Joe Biden (78 ans), 46e président des Etats-Unis, pourrait être celui qui mettra au pas les GAFA

Donald Trump est mort, vive Joe Biden ! A 78 ans, l’ancien vice-président de Barack Obama (2009-2017) et ancien sénateur du Delaware (1973-2009) a été investi 46e président des Etats-Unis le 20 janvier. Membre du Parti démocrate depuis 1969, Joseph Robinette Biden Junior est attendu au tournant par les Big Tech et la Silicon Valley.

Joe Biden (photo) et Kamala Harris ont donc prêté serment le 20 janvier 2021 en tant que respectivement président et vice-présidente des Etats-Unis. Battu de justesse et ayant eu du mal à admettre sa défaite, Donald Trump a boudé la cérémonie. Maintenant, la fête est finie et le 46e président des Etats-Unis se retrouve avec une pile de dossiers à traiter dans le Bureau ovale de la Maison-Blanche, sa résidence officielle jusqu’en janvier 2025 – son mandat étant de quatre ans, sauf décès ou destitution, renouvelable une fois. Située plutôt en haut de la pile des urgences se trouve la régulation de l’Internet, tant les problèmes se sont accumulés sous l’administration Trump : les enquêtes antitrust lancées à l’encontre des GAFA menacés de démantèlement pour en finir avec les abus de positions dominantes dans l’économie numérique et le e-commerce ; la protection des données personnelles en ligne et de la vie privée numérique, notamment mises à mal par les réseaux sociaux ; l’explosion des contenus controversés voire illicites sur Internet tels que publicités politiques, cyberhaine, cyberviolence ou encore désinformation ; la liste noire d’une dizaine d’entreprises technologiques chinoises devenues indésirables aux yeux de son prédécesseur sur le sol américain ; l’augmentation envisagée des droits de douanes sur des produits provenant des pays, dont la France, instaurant des taxes « GAFA ».

Biden et Trump, bonnet blanc et blanc bonnet ?
Ainsi, Joe Biden hérite d’au moins une demi-douzaine de problématiques digitales qui marqueront son mandat présidentiel. Ce à quoi s’ajoutent d’autres préoccupations des Big Tech depuis l’administration Trump : les décrets limitant les visas américains pour les salariés étrangers diplômés qui souhaiteraient travailler aux Etats-Unis, Silicon Valley comprise ; la neutralité de l’Internet annulée en 2018 par la FCC (1), laquelle décision fut confortée par un jugement mais laissant le dernier mot aux Etats fédérés (2) (*) (**). Plus globalement, le président démocrate est réputé plus favorable au renforcement du pouvoir fédéral, voire à un renforcement des lois antitrust que l’ancien président républicain. Ce dernier aspirait à moins de réglementation. Biden rime avec « plus de concurrence ». Alors que Trump rimait plus avec « positions dominantes ». Mais que l’on ne s’y trompe pas : Biden pourrait faire vis-à-vis des Big Tech dans le « Je t’aime… moi non plus » (3), et même nommer un « Monsieur antitrust » à la Maison-Blanche (4). De nombreuses Big Tech ont d’emblée misé sur le nouveau président en cofinançant ses cérémonies d’investiture, la plupart virtualisée en raison des risques de pandémie et d’émeutes. Le comité d’organisation mentionne comme donateurs : Google (Alphabet), Amazon, Microsoft, Verizon, Comcast (maison mère de NBC Universal), Qualcomm, Uber ou encore Yelp, ainsi que parmi les quelque 5.000 supporteurs Boeing. Mais qui trop embrasse mal étreint…

