Ecole pour Digital Natives

De nos jours, s’il est bien sur toujours possible d’entrer dans une école, il est en revanche plus difficile de pousser la porte d’une classe. D’une classe telle que nous l’avons connue.
La fin de ce lieu éminemment symbolique nous a presque surpris, tant nous étions habitués à son caractère immuable. Eternel. Même si nous savions bien que ses jours étaient comptés, minés par les coups de boutoirs de la révolution numérique, laquelle agissait autant comme un révélateur
des problèmes accumulés par nos systèmes éducatifs à bout de course, que comme une part de la solution permettant de les adapter aux nouveaux enjeux. Il faut dire que notre salle de classe, même si elle n’a pas toujours existé, a été imaginée en plein XVIe siècle, époque de construction des collèges qui regroupaient de grands effectifs et codifia pour longtemps les ingrédients bien connus : une pièce rectangulaire éclairée par des fenêtres idéalement orientées à l’Est pour faciliter la prise de notes, dans laquelle une trentaine d’élèves s’alignaient deux par deux le long d’allées de pupitres faisant face au professeur dispensant des leçons depuis son bureau. Quatre siècles plus tard, c’est encore cette classe qu’un Doisneau fixait sur sa pellicule dans les années 1950 et que nos enfants fréquentaient couramment il y a encore dix ans.

« Le numérique a remis sur le devant de la scène
la question clés de la pédagogie, laquelle devra
être adaptée afin d’éviter les erreurs passées. »

L’histoire de l’enseignement, tellement linéaire, ne croise que trop rarement l’histoire de
la pédagogie. Face aux systèmes éducatifs lourds et peu mobiles, l’espoir des élèves repose sur quelques professeurs d’exception et sur une multitude d’expérimentations fleurissant régulièrement. A tel point qu’on se demande pourquoi, tant de méthodes pédagogiques réussies, sont restées si longtemps cantonnées aux marges ou à quelques pays scandinaves, toujours cités en exemple mais jamais imités.
Pourtant la transition de notre école « analogique » de toujours vers une école numérique généralisée, mais encore largement à inventer, s’est récemment accélérée. Ce qui a remis sur le devant de la scène la question clés de la pédagogie, laquelle devra être adaptée afin d’éviter les erreurs passées : comme celle consistant à équiper des milliers d’élèves d’ordinateurs sans faire évoluer dans le même temps les méthodes d’enseignement. Mais, ces premiers tâtonnements sont derrière nous, maintenant que des professeurs digital natives enseignent à des élèves également nourris à la culture numérique et disposant de ce que certains appellent une « méta-compétence informationnelle », c’est-à-dire la capacité de trouver seul les informations nécessaires.
La salle de classe d’aujourd’hui est parfois comparée à un studio où les élèves apprennent d’égal à égal, en partageant les savoirs et résolvant les problèmes ensemble, avec l’aide d’un professeur jouant le rôle de « facilitateur ». Pour moi, elle me fait plutôt penser à une salle de restaurant, avec ces tables rondes autour desquelles des élèves s’affairent, discutent, échangent, tandis qu’un professeur attentif répond aux demandes des uns et des autres.
C’est une école où le smartphone et la tablette sont devenus obligatoires, comme ce fut
le cas dans ce projet pionnier apparu en août 2013 au Pays-Bas où sept « Steve Jobs schools » accueillirent des enfants de 4 à 12 ans seulement équipés de leurs iPad. Des professeurs transformés en coach guidaient les enfants pour lesquels l’apprentissage ne s’arrêtait donc jamais puisqu’ils travaillaient sur leurs applications à l’école où chez eux, mais à leur rythme, avec comme point de repère une réunion organisée avec leur parent toutes les six semaines afin de définir les objectifs d’apprentissage pour la période à venir. Cette nouvelle école a retenu les leçons et les préconisations du projet TEAL du MIT mis en place dans les années 1990, sur les limites des cours magistraux et les avantages des méthodes actives et participatives. Elle s’inscrit dans le prolongement des savoureuses interventions que Ken Robinson dispensaient lors de conférences TED où il fustigeait avec talent les limites tragiques du système éducatif de son temps, en appelant de ses voeux un système reposant sur la créativité et la collaboration. @

Jean-Dominique Séval*
Prochaine chronique « 2025 » : L’Internet des objets.
* Directeur général adjoint de l’IDATE.

Quotidiens papier : être tués ou sauvés par le digital

En fait. Le 13 décembre, lors de la conférence Médias des « Echos », le nouveau PDG du groupe Les Echos, Francis Morel, a annoncé « 12 à 14 millions d’euros » d’économies dès 2012, dont 30 à 40 départs volontaires. Le 15 décembre, France Soir a abandonné le papier. La Tribune, elle, pourrait faire de même.

