Pourquoi Oracle, géant du logiciel de bases de données et de services aux entreprises, s’intéresse-t-il à TikTok ?

Mais que vient faire Oracle – numéro deux mondial du logiciel (derrière Microsoft), spécialiste des bases de données et services de cloud aux entreprises – dans la bataille pour tenter de s’emparer des activités américaines de l’application grand public TikTok, très prisée des ados ? Pour l’instant, Larry Ellison n’en dit mot.

Oracle et TikTok, c’est la rencontre improbable entre un géant du logiciel pour les entreprises et une application mondiale pour jeunes. Dans le cas où la firme cofondée il y a 43 ans par Larry Ellison (photo) rachèterait l’activité de la filiale du chinois de ByteDance aux Etats-Unis (voire aussi au Canada, en Australie et en Nouvelle- Zélande), ce serait le mariage de la carpe et du lapin. Pourquoi le fleuron américain du logiciel B2B, numéro un mondial du logiciel d’entreprise, s’est entiché d’une application B2C d’origine chinoise ? Rien de commun entre les deux entreprises. Aucune synergie possible. Pas de clients communs. Tout les oppose. Leurs intérêts ne sont pas les mêmes. Quant à Larry Ellison (76 ans depuis le 17 août dernier), il a passé l’âge de pousser la chansonnette dans de mini clips vidéo musicaux et de partager ses improvisations sur les réseaux sociaux. Ses hobbies sont ailleurs : la guitare, la voile, l’avion et le tennis. Même ses deux enfants, David (37 ans) et Megan (34 ans), ne sont pas de la génération des tiktokers. Le président d’Oracle Corporation, dont il est aussi l’actuel directeur de la technologie (CTO) après en avoir été PDG de juin 1977 à septembre 2014, est-il tombé dans un délire stratégique sans queue ni tête ?

Trump incite Oracle à s’emparer de TikTok
Depuis l’article du Financial Times daté du 18 août dernier révélant que la firme de Redwood City (Californie) a engagé des discussions avec des investisseurs (dont General Atlantic et Sequoia Capital) déjà actionnaires de ByteDance, la maison mère chinoise de TikTok (1), aucun commentaire ni démenti de l’intéressé. Au-delà des sources proches du dossier qui ont confirmé – au Financial Times, à Bloomberg ou encore à Reuters – l’existence de ces discussions entre Oracle et des investisseurs de ByteDance, la confirmation implicite des tractations est venue du président des Etats-Unis lui-même. « Eh bien, je pense qu’Oracle est une grande entreprise et je pense que son propriétaire [Larry Ellison et sa famille détiennent près de 40 % du capital, ndlr] est un gars formidable, une personne formidable. Je pense qu’Oracle serait certainement quelqu’un qui pourrait le gérer », a lancé le 18 août dernier Donald Trump, lors d’un déplacement à Yuma, dans l’Arizona.

