La cotation de Believe, la petite major de la musique numérique, est un échec malgré le streaming

Il n’y aura finalement pas de sortie de la Bourse pour Believe, dont l’assemblée générale des actionnaires est prévue le 26 juin 2024. Mais la cotation de la petite major française de la musique numérique est (pour l’instant) un échec. Son PDG fondateur Denis Ladegaillerie rachète 71,92 % du capital — voire plus.

C’est le grand paradoxe de Believe : le streaming musical a explosé sur les plateformes numériques, mais pas le cours de Bourse de la petite major de la musique enregistrée. Au niveau mondial, d’après la Fédération internationale de l’industrie phonographique (IFPI), la musique en streaming a généré l’an dernier un total de 19,3 milliards de dollars de revenus – soit une hausse de 10,2 % sur un an. Tandis que le chiffre d’affaires de Believe a grimpé de 15,7 % pour atteindre 880,3 millions d’euros (avec une perte nette ramenée à 2,7 millions au lieu de 25 millions l’année précédente). Pourtant, les investisseurs boursiers ne semblent pas croire en la société Believe qui a été introduite mi-2021 à la Bourse de Paris (Euronext) au prix de 19,50 par action.

Redevenir une licorne indépendante
Le cours avait chuté dès le premier jour pour ne jamais revenir à son niveau d’introduction (à part un pic à 20 euros en novembre 2021). Au 10 mai 2024, l’action ne dépasse pas les 15 euros et sa capitalisation boursière s’établit à 1,45 milliard de dollars (loin d’un peu plus de 1,7 milliard atteint en octobre 2021). Au lieu de lever 500 millions d’euros espéré pour assurer son développement, le PDG fondateur Denis Ladegaillerie (photo) avait dû faire avec seulement 300 millions d’euros. Cela n’a pas empêché la mini-major de s’internationaliser, en Allemagne (label Nuclear Blast et société de distribution Groove Attack), en Italie, en Turquie et dans certains pays d’Europe de l’Est, ainsi qu’en Asie, Océanie et Afrique.

Data Act et AI Act, ou l’art de ménager la chèvre (innovation) et le chou (droits individuels)

Le Data Act et l’AI Act ont un objectif commun : tirer profit des opportunités offertes par les données, qu’elles soient issues d’objets connectés pour le premier, ou de modèles d’intelligence artificielle pour le second, tout en protégeant les droits des individus contre les dérives.

Par Anne-Marie Pecoraro*, avocate associée, UGGC Avocats

Les premiers mois de l’année 2024 ont été marqués par des développements substantiels sur le plan réglementaire concernant les données en Europe, développements à la lumière desquels le règlement général sur la protection des données (RGPD) est pensé de manière dynamique. Avec deux autres règlements que sont le Data Act (déjà en vigueur) et le AI Act (toujours en cours d’examen), l’Union européenne (UE) tente de préserver cet élan innovateur tout en assurant une protection efficace des droits individuels.

