Cambridge Analytica n’en finit pas de révéler ses secrets et Facebook d’en payer les pots cassés

Depuis deux ans, depuis ce lundi noir du 19 mars 2018 pour Facebook, la firme de Mark Zuckerberg – qui avait reconnu ce jour-là la collecte de plus de 50 millions d’utilisateurs du réseau social par la société Cambridge Analytica à des fins électorales aux Etats-Unis – continue d’être sanctionnée.

L’ a f faire « Cambridge Analytica » a été révélée le samedi 17 mars 2018 par le quotidien américain The New York Times aux Etats-Unis et par l’hebdomadaire dominicale britannique The Observer en Grande-Bretagne – ce dernier ayant le même propriétaire que le quotidien The Guardian, lui aussi contributeur. Ces trois journaux se sont appuyés sur les informations d’un Canadien, Christopher Wylie (photo de gauche), qui se présente depuis comme le « lanceur d’alerte » de l’affaire.

5 Mds $ d’amendes, pour l’instant
Mais il n’est pas le seul ancien collaborateur de Cambridge Analytica à avoir parlé puisque l’Américaine Brittany Kaiser (photo de droite) se présente elle aussi comme « lanceuse d’alerte » de ce même scandale. Les révélations faites ce samedi-là font l’effet d’une bombe, dont l’image de Facebook et la confiance envers le numéro un mondial des réseaux sociaux portent encore les séquelles : la société londonienne, spécialisée dans la collecte et l’exploitation massive de données plus ou moins personnelles à des fins de ciblage politique (en faveur du Parti républicain américain), est accusée d’avoir siphonné les données de plus de 50 millions d’utilisateurs de Facebook à leur insu. Elles ont servi à influencer la campagne présidentielle de Donald Trump en 2016, Cambridge Analytica ayant en outre été financé par le milliardaire américain Robert Mercer via son fonds spéculatif (hedge fund) Renaissance Technologies.
The Observer a affirmé il y a deux ans que Steve Bannon, alors conseiller technique de Donald Trump (dont il a été le directeur de campagne présidentielle) jusqu’à son éviction de la Maison Blanche à l’été 2017, a été l’un des dirigeants de Cambridge Analytica et par ailleurs patron du site web ultra-conservateur proche de l’extrême droite Breitbart News. Les révélations citent les propos de Christopher Wylie, lequel a travaillé pour la société londonienne incriminée et sa maison mère SCL Group où il est identifié dès mai 2017 par The Guardian comme « directeur de recherche » (1). Il vient de publier « Mindf*ck » chez Penguin Random House (2), tandis que Brittany Kaiser, elle, l’a devancé en faisant paraître en janvier « L’affaire Cambridge Analytica » chez HarperCollins (3). C’est donc le lundi suivant ce breaking news retentissant, soit le 19 mars 2018, que la firme de Mark Zuckerberg accuse le coup en Bourse : son action a chuté lourdement de près de 7% en une séance à Wall Street, et elle a continué de plonger de 15 % au total jusqu’au pire de la sanction boursière le 6 avril 2018. C’est que les régulateurs américain FTC (4) et britannique Information Commissionner’s Office (ICO) avaient ouvert chacun une enquête dès le 20 mars 2018. On connaît la suite : Facebook a été condamné au début de l’été 2019 par la FTC au paiement d’une amende record de 5 milliards de dollars, pour n’avoir pas géré ni protégé correctement les données personnelles de ses utilisateurs, tandis que la « Cnil » britannique (ICO) l’a condamné au maximum que lui permettait la loi britannique pour violation sur la protection des données, soit 500.000 livres (plus de 565.000 euros). « La société Cambridge Analytica s’est livrée à des pratiques trompeuses pour recueillir des informations personnelles auprès de dizaines de millions d’utilisateurs de Facebook à des fins de profilage et de ciblage des électeurs. Il ressort également qu’elle s’est livrée à des pratiques trompeuses dans le cadre du Privacy Shield (5) entre l’Union européenne et les Etats- Unis », a conclu la FTC à l’issue de sa vaste enquête bouclée en décembre dernier (6).
Mais la firme de « Zuck », dont finalement 87 millions de ses utilisateurs (américains mais aussi ailleurs dans le monde) ont été victimes des pratiques illégales de Cambridge Analytica, reste encore aujourd’hui enlisée dans des procès et mise à l’amende pour ce scandale planétaire à la hauteur du tentaculaire réseau social de 2,5 milliards d’utilisateurs. Dernière plainte en date : le 9 mars dernier, après deux ans d’enquête, la « Cnil » australienne – l’OAIC (7) – a lancé une action judiciaire contre Facebook pour avoir transmis Cambridge Analytica les données personnelles de 311.127 Australiens transmises (8). Un mois auparavant, le 6 février, c’était le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada (OPC) qui a saisi la justice canadienne contre Facebook pour là aussi transmission de données privées à Cambridge Analytica (9).