Larry Ellison, l’ami de Donald Trump
Cet appui présidentiel intervient après que le locataire de la Maison-Blanche ait donné 90 jours au chinois ByteDance pour vendre, aux Etats-Unis, sa populaire application TikTok – téléchargée par plus de 175 millions d’Américains (sur 1 milliard de fois dans le monde). Cette injonction s’inscrit dans la croisade de Donald Trump contre des intérêts chinois tels que Huawei qu’il accuse – sans preuve – de cyberespionnage et d’atteinte à la « sécurité nationale » du pays. Le dessaisissent a été ordonné par décret présidentiel – un Executive Order – le 14 août, assorti d’un délai d’exécution de 90 jours à compter du lendemain, soit jusqu’au 12 novembre prochain. « A moins que cette date ne soit prolongée pour une période ne dépassant pas 30 jours [jusqu’au 12 décembre, ndlr], aux conditions écrites du Comité sur l’investissement étranger aux Etats-Unis (CFIUS) » (2). Ce délai de trois mois s’est en fait substitué à un délai plus court – 45 jours – qui avait été décrété le 6 août (3) et dont l’échéance devait intervenir dès mi-septembre ! Ce même jour, un autre Executive Order a été signé par Trump à l’encontre de, cette fois, WeChat du groupe chinois Tencent. A partir du 15 septembre, toute « transaction » avec cette messagerie instantanée-réseau social-système de paiement sera interdite aux Etats- Unis (4). ByteDance, d’une part (5), et Tencent via la « U.S. WeChat Users Alliance », d’autre part (6), ont porté plainte contre Trump devant la justice américaine. Sous cette pression politique, l’Américain Kevin Mayer (ex-dirigeant de Disney) – directeur général de TikTok depuis juin – a annoncé le 26 août sa démission.
En apportant publiquement son soutien à Oracle dans son projet de reprise des activités américaines du chinois, face aux autres candidats déclarés que sont Microsoft (avec Walmart) et Twitter, Donald Trump a lancé un clin d’œil intéressé à son ami Larry Ellison. Ce dernier est réputé avoir collecté des fonds de plusieurs millions de dollars dès février pour cofinancer la prochaine campagne présiden-tielle de Donald Trump en vue de tenter de remporter un second mandat à l’issue des élections de novembre prochain. Entre milliardaires, on se comprend : Lawrence J. Ellison est la cinquième plus grande fortune mondiale avec un patrimoine professionnel de 73,2 milliards de dollars (au 21-08-20), selon Forbes (7). L’actuelle PDG d’Oracle, l’Israélo-américaine Safra Catz, est elle aussi une partisante du milliardaire de l’immobilier devenu président. En début d’année, Oracle s’est même associé à la Maison-Blanche pour étudier les effets de l’hydroxy-chloroquine sur le covid-19. En outre, Donald et Larry sont sur la même longueur d’ondes lorsqu’il s’agit d’encourager les intérêts technologiques américains dans l’esprit bien compris du slogan nationaliste « America First ». Disposant de 43 milliards de dollars de cash disponibles au 31 mai dernier (8), Oracle a les moyens de racheter TikTok hors de Chine, qui est, d’après l’agence Bloomberg, valorisé entre 20 et 50 milliards de dollars sur un total de 75 milliards de dollars. ByteDance a généré un bénéfice net de 3 milliards de dollars l’an dernier, pour un chiffre d’affaires de 17 milliards. Ce qui en fait la licorne la plus rentable au monde, alors que la rumeur de son introduction à la Bourse de Hong Kong avait été démentie en octobre 2019 par la firme de Pékin. Mais le mariage improbable entre l’appli des teens et les soft des corporates apparaît comme plus politique que stratégique. Oracle, qui a publié au tout début de l’été les résultats de son exercice annuel clos le 31 mai dernier (9), a fait état d’un chiffre d’affaires de 39 milliards de dollars, dont 83 % réalisés dans le cloud et les licences de logiciels, 9 % dans la vente de matériel et support, et 8 % dans les services. Sa rentabilité a été affectée par la pandémie, son bénéfice net reculant de 6 % sur un an, à 10,1 milliards de dollars.
La firme de Larry Ellison s’est d’ailleurs félicitée d’avoir accueillir en avril dernier un nouveau client de son offre « Oracle Cloud Infrastructure as a Service » (OCI) (10) : Zoom. La plateforme de vidéoconférence s’est révélée au grand public lors du confinement du printemps où le télétravail s’est imposé. C’est dans cet esprit que le géant du logiciel d’entreprise souhaite aussi se rendre utile à tout le monde en acquérant des actifs de TikTok. Car, contrairement à Microsoft qui s’adresse à la fois aux entreprises et aux particuliers (Windows, Xbox et LinkedIn), tout comme Amazon (e-commerce), Oracle est inconnu dans les chaumières. Outre la puissance de son cloud, la firme d’Ellison pourrait aussi mettre à profit son expertise data et de courtage de données sur le marché de la publicité ciblée en ligne.

