM (musique).

Pionnière du droit d’auteur et du droit voisin, la France veut être la première à transposer la directive

La proposition de loi visant à « créer un droit voisin au profit des agences et des éditeurs de presse » entre dans sa dernière ligne droite au Parlement français, alors que la directive européenne sur « le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique » a tout juste été publiée en mai 2019.

Presse en ligne : les journalistes veulent 50 % des recettes du futur « droit voisin »

Google News, Facebook, MSN, Yahoo News et autres agrégateurs d’actualités vont devoir payer leur écot à la presse en ligne qu’ils utilisent. Mais, en Europe, les éditeurs seront titulaires de ce droit voisin – pas les journalistes qui recevront « une part appropriée » de ces revenus. La moitié ?

« Le principal syndicat des journalistes, le SNJ (1), d’abord hostile à l’instauration d’un droit voisin, y est aujourd’hui favorable », rappelle la députée (LREM) Fannette Charvier, membre de la commission des affaires culturelles et de l’éducation à l’Assemblée nationale, selon ses propos rapportés dans le rapport du député (Modem) Patrick Mignola (photo) du 30 avril sur la proposition de loi sur la création
d’« un droit voisin au profit des agences de presse et des éditeurs de presse ».

Une « part égale » comme « part appropriée »
C’est sans compter sur le fait que le SNJ et la Fédération européenne des journalistes (FEJ), dont il est membre, ne veulent pas que ce droit voisin soit versé entièrement aux éditeurs de presse, lesquels devront reverser leur quotepart à leurs journalistes dans le cadre d’accords d’entreprises. Les journalistes – ils sont 35.047 dotés d’une carte de presse en France – sont déçus par l’article 3 de la proposition de loi qui prévoit en effet un « droit à une part appropriée et équitable de la rémunération », mais dont « les modalités de sa répartition entre les auteurs concernés sont fixées dans des conditions déterminées par un accord d’entreprise ou, à défaut, par tout autre accord collectif ».
Le compte risque donc de ne pas y être.
Avec le SNJ-CGT et la CFDT-Journalistes, la FEJ – représentant pas moins de 320.000 journalistes en Europe et elle-même membre de la Fédération internationale des journalistes (FIJ) – et le SNJ appellent à « aller plus loin, en prévoyant dans la loi un partage égal entre les éditeurs et les auteurs du revenu administré dans le cadre d’un système de gestion collective ». Les organisations de journalistes demandent que soient « concomitantes (…) la détermination des clés de répartition de la rémunération entre plateformes et éditeurs d’une part, et entre éditeurs et journalistes d’autre part » (2). De son côté, le député (LFI) Michel Larive met en garde le 9 mai : « L’article 3 ne pose aucune condition permettant aux journalistes de percevoir un seuil minimal de
20 %, 30 % ou encore 50 % de rémunération » (3). Sur la même longueur d’onde,
la Société civile des auteurs multimédias (Scam) a regretté le même jour que « le Parlement [soit] sur la mauvaise voie ». Elle « s’inquiète vivement du sort que ce texte s’apprête à réserver aux journalistes, photographes, dessinateur-rices de presse ». Cette société de gestion collective, qui rassemble 40.000 auteurs, dénonce le fait que ce futur droit voisin ne soit envisagé qu’au profit des éditeurs de presse. « La part réservée aux journalistes serait, quant à elle, renvoyée à des accords collectifs (ou accords d’entreprise). Ce choix fragilise la situation des journalistes alors que les organismes de gestion sont les plus à même de gérer la part de rémunération qui leur revient », regrette la Scam présidée par Hervé Rony. Qui garantira aux journalistes un paiement équitable et en toute transparence d’une juste rémunération ? D’autant que la directive européenne sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique (4), publiée au JOUE du 17 mai 2019, prévoit que « les auteurs dont les œuvres sont intégrées dans une publication de presse devraient avoir droit à une part appropriée des revenus que les éditeurs de presse perçoivent des prestataires de services de la société de l’information pour l’utilisation de leurs publications de presse » (considérant 59).
Pour éviter que les journalistes ne soient les dindons de la farce, la député (LR) Constance Le Grip avait déposé le 26 avril un amendement pour éviter un « décalage » entre la proposition de loi française et la directive européenne. Elle a proposé que « la part des journalistes soit liée au niveau de la rémunération perçue par les entreprises de presse » et que « cette “part appropriée” [soit déterminée en prenant] en considération le montant des droits d’auteur perçus par les journalistes », et enfin
qu’« en l’absence d’accord, le pouvoir réglementaire pourrait fixer les niveaux de rémunération » (5). Mais lors de l’examen en commission des affaires culturelles et
de l’éducation de l’Assemblée nationale, le 30 avril, Patrick Mignola lui a demandé de retirer son amendement.

Journalistes : quel « mécanisme de secours » ?
Le rapporteur de la proposition de loi « Droit voisin » lui a expliqué que Laurence Franceschini – ex-directrice de la DGMIC du ministère de la Culture, actuelle médiatrice du cinéma et l’auteure du rapport de février 2018 remis au CSPLA (6) sur l’application du droit voisin des éditeurs de publications de presse – avait évoqué « la possibilité
que ce mécanisme de secours dans la négociation [entre les journalistes et leurs employeurs] s’insère dans le cadre de la Commission des droits d’auteur des journalistes (CDAJ) ». Le dialogue avec elle devrait donc se poursuivre. A suivre… @

Charles de Laubier

Directive européenne sur le droit d’auteur : vers un nouveau modèle économique du numérique

La directive sur « le droit d’auteur dans le marché unique numérique » est sur
le point d’être promulguée au Journal officiel de l’Union européenne, après sa validation du 15 avril par les Etats membres (19 pour, 6 contre et 3 abstentions). Mais sa transposition nationale d’ici mi-2021 va être délicate.

