Nicolas Seydoux, président de Gaumont, tire la sonnette d’alarme sur le piratage et le droit d’auteur

Nicolas Seydoux, président de Gaumont, société cinématographique qui fête
ses 120 ans, était l’invité le 19 octobre d’un dîner-débat du Club audiovisuel
de Paris (CAVP). La lutte contre le piratage ? « Dix ans de combat, mais dix ans d’échec ! ». La réforme du droit d’auteur ? Une menace pour les films.

C’est dans les salons feutrés du Sénat que Nicolas Seydoux (photo), lequel préside aux destinées de Gaumont depuis quarante ans maintenant, s’est très sérieusement inquiété
pour l’avenir du cinéma français. « La menace est double :
le téléchargement illicite et ce qui se passe à Bruxelles.
En étant très modeste, il y a 15 millions de Français (1) qui téléchargent systématiquement [de façon illégale] ; les femmes jeunes, plutôt les séries, les hommes jeunes et les adolescents, plutôt les blockbusters américains. Concernant Bruxelles, nous osons espérer que la grande réforme de l’audiovisuel [envisagée par la Commission européenne] est largement enterrée et se réduirait à la portabilité [des contenus audiovisuels pour qu’ils soient accessibles par tous ceux qui voyagent ou s’expatrient d’un pays européen à un autre, ndlr] », a-t-il expliqué. Selon lui, les conséquences seraient dramatiques si ces deux menaces se poursuivaient : pour les chaînes de télévision, c’est la perte de recettes de publicités et perte d’une audience « jeune » ; pour les autres, c’est la mort de la vidéo qui représentait plus de 2milliards d’euros il
y a 8 ans et n’en représentera cette année moins de 700 millions d’euros.

Président de l’Alpa depuis plus de 10 ans
« Evidemment, une offre légale ne peut pas se développer quand vous avez une offre illicite gratuite et de qualité. Parce que le détail est que : le faux sac Vuitton est de moins bonne qualité qu’un vrai sac Vuitton… mais lorsque vous téléchargez, la qualité est parfaite ! », a encore souligné celui qui préside aussi depuis plus de dix ans l’Association de lutte contre la piraterie audiovisuelle (Alpa).
A ce propos, Nicolas Seydoux ne cache pas qu’il a sa part de responsabilité mais
ne compte pas baisser les bras : « Je ne suis pas pessimiste (dans la lutte contre
le piratage) mais, comme je suis président de l’Alpa depuis plus de dix ans, ce n’est
pas un succès ! A l’instant même, c’est dix ans de combat, mais dix ans d’échec !
Et je pense que nous arriverons à convaincre les responsables politiques que l’on peut pas faire sans arrêt un semblant de “courbettes” auprès des jeunes pour détruire tout simplement l’avenir de la création ». Quant à tous ceux qui vivent des métiers de la culture – l’édition, la musique et le cinéma –, ils le peuvent parce qu’il y a un droit de propriété intellectuelle. « Si nous n’avons pas ce droit de propriété sur les films, c’est très simple : nous ne produirons plus », a-t-il prévenu.