Oracle veut cibler plus le grand public
Le « Data Cloud » publicitaire d’Oracle, né après l’acquisition de Datalogix pour plus de 1 milliard de dollars en 2015, rivalise aujourd’hui avec Facebook sur ce segment réputé rentable, malgré le ralentissement de cette activité provoqué par l’entrée en vigueur en mai 2018 en Europe du contraignant règlement général sur la protection des données (RGPD) et par les restrictions au ciblage publicitaire au regard de la protection de la vie privée depuis le scandale « Facebook-Cambridge Analytica » (11). TikTok permettrait à Oracle de redresser la barre de cette activité. @

Charles de Laubier

Œil pour œil, dent pour dent : Apple pourrait être la première victime collatérale du « Huawei bashing »

La marque à la pomme risque d’être la première grande firme américaine – un des GAFA qui plus est – à payer très cher l’ostracisme que les Etats-Unis font subir au géant chinois Huawei. Si la loi du talion est gravée dans la Bible, elle semble aussi être une règle non-écrite de la Constitution chinoise. Représailles en vue.

« Tu donneras vie pour vie, œil pour œil, dent pour dent, main pour main, pied pour pied, brûlure pour brûlure, meurtrissure pour meurtrissure, plaie pour plaie », dit la Bible (1), qui n’est finalement pas si pacifique qu’on le dit. La Chine va faire sienne cette loi du talion en prenant des mesures de rétorsion à l’encontre d’entreprises américaines, au premier rang desquelles Apple.
D’après le Global Times, quotidien proche du Parti communiste chinois au pouvoir, Pékin est prêt à prendre « des contre-mesures » ciblant des entreprises américaines. Dans un article publié le 15 mai dernier, complété par deux autres, Apple est cité en premier, suivi de Qualcomm, Cisco et Boeing (2). « La Chine prendra des contremesures, comme inclure certaines entreprises américaines dans sa liste d’‘’entités non fiables’’, imposer des restrictions aux entreprises américaines comme Qualcomm, Cisco et Apple, ou mener des enquêtes à leur sujet, et suspendre les achats d’avions de Boeing ». Le ministère chinois du Commerce – le Mofcom (3) – a confirmé en mai la préparation de cette liste noire où Apple figurera en bonne place. L’Empire du Milieu est donc prêt à rendre coup sur coup, alors que son fleuron technologique Huawei – numéro deux mondial des smartphones en 2019 devant… Apple (4) – fait l’objet depuis près de dix ans maintenant d’une discrimination de la part de l’administration Trump, allant jusqu’à son bannissement des infrastructures 5G aux Etats-Unis il y a un an.

L’Executive Order « anti-Huawei » prolongé d’un an
Fondée en 1987 par Ren Zhengfei, suspect aux yeux des Etats-Unis pour avoir été un technicien de l’Armée chinoise de 1974 à 1982, la firme de Shenzhen est plus que jamais dans le collimateur de Washington. Xi Jinping (photo), président de la République populaire de Chine, semble donc déterminé à rétorquer à Donald Trump, président des Etats-Unis d’Amérique (lequel a prêté serment sur la Bible) dans la bataille économique qui les oppose. Leurs Big Tech respectives sont les premières à être prises en otage, sur fond de guerre commerciale et de protectionnisme économique. Hasard du calendrier, le 15 mai correspondait aussi aux un an du décret – un Executive Order (5) – pris par Donald Trump.