Socle solide de règles sur les données
Adoption du Data Act :
le 11 janvier 2024, le Conseil de l’UE a adopté le règlement portant sur des règles harmonisées en matière d’accès et d’utilisation équitables des données. Le texte vise à « relever les défis et à libérer les opportunités offertes par les données dans l’[UE], en mettant l’accent sur l’accès équitable et les droits des utilisateurs, tout en assurant la protection des données à caractère personnel » (1). Il s’inscrit dans une stratégie européenne pour les données afin de créer un marché unique des données garantissant la compétitivité et la souveraineté de l’Europe.
Projet d’AI Act : le 2 février 2024, le Conseil de l’UE a adopté à l’unanimité la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil de l’UE établissant des règles harmonisées concernant l’intelligence artificielle, texte pour lequel un accord avait été trouvé dès décembre 2023 (2). Ce texte est pour le moment d’une ambition unique au monde. Le Data Act et prochainement l’AI Act prendront donc place aux côtés du Digital Services Act (entré en vigueur le 25 août 2023 dans le but de responsabiliser les plateformes numériques et de lutter contre la diffusion de contenus illicites ou préjudiciables ou de produits illégaux), du Digital Markets Act (entré en vigueur le 2 mai 2023 et visant à mieux encadrer les activités économiques des grandes plateformes numériques) et du RGPD (entré en application le 25 mai 2018 dans le but de protéger les droits des personnes concernées par un traitement de leurs données personnelles).
A eux cinq, ces règlements européens forment les principaux piliers de la régulation des plateformes et données en Europe. Un sixième texte, le Digital Governance Act, entré en vigueur le 23 juin 2022, concerne également les données, en traitant principalement du secteur public. Il s’agit de réglementer par-delà les frontières en s’appliquant aussi à l’international. Cette réglementation, devenue cruciale pour rechercher un usage éthique, transparent et équitable des données traitées massivement, demeurera exceptionnelle en ce qu’elle s’érige à un échelon européen et transnational capable d’atteindre des entreprises de toutes tailles, y compris les plus grandes, installées hors d’Europe. L’article 3 du Data Act prévoit que le règlement s’applique dès qu’un produit connecté ou un service connexe est mis à disposition sur le territoire de l’UE et/ou qu’un utilisateur ou destinataire de données sont situés dans les Vingt-sept. Et ce, quel que soit le lieu d’établissement du détenteur de données ou du fournisseur de services de traitement de données.
De la même manière, l’article 2 de l’AI Act prévoit que le règlement s’appliquera dès qu’un système d’IA sera mis sur le marché de l’UE ou qu’un utilisateur de système d’IA est établi ou est localisé sur le territoire des Vingt-sept, ou encore que le contenu généré par l’IA est utilisé au sein de l’UE. Le but est de ne pas favoriser les acteurs non européens au détriment des entreprises locales. Il s’agit donc, comme pour le RGPD, d’assurer une protection efficace des citoyens européens sans entraver la compétitivité des entreprises européennes. Les textes cherchent aussi à ne pas décourager les entreprises européennes à innover, en ayant notamment pour effet d’imposer de manière extraterritoriale, même aux plus grandes entreprises internationales, des obligations. Les Gafam ont mis en avant les risques liés notamment au AI Act, la mise en conformité entraînant des coûts importants.

Transparence et secret des affaires : équilibre
Un enjeu du Data Act et de l’AI Act est de trouver un équilibre entre la transparence dans le traitement des données et la préservation du secret des affaires, afin de ne pas freiner l’innovation :
• Le Data Act : la maîtrise par l’utilisateur de ses données limitée par le secret des affaires. L’article 3 du Data Act prévoit l’obligation pour les entreprises concevant et fabriquant des objets connectés et des services connexes de rendre, par défaut, les données et métadonnées générées par ces objets et/ou services connexes facilement accessibles à l’utilisateur, voire lorsque cela est « pertinent et techniquement possible » directement accessibles à l’utilisateur par une simple demande électronique. A ce sujet, l’article 3.2 du Data Act prévoit qu’un certain nombre d’informations précontractuelles doivent être délivrées par le vendeur, le loueur ou le bailleur d’objets connectés « de manière claire et compréhensible ». Ces informations sont notamment relatives au type, format et volume estimé de données générées par l’objet en question ou encore à la capacité de l’objet de générer des données en continu et en temps réel (3). Aussi, l’article 5 du Data Act prévoit le droit pour l’utilisateur de partager des données avec des tiers.