« Alliance objective » entre FAI et GAFA
Nicolas Seydoux s’insurge notamment contre la réforme envisagée de la directive européenne de 2001 sur le droit d’auteur dans la société de l’information, directive dite « DADVSI » (2). Sur la base du rapport de l’eurodéputé Julia Reda, adopté le 9 juillet dernier par le Parlement européen, la Commission européenne prévoit des nouvelles exceptions au droit d’auteur qui ne donneraient plus lieu à rémunération, en particulier dans le cadre d’œuvres dites « transformatives » au nom de la liberté créative. « En Europe, contrairement à nos amis américains, le droit d’auteur est accompagné d’un droit moral qui permet à l’auteur d’interdire que l’on coupe son film n’importe comment. Je vois bien l’internaute qui rêverait de mettre un peu d’”Intouchable”, un peu de “Grand bleu” ou d’autres et (de dire) “J’ai fait mon oeuvre” : non ! Le droit de citation existe dans tous les métiers culturels ; le droit de citation est limité et n’est pas l’appropriation indue des œuvres », tient à clarifier le président du conseil de surveillance de Gaumont.
Autre sujet de préoccupation pour Nicolas Seydoux : le statut d’hébergeur des Google/YouTube, Dailymotion et autres Facebook, lesquels bénéficient d’une responsabilité limité dans la lutte contre le piratage sur Internet, car ce ne sont pas des éditeurs de contenus à proprement parler. Du coup, il s’en est pris à la fois aux acteurs du Net et aux fournisseurs d’accès à Internet (FAI) : « Vous avez une alliance objective : les uns disant “Abonnez-vous au haut débit” avec un “Lucky Luke” qui tire plus vite que son omble pour convaincre, et les autres, les moteurs de recherche, disant qu’ils ne sont responsables de rien. Et bien, ils ne sont pas responsables de rien et les FAI qui, grâce aux oeuvres piratées, font du trafic qui risque à un moment donné de leur coûter plus que cela ne leur rapporte, sont totalement responsables. Et ceux (les moteurs de recherches) qui ont réussi à convaincre Washington d’un côté et Bruxelles de l’autre qu’ils étaient des hébergeurs : et bien, essayez d’héberger un terroriste chez vous, vous m’en donnerez des nouvelles ! ». Selon le patron de Gaumont, le monde occidental a accepté à Washington et à Bruxelles une situation « absolument unique
au monde », qu’il considère comme « le détournement de valeur des ayants droits – aujourd’hui essentiellement musique, audiovisuel et cinéma, et demain le livre qui ne voit pas vraiment le danger ». Et de mettre en garde : « C’est un danger absolument majeur : avoir un GAFA actuel ou GAFA de demain qui décide se prendre dans les pays les 100 premiers auteurs… ». Pour dénoncer ce qu’il appelle une « alliance objective » entre les moteurs de recherche et les FAI, qui, selon lui, ne veulent rien faire pour lutter contre le piratage sur Internet, Nicolas Seydoux en veut pour preuve un exemple précis: « Sur une affaire récente, un site web a été condamné [Wawa-Mania, ndlr] : Orange pourrait très bien bloquer l’accès. La décision de justice est à l’égard de ce site web mais pas d’Orange. Et, donc, nous avons été contraints de traîner Orange [les autres FAI aussi et Google, ndlr] devant les tribunaux pour qu’il y ait une décision de justice enjoignant Orange de bloquer les accès à ce site ». Ainsi, le 2 avril 2015, le tribunal correctionnel de Paris a condamné Dimitri Mader, administrateur du site Wawa-Mania,
à un an de prison ferme, à 20.000 euros d’amende (15 millions de dommages et intérêts demandés par les ayants droits) et à la fermeture de son site web. Une position en partie reprise le 15 avril 2015 avec la condamnation par le tribunal correctionnel de Besançon des responsables du site Wawa-Torrent à une peine de trois mois de prison avec sursis ainsi qu’au paiement solidaire de 155.063 euros de dommages-intérêts.
A ce jour, Dimitri Mader serait toujours en fuite aux Philippines (3). Le président de l’Alpa n’a pas manqué de lancer une pique en direction des pouvoirs publics : « Un
seul homme politique s’est attaqué au sujet [de la lutte contre le piratage sur Internet],
c’est Nicolas Sarkozy ». Après son élection en 2007, l’ancien chef de l’Etat – qui, artisan des radars routiers, rêvait de radars sur le Net (4) – avait confié à Denis Olivennes une mission de lutte contre le piratage en ligne qui a abouti aux accords
de l’Elysée signés par près d’une cinquantaine d’organisations professionnelles le 27 novembre 2007. Ils sont à l’origine des deux lois Hadopi de 2009. Les autres en ont
pris pour leur grade : « J’ai le regret de penser que sur ce sujet les hommes politiques français sont des couards ! ».