Antitrust, ePrivacy, data, fake news, …
La nouvelle administration « Biden » a maintenant les coudées franches pour légiférer autour d’Internet et du e-commerce dans la mesure où les démocrates américains ont la majorité à la Chambre des représentants et au Sénat.
Sur le front « antitrust », les GAFA ne s’attendent à aucun revirement politique à leur égard. Les enquêtes lancées l’an dernier par le pouvoir fédéral américain – notamment du ministère de la Justice, ou DoJ (5) – vont se poursuivre sous la houlette de son nouveau ministre, Merrick Garland, dans le but d’essayer de mettre un terme aux pratiques anticoncurrentielles des géants du numérique surnommés les « winner-take-all ». Google (Alphabet) répond déjà devant la justice américaine depuis octobre dernier à propos de son moteur de recherche monopolistique (6). Le DoJ pourrait demander aussi des comptes à Apple, contesté pour ses pratiques sur son écosystème App Store, ainsi qu’à Facebook. Le réseau social de Mark Zuckerberg est déjà dans le collimateur du gendarme américain de la concurrence, la FTC (7), laquelle se mord les doigts d’avoir laissé Facebook racheter en 2012 Instagram et en 2014 WhatsApp (8) Les auteurs parlementaires du rapport du groupe spécial antitrust de la commission des Affaires judiciaires de la Chambre des représentants des Etats-Unis, publié le 6 octobre dernier (9), a appelé le Congrès américain à légiférer rapidement, sans attendre des années de procès. Depuis ce pavé dans la mare des GAFA, des Etats américains se sont coalisés pour poursuivre en justice Google et Facebook (10).
Sur le front « ePrivacy », les Etats-Unis ont pris conscience de l’importance de la protection des données personnelles en ligne et de la vie privée numérique, notamment mises à mal par Facebook avec l’affaire retentissante « Cambridge Analytica » qui a valu à la firme de « Zuck » 5milliards de dollars d’amende infligés en juillet 2019 par la FTC. Ce scandale avait porté sur l’utilisation illégale de 50 millions de comptes de Facebook aux Etats-Unis pour influencer en 2016 l’élection présidentielle américaine (11). Joe Biden pourrait s’inspirer du règlement européen sur la protection des données (RGPD), en vigueur depuis mai 2018, pour pousser une loi fédérale de même portée, alors que le « California Consumer Privacy Act » l’est depuis juin de la même année. La vice-présidente des Etats- Unis, Kamala Harris (première femme et première noire à occuper ce poste), pourrait accélérer dans cette voie, elle qui fut sénatrice et procureure de Californie, la Mecque des Big Tech et des start-up. Elle est même proche familialement du directeur juridique d’Uber. Mais Washington et Silicon Valley ne font pas bon ménage sur cette question.
Sur le front « fake news », la question de la régulation de l’Internet se pose d’autant plus que la cyberhaine déversée lors de la dernière campagne présidentielle, suivie des émeutes mortelles des partisans de Donald Trump le 6 janvier au Capitole, a laissé des traces profondes dans l’opinion américaine et internationale.
Les publicités politiques financées, puis interdites, sur les réseaux sociaux et la guerre de la désinformation (fake news) ont porté atteinte aux valeurs démocratiques. Joe Biden a déjà fait savoir qu’il allait réviser la section 230 du « Communications Decency Act » de 1996, lequel accorde une « immunité » judiciaire aux plateformes numériques quant aux contenus mis en ligne par leurs utilisateurs. Mais ce bouclier (12) est aujourd’hui contesté car les médias sociaux ne sont plus seulement hébergeurs. Facebook, Twitter et autres Google ont joué tant bien que mal les « modérateurs », supprimant des contenus qui n’auraient pas dû l’être, ou inversement avec la cyberviolence ou des contenus d’extrême droite ou complotistes.

… Huawei, TikTok, Xiaomi, taxes GAFA
Sur le front « Chine », une dizaine d’entreprises technologiques chinoises – à commencer par Huwei, le numéro un mondial des réseaux 5G, mais aussi ZTE – ont été placées sur une liste noire, accusées sans preuve de cyberespionnage et d’atteinte à la sécurité nationale du pays, le tout sur fond de bras de fer commercial sinoétatsunien. L’été dernier, Donald Trump avait signé des « Executive Order » pour interdire TikTok et WeChat aux Etats-Unis, sauf à être cédées par leur maison mère respectives, ByteDance et Tencent. A six jours de la fin du mandat, l’ancien président Trump a rajouté Xiaomi, devenu troisième fabricant mondial de smartphones devant Apple, à sa liste des chinois indésirables. Joe Biden, lui, enterra-t-il la hache de guerre pour fumer le calumet de la paix avec la Chine ?
Sur le front « taxe GAFA », la taxe que Paris a appliquée en 2019 aux grandes plateformes numériques – d’où son surnom de « taxe GAFA » – avait amené les Etats-Unis à envisager des représailles via une hausse des droits de douanes sur certains produits français. Or le 8 janvier dernier, le gouvernement fédéral américain a suspendu ce projet, le temps d’examiner les taxes GAFA similaires dans une dizaine d’autres pays (Grande-Bretagne, Italie, Inde, …). La future secrétaire au Trésor américain, Janet Yellen, s’est dite le 19 janvier plutôt favorable à une telle taxe pour « percevoir une juste part » des géants du Net. Avec Joe Biden, les Etats-Unis changent de pied. @

Charles de Laubier

Les plateformes numériques sont-elles parties pour un grand chelem de sanctions ?

