Projet de loi « Liberté de création » et lutte contre le piratage : Fleur Pellerin est à pied d’oeuvre pour 2015

La ministre de la Culture et de la Communication, Fleur Pellerin, promet pour début 2015 un projet « Liberté de création, architecture et patrimoine » aux contours numériques encore flous. Tandis qu’elle prépare par ailleurs un renforcement de la lutte contre le piratage, avec « listes noires », et « chartes sectorielles », préférant l’autorégulation des acteurs du Net à la loi.

(Depuis la parution de cet article le 15 décembre dernier dans Edition Multimédi@, un texte de l’avant-projet de loi « LCAP » – accessible ici – a commencé à circuler.)

Pour la première fois, la consommation d’ebooks croit

En fait. Le 4 août, l’Hadopi a publié la 5e vague du baromètre – réalisé par l’Ifop – des « usages » licites ou non de biens culturels sur Internet. Pour la première fois, la consommation déclarée de livres sur Internet est en progression. De plus, les ebooks donnent davantage lieu à un acte d’achat.

En clair. La consommation en France de livres numériques commence enfin à entrer dans les mœurs, d’après les déclarations des internautes interrogés par l’Ifop pour l’Hadopi. Il s’agit même du seul bien culturel en ligne à vraiment progresser.
Et comparé aux autres biens culturels (musiques, films, vidéos, séries TV, photos),
les livres dématérialisés donnent (avec les jeux vidéo) davantage lieu à un acte d’achat. Mais 57 % disent avoir déjà piraté un ebook… Rappelons que selon le SNE (1), les ebooks ont représenté en France 4,1 % des ventes de livres en 2013 pour un chiffre d’affaires de 105,3 millions d’euros (+ 28,6 %). @

Piratage : le risque européen du « Follow the money »

En fait. Le 1er juillet, la Commission européenne a adopté deux communications « pour un meilleur respect des droits de propriété intellectuelle dans l’Union européenne et dans les pays tiers ». Est visé le piratage « à une échelle commerciale ». Parmi l’arsenal prévu : le « Follow the money ». Un ACTA bis ?

En clair. « Nous voulons cibler les intermédiaires, les sites qui violent les droits de propriété intellectuelle, plutôt que les utilisateurs finaux », a précisé la Commission européenne à Next Inpact le 20 juin dernier. En adoptant ces « nouveaux outils (non législatifs) », elle veut ainsi attaquer le piratage au portefeuille selon le principe du
« Follow the money », à savoir « priver les contrevenants agissant à une échelle commerciale de leurs revenus ». La lutte contre la contrefaçon concerne ici aussi bien les biens physiques que numériques. Comme l’ensemble des contrevenants, les sites web reconnu coupables de violation de la propriété intellectuelle seront privés de leurs ressources financières par la coopération des régies publicitaires, des prestataires de moyens de paiement ou des autres « intermédiaires » du Net. « Le plan d’action de l’UE comprendra dix actions spécifiques prévoyant une nouvelle politique en matière d’application des outils pour s’attaquer en particulier aux activités d’atteinte aux droits de propriété intellectuelle à une échelle commerciale », a indiqué la Commission européenne. Reste à savoir ce qu’elle appelle « échelle commerciale », qui reste
une notion vague et attrape-tout déjà utilisée dans le projet d’Accord commercial anti-contrefaçon (ACTA). Ce texte, qui avait finalement été rejeté par les eurodéputés le
4 juillet 2012 précisément à la suite d’une vague de contestation (1), précisait que « les actes commis à une échelle commerciale comprennent au moins ceux qui sont commis à titre d’activités commerciales en vue d’un avantage économique ou commercial direct ou indirect ». Ce sont les mesures pénales dans un accord commercial que fustigeaient les opposants à ce texte, dont la Quadrature du Net (2). L’ACTA prévoyait notamment que les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) puissent être obligés de « divulguer rapidement au détenteur du droit des renseignements suffisants pour lui permettre d’identifier un abonné » présumé pirate.

Le cinéma français fait la publicité gratuite de Netflix !

En fait. Le 24 mars, La ministre de la Culture et de la Communication, Aurélie Filippetti, a reçu des dirigeants de Netflix qui prévoit d’arriver en France à l’automne. Le 21 mars, elle avait rassuré les organisations françaises de l’audiovisuel et du cinéma qui s’inquiètent de l’arrivée du géant de la SVOD.

