Les auteurs audiovisuels exigent une rémunération équitable au niveau mondial, à l’ère du numérique

Alors que le projet de directive européenne sur le droit d’auteur pour le marché unique numérique est en cours d’examen, la Confédération internationale des sociétés d’auteurs et compositeurs (Cisac) publie une étude juridique préconisant une rémunération équitable des scénaristes et réalisateurs.

C’est fut en plein Festival de Cannes, dont le tapis rouge a été renroulé le 19 mai après douze jours dédiés au 7e Art, que les scénaristes, les réalisateurs et tous les autres auteurs audiovisuels se sont rappelés au bon souvenir de la profession cinématographique pour demander à ne pas être les oubliés du partage de la valeur à l’heure de l’exploitation des films et séries sur les plateformes numériques.

Rémunération équitable et droit d’auteur
A l’appui de leur revendication : une étude juridique publiée le 14 mai et commanditée par la Confédération internationale des sociétés d’auteurs et compositeurs (Cisac) et Writers & Directors Worldwide (W&DW). Cette dernière organisation, domiciliée au siège de la Cisac, ellemême basée à Neuilly-sur-Seine, est le fer de lance de « la juste rémunération de tous les auteurs et réalisateurs dans le domaine de l’audiovisuel à travers le monde ». Présidée par le réalisateur et scénariste argentin Horacio Maldonado (photo), W&DW mobilise depuis 2014 les créateurs audiovisuels, littéraires et dramatiques de tous les pays afin d’obtenir la recon-naissance de leurs droits à l’ère du numérique (1). « Les services Internet diffusent un plus grand nombre de contenus audiovisuels, vers un public plus large et à l’aide d’une multitude de dispositifs, mais la position de faiblesse des créateurs dans leurs négociations contractuelles les empêche souvent d’accéder aux revenus générés par ce marché numérique en pleine expansion », est-il déclaré dans le texte fondateur du 8 octobre 2014 et appelé « Manifeste de Mexico » (2). Les auteurs audiovisuels veulent que les gouvernements et parlementaires du monde adoptent une législation reconnaissant aux écrivains et réalisateurs un droit inaliénable à rémunération, lequel devra être obligatoirement négocié avec les utilisateurs de leurs œuvres et soumis à la gestion collective.
Les droits à rémunération existent depuis longtemps dans plusieurs pays européens, comme en Belgique, en France, en Italie, en Pologne et en Espagne. Il s’agit cette fois de l’étendre à toute l’Union européenne où nombreux seraient les scénaristes et réalisateurs victimes d’une
« traitement discriminatoire » (3) et, partant, au monde entier comme l’ont déjà fait le Chili (loi Ricardo Larrain en 2016), la Colombie (loi Pepe Sánchez en 2017) et bientôt le Brésil (en 2018 ?). Une déclaration de 126 scénaristes et réalisateurs européens et une pétition en ligne (4) signée par plus de 15.000 person-nes dans plus de 100 pays avaient été envoyées au Parlement européen en février dernier. Ses commissions de la Culture et de l’Industrie ont proposé d’introduire – pour l’exploitation des œuvres sur les plateformes audiovisuels et numériques – un droit incessible et inaliénable à rémunération pour les auteurs audiovisuels dans la future directive sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique. Des discussions sont en cours au sein de la commission des Affaires juridiques où un vote est, selon nos informations, prévu les 20 et 21 juin, tandis que le vote des eurodéputés en plénière aura lieu en juillet au plus tôt, sinon en septembre.
La Cisac, présidée par le compositeur de musique électronique et interprète français Jean-Michel Jarre, représente plus de 4 millions de créateurs de tous les répertoires artistiques dans le monde (musique, audiovisuel, spectacle vivant, littérature et arts visuels). Elle soutient avec W&DW la demande des scénaristes et réalisateurs d’inclure, dans la prochaine directive, une rémunération équitable pour l’exploitation de leurs œuvres par les plateformes de contenus à la demande. L’étude juridique de 105 pages (5) est soutenue par la Société des auteurs audiovisuels (SAA) qui milite pour une modification de la législation européenne. Elle part du constat que « les auteurs sont souvent amenés à céder leurs droits aux producteurs en raison de leur situation de faiblesse lors des phases de négociation ». Aussi, il est recommandé « la mise en place d’un cadre juridique international qui introduirait un droit à rémunération incessible et inaliénable pour les auteurs audiovisuels (…) sans empiéter sur l’exploitation commerciale par le producteur ».