Des années d’accusations sans preuve
Ce fameux décret « 13873 » (6) interdit aux entreprises américaines de se fournir en équipements high-tech et télécoms auprès de fabricants soupçonnés de vouloir porter atteinte à la « sécurité nationale » et à la cyber sécurité des Etats-Unis – avec Huawei et son compatriote ZTE en ligne de mire, mais sans les nommer. Pour monter d’un cran les hostilités, le locataire de la Maison-Blanche a fait savoir le 13 mai qu’il prolongeait ce décret d’une année supplémentaire. « L’acquisition ou l’utilisation sans restriction aux Etats-Unis de technologies de l’information et des communications ou de services conçus, développés, fabriqués ou fournis par des entreprises détenues par, contrôlées par, ou soumises à des juridictions ou directions des adversaires étrangers, donne la capacité à ces derniers de créer et d’exploiter des vulnérabilités dans les services ou technologies de l’information et des communications, avec des effets potentiellement catastrophiques. Cela représente une menace inhabituelle et extraordinaire pour la sécurité nationale, la politique étrangère et l’économie des Etats-Unis », justifie Donald Trump (7) pour « prolonger d’un an l’urgence nationale » décrétée par l’Executive Order du 15 mai 2019 – à savoir jusqu’au 15 mai 2021. Plus que jamais, Huawei est montré du doigt et présenté comme une soi-disant cyber menace que la firme de Shenzhen a toujours réfutée. Depuis la première enquête engagée en septembre 2011 par la commission du Renseignement de la Chambre des représentants des Etats-Unis, il y a donc près de dix ans, aucune preuve des allégations américaines de cyber espionnage ou de cyberattaques de la part de Huawei ou de ZTE n’a été apportée. Au pays de l’Oncle Sam, le fantasme technologique se le dispute à la théorie du complot ! Jusqu’à preuve du contraire. A l’autre bout de la planète, on fulmine : « La Chine doit être préparée au pire scénario de découplage complet avec les Etats-Unis dans le secteur de la haute technologie. Bien que la menace de découplage de l’administration Trump avec la Chine fasse partie de sa stratégie électorale [la prochaine élection présidentielle américaine aura lieu le 3 novembre 2020, ndlr], l’approche radicale de suppression de la Chine est devenue une tendance irréversible aux Etats-Unis », déclare le Global Times dans un édito du 15 mai (8). Apple devrait être la première victime collatérale de ce conflit sino-américain, lorsque Pékin mettra ses menaces à exécution en réponse à Washington. La goutte qui a fait déborder le vase chinois, c’est la décision annoncée le 15 mai par l’administration Trump – via son département américain au Commerce (DoC) – de « répond [re] aux efforts de Huawei pour saper la “Entity List” [la liste noire des entreprises bannies des Etats-Unis, ndlr] en restreignant sa possibilité d’utiliser des produits conçus et fabriqués avec des technologies américaines pour concevoir et fabriquer ses semi-conducteurs ». Hisilicon, la filiale de la firme de Shenzhen, fabrique des puces pour smartphones et stations de base 5G. Mais elle se fournit massivement auprès du taïwanais TSMC (9) pour la production. Or ce dernier – numéro un mondial des fabricants de semi-conducteurs (10) – produit aussi ses technologies de microprocesseurs sur le sol américain, et compte Huawei comme gros client à hauteur d’environ 10 % de son chiffre d’affaires. TSMC, qui selon le quotidien économique japonais Nikkei ne prend plus de commandes de Huawei, s’est soumis aux dictats étatsuniens au moment où il a annoncé la construction d’une nouvelle usine dans l’Arizona (11). Le taïwanais fournit aussi les américains Qualcomm et Nvidia. Huawei a dénoncé le 18 mai la décision « arbitraire et pernicieuse » du DoC. Depuis avril, cette fois, ce sont les opérateurs télécoms China Telecom et China Mobile et leurs filiales américaines respectives qui sont dans le collimateur de la justice américaine (DoJ) et le régulateur fédéral des communications (FCC) : leurs licences américaines pourraient être révoquées. Décidément, dans sa croisade « anti-Huawei », tous les coups sont permis de la part de l’administration Trump. Avant même que Pékin ne fasse jouer la loi du talion, Apple – sur le point d’être à son tour sur liste noire – voit déjà le fabricant chinois de ses iPhone – le taïwanais Foxconn, filiale du groupe Hon Hai – confronté à la crise économique déclenchée par la pandémie du covid-19. Hon Hai prévoit une chute de ses revenus d’au moins 15 % par rapport à l’année précédente.

