Le digital sera la 1re source de revenus des auteurs

En fait. Le 7 novembre, la Confédération internationale des sociétés d’auteurs et compositeurs (Cisac) a publié son rapport 2019 sur les collectes mondiales des droits des créateurs (musique, audiovisuel, arts visuels, spectacle vivant et littérature) : 9,65 milliards d’euros en 2018, dont 1,64 milliard d’euros via le numérique.

Franck Riester veut relancer l’idée de taxe « Google Images », déjà prévue par la loi depuis… 2016

Le ministère de la Culture veut « la mise en oeuvre effective » d’une taxe sur les
« services automatisés de référencement d’images » sur Internet – autrement dit une taxe « Google Images ». La loi « Création » de 2016 en a rêvée, Franck Riester va la faire. Une mission du CSPLA vient d’être lancée.

Le président du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA), Olivier Japiot, a signé le 25 juin une lettre de mission confiée au professeur de droit des universités Pierre Sirinelli (photo de gauche) et mise en ligne le 4 juillet dernier sur le site web du ministère de tutelle (1). « Le ministre de la Culture [Franck Riester] a exprimé sa volonté de modifier le dispositif relatif aux services automatisés de référencement d’images adopté dans le cadre de la loi
[« Création »] du 7 juillet 2016 afin d’en assurer la mise en oeuvre », est-il spécifié.

Vers une gestion collective obligatoire
Le fameux « dispositif » prévu par la loi « Création », promulguée il y a maintenant trois
ans (2), n’est autre qu’une taxe « Google Images ». Dans son article 30 intitulé « services automatisés de référencement d’images » (3), il est en effet institué une gestion collective des droits d’auteur par la perception des rémunérations correspondantes en fonction des œuvres exploitées en ligne et la répartition des sommes perçues aux auteurs ou à leurs ayants droit. Et ce, via une société de gestion collective des droits – seule agréée à signer des conventions limitées à cinq ans avec les « services automatisés de référencement d’images » (dont les photos) comme Google Images (Google, Bing, Qwant, Wikipedia, MSN, etc.). Encore aurait-il fallu que le décret d’application soit publié, ce qui n’a jamais
été fait – malgré le fait que le projet de décret ait été notifié le 5 septembre 2016 à la Commission européenne (4). Car, comme Edition Multimédi@ l’avait révélé l’an dernier,
le Conseil d’Etat avait mis son holà dans un avis de février 2017 jamais rendu public (5).
Les risques juridiques, au regard du droit constitutionnel garantissant la protection du droit de propriété et du droit européen protégeant le droit exclusif de l’auteur, ont eu raison de ce décret mort-né (6). Selon Next Inpact, « c’est avant tout la jurisprudence ReLire de la CJUE, sur les livres indisponibles (7), qui a suscité le feu rouge du Conseil d’Etat » (8).
Mais depuis cette déconvenue, le vent a tourné avec l’adoption le 26 mars 2019 de la directive européenne sur le droit d’auteur et le droit voisin « dans le marché unique numérique », publiée au JOUE le 17 mai (9). « Depuis lors, [cette directive « Copyright »] est venue conforter l’objectif poursuivi par le législateur français à travers divers dispositifs visant à renforcer la capacité des créateurs à être rémunérés par les plateformes numériques qui exploitent leurs œuvres », justifie le CSPLA pour relancer l’idée de cette taxe « Google Images ». Certes, un article 13 ter du projet de directive prévoyait explicitement l’« utilisation de contenus protégés par des services de la société de l’information fournissant des services automatisés de référencement d’images ». Mais cette disposition spécifique, non prévue par le projet initial présenté par la Commission européenne en 2016, a été supprimé lors du trilogue pour s’en tenir au principe général de rémunération des créateurs par les plateformes. Il est donc demandé au professeur Sirinelli missionné d’« évaluer les conditions dans lesquelles le dispositif de gestion collective obligatoire pourrait être mise en place » et de faire « état des éventuels dispositifs alternatifs qui pourraient également permettre d’assurer la juste rémunération aux photographes et plasticiens ». Pour mener à bien cette mission d’ici au 31 octobre prochain, une rapporteure a été désignée : Sarah Dormont (photo de droite), maître de conférences à l’université Paris-Est Créteil Val de Marne (Upec), docteure en droit privé. Le rapport Sirinelli-Dormont devra être présenté lors de la séance plénière du CSPLA « de cet automne ».
La taxe « Google Images » pourrait être collectée dès 2020 par une société de perception
et de répartition des droits (SPRD), que l’on appelle désormais à la Cour des comptes qui les contrôle des « organismes de gestion indépendants » (OGI). Dans la foulée de la loi
« Création », la Société des auteurs dans les arts graphiques et plastiques (ADAGP) et la Société des auteurs des arts visuels et de l’image fixe (SAIF) s’étaient déclarées candidates pour assurer cette gestion collective. Encore faudra-t-il se mettre d’accord sur un barème.