Contenus illicites et piratage en ligne : la Commission européenne menace de légiférer si…

Si les acteurs du Net n’appliquent pas ses recommandations pour lutter contre les contenus à caractère terroriste, les incitations à la haine et à la violence, les contenus pédopornographiques, les produits de contrefaçon et les violations du droit d’auteur, la Commission européenne se dit prête sévir.

Facebook, Twitter, YouTube, Google, Microsoft et bien d’autres plateformes numériques et réseaux sociaux sont plus que jamais mis sous surveillance par la Commission européenne, laquelle les incite fortement – voire les obligera à terme si cela s’avérait nécessaire – à suivre ses recommandations publiées le 1er mars pour lutter contre les contenus illicites (terrorisme, haine, violence, …) et le piratage en ligne d’œuvres protégées par le droit d’auteur (musique, films, jeux vidéo, ebooks, …).

« Outils automatiques » et « vérification humaines »
Il s’agit pour les GAFAM et tous les autres de retirer le plus rapidement possible
les contenus illicites de l’Internet. Les « mesures opérationnelles » que préconisent l’exécutif européen – dans sa recommandation du 1er mars 2018 « sur les mesures destinées à lutter, de manière efficace, contre les contenus illicites en ligne » (1) –
ont pour but d’« accélérer la détection et la suppression du contenu illicites en ligne », tout en invitant les entreprises du Net à « appliquer le principe de proportionnalité lors de la suppression de contenu illicite » et « éviter la suppression – involontaire ou erronée – du contenu qui n’est pas illicite » (2) – notamment en prévoyant des procédures accélérées pour les « signaleurs de confiance ».
Il s’agit aussi de faire en sorte que les fournisseurs de contenus soient informés des suppressions de contenus illicites en ligne, afin qu’ils aient la possibilité de les contester par la voie d’un « contre-signalement ». En amont, les plateformes numériques et les réseaux sociaux sont tenus d’établir des règles simples et transparentes pour
« la notification du contenu illicite » ainsi que « des systèmes de notification clairs » pour les utilisateurs. Pour la suppression de ces contenus illicites, la Commission européenne demande à ce que, aux côtés des « outils proactifs » ou « outils automatiques » de détection et de suppression, les acteurs du Net aient aussi recours aussi à des « moyens de supervision et de vérification humaines ». Et ce, afin que les droits fondamentaux, la liberté d’expression et les règles en matière de protection des données soient respectés. Pour autant, dès qu’il existe des preuves d’une infraction pénale grave ou le soupçon qu’un contenu illicite représente une menace pour la vie d’autrui ou la sécurité, « les entreprises doivent informer sans délai les autorités répressives » – « les Etats membres [étant] encouragés à établir les obligations légales appropriées ». Quant aux contenus en ligne à caractère terroriste, ils font, eux, l’objet d’un traitement spécial et d’une « procédures accélérées » (voir encadré page suivante). Les Etats membres et les acteurs du numérique sont « invités » à présenter « dans un délai de six mois » des informations pertinentes sur tous les types de contenus illicites – exceptés les contenus à caractère terroriste où le délai du rapport est de trois mois.
Le vice-président pour le marché unique numérique, Andrus Ansip (photo), table sur l’autorégulation. Mais il menace de prendre des mesures législatives si cette autorégulation des plateformes ne donne pas des résultats efficaces. D’autant que le Parlement européen a déjà enjoint aux acteurs du Net, dans sa résolution du 15 juin 2017 sur les plateformes en ligne et le marché unique numérique (3), de « renforcer leurs mesures de lutte contre les contenus en ligne illégaux et dangereux », tout en invitant la Commission européenne à présenter des propositions pour traiter ces problèmes. Celle-ci va lancer « dans les semaines à venir » une consultation publique. « Ce qui est illicite hors ligne l’est aussi en ligne », prévient-elle. Il y a six mois, l’échéance du mois de mai 2018 avait été fixée pour aboutir sur le sujet et décider s’il y a lieu ou pas de légiférer.

Violations du droit d’auteur, fraudes, haines, …
Ainsi, cinq grandes catégories de contenus illicites en ligne sont susceptibles d’enfreindre des directives européennes déjà en vigueur :
• Violations des droits de propriété intellectuelle, au regard de la directive du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information – directive dite DADVSI (4).
• Escroqueries et fraudes commerciales, au regard de la directive du 11 mai 2005 sur les pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur (5), ou la directive du 25 octobre 2011 relative aux droits des consommateurs (6).
• Discours de haine illégaux, au regard de la décision-cadre du 6 décembre 2008 sur la lutte contre certaines formes et manifestations de racisme et de xénophobie au moyen du droit pénal (7).
• Matériel pédopornographique, au regard de la directive du 13 décembre 2011 pour la lutte contre les abus sexuels et l’exploitation sexuelle des enfants, ainsi que la pédopornographie (8).
• Contenu à caractère terroriste, au regard de la directive du 15 mars 2017 pour la lutte contre le terrorisme (9).