Les géants du Net sont pris entre deux feux principaux : le droit de la concurrence, d’une part, et la protection des données, d’autre part. Mais ces deux référentiels juridiques s’entremêlent de plus en plus et se démultiplient, au risque d’aboutir à des doubles sanctions. Ce que l’Europe assume.

La France prend le risque de ne pas notifier à Bruxelles sa taxe sur les services numériques (TSN)

« Taxe GAFA » ou encore « taxe Le Maire », quel que soit son surnom, la taxe sur les services numériques (TSN) – 3 % sur le chiffre d’affaires des entreprises du Net d’une certaine taille et actives en France – présente une dimension « aide d’Etat » censée être notifiée à la Commission européenne sous peine d’être illégale.

Le gouvernement a décidé de ne pas notifier à la Commission européenne la loi instaurant la taxe sur les services numériques (TSN), ou « taxe GAFA », qui a été définitivement adoptée le 11 juillet. Pourtant, afin d’éviter une double imposition des entreprises du Net qui paient déjà en France l’impôt sur les sociétés, la nouvelle loi prévoit une déduction qui s’apparente à une aide d’Etat. Or pour qu’une aide d’Etat ne soit pas illégale, elle doit être notifiée en bonne et due forme à la Commission européenne, conformément au traité sur le fonctionnement de l’Union européenne – le TFUE (1). « Aucune notification n’a été reçue de la France, indique à Edition Multimédi@ une source à Bruxelles sous couvert d’anonymat. Une notification est requise si une mesure entraîne une aide d’Etat. Les Etats membres doivent veiller à ce que leur régime fiscal ne favorise pas indûment certaines entreprises par rapport à d’autres. Cela nécessite une évaluation au cas par cas ». La Commission européenne s’attend donc, sur sa taxe GAFA, à une notification de la France afin d’en étudier la conformité avec ses propres orientations fixées le 21 mars 2018 et les règles du TFUE.

La « taxe Le Maire » et la « taxe Moscovici »
C’est au début du printemps 2018 qu’a en effet été proposée une TSN européenne, surnommée « taxe Moscovici », qui est actuellement examinée par le Conseil de l’Union européenne. « Nous n’avons pas de commentaires à faire sur les projets de loi nationaux, nous répond Vanessa Mock, porte-parole à la Commission européenne sur les questions financières et fiscales relevant du champ d’action du commissaire Pierre Moscovici (photo). Plus généralement, il est fortement suggéré aux Etats membres qui souhaitent introduire des mesures nationales [comme la TSN, ndlr] d’utiliser la proposition de la Commission européenne relative à une taxe commune sur les services numériques – qui prend également en compte les considérations de conception exposées dans le rapport intermédiaire de l’OCDE (3) sur les défis fiscaux découlant de la numérisation (4) – comme modèle. Cela permettra de réduire au minimum la fragmentation du marché unique et d’assurer la compatibilité avec le droit communautaire ».