Négocier un barème de rémunération
La loi « Création » donnait aux sociétés de gestion collective et aux acteurs du Net concernés « six mois suivant la publication du décret en Conseil d’Etat » pour aboutir à un accord. A défaut de quoi, « le barème de la rémunération et ses modalités de versement [seraient] arrêtés par une commission présidée par un représentant de l’Etat et composée, en nombre égal, d’une part, de représentants des [OGI] et, d’autre part, des représentants des [Gafa, Google en tête, ndlr] ». A moins que les parties prenantes soient sages comme des images… @

Charles de Laubier

Pionnière du droit d’auteur et du droit voisin, la France veut être la première à transposer la directive

La proposition de loi visant à « créer un droit voisin au profit des agences et des éditeurs de presse » entre dans sa dernière ligne droite au Parlement français, alors que la directive européenne sur « le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique » a tout juste été publiée en mai 2019.

Directive européenne sur le droit d’auteur : vers un nouveau modèle économique du numérique

La directive sur « le droit d’auteur dans le marché unique numérique » est sur
le point d’être promulguée au Journal officiel de l’Union européenne, après sa validation du 15 avril par les Etats membres (19 pour, 6 contre et 3 abstentions). Mais sa transposition nationale d’ici mi-2021 va être délicate.

Directive européenne sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique : fermez le ban !

Après un lobbying intense des géants du Net et des industries culturelles
autour du « trilogue » eurodéputés-Etats membres-Commission européenne, les « ambassadeurs » du Cereper ont adopté le 20 février la directive controversée sur la réforme du droit d’auteur dans le marché unique numérique.

Le « trilogue » de négociation sur le projet de directive européenne « Droit d’auteur dans le marché unique numérique » – instance tripartite composée par le Parlement européen, le Conseil de l’UE et la Commission européenne – a finalement trouvé in extremis le 14 février un accord. Les ambassadeurs du Coreper (1) représentant les Etats membres auprès de l’UE l’ont approuvé le 20 février à Bruxelles. La Finlande, l’Italie, le Luxembourg, les Pays- Bas et la Pologne ont dénoncé « un recul ».