Vers le filtrage automatisé de l’Internet
Cette recommandation « Contenus illicites en ligne » du 1er mars 2018 sera complémentaire de la révision en cours de la directive « Services de médias audiovisuels » (SMA) qui prévoit des mesures législatives spéciales pour protéger
les mineurs en ligne contre les contenus préjudiciables (10) et tous les citoyens contre les discours de haine (11). Et bien qu’elle n’ait pas de caractère contraignant comme une directive ou un règlement, la recommandation va plus loin que les orientations
pour lutter contre le contenu illicite en ligne présentées en septembre 2017 par la Commission européenne. Pour les plateformes du numérique, grandes ou petites (12), elle énonce les modalités détaillées du traitement des notifications de contenu illicite selon des procédures dites de « notification et action » (notice and action) et encourage les acteurs du Net à recourir à des « processus automatisés comme le filtrage » du contenu mis en ligne. Cependant, au regard du statut d’hébergeur des YouTube, Facebook et autre Twitter, la recommandation du 1er mars 2018 ne modifie pas la directive du 8 juin 2000 sur le commerce électronique, laquelle exonère les intermédiaires en ligne de la responsabilité du contenu qu’ils gèrent. « La recommandation est une mesure non contraignante et ne saurait modifier l’acquis
de l’UE », a justifié à ce propose la Commission européenne, qui s’était engagée en 2016 « à maintenir un régime de responsabilité équilibré et prévisible pour les plateformes en ligne, étant donné qu’un cadre réglementaire fondamental est essentiel pour préserver l’innovation numérique dans l’ensemble du marché unique numérique ». Néanmoins, la directive « Commerce électronique » laisse la place à l’autorégulation pour la suppression de contenu illicite en ligne. Quitte à ce que cette autorégulation
soit supervisée par la Commission européenne, comme avec le « Code de conduite » présenté en septembre 2017 – et convenu avec Facebook, Twitter, Google (YouTube et Google+), Microsoft ainsi que Instagram (propriété de Facebook) rallié plus récemment – pour combattre les discours de haine illégaux sur Internet.

Code de conduite contre « Far West numérique »
Les autres plateformes numériques sont appelées, par Vera Jourová, commissaire européenne à la Justice, aux Consommateurs et l’Egalité des genres, à rejoindre ce Code de conduite. « Nous ne pouvons accepter qu’il existe un Far West numérique
et nous devons agir. Le Code de conduite montre qu’une approche d’autorégulation peut servir d’exemple et produire des résultats », avait-elle prévenu il y a six mois. Récemment, dans une lettre ouverte publiée le 12 mars dernier (13) à l’occasion des
29 ans de l’invention du le World Wide Web dont il est à l’origine, Tim Berners-Lee
a appelé à réguler les grandes plateformes en prônant « un cadre légal ou réglementaire ». @

Charles de Laubier

La Commission européenne dément la rumeur d’un report de la directive sur le droit d’auteur

Alors que le mandat de la « Commission Juncker » prendra fin en 2019, une rumeur circule au sein des industries culturelles, selon laquelle la réforme du droit d’auteur sur le marché unique numérique serait renvoyée à la prochaine équipe. « Sans fondement », nous assure-t-on.

« La rumeur est sans fondement, mais l’heure tourne. La modernisation du droit d’auteur reste une des priorités – dans les accords tripartites – à finaliser cette année. Nous attendons tant du Parlement européen que du Conseil de l’Union européenne pour avancer sur ce dossier prioritaire, tandis qu’ils peuvent entièrement compter sur la Commission européenne pour aider
à faciliter les négociations prochaines », nous a répondu Nathalie Vandystadt, porteparole à la fois de la commissaire Mariya Gabriel, en charge de l’Economie et de la Société numériques, et du commissaire Tibor Navracsics, à l’Education, la Culture, à la Jeunesse et au Sport.