Répercutions : Italie, Espagne, Brésil, …
En Italie cette fois, le gendarme de la concurrence AGCM a mis en garde la firme de Mark Zuckerberg qui, a-t-il constaté, continue à collecter de façon non transparente des données personnelles et à ne pas respecter ses engagements de novembre 2018 – assortis à l’époque de deux amendes pour un total de 10 millions d’euros (10). En Espagne et au Brésil, Facebook a dû aussi mettre la main au portefeuille, passant d’« ami » à « ennemi » des données personnelles. @

Charles de Laubier

Quid au juste du Brexit numérique et audiovisuel ?

En fait. Le 31 janvier, à minuit, le Royaume-Uni a quitté l’Union européenne (UE) et ne fait donc plus partie des Etats membres, lesquels sont désormais vingt-sept. Une période transitoire s’est ouverte jusqu’au 31 décembre 2020, durant laquelle le droit de l’UE continuera de s’appliquer au Royaume-Uni. Et après ?

En clair. La date historique du 31 janvier 2020 est purement symbolique car rien ne change d’ici le 31 décembre prochain. L’Union européenne et le Royaume-Uni ont encore un peu plus de dix mois pour se mettre d’accord sur un nouveau partenariat. La Commission européenne, elle, adoptera le 3 février un projet de « directives de négociation complètes ». Rien ne change donc d’ici la fin de l’année. Mais que se passera-t-il à partir du 1er janvier 2021, si la période transitoire n’est pas prolongée pour une durée maximale d’un à deux ans ?
• Données personnelles : le Royaume-Uni continuera d’appliquer les règles européennes en matière de protection des données, dont le RGPD (1) avec le consentement sur les cookies, au « stock de données à caractère personnel » collectées lorsqu’il était encore un Etat membre. Et ce, jusqu’à ce que la Commission européenne constate formellement que les conditions de protection des données au Royaume-Uni sont « essentiellement équivalentes » à celles de l’UE.
• Frais d’itinérance (roaming) : les opérateurs mobiles des Vingt-sept seront en droit de réinstaurer avec le Royaume-Uni des frais d’itinérance pour les appels téléphoniques et les
communications SMS/MMS/Internet. Ces surcoûts pour les Européens avaient été supprimés en 2017 par la Commission européenne. A moins qu’un accord entre Londres et Bruxelles ne soit trouvé pour maintenir la gratuité du roaming.
• Droit d’auteur et droit voisin : les Etats membres de l’UE ont jusqu’au 7 juin 2021 pour transposer la directive de 2019 sur le droit d’auteur et le droit voisin « dans le marché unique numérique ». Or la Grande-Bretagne a fait savoir le 21 janvier dernier, par la voix de son secrétaire d’Etat Chris Skidmore (2), qu’elle n’a pas l’intention de le faire et donc de l’appliquer (3).
• Services de médias audiovisuel (SMA) : la directive européenne SMA, actualisée en 2018 pour prendre en compte les services à la demande (SMAd) tels que Netflix, Amazon Prime Video ou encore Disney+, ne sera plus appliquée outre-Manche. Disparaîtra aussi le principe du pays d’origine, sauf accord.
• Portabilité transfrontalière des services audiovisuels : le règlement européen de 2017 sur « la portabilité transfrontalière des services de contenu en ligne », applicable depuis le 20 mars 2018, sera lui aussi inopérant pour les Européens en Grande-Bretagne, sauf accord là aussi. @

Sécurité des systèmes d’information et des données personnelles : nul ne peut ignorer ses responsabilités

RSI, NIS, OSE, OIV, PSC, EBIOS, RGPD, SecNumCloud, … Derrière ces acronymes du cadre réglementaire numérique, en France et en Europe, apparaissent les risques et les obligations en matière de sécurité des systèmes d’information et des traitements de données personnelles.

Par Christophe Clarenc, avocat, Cabinet DTMV & Associés

Responsabilité et données : le « Je t’aime moi non plus » des éditeurs en ligne vis-à-vis de Facebook

La pluralité de responsables dans le traitement des données personnelles n’implique pas forcément une responsabilité conjointe. C’est le raisonnement que devrait avoir la Cour de justice européenne dans l’affaire « Fashion ID ».
Or, son avocat général n’en prend pas le chemin. Erreur !