La Chine, près de 15 % des revenus d’Apple
Apple – icône des GAFA – a tout à perdre de ce bras de fer entre Washington et Pékin, d’autant que la marque à la pomme a pris ses quartiers sur le vaste marché chinois : au premier trimestre 2020, la Chine représentait 14,8 % du chiffre d’affaires total d’Apple. Depuis le 11 mai, l’action de la firme de Cupertino au Nasdaq commence à montrer des signes de faiblesse : – 2,3 % (au 18-05-20). Les quatre iPhones compatibles 5G sortiront à l’automne prochain, mais avec plusieurs semaines de retard. Fin avril, lors des résultats de son second trimestre de l’année fiscale décalée, Apple n’a fourni aucune prévision. Et ce, pour la première fois en plus d’une décennie. @

Charles de Laubier

Sécurité des systèmes d’information et des données personnelles : nul ne peut ignorer ses responsabilités

RSI, NIS, OSE, OIV, PSC, EBIOS, RGPD, SecNumCloud, … Derrière ces acronymes du cadre réglementaire numérique, en France et en Europe, apparaissent les risques et les obligations en matière de sécurité des systèmes d’information et des traitements de données personnelles.

Vers une nouvelle loi contre le cyberharcèlement et les contenus haineux en ligne

Le gouvernement va présenter avant l’été un projet de loi contre le cyberharcèlement et les contenus haineux en ligne, en responsabilisant plus
les plateformes numériques et en restreignant l’anonymat. Le droit à l’effacement et l’actuel arsenal juridique sont actuellement limités face au fléau.

Par Christiane Féral-Schuhl*, avocate associée, cabinet Féral-Schuhl/Sainte-Marie

Le harcèlement consiste à tenir des propos ou avoir des comportements répétés, ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de vie d’une personne, susceptible de porter atteinte à ses droits, à sa dignité et d’altérer sa santé physique ou mentale. A l’ère du numérique, le harcèlement s’opère sur Internet, les réseaux sociaux, les blogs ou tout autre support en ligne.

Essor d’un fléau et arsenal juridique
Le harcèlement en ligne, également appelé cyber-harcèlement, est au cœur de l’actualité, que ce soit avec les attaques qui ont visé le chanteur Bilal Hassani – représentant la France à l’Eurovision 2019, en mai prochain – ou encore avec l’affaire de la « Ligue du LOL ». La prolifération des faits de harcèlement en ligne suscite de plus en plus d’inquiétudes. Aux Etats-Unis, la cour suprême a récemment condamné pour homicide une femme de 22 ans jugée pour avoir poussé son petit ami au suicide en 2014, par une série de textos. En France, la récente affaire de la « Ligue du LOL », du nom d’un groupe privé sur Facebook, illustre également l’accroissement significatif du cyber-harcèlement. A la suite de ces révélations, plusieurs journalistes impliqués ont été suspendus par leurs employeurs pour avoir harcelé il y a quelques années d’autres journalistes et blogueurs sur le réseau social Twitter. Des victimes ont dénoncé des entraves à leur carrière et un dénigrement systématique de la part des membres du groupe ou de leur entourage, souvent accompagnés de photos et messages violents. Pour l’instant, il n’y a pas d’enquête judiciaire sur les faits allégués, la plupart d’entre eux étant prescrits (à partir de 6 ans, mais un rallongement du délai de prescription
est à l’étude). Cette affaire de la « Ligue du LOL » a amené une vingtaine de médias (presse et audiovisuel) à signer le 13 mars au ministère de la Culture une « Charte pour les femmes dans les médias, contre le harcèlement et les agissements sexistes dans les médias » (1). Le cyber-harcèlement est partout, y compris parfois au sein du couple. Dans le cadre des violences conjugales, les violences physiques sont souvent accompagnées de cyber-violences : cinq femmes victimes de violences conjugales
sur six déclarent ainsi avoir également subi des actes de cyber-harcèlement, selon le Centre Hubertine Auclert (2). Le cyber-harcèlement revêt dès lors plusieurs formes. Il peut s’agir de la propagation de rumeurs sur Internet, de la création d’un faux profil à l’encontre d’une personne, de la publication de photographies sexuellement explicites ou humiliantes, des messages menaçants ou du « happy slapping », cette pratique qui consiste à filmer à l’aide d’un téléphone portable des actes de violence et à les diffuser sur Internet, notamment sur les réseaux sociaux.
Le cyber-harcèlement est une infraction grave réprimée par le Code pénal. La menace de rendre publics sur Internet des enregistrements sonores, des images ou des vidéos à caractère sexuel d’un(e) ex-partenaire, avec l’intention de nuire, peut être qualifiée de chantage (3). Ou encore être sanctionnée sur le fondement de la menace de violence (4). La publication sur un site web permet aussi de sanctionner l’auteur pour des faits de violence psychologique, délit introduit dans notre Code pénal par la loi du 9 juillet 2010 dans le but de lutter plus efficacement contre les violences conjugales (5), quelle que soit leur nature (6). Diffuser à répétition sur Internet des enregistrements, des images, des vidéos à caractère sexuel, c’est aussi du harcèlement sexuel visé et réprimé par le Code pénal (7). Par ailleurs, l’article 222-33-2-2 du Code pénal sanctionne le harcèlement moral d’un an d’emprisonnement et de 15.000 euros d’amende.