Il espère « un acte politique majeur »
Mais Nicolas Seydoux ne désarme pas pour autant face aux 15-25 ans qui
« téléchargent » (comprenez « piratent ») beaucoup et espère « un acte politique majeur » par le maintien de la réponse graduée (avertissement suivie d’une lettre recommandée en cas de récidive). « Puis, il n’y a qu’une seule solution : c’est l’amende automatique. Donc, on va essayer de passer un amendement au Sénat sur la nouvelle loi [« Création », ndlr] parlant de propriété littéraire et artistique. Je ne suis pas sûr que le Sénat votera cet amendement, mais ce dont je suis sûr, c’est que l’on prendra date sur ce sujet ». A suivre… @

Charles de Laubier

La Convention de l’Unesco fait un pas vers le numérique

En fait. Le 20 octobre 2015, la Convention de l’Unesco sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles fête ses 10 ans. Selon les informations de Edition Multimédi@, la France, le Canada et la Belgique proposent une
« directive opérationnelle transversale » sur le numérique.

Droit d’auteur : comment le Syndicat national du livre (SNE) s’en prend à la Commission européenne

C’est un brûlot que les maisons d’édition françaises ont lancé début septembre pour dénoncer le projet de réforme du droit d’auteur de la Commission européenne attendu en fin d’année. Le SNE a mandaté l’avocat Richard Malka
qui mène la charge contre Jean-Claude Juncker, Julia Reda et… Axelle Lemaire.

« La Commission Juncker s’apprête ainsi à transformer l’Europe en terrain de chasse pour des acteurs déjà en position dominante [comprenez Amazon, Google, Apple, etc, ndlr] et laissera exsangues, en emplois et en ressources, le monde de l’édition et avant tout les auteurs eux-mêmes », accuse Richard Malka (photo) dans son opus au vitriol lancé début septembre contre l’exécutif européen et intitulé « La gratuité, c’est le vol. 2015 :
la fin du droit d’auteur ? » (1).

Haro sur Google, Apple et Amazon
Selon cet avocat, formé par Georges Kiejman (ténor du barreau parisien et célèbre défenseur de François Mitterrand) et connu pour avoir Charlie Hebdo parmi ses clients (dans l’affaire des caricatures de Mahomet), la Commission européenne présidée par Jean-Claude Juncker est « sous l’influence conjuguée et paradoxale de multinationales transatlantiques et de groupements libertariens ou “pirates” ». Mandaté par le Syndicat national de l’édition (SNE), il reproche à l’exécutif européen de ne pas avoir réalisé d’étude d’impact économique sur les réformes envisagées de la directive « DADVSI » du droit d’auteur (2). « Cette réforme, applaudie par les lobbyistes de Google, Apple, Facebook et Amazon, en totale adéquation avec leurs attentes (…), relève donc d’une initiative exclusivement technocratique, détachée de la moindre nécessité économique, dénuée de toute légitimité démocratique, induisant l’affaiblissement d’une des industries européennes les plus importantes », fustige Richard Malka dans son livret gratuit d’une trentaine de pages. La Commission européenne nous a indiqué qu’elle répondait au SNE dans des termes que nous mettons en ligne (3). Sous sa plume incisive, il reproche à Jean-Claude Juncker – ainsi qu’à Andrus Ansip, commissaire européen
et vice-président en charge du Marché unique numérique, et à Günther Oettinger, commissaire européen à l’Economie et à la Société numériques – d’être tout acquis
à la cause des « opérateurs numériques, qui réclament avec insistance cette réforme
à l’aide de centaines de lobbyistes ». Il affirme que la Commission européenne
« donnerait les clés des industries culturelles européennes et de la rémunération des auteurs aux seuls grands industriels de la communication numérique », alors que selon cet avocat elle devrait plutôt s’occuper des « entraves à la circulation des œuvres ».

