Presse : le droit voisin des éditeurs sous la coupe de Google et dans les mains de l’Autorité de la concurrence

La décision rendue par l’Autorité de la concurrence (ADLC) le 9 avril dernier à l’encontre de Google, à la demande de l’Alliance de la presse d’information générale (APIG), du Syndicat des éditeurs de la presse magazine (SEPM) et de l’Agence France-Presse (AFP), est très instructive. Explications.

Copyright et filtrage : la France veut peser dans les réunions « Article 17 » de la Commission européenne

Le 17 mai marquera le premier anniversaire de la publication au Journal Officiel européen de la directive « Droit d’auteur et droits voisins dans le marché unique numérique ». Son article 17, toujours controversé sur le filtrage des contenus, fait l’objet de négociations pilotées par la Commission européenne.

Après le confinement, la septième « réunion de dialogue avec les parties prenantes » – consacrée comme les six précédentes au controversé article 17 de la nouvelle directive européenne « Droit d’auteur » – va pouvoir se tenir à Bruxelles. Ces « stakeholder dialogue » (1) sont organisés par la Commission européenne depuis l’automne dernier pour parvenir à un accord sur « les meilleures pratiques », afin que cette dernière puisse émettre d’ici la fin de l’année des orientations (guidance) sur l’application cet épineux article 17.

Le blocage risque d’être un point de blocage
Alors que cette directive européenne « sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique » a été publié au Journal officiel de l’Union européenne (JOUE) il y aura un an le 17 mai, et qu’elle doit être transposée par chacun des Vingt-sept d’ici au 7 juin 2021 au plus tard, son article 17 fait toujours l’objet d’un bras de fer entre les industries culturelles et les acteurs de l’Internet. Car c’est lui qui impose désormais aux YouTube, Facebook et autres Dailymotion une nouvelle responsabilité, cette fois directe, vis-à-vis de contenus soumis au droit d’auteur qui auraient été piratés. Bénéficiant jusqu’alors de la responsabilité limitée et indirecte que leur conférait la directive européenne de 2000 sur le commerce électronique (2), les hébergeurs du Web sont maintenant tenus de « fourni[r] leurs meilleurs efforts (…) pour garantir l’indisponibilité d’œuvres et autres objets protégés » et de « bloquer l’accès [à ces contenus] faisant l’objet de la notification ou [de] les retirer de leurs sites Internet ».
Autrement dit, les GAFAM américains, leurs homologues chinois BATX et tous les autres acteurs du Net réalisant un chiffre d’affaires annuel supérieur à 10 millions d’euros n’auront pas d’autres choix que de généraliser la reconnaissance de contenus en ligne, et donc le « filtrage » de l’Internet – même si cette directive « Copyright » ne mentionne pas explicitement ce mot, préférant utiliser les termes « bloquer » ou « blocage ». De l’aveu même du législateur européen exprimé dans cette directive « Droit d’auteur » et de son article 17 « border line », il y a de sérieux risques de dommages collatéraux sur « les droits fondamentaux inscrits dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, notamment la liberté d’expression et la liberté des arts » (3). Comment dès lors définir les « meilleures pratiques » à adopter, afin de garantir la liberté d’expression des utilisateurs du Net et d’éviter la censure non justifiée au nom de la sacro-sainte propriété intellectuelle ? C’est ce sur quoi discutent les parties prenantes lors de ces « réunions de dialogue » qui se tenaient au moins tous les mois – depuis le 15 octobre 2019 jusqu’au confinement – sous la houlette de l’unité « Copyright » (4) dirigée par le juriste italien Marco Giorello (photo de gauche). Avec la crise sanitaire, aucune réunion ne s’était tenue en mars et avril. Au cours des six premières réunions à Bruxelles, les organisations d’utilisateurs – telles que le Bureau européen des unions de consommateurs (Beuc), dont sont membres en France l’UFC-Que choisir et le CLCV – ont appelé la Commission européenne à « s’assurer que le contenu utilisé légitimement n’est pas bloqué, y compris lorsque ce contenu est téléchargé sous des exceptions et des limitations au droit d’auteur » et à « élaborer des solutions pour prévenir ou réduire les demandes abusives ». Dans le dernier « Discussion paper » que Edition Multimédi@ a consulté (5), et datant de la sixième réunion du 10 février dernier, certains intervenants ont mis en garde Bruxelles sur le filtrage obligatoire car « les technologies utilisées aujourd’hui ont des limites importantes en ce qui concerne la reconnaissance des utilisations légitimes [des contenus en ligne], y compris les utilisations en vertu des exceptions et des limitations du droit d’auteur » (6). Des participants ont également estimé qu’« une plus grande transparence est nécessaire en ce qui concerne le contenu bloqué ou supprimé, ainsi que les données stockées par les fournisseurs de services de partage de contenu en ligne ».
Le blocage de l’article 17 ne risque-t-il pas de devenir le point de… blocage, justement, de ces discussions européennes ? La France, elle, reste décidée à être le premier pays à transposer la directive « Copyright » et son article controversé qu’elle a fortement contribué à élaborer au nom de « l’exception culturelle ». Alors que cette disposition de filtrage a été introduite aux articles 16 et 17 du projet de loi sur l’audiovisuel (7), dont l’examen devrait reprendre d’ici l’été, le gouvernement français entend peser au niveau européen.