Du retrait des contenus à de la prison ferme
La récente loi du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes (8) modifie cet article pour prévoir que le délit est également constitué
« lorsque ces propos ou comportements sont imposés à une même victime par plusieurs personnes, de manière concertée ou à l’instigation de l’une d’elles, alors même que chacune de ces personnes n’a pas agi de façon répétée » ou « lorsque
ces propos ou comportements sont imposés à une même victime, successivement,
par plusieurs personnes qui, même en l’absence de concertation, savent que ces propos ou comportements caractérisent une répétition ». En outre, la même loi prévoit une aggravation des peines lorsque les faits sont commis par l’utilisation d’un service de communication au public en ligne ou par le biais d’un support numérique électronique. Ainsi, en cas de cyber-harcèlement, les peines sont portées à trois ans d’emprisonnement et 45.000 euros d’amende. Enfin, l’article 222-16 du Code pénal réprime l’envoi de plusieurs courriels malveillants à l’incrimination des appels téléphoniques malveillants et agressions sonores. A cet arsenal juridique, viennent s’ajouter des décisions judiciaires qui montrent de quelles manières les délits de cyber-harcèlement peuvent être constitués. Par une ordonnance de référé du 29 mars 2016 (9), le président du tribunal de grande instance de Paris a considéré que la publication de 34 articles faisant état de la dangerosité de deux personnes, affirmant qu’elles seraient recherchées par les autorités et lançant des avis de recherche était constitutive du délit de « cyber-harcèlement ». Le dirigeant a été condamné à retirer les articles publiés sous astreinte de 100 euros par jour.

