Le projet de réforme européenne du droit d’auteur à l’heure du numérique fait des vagues en France

La Commission européenne a présenté, le 14 septembre, son projet de réforme du droit d’auteur pour le marché unique numérique. En France, les réactions sont moins épidermiques qu’attendu. Les lobbies sont maintenant à l’oeuvre avant le prochain débat au Parlement européen.

Le gouvernement français s’est dit satisfait que « la réforme [du droit d’auteur (1)] aborde l’enjeu essentiel du partage de la valeur entre les créateurs et les intermédiaires qui mettent massivement en ligne des œuvres protégées ». Mais la ministre de la Culture et de la Communication, Audrey Azoulay, et le secrétaire d’Etat chargé des Affaires européennes, Harlem Désir, veulent « la clarification du statut de ces activités au regard du droit d’auteur, en particulier le droit de la communication au public et une responsabilisation appropriée de ces intermédiaires, en coopération avec les titulaires de droit ».

Droit d’auteur : industries culturelles et audiovisuelles appelées à s’adapter au numérique sans frontières

La Commission européenne a présenté le 14 septembre une directive réformant le droit d’auteur à l’heure du numérique et un règlement audiovisuel. De leur mise en oeuvre dépendra la création d’un vrai marché unique numérique en Europe, et d’une nécessaire diversité culturelle.

Deux directives européennes vont actuellement l’objet chacune d’une réforme pour adapter respectivement le droit d’auteur et la diffusion audiovisuelle au marché unique numérique. Il s’agit des directives dites « DADVSI » de 2001 (1) et « CabSat » de 1993 (2). Dans les deux cas, le but est de réduire les différences entre les régimes de droit d’auteur nationaux, tout en favorisant l’accès le plus large aux contenus culturels et audiovisuels sur le Vieux Continent. C’est d’ailleurs l’objectif de la stratégie numérique que la Commission européenne avait présentée en mai 2015.

Pas de « domaine commun » dans le projet de loi « République numérique », mais… une mission

Malgré la volonté initiale de la secrétaire d’Etat au Numérique, Axelle Lemaire, l’instauration d’un « domaine commun » (échappant aux droits d’auteur) a été supprimée du projet de loi numérique. Mais le Premier ministre Manuel Valls a promis « une mission ».

« Relèvent du domaine commun informationnel :
1° Les informations, faits, idées, principes, méthodes, découvertes, dès lors qu’ils ont fait l’objet d’une divulgation publique licite, notamment dans le respect du secret industriel et commercial et du droit à la protection de la
vie privée, et qu’ils ne sont pas protégés par un droit spécifique, tel qu’un droit de propriété ou une obligation contractuelle ou extra-contractuelle ; 2° Les œuvres, dessins, modèles, inventions, bases de données, protégés par le code de la propriété intellectuelle, dont la durée de protection légale, à l’exception du droit moral des auteurs, a expiré ».

Les droits d’auteur dans le monde en 2015 vont franchir la barre des 8 milliards d’euros

Lorsque la puissante Cisac, qui réunit 230 sociétés de gestion collective dans le monde (musique, audiovisuel, livre, …), publiera l’an prochain les perceptions de cette année 2015, elle fêtera ses 90 ans et 8 milliards d’euros de droits perçus – les revenus numériques se rapprochant de 1 milliard.

Selon les estimations de Edition Multimédi@, les revenus numériques des droits d’auteur dans le monde devrait durant cette année 2015 s’approcher encore plus près de 1 milliard d’euros sur le total des perceptions qui franchira, lui, la barre des 8 milliards d’euros. Comme la croissance des revenus du numériques perçus par les 230 sociétés de gestion collective – telles que, pour la France, la Sacem, la SACD, la Scam, ou encore la SGDL – se situe entre 20 % et 30 % par an, il y a fort à parier que les revenus numériques mondiaux des droits d’auteurs des industries culturelles devraient atteindre cette année entre 620 et 670 millions d’euros, contre les 515,7 millions perçus au titre de l’année 2014 (+ 20,2 % sur un an).

Rencontres du cinéma à Dijon : Action ou Coupez ?

En fait. Du 22 au 24 octobre derniers, se sont tenues les 10es Rencontres cinématographiques de Dijon (25es si l’on y ajoutent celles de Beaune auparavant), organisées par l’ARP, société civile des Auteurs- Réalisateurs-Producteurs. Edition Multimédi@, qui y était, a constaté une certaine fébrilité.

En clair. Malgré les engagements de ses deux plus grands argentiers, Canal+ et France Télévisions, le cinéma français s’inquiète plus que jamais pour son avenir,
au point d’en être fébrile. « On sort des trente glorieuses du cinéma », a lancé Michel Hazanavicius, réalisateur-producteur (« The Artist » entre autres) et vice-président
de l’ARP. Alors que les mémoires « A mi-parcours » d’André Rousselet, le fondateur
de Canal+, sortaient en librairie (1) au moment même de ces 25es Rencontres cinématographiques, rappelons qu’il a trente ans le cinéma craignait déjà le pire avec le lancement à cette époque de « la chaîne du cinéma ». Les professionnels de la « filière ‘cinéma », avec lesquels André Rousselet se rappelle « des discussions complexes, et qui seront parfois houleuses », pensaient que la quatrième chaîne cryptée voulue par François Mitterrand allait vider les salles de cinéma. Il n’en fut rien. Trois décennies plus tard : rebelote ! Internet est le « Canal+ » d’aujourd’hui : une menace pour les salles et tout l’écosystème du cinéma. « Le préambule doit être sur le vol de films sur Internet. (…) Tant qu’il n’y aura pas quelque de chose de sûr contre la piraterie, cela sera compliqué de parler d’offre légale », a prévenu Michel Hazanavicius, qui a lancé le 5 novembre avec d’autres cinéastes LaCinetek, un site de VOD consacré aux « films classiques ». Pour abonder, Maxime Saada, le nouveau DG du groupe Canal+, a affirmé que la chaîne cryptée a «un manque à gagner d’à peu près 500.000 abonnés, soit 10 % de notre parc, à cause du piratage ». Le successeur de Rodolphe Belmer (depuis juillet) a même ajouté que « lorsque l’on aura réglé le problème du piratage,
on pourra rediscuter de la chronologie des médias, … dans dix ans, dans cinq, même dans deux ans »… Il est même catégorique : il n’a pas de sens économique « à introduire dans la chronologie des médias des exploitations par Internet » : « Y a-t-il
un marché ? Je ne le crois pas ». Fermez le ban ! Quant aux GAFA, ils sont accusés
de faire du cinéma un produit d’appel sans contribuer à son financement – « grâce » à leur statut d’hébergeur. La menace vient aussi de la Commission européenne, dont la réforme en cours du droit d’auteurs est agitée comme un épouvantail. Seule invitée, l’eurodéputée Viviane Reding (2) : elle a tenté de rassurer en disant que « cette réforme n’ira pas droit dans le mur parce qu’elle n’aura pas lieu ! ». La territorialisation des droits ne sera pas remis en cause. @