Eviter la double imposition des sociétés
La proposition de TSN de Bruxelles prévoit bien des mesures afin d’atténuer le risque de double imposition : « Afin de réduire les cas éventuels de double imposition (…), il est prévu que les Etats membres autoriseront les entreprises à déduire la TSN acquittée en tant que coût de l’assiette de l’impôt sur les sociétés sur leur territoire » (5). C’est ce que prévoit bien la loi française. Car afin d’éviter la double imposition pour les entreprises du Net qui paient déjà leurs impôts sur les bénéfices réalisés en France, il fallait trouver un remboursement pour éviter cette fiscalité supplémentaire pour une société déjà assujettie par ailleurs – au nom du principe d’égalité devant l’impôt.
Le Sénat a finalement opté pour un mécanisme de déduction de la TSN de la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S). Ces deux outils fiscaux – TSN et C3S – portent chacun sur le chiffre d’affaires d’une entreprise et ne relèvent pas de conventions fiscales, tout en assujettissant l’ensemble des entreprises, quel que soit leur pays où se situe leur siège social, au regard des activités exercées sur le sol français et les rendant ainsi passibles de l’impôt sur les sociétés. Mais un acteur du Net non installé en France pourrait ne pas bénéficier de la ristourne fiscale, ce qui constituerait une distorsion de concurrence par rapport à une entreprise française ainsi avantagée.
« Quoiqu’imparfaite car ne compensant notamment pas totalement la double imposition, cette solution permettait de réduire l’impact de cette taxe [TSN] pour les entreprises installées en France et qui ne réalisent pas encore de bénéfices, nombreuses dans le secteur numérique », ont estimé les deux rapporteurs (6) de la loi en commission mixte paritaire fin juin. Autrement dit, cette compensation ménage la trésorerie des entreprises qui payent déjà leurs impôts en France. Et l’objectif de la « taxe GAFA », prévue désormais à l’article 299 du code général des impôts, reste bien de taxer des géants du numérique qui ne paient pas d’impôt sur les sociétés en France – pas les autres. Le choix de porter l’assiette de la TSN sur le chiffre d’affaires était susceptible de faire des victimes collatérales parmis les entreprises françaises. D’où l’idée de cette compensation, qui s’apparente à une aide d’Etat. Selon l’amendement (7) du sénateur (LR) Albéric de Montgolfier qui introduit dans la loi cette articulation TSN-C3S, la « taxe Le Maire » – du nom du ministre de l’Economie et des Finances, Bruno Le Maire (photo de droite), qui a porté le projet – risquait en effet de se traduire immédiatement pour les entreprises déjà imposées sur les bénéfices réalisés en France par une baisse de leurs résultats après impôts de 30 %. D’où l’instauration de la réduction sur la C3S lorsqu’il y a prélèvement dû au titre de la TSN.
Cette solution d’évitement de la double imposition est une ristourne qui s’apparente à une aide d’Etat et suppose donc une notification à Bruxelles, au regard des règles TFUE. Le Parlement français se veut très prudent afin d’éviter que la « taxe Le Maire » ne soit invalidée. Aussi, Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances du Sénat, a introduit un petit article dans la loi française. Cet article 2 y précise qu’« en l’absence de notification préalable de la taxe sur les services numériques (…) à la Commission européenne (…), le gouvernement remet, dans un délai de trois mois à compter de la promulgation de la présente loi, un rapport au Parlement sur les raisons pour lesquelles la taxe précitée n’a pas été notifiée à la Commission européenne ».
Les explications du gouvernement sur la non-notification de la taxe GAFA de Paris à Bruxelles sont donc attendues à l’automne 2019. Comment justifier cette non-notification qui pourrait remettre en cause l’instauration de cette taxe GAFA applicable au 1er janvier 2019? Le gouvernement français a décidé de faire cavalier seul pour être le premier Etat membre à mettre en oeuvre cette taxe numérique (8). Pour être euro-compatible, le rapporteur Albéric de Montgolfier a estimé « indispensable » cette notification : « Dès lors que la taxe ne frapperait que des grandes entreprises internationales, il convient d’être prudent. Si elle était qualifiée d’aide d’Etat, sans notification préalable, la taxe serait invalidée sans même être contraire aux traités européens ».

La taxe GAFA scrutée par le G7 et l’OCDE
Et le sénateur de la commission des finances du Sénat de mettre en garde le gouvernement : « Si la taxe n’est pas notifiée et qu’elle est invalidée, il sera nécessaire de rembourser les entreprises qui l’ont acquittée. Ce serait la pire solution ! ». Il y a donc bel et bien insécurité juridique et risque d’illégalité de la taxe GAFA, que conteste par ailleurs les Etats-Unis (9), alors que le G7 va se réunir fin août en France à Biarritz pour en discuter. Si elle devenait illégale, elle ne le serait pas longtemps puisque la France a prévu d’annuler son impôt numérique dès qu’un accord mondial au sein de l’OCDE sera trouvé – dès 2020 ? @

Charles de Laubier

Pub, Google et Facebook : verbatim du gendarme

En fait. Le 6 mars, l’Autorité de la concurrence a rendu son avis-étude sur
le marché de la publicité en ligne – du moins le display, mais pas le search –
avant de décider dans quelques mois « s’il y a lieu d’ouvrir une (ou plusieurs) enquête(s) contentieuse(s) ». Ce qu’elle dit au juste de Google et Facebook.