Les obligations du détenteur de données
Cependant, afin d’assurer la compétitivité des entreprises en Europe, le texte prévoit, que ce soit au sujet du droit d’accès ou du droit de partage des données par l’utilisateur à des tiers, le respect du secret des affaires par lequel seraient protégées certaines données. Le détenteur de la donnée a ainsi l’obligation de recenser les données ou métadonnées protégées en tant que secret des affaires et de mettre en place des « mesures techniques et organisationnelles proportionnées » nécessaires à la préservation de la confidentialité des données partagées. Le texte prévoit notamment la possibilité d’élaboration de clauses de confidentialité entre le détenteur de données et l’utilisateur et/ou le tiers, ou encore l’adoption de « codes de conduite ».
A défaut d’accord ou si l’utilisateur ou le tiers contrevient aux mesures convenues avec le détenteur du secret des affaires, le détenteur de données peut bloquer ou suspendre le partage des données confidentielles. Il devra alors avertir l’utilisateur ou le tiers concerné et le notifier à l’autorité compétente. De surcroît, même si l’utilisateur ou le tiers respecte les mesures convenues avec le détenteur de données, ce dernier peut démontrer « qu’il est très probable qu’il subisse un préjudice économique grave du fait de la divulgation de secrets d’affaires » et ainsi refuser une demande d’accès pour les données en question en avertissant et en expliquant les raisons précises de sa décision et en le notifiant à l’autorité compétente. La décision du détenteur de données est toutefois susceptible de recours par l’utilisateur ou le tiers devant une juridiction d’un Etat membre et peut aussi être l’objet d’une réclamation auprès de l’autorité compétente. Enfin, l’utilisateur ou le tiers ont l’interdiction de se servir des données obtenues pour concurrencer le produit connecté en question.
L’AI Act : la « synthèse suffisamment détaillée » des données d’entraînement au cœur des interrogations. L’AI Act réalisera en substance le même compromis que le Data Act en ce qui concerne les données d’entraînement qui sont utilisées par les IA pour générer du contenu (4). En effet, le texte prévoit que les fournisseurs d’IA à usage général devront prendre des mesures pour respecter le droit d’auteur, en particulier le droit d’opposition des ayants droit, peu importe la juridiction où l’entraînement a lieu. Ces mêmes fournisseurs devront également, afin d’accroître la transparence sur les données d’entrainement, publier une « synthèse suffisamment détaillée » de ces données. Cette synthèse devra être globalement exhaustive dans sa portée plutôt que techniquement détaillée afin de faciliter aux parties ayant des intérêts légitimes, notamment les ayants-droits, l’exercice de leurs droits. Le texte donne simplement de vagues exemples d’informations fournies au titre de la synthèse détaillée, comme l’énumération des principales collections de données ou les ensembles utilisés pour former le modèle. Les fournisseurs de modèles d’IA gratuits et open source seront exemptés de cette obligation sauf s’ils présent un risque systémique, afin d’inciter leur développement dans la mesure où ils contribuent à la recherche à l’innovation sur le marché et peuvent être des sources de croissance importante pour l’économie de l’UE. Le « Bureau de l’IA » – « AI Office » tel que prévu dans la version consolidée de l’AI Act (5) datée du 21 janvier (6) – devrait entrer en vigueur le 21 février 2024 (7). Il fournira des modèles de synthèses à destination des fournisseurs d’IA concernés et veillera au respect de ces dispositions. La Commission européenne a d’ailleurs, dans une déclaration (8) publiée après l’adoption du texte, réaffirmé le rôle primordial du Bureau de l’IA dans la nouvelle réglementation et dans lequel la France a bien l’intention d’être représentée afin de faire entendre sa voix (9).
Cependant, afin de préserver l’innovation d’une règlementation trop encombrante, l’AI Act prévoit que les rédacteurs de cette synthèse suffisamment détaillée devront prendre en considération le besoin de protéger le secret des affaires et les informations confidentielles. Attention toutefois, à la différence du Data Act, cette mention figure dans les considérants et non pas dans le corps du texte du règlement.
Le Data Act a été pensé pour favoriser l’accès par les petites et moyennes entreprises (PME) à des données pertinentes et leur permettre ainsi d’innover et de rivaliser face à de grandes entreprises qui possèdent déjà une puissance économique considérable sur le marché. C’est précisément pour cette raison que le texte a exclu les entreprises désignées en tant que « contrôleur d’accès » au sens de l’article 3 du DMA (10) du bénéfice de la désignation en tant que « tiers »au sens du Data Act et donc de l’accès aux données issues d’objets connectés et services connexes par le biais du droit de partage de l’utilisateur.