Droit d’auteur : pourquoi la SACD n’a pas cosigné le communiqué à charge contre Google et YouTube

Le communiqué du 4 décembre 2018, cosigné par une trentaine d’organisations et d’entreprises françaises, ne fait pas l’unanimité dans le monde des industries culturelles car il semble fait l’impasse sur la rémunération supplémentaire des auteurs d’œuvres mis en ligne. La SACD ne le cautionne pas.

Edition Multimédi@ a demandé à Pascal Rogard (photo), directeur général de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD), laquelle compte plus 50.000 auteurs membres, pourquoi celle-ci n’avait pas été cosignataire le
4 décembre du communiqué commun de 33 organisations, syndicats et entreprises françaises accusant Google et sa filiale YouTube de «campagne de désinformation massive (…) en abusant de leur position dominante » dans le cadre du projet de directive européenne sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique.

Droit d’auteur exclusif ou inaliénable ?
« Parce qu’il [le communiqué du 4 décembre, ndlr] ignore la position du gouvernement défendant globalement les articles 11, 13 et ‘-14’ de la directive pour ne se concentrer que sur l’article 13. Au surplus, nous n’avons pas de problèmes avec YouTube, même si leur campagne de presse ne nous a pas plue », nous a répondu celui qui dirige depuis 2004 l’influente SACD, société de gestion collective des droits très présente dans l’audiovisuel, le cinéma et le spectacle vivant. A y regarder de plus près, le contenu de ce communiqué – intitulé « L’Europe doit résister au chantage de Google
et YouTube » (1) – parle seulement de « rééquilibrer un partage de la valeur aujourd’hui inégalitaire entre les plateformes et les industries de la culture et des médias ».
Ce que prévoit bien pour la presse l’article 11 (rémunération juste et proportionnée des publications par les plateformes numérique en guise de « droit voisin ») et l’article 13 (contrats de licence justes et appropriés avec les ayants droits dans la musique, le cinéma, l’audiovisuel, etc.). En revanche, l’article « -14 » pour les auteurs (rémunération juste et proportionnée des auteurs, interprètes et exécutants) n’est pas évoqué dans le communiqué collectif du 4 décembre. Alors que, pourtant, la déclaration commune est signée par de nombreuses sociétés d’auteurs telles que la Société française de collecte des droits d’auteurs (Sacem), la Société civile des auteurs multimédias (Scam), l’Union nationale des auteurs et compositeurs (Unac), la Société des auteurs dans les arts graphiques et plastiques (ADAGP), la Société des auteurs des arts visuels et de l’image fixe (Saif), la Société française des intérêts des auteurs de l’écrit (Sofia), ou encore la Société des gens de lettres (SGDL). La SACD, qui a d’ailleurs conclu il y a huit ans avec YouTube et plus récemment avec Netflix des accords pour rémunérer les auteurs quand leurs œuvres sont diffusées en ligne, manque donc à l’appel du côté des auteurs (2). Mais ce n’est pas la seule société de gestion collective des droits d’auteur
à ne pas avoir signé le 4 décembre la charge contre Google et YouTube. N’y figurent pas non plus l’Adami (Administration des droits des artistes et musiciens interprètes), qui gère les droits de 73.000 membres, ainsi que la Spedidam (Société de gestion des droits des artistes interprètes), qui, elle, reverse à 110.000 sociétaires. L’Adami est membre de l’organisation européenne AEPO-Artis (3), laquelle regroupe 36 organismes de gestion collective. Et cette dernière est elle-même membre de la coalition des artistes-interprètes européens « Fair Internet for Performers », qui milite pour une juste rémunération des artistes pour l’exploitation en ligne de leurs prestations (4). Les producteurs et éditeurs (musique, films, livres, …) ne veulent pas, eux, entendre parler de rémunération proportionnelle, ni de gestion collective si elle n’est pas obligatoire, estimant avoir un droit exclusif de la propriété intellectuelle sur l’oeuvre dès lors qu’ils ont un contrat avec l’auteur (réalisateur, scénariste, musicien, créateur, …), lequel est
le plus souvent un forfait (buy out).
Des sociétés d’auteurs comme la SACD, l’Adami, la Spedidam, mais aussi la Confédération internationale des sociétés d’auteurs et compositeurs (Cisac), leur opposent le « droit inaliénable » de l’auteur. Pas étonnant que le communiqué du 4 décembre tirant à boulets rouge sur la firme de Mountain View soit cosigné aussi par : (pour les producteurs de musiques) la Société civile des producteurs phonographiques (SCPP), le bras « droit d’auteur » du Snep, également cosignataire, la Société civile des producteurs de phonogrammes en France (SPPF), le pendant « droit d’auteur » de l’UPFI, cosignataire aussi ; (pour les producteurs audiovisuels et cinématographiques) la Procerep, l’UPC, le SPI, l’API, l’USPA et le SPFA : (pour les chaînes) France Télévisions, Canal+, M6 et TF1 ; pour les éditeurs) le Syndicat national de l’édition (SNE).

Le « droit voisin » médiatique
Concernant le projet de droit voisin pour la presse (article 11 de la directive), sont cosignataires l’Alliance de la presse d’information générale (APIG), la Fédération nationale de la presse spécialisée (FNPS), le Syndicat des éditeurs de la presse magazine (SEPM), et le CFC (5), sans parler du Syndicat national des journalistes (SNJ). @

Charles de Laubier