CSPLA, Hadopi et CNC : mission II
Le 13 janvier dernier, le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA) – du ministère de la Culture – a confié au conseiller d’Etat Jean-Philippe Mochon une seconde mission sur la reconnaissance des contenus. Et ce, dans la foulée de son premier rapport sur ce thème publié en début d’année (8). Cette fois, son deuxième rapport – réalisé à nouveau avec l’Hadopi et le CNC (9) et attendu « d’ici l’automne 2020 » – se focalisera notamment sur cet article 17 de la directive « Copyright » en vue d’être porté à la connaissance de la Commission européenne. @

Charles de Laubier

En Europe : les 5 ans du marché unique numérique

En fait. Le 6 mai, il y a 5 ans, le marché unique numérique – Digital Single Market (DSM) – était lancé par la Commission européenne, dont l’ancien président Jean-Claude Juncker avait fait l’une de ses priorités. Entre mai 2010 et mai 2020, des e-frontières sont tombées et des silos ont été cassés.

Quid au juste du Brexit numérique et audiovisuel ?

En fait. Le 31 janvier, à minuit, le Royaume-Uni a quitté l’Union européenne (UE) et ne fait donc plus partie des Etats membres, lesquels sont désormais vingt-sept. Une période transitoire s’est ouverte jusqu’au 31 décembre 2020, durant laquelle le droit de l’UE continuera de s’appliquer au Royaume-Uni. Et après ?

Droit voisin : les GAFAM commenceront à payer le 26 octobre mais risquent de phagocyter la presse

Les agences de presse (AFP, Reuters, …) sont les gros fournisseurs de dépêches pour les journaux, lesquels sont à leur tour, plus que jamais, les fournisseurs d’articles pour les moteurs de recherche et réseaux sociaux. Mais qui, des marques GAFAM ou des marques médias, tirera son épingle du jeu ?

La loi française du 24 juillet instaurant le droit voisin pour la presse (1) s’applique « trois mois après sa promulgation ». Comme elle a été publiée au Journal Officiel le 26 juillet, les GAFAM – au premier rang desquels Google News, Facebook Instant Article et autres MSN (Microsoft) ou Yahoo News (Verizon), voire Apple – commenceront à payer les éditeurs de journaux à partir du 26 octobre prochain pour les articles qu’ils indexent en ligne en France.