Par Etienne Drouard et Joséphine Beaufour, avocats associés, cabinet K&L Gates

L’éditeur d’un service en ligne – site web et/ou application mobile – peut-il être coresponsable de la collecte, par Facebook, des données personnelles des visiteurs de son service en raison de l’intégration d’un bouton « J’aime » de Facebook au sein de son service ? Selon l’avocat général de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), lequel a présenté le 19 décembre 2018 ses conclusions dans l’affaire « Fashion ID » (1), la réponse devrait être « oui ».

Facebook (15 ans d’âge et moult scandales) : Mark Zuckerberg est responsable mais… pas coupable

Mark Zuckerberg, qui détient la majorité des droits de vote de Facebook alors qu’il en est actionnaire minoritaire, concentre tous les pouvoirs en tant que président du conseil d’administration. A bientôt 35 ans, le philanthrope milliardaire est intouchable malgré les scandales à répétition impactant le premier réseau social du monde.

Bernard Arnault, quatrième plus riche du monde, pourrait se voir détrôner en 2019 par Mark Zuckerberg (photo), qui le talonne
à la cinquième place des plus grandes fortunes de la planète. Comment un jeune Américain, qui va tout juste sur ses 35 ans (le 14 mai) pourrait-il faire subir un tel affront à un vénérable Français, deux fois plus âgé que lui et à l’aube de ses 70 ans
(le 5 mars) ? La richesse du geek, PDG de Facebook, a grimpée plus vite en un an que celle du patriarche, PDG de LVMH, pour atteindre au 8 février respectivement 65,5 et 76,3 milliards de dollars, selon le « Billionaires Index » de l’agence Bloomberg.
La fortune de Mark Zuckerberg a augmenté sur un an plus vite (+ 13,5 milliards
de dollars) que celle de Bernard Arnault (+ 7,7 milliards à la même date). Pour un trentenaire qui perçoit seulement un salaire annuel de… 1 dollar, depuis 2013 et conformément à sa volonté, contre 500.000 dollars auparavant, et sans recevoir non plus depuis de primes ou d’actions, c’est une performance ! Ses revenus proviennent en fait de ses actions qu’il détient en tant qu’actionnaire minoritaire de Facebook.
Mais les 17 % que le fondateur détient encore la firme de Menlo Park (Californie),
cotée en Bourse depuis mai 2012, ne reflètent pas vraiment son pouvoir de contrôle puisqu’il possède 60 % des droits de vote.

« Zuck » vend des actions Facebook jusqu’en mars 2019
Zuck – comme le surnomment ses proches collaborateurs – contrôle en effet Facebook grâce à une structure capitalistique très particulière composée de deux types d’actions : celles de « classe A » cotées en Bourse, mais surtout les « classe B » non cotées et à droits de votes préférentiels, ces dernières lui permettant de détenir plus de la majorité des droits de vote – bien que détenteur minoritaire du capital. Autant dire que le jeune multimilliardaire est, en tant qu’actionnaire de référence de Facebook, le seul maître à bord et ne peut être évincé sans son accord par le conseil d’administration qu’il préside!
« [Mark Zuckerberg] est en mesure d’exercer son droit de vote à la majorité du pouvoir de vote de notre capital et, par conséquent, a la capacité de contrôler l’issue des questions soumises à l’approbation de nos actionnaires, y compris l’élection des administrateurs et toute fusion, consolidation ou vente de la totalité ou de presque la totalité de nos actifs », souligne le groupe Facebook qui justifie cette concentration des pouvoirs sur un seul homme. A savoir : empêcher toute manœuvre capitalistique ou stratégique qui n’ait pas l’aval du PDG fondateur.