Ménager les PME, éviter les monopoles
Concernant l’AI Act, la Commission européenne a lancé le 24 janvier 2024 des mesures visant à soutenir les jeunes pousses et les PME européennes dans le développement de l’IA (11). Cette volonté se retrouve donc logiquement dans le texte de l’AI Act dont les rédacteurs ont souhaité accélérer l’accès au marché pour les PME en éliminant les obstacles. Le texte entend ainsi permettre des moyens simplifiés de conformité pour les entreprises de plus petite taille et éviter un monopole des plus grandes entreprises dotées d’une grande force de frappe, comme OpenAI. @

* Anne-Marie Pecoraro est avocate spécialisée en droit de la
propriété intellectuelle, des médias et des technologies

Non, l’écran ne fabrique pas du « crétin digital »

En fait. Le 16 janvier, le président du Syndicat national de l’édition (SNE), Vincent Montagne, est reparti en croisade contre « les écrans » qu’il continue d’opposer aux livres (alors que l’on peut lire des ebooks sur écran). Il s’alarme du temps des jeunes passés sur les écrans, en parlant du « crétin digital ».

Avant même sa présentation par la Commission européenne, le Digital Networks Act divise

Le futur Digital Networks Act (DNA) en Europe n’est pas du goût des associations de consommateurs ni des opérateurs télécoms concurrents des anciens monopoles publics. Sous prétexte de favoriser des « champions européens », le marché et les prix risquent d’en pâtir. Le Bureau européen des unions de consommateurs (Beuc), dont font partie en France UFC-Que choisir et l’association CLCV parmi plus d’une quarantaine d’autres organisations de consommateurs dans les Vingt-sept (1), et l’Ecta, association européenne des opérateurs télécoms alternatifs (2), où l’on retrouve notamment Bouygues Telecom et Iliad/Free, ont publié le 9 novembre dernier une déclaration commune pour faire part de leurs « préoccupations » sur le futur Digital Networks Act (DNA). « Quelques heureux champions européens » ? « Nous sommes préoccupés par les déclarations faites par la présidence du Conseil de l’Union européenne et la Commission européenne à la suite du conseil informel des télécoms des 23 et 24 octobre 2023, qui appelle à “un réexamen et une mise à jour du paradigme de la réglementation et de la politique de la concurrence” dans le secteur des communications électroniques », ont écrit les deux organisations européennes, Beuc et Ecta, toutes deux basées à Bruxelles. Présidées par respectivement le Néerlandais Arnold Koopmans (photo de gauche) et le Bulgare Neven Dilkov (photo de droite), elles s’inquiètent de la proposition de loi sur les réseaux numériques – le futur Digital Networks Act. « Ces déclarations, combinées aux appels lancés par d’anciens monopoles des télécoms [via leurs lobbys Etno et GSMA (3) basés eux-aussi à Bruxelles, ndlr] pour réduire la concurrence et aux suggestions de créer quelques “champions européens”, sont un signal d’alarme pour le marché européen des télécoms », préviennent-elles dans leur joint statement (4). Cette réunion informelle des ministres des télécoms de l’Union européenne, à laquelle elles font référence, s’est tenue fin octobre en Espagne, pays qui préside le Conseil de l’Union européenne depuis le 1er juillet et jusqu’au 31 décembre 2023. Les propos tenus par Thierry Breton, commissaire européen en charge du Marché intérieur, et par Nadia Calviño, première vice-présidente du gouvernement espagnol et ministre des Affaires économiques et de la Transformation numérique, n’ont rassuré ni les associations de consommateurs ni les opérateurs télécoms alternatifs. « Les objectifs annoncés d’une “loi sur les réseaux numériques” pour permettre la création de “quelques heureux champions européens” seraient contraires aux réalisations des dernières décennies », pointent le Beuc et l’Ecta. Les deux fédérations professionnelles rappellent que depuis trente ans la réglementation européenne des télécoms a permis d’avoir « des marchés équitables et concurrentiels » qui ont été « le moteur des investissements, de l’innovation positive et des avantages pour les consommateurs dans les télécoms ». L’abolition des monopoles publics des télécoms a finalement été bénéfique aux utilisateurs et aux entreprises utilisatrices, en termes de qualité, de choix et de prix abordables. Le Beuc et l’Ecta assurent que la diversité des acteurs du marché, grands et petits, est primordiale pour encourager l’innovation à un moment où l’économie de l’UE se numérise. Selon les deux organisations bruxelloises, cette diversité est essentielle pour répondre aux besoins des consommateurs, des entreprises et des administrations publiques. Alors pourquoi remettre en cause un cadre qui fonctionne ? « Le “changement de paradigme” suggéré [le paradigm shift que prône Thierry Breton, ndlr] aurait des effets néfastes sur la concurrence, sur le marché intérieur de l’UE et sur les intérêts des consommateurs. Il porterait également atteinte aux principes inscrits dans le code européen des communications électroniques (5) », préviennent-elles, tout en craignant un renforcement des opérateurs télécoms historiques que sont Orange, Deutsche Telekom ou encore Telefonica. Le Vieux Continent n’est pas le Nouveau Monde : « Les Etats-Unis accusent un retard par rapport à l’UE en raison de la concurrence réduite, du choix limité des consommateurs et des prix de détail élevés », rappellent elles en appelant la Commission européenne à la prudence avant qu’elle ne présente officiellement le contenu de ce fameux projet de règlement DNA. Le discours de Thierry Breton en question Ensemble et sans attendre, le Beuc et l’Ecta mettent en garde contre le discours des anciens monopole publics des télécoms. « Nous rejetons fermement le discours employé par les opérateurs de télécoms historiques, et apparemment appuyé par le Conseil de l’UE, selon lequel la fragmentation du marché “les freine” et qu’il faut déréglementer le marché et réduire la concurrence ». Il est fait notamment référence à la déclaration faite par Thierry Breton le 10 octobre dernier, dans un post sur le réseau social professionnel LinkedIn et intitulé (en jouant sur le sigle DNA) : « A “Digital Networks Act” to redefine the DNA of our telecoms regulation » (6). Le commissaire européen au marché intérieur, qui fut lui-même un ancien président de France Télécom devenu Orange (octobre 2002-février 2005), y écrit : « Les opérateurs de télécommunications ont besoin d’échelle et d’agilité pour s’adapter à cette révolution technologique, mais la fragmentation du marché les freine ». Pas confondre concurrence et « fragmentation » Ce à quoi le Beuc et l’Ecta s’inscrivent en faux : « La concurrence loyale ne doit pas être confondue avec la fragmentation du marché. Promouvoir l’émergence de “champions de l’UE”, issus des plus grands monopoles [des télécoms, ndlr], se fera au détriment d’une concurrence efficace et durable et est contraire aux principes fondamentaux du droit de la concurrence de l’UE. L’expérience de nos membres montre que moins de concurrence entraîne moins d’investissements et moins de bien-être pour les consommateurs, et non le contraire ». Contacté par Edition Multimédi@, Agustín Reyna, directeur des affaires juridiques et économiques du BEUC, indique que la déclaration commune du 9 novembre dit en substance que « la soidisant “consultation” que la Commission européenne a organisée [du 23 février au 19 mai 2023, ndlr] ne pourrait jamais servir de base à une proposition législative réelle ». Cette « consultation exploratoire sur l’avenir du secteur des communications électroniques