Sweet digital home

C’est la première fois que je rends visite à mon oncle
depuis que sa famille a emménagé dans l’un de ces nouveaux e-quartier, dont les luxueuses publicités envahissent nos écrans depuis quelque temps. Ma curiosité est à son comble ! Le portail d’entrée s’ouvre comme par magie à la seule vue de mon visage et au son de ma voix. Autant pour m’impressionner que pour jouer avec ses nouveaux gadgets, ma tante déclenche une véritable féerie zen : les murs et le plafond m’accueillent en s’éclairant d’une agréable lumière bleue, au son d’une de mes musiques préférées. A l’intérieur, l’écran est roi. Des écrans plats dans chaque pièce comme autant de fenêtres grandes ouvertes sur le Net. Des tablettes personnelles posées ici ou là, comme autrefois autant de livres en instance de lecture. Jusqu’aux miroirs des salles de bain qui affichent l’heure, la météo, une vidéo ou la retransmission d’un programme radio. Je ne parle même pas des systèmes de sécurité et de gestion domestique qui se sont faits oublier en œuvrant en silence, tandis que quelques robots spécialisés prennent en charge
des tâches domestiques répétitives. Mes hôtes, qui ne me font grâce d’aucun détail, tiennent à me présenter à ces personnages d’importance que sont l’aspirateur et la repasseuse.

« Avec l’aide d’une “box”, de WiFi et d’un peu de courant porteur, des millions de ménages ont pu faire l’expérience concrète de la mise en réseau d’ordinateurs, de téléphones et de téléviseurs »

Ce rêve technologique est devenu bien réel, même s’il ne reste accessible qu’à quelques privilégiés, tendance « bobo geek ». D’autant que s’il est un domaine dont l’évolution est lente, c’est bien celui de l’habitat soumis à maintes contraintes, au premier rang desquelles nos habitudes : une maison dans l’imaginaire collectif, c’est avant tout quatre murs, un toit et une cheminée qui fume. Longtemps, les maisons d’avant-garde sont restées un sujet de curiosité et de recherche. En 1957, une maison du futur fut construite au cœur du parc Disneyland qui proposait ainsi de visiter le foyer type des années 1980. Après avoir été démoli, elle a été reconstruite en 2008 en partenariat avec Microsoft, HP et Lifeware pour en faire une toute nouvelle attraction. Malgré ces visions futuristes, l’intelligence a mis beaucoup de temps pour passer du labo au foyer. Les décennies passèrent sans que ne soient tenues les promesses de
ce qu’il était convenu d’appeler la domotique. A tel point que durant les années 1990, nous n’osions plus utiliser ce vocable trop souvent associé à un vaste cimetière d’innovations. Pendant ce temps, s’ouvrait l’ère des automatismes domestiques. Composants, micromoteurs et capteurs ont permis le développement d’un réel marché, tout d’abord tiré par la gestion climatique et la sécurité (fermetures automatisées, vidéosurveillance). La nouveauté des années 2000 aura été le développement des premiers réseaux domestiques si souvent annoncés, et tant attendus car sans eux
rien n’est possible. Avec l’aide d’une box, de WiFi et d’un peu de courant porteur, des millions de ménages ont pu faire l’expérience concrète de la mise en réseau d’ordinateurs, de téléphones et de téléviseurs.
Une nouvelle guerre économique s’ouvrait entre les fournisseurs de solutions autour
de quelques questions clés. Où stocker les contenus ? Quel pilotage pour les solutions du foyer numérique ? Faut-il choisir entre la box et le téléviseur ? Finalement, le marché s’est d’abord organisé autour de solutions combinant terminaux, offres de services et contenus propriétaires, tandis que se développaient des solutions techniques permettant une meilleure interopérabilité au sein du foyer : soit par des terminaux interopérables, soit par un serveur multimédia central. Nous avons ensuite assisté à une montée en puissance progressive de l’intégration de services et de contenus au sein du terminal. C’est récemment que le basculement vient de se produire vers des solutions en ligne et qui se résume en une formule : le « home in the cloud ». Maintenant que les TICs ont envahi nos foyers, mon oncle, comme celui de Jacques Tati en son temps, trône au milieu d’un palais des Mille et une nuits de banlieue. Et je me pose avec lui cette question existentielle, presque vitale : ma maison tournera-t-elle sous Windows, sous Androïd, sous Linux ou sous le dernier OS d’Apple ? @

Jean-Dominique Séval*
Prochaine chronique « 2020 » : Le e-commerce
*Depuis 1997, J.D. Séval est directeur marketing et commercial de
l’Idate. Rapport sur le sujet : « Digital Home : le marché mondial
des équipements du foyer numériques », par Laurent Michaud