Données personnelles ou droit de la concurrence : Facebook ne se fait pas que des amis

Alors que Facebook a franchi la barre des 2 milliards d’utilisateurs, des autorités nationales et européenne s’y intéressent de plus en plus comme en témoignent les sanctions prononcées récemment à son encontre, en matière de données à caractère personnel ou en droit de la concurrence.

Par Christiane Féral-Schuhl*, avocate associée, cabinet Féral-Schuhl/Sainte-Marie

Dans sa délibération du 27 avril 2017 (1), rendue publique le 16 mai suivant (2), la formation restreinte de la Cnil (3) a prononcé une sanction de 150.000 euros à l’encontre de Facebook. Cette sanction faisait suite à la mise en demeure, datée du 26 janvier 2016, par laquelle la Cnil, constatant plusieurs manquements à la loi informatique et libertés, avait demandé à Facebook de se mettre
en conformité. Plus largement, cette décision s’inscrit dans le prolongement d’une action conduite par plusieurs autorités nationales de protection
des données décidée à la suite du changement par le réseau social de sa politique
de confidentialité.

Lois nationales et acteurs globaux du Net
La Commission européenne a, quant à elle, prononcé une amende de 110 millions euros à l’encontre de Facebook pour avoir communiqué des informations inexactes ou dénaturées dans le cadre de l’enquête qu’elle a menée au titre du rachat de WhatsApp par Facebook en 2014. Cette sanction a été publiée le 18 mai dernier (4) (voir encadré page suivante). Ces procédures engagées à l’encontre de Facebook en Europe et en France démontrent l’inégalité des moyens d’action juridique existants et marquent la volonté des autorités de renforcer le montant des sanctions en matière de protection des données jugé trop peu dissuasif. L’adoption du règlement européen du 27 avril 2016 sur la protection des données personnelles (5) va résolument dans ce sens en augmentant considérablement le montant des sanctions prononcées par les « Cnil » en Europe. Sur ce point, le droit de la concurrence apparaît plus dissuasif puisqu’il prévoit déjà des sanctions dont le montant est proportionnel au chiffre d’affaires de l’entreprise condamnée. A propos de la sanction de Facebook en France par la Cnil, la délibération de cette dernière contient des enseignements intéressants notamment sur l’applicabilité de la loi française lorsqu’un responsable de traitement est établi dans plusieurs Etats de l’Union européenne (UE). Rappelons en effet que la loi « Informatique et libertés » (6) s’applique si le responsable d’un traitement qui exerce une activité sur le territoire français dans le cadre d’une installation, quelle que soit sa forme juridique, y est considéré comme établi (7) et que la Cnil peut exercer un contrôle sur tout traitement dont les opérations sont mises en oeuvre, même partiellement, sur le territoire national, y compris si le responsable du traitement est établi dans un autre Etat membre de l’UE (8). Pour déterminer l’applicabilité du droit français en l’espèce, la Cnil va examiner les deux critères énoncés par la directive 95/46/CE sur la protection des données : d’une part, l’existence d’un établissement ; d’autre part, la mise en oeuvre du traitement dans le cadre de ses activités. A cet égard, il est intéressant de souligner que la Cnil a souhaité se référer au texte européen (9) plutôt qu’à celui de la loi française « Informatique et libertés ». Dans sa délibération, la Cnil fait référence à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) et à son interprétation large de la notion d’établissement à l’appui de son raisonnement (10). Ainsi, la formation restreinte considère que Facebook doit être qualifié d’établissement car « Facebook France constitue une installation stable qui exerce une activité réelle et effective grâce à des moyens humains et techniques nécessaires notamment à la fourniture de services de marketing » et participe dans le cadre de ses activités aux traitements en cause. Cette analyse va à l’encontre de celle avancée par Facebook qui contestait la compétence de la Cnil au profit de la législation irlandaise et, par conséquent, de l’autorité irlandaise seule autorité compétente pour contrôler le traitement des données personnelles des utilisateurs du service en Europe. Il est également intéressant de relever que la Cnil adopte la position de la CJUE qui s’était pourtant prononcée dans un contexte différent puisque, contrairement à l’arrêt « Google Spain » cité par la Cnil, « il n’existe aucun risque de contournement des dispositions européennes », Facebook ne contestant pas l’applicabilité du droit européen mais celui du droit français.