Conseils de la Cnil et plan du gouvernement
A son tour, en 2017, le tribunal correctionnel de Bordeaux (10) a condamné une personne qui a proféré des menaces de mort à l’encontre d’un journaliste via le réseau social Twitter. Les juges ont retenu la circonstance aggravante de « menaces commises en raison de la religion ». Pour déterminer la culpabilité du mis en cause, il est retenu que « le premier message est clairement menaçant » et que « l’enchaînement des messages qui suivent est également de nature à constituer une menace de mort ».
En outre, les juges ont estimé que le délit était constitué, aux motifs que « les menaces ayant été adressées par messages envoyés par Twitter, il s’agi[ssai]t bien de menaces matérialisées par un écrit ». À ce titre, le prévenu a notamment été condamné à une peine d’emprisonnement d’un an ferme. Plus récemment, le 20 mars 2019, un étudiant qui avait harcelé une journaliste sur Internet à la suite d’un article a été condamné à cinq mois de prison avec sursis et 2.500 euros d’amende pour préjudice moral.
Partant du constat que près de 10 % de la population européenne a subi ou subira un harcèlement (11), la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) a publié une série de conseils sur le cyber-harcèlement. Qui sont les cyber-harceleurs ?
« Un internaute peut être harcelé pour son appartenance à une religion, sa couleur de peau, ses opinions politiques, son comportement, ses choix de vie, … Le harceleur peut revêtir l’aspect d’un “troll” (inconnu, anonyme) mais également faire partie de l’entourage de la victime (simple connaissance, ex-conjoint, camarade de classe, collègue, voisin, famille …) », prévient la Cnil. Elle rappelle aux victimes de violences sur Internet la réaction à adopter face au harcèlement – avec comme principe de base de « ne surtout pas répondre ni se venger » – et les paramétrages des médias sociaux conseillés. Si le harcèlement en ligne est réprimé par le Code pénal et relève de la compétence judiciaire, la Cnil rappelle que chaque personne a un droit à l’effacement
et au déréférencement de ses données. Ainsi, la victime peut demander la suppression des informations auprès de chaque site web ou réseau social. La personne qui en est responsable est, par conséquent, tenue de procéder à l’effacement dans les meilleurs délais et au plus tard dans un délai d’un mois (voire trois si la demande est complexe). En cas d’absence de réponse sous un mois, un recours auprès de la Cnil est possible. Pour le droit au déréférencement spécifiquement, elle rappelle que « si ces informations apparaissent dans les résultats de recherche à la saisie de vos prénom et nom, vous avez la possibilité d’effectuer une demande de déréférencement auprès du moteur de recherche en remplissant le formulaire [comme celui de Google, ndlr (12)] ».
Face à la prolifération des faits de harcèlement en ligne, le gouvernement entend se saisir de la question et prendre de nouvelles mesures pour lutter efficacement contre ces actes. Un projet de loi contre les contenus haineux et le harcèlement en ligne devrait être présenté avant l’été. Il a ainsi annoncé le 14 février dernier sa volonté de responsabiliser les plateformes et d’accélérer les procédures pour identifier les auteurs de propos haineux en ligne. Les secrétaires d’Etat – Marlène Schiappa à l’Egalité et Mounir Mahjoubi au Numérique – veulent en effet, par ce « plan d’action », pousser les plateformes à mettre « en quarantaine » ou retirer « en quelques heures » les contenus haineux. Le gouvernement propose ainsi de superviser les outils de signalement
à disposition des internautes et envisage d’auditer régulièrement les règles de modération des contenus des plateformes. Il les incite également à développer leurs outils de modération automatique avec la possibilité, pour les utilisateurs, de faire appel. Le secrétaire d’Etat au Numérique désire par ailleurs créer un nouveau statut pour les plateformes en ligne qui serait entre celui d’hébergeur de contenus et celui d’éditeur, permettant d’engager plus efficacement leur responsabilité. « La loi allemande oblige (…) désormais les acteurs à supprimer dans un délai de 24h les contenus “manifestement illégaux” et prévoit des sanctions allant jusqu’à 50 millions d’euros en la matière », a-t-il rappelé (13).

Aller jusqu’à restreindre l’anonymat
Des mesures concernant l’anonymat sur Internet sont également en réflexion. Il s’agirait de restreindre cet anonymat à certains usages tels que les pétitions en lignes. Enfin, si la possibilité de demander l’identité des auteurs d’harcèlement en ligne existe déjà, le gouvernement voudrait fixer et imposer aux plateformes des délais pour communiquer ces données. @ 

* Christiane Féral-Schuhl est ancien bâtonnier
du Barreau de Paris, et auteure de « Cyberdroit »,
dont la 7e édition (2018-2019) est parue aux éditions Dalloz.

«Lutte contre le piratage sur Internet », Saison 2

En fait. Le 6 novembre, se tiendront les 1ères Assises de la sécurité pour
la protection des contenus audiovisuels (au sein du Satis-Screen4All). Mi-septembre, le salon IBC d’Amsterdam faisait la part belle à la lutte contre le piratage audiovisuel. Il en fut aussi question au colloque NPA du 11 octobre.