L’eurodéputée Julia Reda en prend également pour son grade (4), après que son rapport de réformes à faire pour le droit d’auteur ait été adopté le 9 juillet par le Parlement européen. Alors que les propositions de la Commission européenne sont attendues en fin d’année, après que son unité « Copyright » aura rendu les siennes
au cours de cette rentrée, le SNE – organisateur de « Livre Paris » en mars 2016 (ex-Salon du livre de Paris) – monte d’ores et déjà au créneau. En France, est aussi dans le collimateur la secrétaire d’Etat au Numérique, Axelle Lemaire, qui va soumette à consultation publique à partir du 21 septembre son projet de loi numérique introduisant des « exceptions » (open access, text and data mining, …) soutenues notamment
par 75 personnalités et le CNNum (5). Or, l’avocat militant estime que les menaces persistent pour le secteur du livre contrairement au domaine audiovisuel : la Commission européenne envisagerait de rendre obligatoire jusqu’à 21 exceptions
au droit d’auteur qui ne donneraient plus lieu à rémunération (notamment dans le prêt numérique en bibliothèque, ou bien à des fins pédagogiques, voire dans le cadre d’œuvres transformatives au nom de la liberté créative ou encore pour des travaux
de recherche à l’aide du data mining).

Autre exception au droit d’auteur contre laquelle s’élève le SNE et son avocat : le principe du fair use. « Cette exception importée des Etats-Unis est révélatrice des sources d’inspiration de Madame Julia Reda et de la Commission [européenne]. Elle permet d’utiliser une oeuvre sans autorisation dès lors qu’un motif légitime le justifie (droit à l’information, à la création, à la parodie…) », écrit Richard Malka. Le droit d’auteur européen est basé sur une liste limitative d’exceptions, contrairement au système juridique américain qui laisse les tribunaux apprécier au cas par cas si les utilisations des œuvres relève du fair use (6).

Pour le geoblocking des œuvres 
Quant à l’« extraterritorialité » (permettre l’achat de contenus sans restriction géographique ou geoblocking), elle est perçue par l’auteur comme une « exception » supplémentaire qui « constituerait donc une atteinte injustifiée aux droits des auteurs sur leurs œuvres ». Ce livre à charge est assorti du site Auteursendanger.fr. Le bras de fer ne fait que commencer. @

Charles de Laubier

Réforme du droit d’auteur : pourquoi l’eurodéputée Julia Reda est déçue par la Commission européenne

La commission juridique du Parlement européen a adopté le 16 juin le rapport
de l’eurodéputée Julia Reda sur la réforme du droit d’auteur. Prochaine étape :
le vote final les 8 et 9 juillet. Mais la membre du Parti Pirate regrette que la Commission européenne n’ait pas été assez loin.

« Les propositions sur le droit d’auteur et le géoblocage sont trop frileuses. Le fait de pouvoir regarder du contenu payant tel que des vidéos à la demande pendant ses vacances ne mettra pas
fin au système gênant du géoblocage. Souvent, ce système affecte les fournisseurs de services ou les plateformes financées par la pub comme YouTube, qui ne sont même pas intégrés dans les propositions de la Commission européen », a déploré l’eurodéputée Julia Reda (photo) dans une interview à Euractiv.com le 9 juin dernier.