Entre potentat et philanthrope !
En septembre 2017, ce dernier avait bien tenté de créer une nouvelle catégorie d’actions – cette fois des « classe C », destinées à être cotées en Bourse – qui lui auraient permis de « prolonger » son contrôle sur son groupe par la majorité des droits de vote. Mark Zuckerberg avait défendu ce projet d’évolution de structure du capital pour pouvoir financer ses initiatives philanthropiques tout en gardant le contrôle des droits de vote et en ayant le dernier mot. Mais face à la levée de bouclier de certains actionnaires, il avait renoncé aux « classe C », tout en affirmant pourvoir quand même financer ses projets altruistes « pour encore au moins 20 ans ». Avec son épouse Priscilla Chan, le jeune PDG a alors prévu de « vendre 35 millions à 75 millions d’actions de Facebook dans les dix-huit mois [à partir de l’annonce faite en septembre 2017 et donc jusqu’à mars 2019, ndlr] dans le but de financer des initiatives philantropiques de [luimême] et de sa femme, Priscilla Chan, dans l’éducation, la science et la défense [de causes] ». Le couple a indiqué en décembre 2015 vouloir donner de leur vivant jusqu’à 99 % de leurs actions Facebook (2) à leur fondation,
la Chan Zuckerberg Initiative. « Mr. Zuckerberg nous a informé que durant cette période il avait l’intention de continuer à vendre de temps en temps des actions Facebook, principalement pour continuer à financer ses projets philantropiques », indique encore le rapport annuel 2018 publié le 31 janvier dernier.
Le philanthrope-milliardaire, hypermédiatisé, reste intouchable et concentre ainsi d’immenses pouvoirs entre ses mains. Et ce, malgré l’annus horribilis que fut pour
lui 2018 égrenée par des scandales à répétition provoqués successivement par : l’ingérence russe via le premier réseau social mondial dans l’élection présidentielle américaine de 2016 ; les fake news d’activistes ou de gouvernements propagées sur la plateforme ; l’exploitation illégale des données personnelles de 100 millions utilisateurs à des fins politiques par la société Cambridge Analytica (re-née de ses cendres en Emerdata) ; le piratage en ligne de millions de comptes permis par une faille de sécurité ; le recours de Facebook à une entreprise de relations publiques, Definers Public Affairs, pour discréditer ses adversaires, concurrents et critiques. Tout récemment encore, le 30 janvier, Facebook a été accusé d’avoir collecté les données personnelles sur smartphone auprès de « volontaires », notamment d’adolescents qui étaient rétribués 20 dollars par mois (3). L’intouchable dirigeant, accusé de légèreté face
à toutes ces affaires compromettantes (4), n’a pas jugé bon de démissionner, alors
que sa responsabilité est largement engagée et malgré les appels à son départ lancés par des investisseurs américains dès le printemps 2018. Au magazine The Atlantic,
le 9 avril (5), il déclarait ne pas avoir l’intention de démissionner. Plus récemment, sur
CNN Business le 20 novembre (6), il affirmait droit dans les yeux de son intervieweuse : « C’est pas prévu », tout en défendant au passage son bras droit et directrice des opérations du réseau social, Sheryl Sandberg, elle aussi mise en cause dans la mauvaise gestion des graves crises et controverses aux répercutions mondiales. Sous la pression, la firme de Menlo Park a dû quand même procéder en mai 2018 au plus vaste remaniement de son top-management depuis sa création (7). Même comme
« panier percé », Facebook affiche fièrement sur le seul réseau social historique ses 2,3 milliards d’utilisateurs mensuels (1,5 milliard quotidiens), dont 381 millions en Europe.
Cette audience captive lui a permis de dégager sur l’année 2018 un bénéfice net de 22,1 milliards de dollars, en hausse insolente de 39 %, pour un chiffre d’affaire de
55,8 milliards de dollars, faisant également un bond de 37 %. Quant au trésor de guerre, à savoir le cash disponible, il culmine à 41,1 milliards de dollars.
Si l’on additionne Facebook, Instagram, WhatsApp et Messenger, « il y a maintenant 2,7 milliards de personnes chaque mois, dont plus de 2 milliards chaque jour, qui utilisent au moins l’un de nos services », s’est félicité Mark Zuckerberg lors de la conference téléphonique du 30 janvier dédiée à la presentation des résultats annuels. Une vraie « success story » malgré le départ de jeunes attirés par SnapChat ou TikTok (8). Depuis l’action grimpe (de 144 à 166 dollars) et la valorisation boursière de Facebook Inc atteint près de 500 milliards de dollars.

Intégration Facebook, WhatsApp et Instagram ?
Mais Zuck n’en a pas fini avec les enquêtes. Sept Etats américains (9) soupçonnent Facebook de violation sur la protection des données. La Federal Trade Commission (FTC) aussi. Le Congrès américain, devant lequel le PDG en cause s’est excusé au printemps dernier pour l’affaire « Cambridge Analytica », pourrait légiférer. En Europe, l’Irlande – via sa « Cnil », la DPC (10) – mène l’enquête sur son respect du RGPD (lire p. 6) et s’inquiète surtout du projet d’intégration de Facebook, WhatsApp et Instagram (11). L’Allemagne, elle, a décidé le 7 février d’empêcher Facebook d’exploiter les données entre ses services. @

Charles de Laubier