et de ses infrastructures » (7), dont les résultats ont été publiés le 10 octobre dernier (8), portait notamment sur la question sensible de savoir si l’idée d’une « contribution équitable » (fair share ou network fees, c’est selon) des grandes plateformes numériques telles que les GAFAM au financement des infrastructures réseaux serait justifiée. Mais sans que la Commission européenne, prudente, ne prenne partie pour les opérateurs télécoms, contrairement à son commissaire européenne Thierry Breton (photo ci-dessus), pro-télécoms (9). Surtout que la grande majorité des contributeurs à cette consultation s’opposent à l’introduction de redevances de réseau. Membre de l’Ecta, l’Association des opérateurs télécoms alternatifs (Aota) était, elle aussi, montée au créneau le 17 novembre 2022 pour défendre la neutralité de l’Internet qu’elle estime menacée par le projet de cet « Internet à péage ». Tandis que le mois précédent, le 7 octobre 2022, le Groupement européen des régulateurs des télécoms – réunissant les « Arcep » européennes et placé sous la houlette de la Commission européenne – avait conclu qu’il « n’a pas de preuve que ce mécanisme [de “compensation directe” susceptible d’être payée par les plateformes aux opérateurs, ndlr] soit justifié » (10). Ainsi, dans leur déclaration commune, le Beuc et l’Ecta estiment que la « consultation exploratoire » ne peut servir de base à la Commission européenne pour élaborer un éventuel Digital Networks Act : « Si la Commission européenne souhaite procéder à toute modification structurelle du cadre réglementaire européen, nos organisations rappellent que toute intervention réglementaire doit être strictement fondée sur des preuves et sur la nécessité, conformément aux principes d’amélioration de la réglementation de la Commission européenne, y compris une évaluation d’impact complète et une consultation publique inclusive sur toute proposition de politique ». Le droit de la concurrence et l’intérêt des consommateurs depuis l’ouverture du marché des télécoms le 1er janvier 1998 (il y a un quart de siècle) ne sauraient donc être mis à mal par une révision du cadre réglementaire. « Toute nouvelle mesure politique ou législative, telle que la “loi sur les réseaux numériques”, ne doit pas remettre en question les objectifs principaux du cadre juridique de l’UE pour les communications électroniques inscrit dans le code européen des communications électroniques : “promouvoir la concurrence, le marché intérieur et la sauvegarde des intérêts des utilisateurs finaux” », mettent en garde les deux organisations. Le Beuc et l’Ecta en appellent à la Commission européenne pour qu’aboutisse en revanche la proposition de règlement « Infrastructure Gigabit Act » (11), qui vise à stimuler le déploiement de réseaux « à très haute capacité », moins coûteux et plus efficaces. Il va remplacer la directive européenne « Réseaux haut débit » de 2014, tout en continuant à réduire les coûts de déploiement et à favoriser la concurrence (12). Commission « von der Leyen » : exit le DNA ? De leur côté, huit organisations représentatives en Europe des acteurs de l’Internet – dont les GAFAM représentés par la CCIA Europe, l’Asic en France ou encore Dot Europe – ont cosigné le 20 octobre dernier une déclaration commune pour s’opposer à tout « mécanisme de paiement obligatoire » (network fees), notamment parce que « les consommateurs et les entreprises européens (…) paient déjà par le biais de leurs abonnements ». Dans ce joint statement (13), elles s’inquiètent aussi pour la neutralité d’Internet. Il est donc peu probable que la Commission « von der Leyen », dont le mandat va s’achever en novembre 2024 et après les élections des eurodéputés en juin (14), présente un Digital Networks Act avec un péage sur Internet. @