Hésitations pour harmoniser
Membre du Parti Pirate et appartenant au groupe politique des Verts/ALE dont elle est vice-présidente au Parlement européen, où elle est aussi membre de la commission des Affaires juridiques (JURI), elle estime que la Commission européenne n’est pas allée assez loin dans ses propositions du 6 mai dernier. « Même si la stratégie de la Commission indique que certaines exceptions au droit d’auteur seront appliquées dans toute l’Union européenne, seul le secteur scientifique a pour l’instant été cité [dans le rapport adopté le 16 juin, toutes les exceptions au droit d’auteur n’ont pas été rendues obligatoires dans l’UE, ndlr]. Les Etats membres doivent être disposés à légaliser les formes d’utilisation déjà légales dans d’autres pays de l’Union européenne, telles que la modélisation des bâtiments publics, la citation de vidéos ou la création de parodies de contenus protégés par le droit d’auteur. Nombreux sont les gouvernements qui ne sont pas prêts à faire cela », déplore Julia Reda, auteure du rapport sur la mise en oeuvre de la directive européenne sur le droit d’auteur de 2001, dite DADVSI (1).
Autrement dit, l’eurodéputée estime que les propositions avancées par l’exécutif européen ne vont pas assez dans le sens d’une harmonisation beaucoup plus poussée des règles du droit d’auteur pour que les vidéos créées de manière légale ne soient pas illégales dans les pays voisins et pour que de nouveaux services se développent.
« Nous devons casser les silos nationaux (…) dans le droit d’auteur », avait pourtant déclaré Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, dans chacune des lettres de mission datées du 10 septembre 2014 et adressées à respectivement Andrus Ansip, commission en charge du Marché unique numérique, et à Günther Oettinger, à l’Economie numérique (2). Ce dernier espère présenter les propositions
de réforme législative du droit d’auteur en octobre 2015 – ou du moins avant la fin de l’année. Pour l’heure, le rapport de l’eurodéputée Julia Reda a été adopté le 16 juin dernier à une large majorité par la commission juridique du Parlement européen. Le vote final en séance plénière est prévu les 8 et 9 juillet prochains. Malgré cette avancée parlementaire, la membre du Parti Pirate a tenu à exprimer publiquement pourquoi elle regrettait que les propositions que la Commission européenne a faites le 6 mai dernier n’aient pas été assez loin dans la réforme du droit d’auteur. Selon Julia Reda, la Commission européenne a été beaucoup trop hésitante dans l’instauration de règles communes à l’UE. « L’Union européenne s’appuie sur quatre libertés : liberté de circulation des personnes, des biens, des capitaux et des services. Le contenu digital est présenté comme un service disponible sur Internet mais bien souvent il n’est pas accessible à tous en Europe. Cela contredit les principes de base du marché commun de l’UE et engendre de la discrimination (…) », estime Julia Reda. L’eurodéputée pointe du doigt l’intense lobbying auquel se livrent des entreprises et des organisations pour influencer à son tour le Parlement européen, puis le Conseil de l’UE « où les gouvernements nationaux se battent généralement pour les intérêts de leurs entreprises ». Selon elle, « il n’est donc pas surprenant que les grandes sociétés de télécommunications n’acceptent pas l’idée de neutralité du Net, que les maisons d’édition scientifiques s’opposent à une loi sur le droit d’auteur ou que les détenteurs
du droit d’auteur de grands événements sportifs soient contre la suppression du géoblocage ».

116 lobbies autour de Julia
Sur son site web d’information Juliareda.eu, montrant l’état d’avancement des discussions depuis son pré-rapport du 15 janvier dernier (3), Julia Reda joue la transparence en listant toutes les entreprises et organisations – soit pas moins de 116
à ce jour – qui l’ont sollicitée pour un rendez-vous (http://lc.cx/ LobbyReda). On y trouve par exemple : la SAA (Society of Audiovisual Authors), Google, la Free Software Foundation Europe, Apple, la Sacem, Vivendi, l’IFPI (International Federation of the Phonographic Industry), Canal+, l’EuroISPA (European Internet Services Providers Association), Walt Disney ou encore l’ETNO (European Telecommunications Network Operators’ Association). Un autre site web, Copywrongs.eu, fait état des débats et des amendements.