La directive « E-commerce » : un garde-fou ?
Après un vote de la commission Juridique du Parlement européen prévu le 26 février,
le vote final en réunion plénière des eurodéputés interviendrait entre les 15 et 18 avril.
Il s’en est fallu de peu pour que les négociations n’aboutissent pas, notamment en raison du très controversé article 13 sur la responsabilité des plateformes numériques dans la lutte contre le piratage. La France et l’Allemagne ont pesé de tout leur poids pour responsabiliser Google, YouTube, Facebook, Yahoo ou encore Dailymotion. Quelques jours avant le compromis obtenu à l’arraché au sein du trilogue, l’association European Digital Rights (EDRi) avait même révélé le 11 février sur son compte Twitter (2) les ultimes modifications proposées par le gouvernement français sur l’article 13 mais finalement non intégrées le 14 février en trilogue dans la version consolidée du texte (3). « La France [avait] proposé de supprimer la référence à la directive “E-commerce” afin de s’assurer que la #CensorshipMachine entre pleinement en vigueur avec des obligations de contrôle général », avait alerté l’EDRi dirigée par Claire Fernandez (photo). Cette association européenne créée en 2002 à Berlin est basée à Bruxelles pour défendre et promouvoir les droits civils dans l’environnement numérique : neutralité du Net, protection de vie privée et des données personnelles, liberté d’expression et de création, adaptation du droit d’auteur, etc.
Dans son amendement (4) soumis au trilogue, le gouvernement français ne voulait pas que le paragraphe 7 de l’article 13 mentionne la directive « E-commerce » de 2000 qui interdit à toute plateforme numérique de filtrer tous les contenus Internet transitant sur ses serveurs d’hébergement. Ce garde-fou contre une surveillance généralisée du Web est clairement maintenu comme principe général. Rappelons que l’article 15 de cette directive « E-commerce » est intitulé justement « Absence d’obligation générale en matière de surveillance ». Ainsi, « les Etats membres ne doivent pas imposer aux prestataires [intermédiaires techniques, hébergeurs, réseaux sociaux, FAI, …, ndlr] une obligation générale de surveiller les informations qu’ils transmettent ou stockent, ou une obligation générale de rechercher activement des faits ou des circonstances révélant des activités illicites ». Est ainsi consacré en 2000 le statut d’hébergeur à responsabilité – dont bénéficient encore aujourd’hui les Google/YouTube, Facebook, Twitter et autres Snapchat. Les limitations de responsabilité des prestataires de services de la société de l’information ou de services intermédiaires ne peuvent être levées que sur décision d’un juge ou d’une autorité administrative.
D’autant que cette même directive « E-commerce » prévoit que « le prestataire agisse promptement pour retirer l’information qu’il a stockée ou pour en rendre l’accès impossible dès qu’il a effectivement connaissance du fait que l’information à l’origine de la transmission a été retirée du réseau ou du fait que l’accès à l’information a été rendu impossible, ou du fait qu’un tribunal ou une autorité administrative a ordonné de retirer l’information ou d’en rendre l’accès impossible ». En France, la loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN) de 2004 a sanctuarisé dans le droit national ce régime de responsabilité limitée de l’hébergeur.

Dix ans après le Traité de Lisbonne
En matière de jurisprudence, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) s’est
à son tour opposée au filtrage généralisé d’Internet dans deux de ses arrêts dit
« Sabam », le premier daté du 24 novembre 2011 dans l’affaire « Scarlet contre
Sabam » (5) (*) et le second du 16 février 2012 dans l’affaire « Sabam contre Netlog » (6). La CJUE est on ne peut plus claire : les directives européennes concernées (7) et les exigences de protection des droits fondamentaux « s’opposent à une injonction faite par un juge national à un prestataire de services d’hébergement de mettre en place un système de filtrage : des informations stockées sur ses serveurs par les utilisateurs de ses services ; qui s’applique indistinctement à l’égard de l’ensemble de ces utilisateurs ; à titre préventif ; à ses frais exclusifs ; et sans limitation dans le temps ». En cela, cette jurisprudence européenne rejoint une autre directive – et non des moindres – à savoir la directive « Propriété intellectuelle » du 29 avril 2004, selon laquelle « les mesures [pour assurer le respect des droits de propriété intellectuelle] ne doivent pas être inutilement complexes ou coûteuses et ne doivent pas comporter de délais déraisonnables ». Et les juges européens en ont même appelé à la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne signée le 7 décembre 2000 et devenue « force juridique obligatoire » depuis l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne en décembre 2009.