Compétence territoriale étendue ?
La Cnil se positionne donc en faveur d’une compétence territoriale étendue pour affirmer la compétence de la loi « Informatique et libertés », sa propre compétence
et prononcer une sanction à l’encontre de Facebook. Cette analyse doit être prise en compte par les responsables de traitements qui sont établis dans plusieurs Etats de l’UE notamment à l’approche de l’entrée en vigueur – à partir du 25 mai 2018 – du règlement européen qui étend le champ de la compétence territoriale. En effet, avec
le nouveau règlement, la personne concernée pourra saisir aussi bien l’autorité de contrôle de l’Etat membre où est situé le responsable du traitement ou son sous-traitant que l’autorité de contrôle dans lequel se trouve sa propre résidence ou son lieu de travail, voire le lieu où la violation alléguée aurait été commise. La décision de la Cnil en France apporte également un certain nombre de précisions au regard des règles relatives à la protection des données à l’approche de l’entrée en vigueur du règlement européen sur la protection des données.

Six manquements de Facebook à la loi française
La délibération de la Cnil sanctionne Facebook au titre de six manquements aux obligations énoncées par cette loi, à savoir : l’obligation d’information, l’obligation de disposer d’une base légale pour les traitements, l’obligation d’une collecte loyale des données, l’obligation d’un consentement exprès pour les données sensibles, l’obligation de mettre à disposition un moyen valable pour s’opposer aux cookies, et l’obligation
de respecter une durée de conservation des données. La délibération de la Cnil est riche en enseignement, notamment sur les manquements au regard de l’obligation d’information. A ce titre, la Cnil relève que la politique d’utilisation des données de Facebook ne précise ni les droits dont disposent les utilisateurs ni les informations relatives au transfert de données hors de l’UE. Elle considère que Facebook doit afficher directement l’information sur le formulaire de collecte et non pas via un lien figurant sur le formulaire d’inscription.
Concernant cette fois la combinaison massive de données pour le ciblage publicitaire, la Cnil relève qu’« aucun des documents mis à la disposition des utilisateurs […] ne mentionne expressément la combinaison de données », Ainsi, si les utilisateurs disposent de moyens pour maîtriser l’affichage de la publicité ciblée, ils ne consentent pas à la combinaison massive de leurs données et ne peuvent s’y opposer, que ce
soit lors de la création de leur compte ou a posteriori. Enfin, sur l’utilisation du cookie
« datr », la Cnil relève que l’information « ne permet pas aux internautes et en particulier aux internautes non-inscrits sur le réseau social, d’être clairement informés
et de comprendre que leurs données sont systématiquement collectées dès lors qu’ils
se trouveront sur un site tiers comportant un module social ». Sur les autres manquements, Facebook ne recueille pas le consentement exprès des utilisateurs lorsqu’ils renseignent des données sensibles et que le paramétrage du navigateur ne permet pas aux utilisateurs de s’opposer valablement aux cookies déposés sur leur équipement terminal.
La Cnil a donc prononcé une sanction de 150.000 euros à l’encontre du réseau social, soit le maximum qu’elle peut aujourd’hui infliger (ce montant pouvant être porté au double en cas de récidive). Cependant, ce montant prévu par la loi « Informatique et liberté » apparaissant peu inadapté au regard de la potentielle gravité des violations de la législation et à la puissance de certains responsables de traitements qui s’en rendent coupables, le nouveau règlement européen prévoit, en fonction des atteintes, des sanctions allant jusqu’à 20millions d’euros ou, dans le cas d’une entreprise jusqu’à 4% du chiffre d’affaires annuel mondial total (11). La délibération de la Cnil amorce l’entrée en vigueur de la nouvelle réglementation européenne qui renforce les obligations de protection en matière de données personnelles. A titre d’illustration, le règlement viendra renforcer le droit à l’information en ajoutant notamment à la liste des informations à fournir : l’identité et les coordonnées du responsable de traitement, le cas échéant, celles de son Data Protection Officer (DPO), les finalités du traitement auxquelles sont destinées les données à caractère personnel ainsi que la base juridique du traitement, les catégories de destinataires de ces données, ainsi que, éventuellement, le transfert de ces données vers un pays tiers. En outre, le règlement prévoit une obligation d’information spécifique en matière de profilage et le consentement devra être recueilli pour toutes les finalités, à défaut de quoi il ne peut être considéré comme valable. @

* Ancien bâtonnier du Barreau de Paris.