En clair. Cela fait plus de trois ans maintenant que les professionnels de l’audiovisuel et du cinéma français font gratuitement de la publicité pour Netflix, qui n’en demandait pas tant. Et ce, bien avant que le pionnier américain de la vidéo à la demande par abonnement (SVOD) n’envisage de se lancer à l’automne prochain dans le pays de
« l’exception culturelle ». La campagne publicitaire qu’ont offerte à Netflix les organisations françaises – relayées par les médias surfant aussi sur les rumeurs de lancement maintes fois reporté (1) – n’a pas faibli depuis lors.
Entre mises en garde, craintes, peurs et fantasmes, les chaînes de télévision et les producteurs français n’ont de cesse de crier au loup. « Mars Attacks », a ironisé Pascal Rogard, DG de la SACD, sur son blog le 23 mars : « Le cas Netflix illustre parfaitement l’incroyable agilité de ces sociétés qui défient les vieilles règlementations fondées encore sur la taxation des portes et fenêtres alors que celles-ci dans l’univers numérique n’ont jamais existé ». Canal+ étant encore en France le premier pourvoyeur du Septième Art en France (lire p. 4), un poids lourd international de la SVOD comme Netflix fait trembler les fondements du financement de « l’exception culturelle » française. De son côté, l’Union des producteurs de films (UPF) a adressé un courrier daté du 24 mars à Aurélie Filippetti – qui recevait ce jour-là Netflix – pour la mettre en garde contre l’arrivée de « grands groupes internationaux nullement concernés par aucune régulation » et lui demander
« l’égalité de traitement (…) entre opérateurs audiovisuels (…), quel que soit leur lieu d’établissement ». Netflix aurait, selon Les Echos, décidé d’opérer ses services pour
la France à partir du Luxembourg.
Quant à l’ARP (2), elle a déclaré le 25 mars que « Netflix est bienvenu en France pour en devenir un nouveau diffuseur, mais seulement dans le respect d’un équilibre bénéfique à
la pérennité de la création, qui ne brade ni nos oeuvres, ni nos règles collectives ». Mais l’ARP rappelle « l’urgence de la réforme de la chronologie des médias pour les services de SVOD », l’UPF, elle, estime qu’« il n’est pas question ni d’assouplissement ni de marchandage ni d’aménager les lois et règles (…) pour organiser l’arrivée en concurrence frontale autant que déloyale de groupes internationaux » comme Netflix. @

Manuel Valls était contre l’Hadopi : et la loi Création ?

En fait. Le 2 avril, Manuel Valls – que le chef de l’Etat François Hollande a nommé
le 31 mars Premier ministre à la place de Jean-Marc Ayrault – a formé son gouvernement « resserré » : Aurélie Filippetti reste à la Culture, Arnaud Montebourg ajoute l’Economie et le Numérique (1) au Redressement productif.

En clair. Le nouveau Premier ministre, Manuel Valls, fut un ardent opposant à la loi Hadopi : il a signé dès le 17 juin 2008 dans Libération un appel contre le projet de loi Hadopi « attentatoire aux libertés fondamentales et n’apportant aucune réponse aux besoins de financement des créateurs » ; il a encore fustigé la loi Hadopi dans un discours le 29 juin 2009 au Théâtre Michel (2), alors que le premier volet venait tout
juste d’être promulgué le 13 juin après la décision rectificative du Conseil constitutionnel du 10 juin.
Plus de deux ans après, cette fois lors des primaires socialistes où il était candidat
à l’investiture du PS pour la présidentielle, il déclarait sur son blog Valls2012.org de campagne le 8 octobre 2011 : « Je n’ai jamais tergiversé sur l’abrogation nécessaire
de cette loi qui induit la répression, soldée par une sanction pénale, administrative et financière ». Et celui qui est alors maire d’Evry se déclarait favorable à une « contribution créative adaptée », afin de « dégager des moyens de financement en faveur de la création, sous la forme d’un versement à la filière artistique ainsi que la réorientation vers cette filière du produit de la taxe sur les fournisseurs d’accès à Internet (évaluée à 1 milliard d’euros par an)» (3). Le nouveau Premier ministre était ainsi en phase avec la position de la Sacem, prônant une « contribution compensatoire » prélevée sur les fournisseurs d’accès à Internet (FAI).