Œuvres : pas de protection « absolue »
La CJUE a aussi mis les points sur les « i » des questions jurisprudentielles : « La protection du droit de propriété intellectuelle est certes consacrée [par] la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (article 17, paragraphe 2). Cela étant, il ne ressort nullement de cette disposition, ni de la jurisprudence de la Cour, qu’un tel droit serait intangible et que sa protection devrait donc être assurée de manière absolue » (CQFD). L’on retrouve ce passage éclairant aussi bien dans l’arrêt « Sabam » de novembre 2011 que dans celui de février 2012.
Sauf à ce que l’Europe se déjuge, il était dès lors inconcevable que la nouvelle directive « Droit d’auteur dans le marché unique numérique » intègre l’amendement de la France. Celui-ci, tout en supprimant toute référence à la directive « E-commerce »
qui interdit toute obligation de surveillance générale du Net, a tenté de modifier l’alinéa en le formulant de la façon suivante : « L’obligation prévue à l’article 13 [de lutte contre le piratage en ligne par les plateformes numériques, ndlr] ne doit pas amener les Etats membres à imposer quelconque obligation de surveillance qui n’ait pas été basée sur un contenu [musique, film, série, ebook, jeu vidéo, etc., ndlr] identifié par les titulaires de droits ». La France avait justifié son correctif en ce que, selon elle, la référence
à l’article 15 de la directive « E-commerce » n’est pas compatible avec l’article
13 paragraphe 3 du projet de directive « Droit d’auteur dans le marché unique numérique ». Celui-ci prévoit déjà que la responsabilité limitée des prestataires du Net ne s’applique pas en matière de protection des droits d’auteur : « Lorsqu’un prestataire de services de partage de contenu en ligne effectue un acte de communication au public ou un acte de mise à la disposition du public, dans les conditions établies par la présente directive, la limitation de responsabilité établie à l’article 14, paragraphe 1,
de la directive [« E-commerce »] ne s’applique pas aux situations visées par le présent article. Cela n’empêche pas l’application possible de l’article 14, paragraphe 1, de la directive [« Ecommerce »] à ces prestataires de services à des fins qui ne relèvent pas du champ d’application de la présente directive ». Pour autant, pas question de les obliger à mener un filtrage généralisé du Net. Cette volonté d’exclure les plateformes numériques de la responsabilité limitée conférée par la directive « E-commerce »
– dès lors qu’il s’agit de lutte contre le piratage – a été l’un des chevaux de bataille
de la France, poussée par son ministère de la Culture. Le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA), dont il dépend, milite de longue date – depuis le rapport « Sirinelli » (8) de novembre 2015 sur « l’articulation » des directives 2000/31 (« Ecommerce ») et 2001/29 (« DADVSI ») – pour une responsabilisation des hébergeurs pour lutter contre le piratage d’oeuvres protégées. Bref, les industries culturelles et leurs ayants droits ont presque eu gain de cause en obligeant – à l’échelon européen – les YouTube, Facebook et autres Dailymotion à filtrer tous les échanges de contenus musicaux, vidéos ou photographiques.
Que de rebondissements autour de cet article 13 controversé, après que les eurodéputés aient d’abord rejeté le 5 juillet 2018 le projet de directive « Droit d’auteur dans le marché unique numérique » (9), puis après l’avoir ensuite adopté le 12 septembre sous une version légèrement amendé. Etaient alors notamment exclues
de son champ d’application « les petites et micro-plateformes ou agrégateurs, afin d’encourager les start-up et l’innovation » (10). Cette exemption de l’obligation de filtrer les contenus pour les PME-TPE du numérique était une exigence de l’Allemagne mais pas de la France.

Les petites plateformes et start-up épargnées
Finalement, lors d’un compris franco-allemand trouvé le 8 février en réunion du trilogue, cette disposition a été maintenue pour les entreprises cumulant trois critères : avoir moins de trois ans d’existence, générer un chiffre d’affaires de moins de 10 millions d’euros, atteindre un niveau d’audience de moins de cinq millions de visiteurs uniques par mois. Au moins cinq pays européens n’ont pas été convaincu de « l’avancée » que constituait cette réforme contestée. Rendez-vous au printemps pour le vote final. @

Charles de Laubier