Territorialité en question
Est-ce sous la pression des lobbies les plus puissants que la Commission européenne a été finalement plus timorée dans ses propositions du 6 mai dernier ? Les questions sensibles, telles que celle du géoblocage (4), n’ont pas été tranchées.
Depuis leurs déclarations de l’automne dernier et la mobilisation de la France particulièrement remontée contre cette réforme, les commissaires européens ont mis de l’eau dans leur vin. Les organismes de gestion collective des droits (SACD, Scam, …) sont également opposés à la réforme, tandis que la Commission européenne a donné son accord le 16 juin au rapprochement entre les « Sacem » britannique (PRSfM), suédoise (STIM) et allemande (GEMA). La territorialité du droit d’auteur pour son financement n’est pas remise en cause, contrairement à ce que craignaient les ayants droits de la musique, du cinéma et du sport. Les exclusivités territoriales dont bénéficient les diffuseurs et distributeurs ne sont pas prêtes de voler en éclats. La Commission européenne a changé de braquet : plutôt que de se focaliser sur le droit d’auteur, elle reporte son attention sur le commerce électronique qui fera l’objet d’une grande enquête afin d’identifier les éventuels obstacles au marché unique numérique. Ainsi, pour le géoblocage portant initialement sur les contenus audiovisuels, les mesures envisagées par la Commission européenne se sont surtout déportées vers le géoblocage de biens et autres services dont la livraison est impossible dans certains pays. « En raison de ce blocage, il peut arriver, par exemple, qu’une location de voiture depuis un État membre donné soit plus chère qu’une location effectuée depuis un autre État membre pour un véhicule identique au même endroit », était-il expliqué le 6 mai. Et d’ajouter ensuite : « La Commission européenne s’efforce en particulier de garantir que les utilisateurs qui achètent des films, de la musique ou des articles chez eux puissent également en profiter lorsqu’ils voyagent à travers l’Europe. [Elle] examinera également le rôle des intermédiaires en ligne en ce qui concerne les œuvres protégées par le droit d’auteur ». Bref, la Commission européenne n’est plus aussi déterminée qu’avant. La ministre française de la Culture et de la Communication, Fleur Pellerin, ne s’y est pas trompée, qui a « salué les progrès que marque la réflexion de la Commission sur certains aspects du débat en matière de droit d’auteur, en particulier la volonté de clarifier le statut des intermédiaires techniques et d’améliorer le respect du droit d’auteur ».
Dans une note datée du 23 février 2015, le Secrétariat général aux affaires européennes (SGAE) refuse de « remettre en cause le principe du cadre territorial dans lequel sont délivrées les licences » et estime qu’il faut se concentrer « sur la portabilité des services et non sur une remise à plat du principe de territorialité qui aurait pour conséquence un appauvrissement de la culture européenne » (5). La réforme du droit d’auteur a donc du plomb dans l’aile. Et l’ancienne commissaire européenne et aujourd’hui eurodéputée Viviane Reding (6) est déjà prête à l’enterrer : « La réforme du droit d’auteur est un sujet mort-né. Il ne pose pas problème, on ne va pas commencer
à en créer pour régler des soucis qui n’existent pas ! », a-t-elle lancé lors d’un débat SACD-Canal+ sur le droit d’auteur et le marché unique du numérique qui s’est déroulé le 16 mai dernier lors du Festival de Cannes. Alors que, selon l’indice numérique que
la Commission européenne a publié le 24 février dernier, les Européens veulent aussi pouvoir accéder aux services en ligne disponibles dans d’autres pays que le leur : ils sont un sur trois à se dire intéressés par la possibilité de regarder un film ou entendre une musique provenant d’un pays étranger ; et ils sont un sur cinq à vouloir regarder ou écouter une oeuvre culturelle dans d’autres pays. Mais, malgré l’émergence de services numériques transfrontaliers, ils en sont empêchés par le blocage géographique (geo-blocking), par l’identification automatique de leur adresse IP (via des prestataires mondiaux tels que Maxmind et sa solution GeoIP) et par des techniques de DRM (Digital Rights Managements), en raison des restrictions liées aux droits d’auteur
ou aux droits d’exploitation.

Etude sur la VOD « transeuropéenne »
En France, la direction générale des Médias et des Industries culturelles (DGMIC)
du ministère de la Culture et de la Communication a publié le 23 mai un appel à candidatures – jusqu’au 16 juin prochain – pour la réalisation d’« une étude portant
sur les offres et les stratégies commerciales des services de VOD et SVOD transeuropéens ». @

Charles de Laubier

Pourquoi le géo-blocage est l’un des points de… blocage pour le marché unique européen

La Commission européenne a confirmé le 6 mai vouloir réformer le droit d’auteur afin de mettre un terme aux géo-blocages qui empêchent l’émergence d’acteurs européens capables de rivaliser avec les sociétés américaines. La France, elle, défend son « exception culturelle ».