Charles de Laubier

 

Discours de la présidente von der Leyen sur l’état de l’UE : l’IA a éclipsé le métavers européen

Lors de son discours sur l’état de l’Union européenne, prononcé le 13 septembre, Ursula von der Leyen – présidente de la Commission européenne – s’est focalisée sur l’intelligence artificielle. Mais pas un mot sur la stratégie du métavers européen, dont les défis sont pourtant nombreux. Ursula von der Leyen (photo) a fait l’impasse sur les mondes virtuels. La présidente de la Commission européenne, dont le mandat commencé en décembre 2019 se terminera en novembre 2024, n’a pas eu un mot sur le métavers européen dans son discours du 13 septembre (1) à Strasbourg sur l’état de l’Union européenne (UE). Ni dans sa lettre d’intention datée du même jour et envoyée de Bruxelles à la présidente du Parlement européen (2) et au président du Conseil de l’UE (3), pour leur faire part de ses « principales priorités pour 2024 » (4). Mondes virtuels : principes directeurs fin 2023 Pourtant, les défis des mondes virtuels sont tout aussi importants que ceux des intelligences artificielles. Est-ce à dire que « la nouvelle stratégie sur le Web 4.0 et les mondes virtuels » – présentée à Strasbourg le 11 juillet dernier n’est plus prioritaire d’ici les élections du Parlement européen de juin 2024 ? Ursula von der Leyen semble avoir tourné la page du « métavers européen », renvoyant la mise en œuvre à la Commission européenne 2024-2029. « Les mondes virtuels changeront la façon de vivre en société et leur avènement s’accompagnera de possibilités et de risques qui doivent être pris en compte », avaient pourtant prévenu cet été pas moins de trois commissaires européens – Margrethe Vestager, Dubravka Suica et Thierry Breton – en dévoilant cette nouvelle stratégie et son calendrier. Ainsi, d’ici fin 2023, la Commission européenne va promouvoir des « principes directeurs pour les mondes virtuels », identifiés par un panel de 150 citoyens européens sélectionnés de façon aléatoire (5) et réunis entre les mois de février et d’avril derniers. Il en était ressorti 23 recommandations (6) qui ont inspiré la stratégie « Mondes virtuels », parmi lesquelles : « formation harmonisée pour le travail dans les mondes virtuels » ; « soutien financier au développement des mondes virtuels » ; « forums participatifs pour des avancées, des réglementations et des normes communes » ; « police pour agir et protéger dans les mondes virtuels » ; « accessibilité pour tous – personne n’est laissé de côté » ; « labels/certificats européens pour les applications des mondes virtuels », etc. Ces recommandations s’articulent autour de huit valeurs et principes applicables aux métavers : liberté de choix, durabilité, approche centrée sur l’humain, santé, éducation, sûreté et sécurité, transparence et intégration. La Commission européenne veut ainsi faire des mondes virtuels en Europe « un environnement numérique ouvert, sécurisé, digne de confiance, équitable et inclusif » (7). Elle veut aussi rendre disponibles au premier trimestre de 2024 des « orientations à l’intention du grand public » grâce à une « boîte à outils pour les citoyens » afin de les orienter. Il s’agit pour l’Europe de ne pas manquer la marche du siècle vers le Web3, où le marché mondial des mondes virtuels devrait exploser à plus de 800 milliards d’euros d’ici à 2030, contre 27 milliards d’euros en 2022. Et d’ici 2025 (soit dans moins de deux ans), les Vingt-sept pourraient totaliser 860.000 nouveaux emplois dans le secteur de la réalité étendue (virtuelle et augmentée). La Commission européenne va créer avec les Etats membres « un réservoir de talents » pour le développement des compétences, qui sera financé par les programmes Digital Europe (8) et Europe Creative (9). Du côté de l’écosystème industriel du Web 4.0, et dans le but d’éviter la fragmentation de ma chaîne de valeur des mondes virtuels, il est prévu de faire appel à un autre programme européen, Horizon Europe (10), pour que débute en 2025 « un partenariat candidat sur les mondes virtuels, afin de promouvoir l’excellence dans la recherche et d’élaborer une feuille de route industrielle et technologique pour les mondes virtuels ». La Commission européenne a en outre promis d’aider les créateurs et les entreprises de médias de l’UE « à tester de nouveaux outils de création, à rapprocher les développeurs et les utilisateurs industriels, et à travailler avec les Etats membres à la mise au point de bacs à sable réglementaires pour le Web 4.0 et les mondes virtuels ». Les mondes virtuels concerneront autant les particuliers que les professionnels. Meta Platforms y croit plus que l’Europe Parmi les projets pan-européens sur les rails : DestinE (Destination Earth), qui vise à créer un jumeau numérique de la Terre pour simuler et visualiser au plus près l’évolution du climat, et CitiVerse, qui sera un environnement urbain immersif pour la planification et la gestion urbaines. Pour l’heure, le groupe américain Meta Platforms (ex-Facebook) essuie les plâtres (11) mais il a pris de l’avance en investissant des milliards dans son métavers perfectible Horizon Worlds (12). Apple mise de son côté sur son casque de réalité virtuelle et augmentée Vision Pro, disponible début 2024. Bien d’autres métavers se développent, comme pour les spectacles et concerts chez Vrroom (13) en France, pays où le chef de l’Etat rêve d’un « métavers européen » (14). @

Charles de Laubier