Droit voisin et partenariats plus qualitatifs
La France est le premier pays européen à mettre en oeuvre cette gestion collective des droits des éditeurs (2), dont les recettes seront à partager avec les journalistes – ces derniers exigeant une répartition à parts égales (3). Cependant, cette loi ne s’appliquera pas aux publications de presse publiées pour la première fois avant la date d’entrée en vigueur le 6 juin dernier (4) de la directive européenne « Copyright ». Franck Riester, le ministre de la Culture, l’a encore affirmé à l’occasion du dîner de la Fête de l’Humanité le 12 septembre devant Jean-Michel Baylet (Alliance de la presse d’information générale), Marc Feuillée (Syndicat de la presse quotidienne nationale), Laurent Bérard-Quélin (Fédération nationale de la presse spécialisée) ou encore Fabrice Fries (Agence France-Presse) : « L’objectif du droit voisin, c’est de garantir un juste partage de la valeur. De le rééquilibrer au profit des entreprises et agences de presse, mais également des journalistes. De vous permettre de percevoir une rémunération pour chaque réutilisation de vos contenus. Nous mettons ainsi fin au pillage organisé des contenus par ceux qui ne les produisent pas ». Reste à se mettre d’accord sur la société de gestion collective des droits qui collectera les sommes dues (5). Quoi qu’il en soit, les relations entre les GAFAM et la presse entrent dans une nouvelle phase. Auparavant, les éditeurs de journaux se contentaient de partenariats publicitaires ou de fonds d’aide issus de ces géants du Net. Désormais, le rapport de force a changé. « Financement fermé » (funding closed), affiche actuellement (6) le site web de la Google News Initiative (GNI), comme pour dire que la fête est finie. Ce nouveau programme, lancé en mars 2018 avec un fonds d’aide de 300 millions d’euros, a remplacé le Digital News Initiative (DNI) qui courait sur trois ans depuis avril 2015 et dont l’enveloppe financière était moitié moins élevée (7).
Finalement, ce sont 115 millions d’euros qui ont été alloués via l’ancien DNI à 559 projets de presse en ligne dans une trentaine de pays européens. Autant le DNI – lui-même remplaçant le FNIP (8) initié en France (lire EM@87, p. 7) – était focalisé sur l’Europe, autant le GNI inclut aussi le reste du monde – dont l’Amérique du Nord et sa presse locale. Au-delà de ces aides financières directes à la presse, Google reverse chaque année des milliards aux médias (pas seulement aux journaux) dans le cadre du partage des revenus publicitaires : 14 milliards de dollars en 2018, contre 12,7 milliards en 2017. Cela n’a pas empêché la News Media Alliance (association de la presse américaine) d’accuser le 10 juin dernier Google de se faire de l’argent sur son dos… Lors de l’inauguration du GNI, le PDG de Google, Sundar Pichai, avait déclaré : « Google accorde une importance fondamentale au journalisme. L’accès à l’information améliore la vie de tous. C’est fondamental pour Google, et pour la mission quotidienne des journalistes et des médias. Pour dire les choses simplement, nos avenirs sont liés ». Mais pas à n’importe quel prix, la firme de Mountain View craignant que le quantitatif journalistique ne lui coûte très cher avec le droit voisin. Le 12 septembre, Richard Gingras (photo), son vice-président chargé des actualités (News) a annoncé un changement dans l’algorithme du moteur de recherche afin de mettre en avant désormais la source des articles d’investigation, des enquêtes approfondies et des reportages originaux (https://lc.cx/OriginalReport). Et le 25 septembre, il a prévenu que le moteur de recherche – Google News compris – « n’affichera plus d’aperçu du contenu en France pour les éditeurs de presse européens, sauf si l’éditeur a fait les démarches pour nous indiquer que c’est son souhait » (9). Les éditeurs de presse français lui reprochent de « contourner la loi ».

Enquêtes et presse locale mises en avant
Facebook cherche aussi à rationaliser sa relation avec la presse. Le 16 septembre, le réseau social a lancé en France un programme d’aide à la presse régionale (2 millions d’euros). La firme de Mark Zuckerberg avait annoncé en début d’année l’investissement de 300 millions de dollars dans le monde sur trois ans pour aider la presse locale. L’Allemagne en a bénéficié. Le réseau social de Menlo Park finance aussi au Royaume-Uni l’embauche de 80 journalistes pour couvrir des zones délaissées par les médias. @

Charles de Laubier