« Casser les silos dans le droit d’auteur »
La Commission européenne répondait ainsi à une question de Edition Multimédi@
sur une rumeur persistante selon laquelle la réforme du droit d’auteur via la nouvelle directive « Copyright » en cours de discussion ne serait pas adoptée avant la fin du mandat prévu le 31 octobre 2019 de l’actuelle équipe du président Jean-Claude Juncker (photo), lequel a déjà fait savoir il y a un an maintenant qu’il ne briguera pas l’an prochain un second mandat. Le temps presse d’autant plus que les activités des institutions européennes vont ralentir, voire se figer, à l’approche des prochaines élections européennes de fin mai 2019 pour désigner les prochains eurodéputés.
« Il y a les élections européennes qui se rapprochent et un président de la Commission européenne qui ne va pas rempiler. Donc, le bruit qui courent à Bruxelles est que le Parlement européen ne va pas se prononcer sur le nouveau texte “Droit d’auteur” d’ici les prochaines élections. Il y a eu des débats au sein des commissions du Parlement européen, mais les eurodéputés ne vont pas voter au cours de cette législature-là.
Il faudra attendre la prochaine Commission européenne. Cela reporte d’environ d’un
an », a confié mi-janvier le dirigeant de l’une des plus grandes sociétés françaises de perception et de répartition des droits (SPRD). Le projet de directive sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique (1), proposé en septembre 2016 par la
« Commission Juncker », est l’un des textes les plus sensibles de la législature en cours. Il fait l’objet de lobbyings intenses et incessants au sein du Parlement européen (2) de la part des industries culturelles, d’une part (musique, cinéma, audiovisuel, livre, …), et des plateformes numériques, d’autre part (au premier rang desquels les GAFA). « Comme la culture est importante en Europe, le rapport de force avec les GAFA – très puissants à Bruxelles – est assez équilibré cependant », tente-t-on de se rassurer dans le monde de la création. Les industries culturelles veulent des mesures pour remédier au « transfert de valeur » (value gap) dont elles se disent victimes, et pour responsabiliser les plateformes numériques (YouTube, Dailymotion, Vimeo, …) dans la lutte contre le piratage sur Internet (3) en changeant leur statut.
Quoi qu’il en soit, la Commission européenne assure que le projet de directive
« Copyright » ne peut faire les frais des prochaines échéances européennes, tout comme le projet de règlement européen s’inspirant de la directive « SatCab » de 1993 pour la diffusion numérique transfrontalière des services audiovisuels en ligne (4). De même, le projet de directive « SMA » sur les services de médias audiovisuels (VOD, SVOD, OTT Video, TV Replay, …) pourrait aussi piétiner (5). Seule avancée pour l’instant : le règlement « Anti-géoblocage » assurant la portabilité des contenus en Europe – hormis le droit d’auteur des ebooks, de la musique ou des jeux en ligne –
a été adopté par les eurodéputés le 6 février dernier (6) (*).
Depuis l’installation de l’actuelle Commission européenne en novembre 2014, les ayants droits sont vent debout contre toute réforme touchant les oeuvres et après avoir été échaudés par la détermination du président Juncker de « casser les silos (…) dans le droit d’auteur » (7). Ce dernier avait réitéré cet objectif controversé dans la lettre de mission remise le 16 mai 2017 à la Bulgare Mariya Gabriel qu’il a désignée commissaire à l’Economie et à la Société numériques (8).

Trilogue : objectifs réaffirmés pour 2018
Or, ironie de l’histoire, c’est justement la Bulgarie qui a pris le 1er janvier 2018 et pour six mois la présidence de l’Union européenne. Les industries culturelles ont déjà adressé à cette dernière une lettre de doléances datée du 30 janvier (9). En tout cas, la réforme du droit d’auteur pour le marché unique numérique a été réaffirmée comme une des priorités de Jean-Claude Juncker – « et, si possible, avant les élections de 2019 », indique la déclaration commune pour 2018-2019 entre la Commission européenne, le Parlement européen et le Conseil de l’UE (10). @

Charles de Laubier

La Commission européenne dément la rumeur d’un report de la directive sur le droit d’auteur

Alors que le mandat de la « Commission Juncker » prendra fin en 2019, une rumeur circule au sein des industries culturelles, selon laquelle la réforme du droit d’auteur sur le marché unique numérique serait renvoyée à la prochaine équipe. « Sans fondement », nous assure-t-on à Bruxelles.

Œuvres et créations salariées : le droit d’auteur français manque cruellement de réalisme

Nombreux sont les salariés qui génèrent des droits d’auteur sans le savoir. Nombreux sont aussi les employeurs à commettre des actes de contrefaçon à leur insu, en exploitant ces créations sans avoir eu l’autorisation préalable de leurs salariés. Or le droit français gagnerait à plus de réalisme.